Jurisprudence : Cass. soc., 09-10-2024, n° 23-19.063, F-D, Cassation

Cass. soc., 09-10-2024, n° 23-19.063, F-D, Cassation

A8513598

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2024:SO00990

Identifiant Legifrance : JURITEXT000050384412

Référence

Cass. soc., 09-10-2024, n° 23-19.063, F-D, Cassation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/112042223-cass-soc-09102024-n-2319063-fd-cassation
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SOC.

JL10


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 octobre 2024


Cassation partielle


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président


Arrêt n° 990 F-D

Pourvoi n° W 23-19.063


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 OCTOBRE 2024


M. [D] [V], domicilié [… …], a formé le pourvoi n° W 23-19.063 contre l'arrêt rendu le 27 juin 2023 par la cour d'appel de Nîmes (5e chambre sociale PH), dans le litige l'opposant à la société Transguy, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5], défenderesse à la cassation.


Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, quatre moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Brinet, conseiller, les observations de la SCP Delamarre et Jéhannin, avocat de M. [V], de Me Haas, avocat de la société Transguy, après débats en l'audience publique du 10 septembre 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Brinet, conseiller rapporteur, M. Pietton, conseiller, Mme Grivel, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 27 juin 2023), M. [Aa] a été engagé en qualité de chauffeur routier poids lourds, le 18 juin 2008 par la société Transguy. A compter du mois de juin 2015, plusieurs sanctions disciplinaires lui ont été notifiées.

2. Licencié pour faute grave le 16 janvier 2018, il a saisi la juridiction prud'homale notamment aux fins d'annulation des sanctions disciplinaires dont il avait fait l'objet, de réparation de son préjudice né d'un harcèlement moral, et de condamnation de l'employeur à lui verser diverses sommes au titre du licenciement.


Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de débouter le salarié de sa demande d'annulation de l'avertissement notifié le 18 avril 2017

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile🏛, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, alors « qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli ; qu'en conséquence, le travail dissimulé peut être caractérisé sans qu'un décompte précis des heures accomplies soit établi, dès lors qu'il est démontré que l'employeur a sciemment minoré le nombre d'heures accomplies sur le bulletin de salaire ; qu'en l'espèce, il soutenait qu'il ''était régulièrement contraint de réaliser des trajets en voiture de société à l'issue de ses heures de service, et même parfois au-delà de son amplitude, pour rentrer au dépôt le vendredi depuis [Localité 3] (13), étant entendu que le lundi matin, il lui appartenait de récupérer le véhicule de société au dépôt à [Localité 4] tôt le matin (vers 3 heures du matin) avec d'autres chauffeurs, pour retourner sur [Localité 3]'' ; que, pour l'établir, il invoquait les feuilles de semaine produites aux débats par l'employeur en cause d'appel, ainsi que les attestations de deux salariés mentionnant cette pratique de l'employeur ; que, pour le débouter de sa demande au titre du travail dissimulé, la cour d'appel s'est bornée à retenir que le salarié ''ne produit aucun décompte précis des heures qu'il considère avoir effectuées les jours concernés'' et qu' ''il lui appartenait de présenter un décompte qui aurait pu être recoupé avec les feuilles de semaine et les bulletins de salaire'' ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme il lui incombait de le faire, s'il était établi que des heures de travail effectuées par le salarié n'avaient intentionnellement pas été mentionnées sur son bulletin de salaire par l'employeur, peu important leur nombre précis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 8221-5 du code du travail🏛. »


Réponse de la Cour

5. Aux termes de l'article L. 8221-5, 2° du code du travail🏛, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie.

6. La cour d'appel ayant constaté qu'il n'était pas établi que le salarié avait effectué des heures de travail qui n'auraient pas été rémunérées et qui ne figureraient pas sur les bulletins de salaire, n'avait pas à procéder à une recherche que ces constatations rendaient inopérantes.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.


Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

8. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire son licenciement justifié et de le débouter de l'ensemble de ses demandes relatives à son licenciement, alors :

« 1°/ que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même pendant la durée limitée du préavis ; que si en principe les insultes grossières proférées par un salarié sont constitutives d'une faute grave, il en va différemment lorsqu'elles sont proférées sous le coup de la colère ou d'un choc subi par le salarié, ce qui est de nature à ôter au comportement son caractère de gravité ; qu'en l'espèce, il lui était reproché d'avoir posté sur son compte Facebook, en réponse à un ami lui souhaitant bon week-end, le message suivant : ''Oui week-end court, vu que ce connard de [O] me fait démarrer à 00h'' ; qu'il soulignait que ce message s'inscrivait dans un contexte très particulier puisqu'il venait d'annoncer à ses amis sur son compte Facebook que son ''meilleur ami et confident'' était décédé ; qu'en retenant pourtant que ce message serait constitutif d'une faute grave, au prétexte que le ''[O]'' cité dans le message ne pourrait être que son supérieur hiérarchique, sans rechercher si le contexte dans lequel l'insulte avait été proférée n'était pas de nature à lui ôter son caractère de gravité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1234-1 du code du travail🏛 ;

2°/ que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même pendant la durée limitée du préavis ; qu'en l'espèce, il était reproché au salarié d'avoir pris des photographies en roulant sur une route enneigée, posté lesdites photographies sur le réseau Facebook et répondu à des commentaires en roulant ; qu'il soulignait que ce comportement, aurait-il été fautif, ne pouvait intrinsèquement caractériser une faute grave, et que l'employeur ne l'invoquait que pour pouvoir le licencier à moindre coût ; que la cour d'appel a considéré que ce comportement caractérisait une grave imprudence de la part du salarié qui aurait dû faire preuve d'une particulière vigilance par un tel temps ; qu'en statuant par un motif établissant uniquement qu'il avait commis une faute, mais aucunement une faute grave, faute de caractériser en quoi celle-ci rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, y compris pendant la durée limitée du préavis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1234-1 du code du travail. »


Réponse de la Cour

9. La cour d'appel a constaté d'abord qu'il ressortait des pièces versées aux débats que le salarié avait diffusé des insultes à l'égard du responsable d'exploitation sur son compte Facebook dont le profil était public et ensuite qu'il était démontré qu'il avait pris des photographies, les avait postées sur son compte Facebook et avait répondu à des commentaires tout en roulant sur une route enneigée, un tel comportement manifestant une grave imprudence de la part du salarié qui aurait dû faire preuve d'une particulière vigilance par un tel temps.

10. Elle a pu en déduire que ces manquements rendaient impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.


Mais sur le premier moyen, pris en ses première, troisième et cinquième branches, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de débouter le salarié de sa demande d'annulation des avertissements notifiés les 3 novembre 2016, 21 mars 2017 et 8 décembre 2017

Enoncé du moyen

12. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en annulation de sanctions disciplinaires, alors :

« 1°/ que le fait pour un salarié de n'avoir pu être joint en dehors des horaires de travail sur son téléphone portable personnel est dépourvu de caractère fautif ; qu'a fortiori ne commet aucune faute le salarié qui, pendant son temps de repos, ne joint pas spontanément son employeur pour faciliter l'organisation de l'entreprise ; qu'en l'espèce, l'avertissement du 3 novembre 2016 était fondé sur la circonstance que le salarié en repos, le 11 octobre 2016, ne s'était pas renseigné sur son travail du lendemain, ce qui avait conduit le responsable d'exploitation, à l'appeler à deux reprises, et un agent d'exploitation, à lui laisser un message sans réponse ; qu'en disant pourtant l'avertissement du 3 novembre 2016 fondé au motif totalement inopérant qu'avant la dégradation de ses relations avec son employeur le salarié s'était ''toujours conformé à la pratique suivant laquelle il lui revenait de se renseigner sur le travail pour le jour suivant à l'issue d'un repos'', quand le refus de joindre son employeur ou d'être joignable sur son téléphone personnel pendant le temps de repos ne pouvait en tout état de cause présenter un caractère fautif, la cour d'appel a violé l'article L. 1333-2 du code du travail🏛 ;

3°/ que le fait pour un salarié de n'avoir pu être joint en dehors des horaires de travail sur son téléphone portable personnel est dépourvu de caractère fautif ; qu'a fortiori ne commet aucune faute le salarié qui, pendant son temps de repos, ne joint pas spontanément son employeur pour faciliter l'organisation de l'entreprise ; qu'en l'espèce, l'avertissement du 21 mars 2017 était fondé sur la circonstance que le 2 mars 2017, le salarié s'était présenté à l'entreprise après deux jours de repos et qu'il n'avait pas sollicité, la veille de son retour, des informations sur l'organisation du travail, ni répondu à un texto de son employeur ; qu'en conséquence, pendant 44 minutes, le planning de sa journée avait été mis en place par son employeur et que, pendant ce temps, il avait positionné sa carte conducteur sur ''travail'' ; que ces faits, qui sont tous liés à la circonstance que le salarié a vaqué à ses occupations personnelles pendant son temps de repos et n'a pas répondu à un message de son employeur adressé sur son téléphone personnel n'avaient aucun caractère fautif ; que la cour d'appel a pourtant dit fondé l'avertissement du 21 mars 2017 au prétexte que ''le fait de devoir prendre contact avec l'employeur la veille d'une reprise de service concernant les missions à réaliser n'est pas proscrit par la convention collective applicable au transport routier et n'est pas anormal compte tenu du secteur d'activité, étant relevé, comme vu précédemment, que cette directive a toujours été donnée par l'employeur depuis l'embauche de M. [D] [V] en 2008 sans que ce dernier ne la remette en cause pendant des années'' ; qu'en statuant ainsi, quand l'avertissement en cause sanctionnait un fait dépourvu de tout caractère fautif, la cour d'appel a violé l'article L. 1333-2 du code du travail ;

5°/ que le fait pour un salarié de n'avoir pu être joint en dehors des horaires de travail sur son téléphone portable personnel est dépourvu de caractère fautif ; qu'a fortiori ne commet aucune faute le salarié qui, pendant son temps de repos, ne joint pas spontanément son employeur pour faciliter l'organisation de l'entreprise ; qu'en l'espèce, l'avertissement du 8 décembre 2017 était fondé sur les faits suivants : ''il est ici reproché au salarié de n'avoir pas répondu le 29 novembre 2017 à un texto de 14h53 émanant de l'agent d'exploitation et l'informant de la mission du lendemain, ni d'avoir répondu à l'appel téléphonique de 17h32 puis après un nouvel appel à 17h49 d'avoir déclaré ''non, je ne démarre pas à 2h pour [Localité 2]. Ça veut dire départ d'[Localité 4] à 1h du matin. Tu me préviens trop tard. Il est 18h, je démarrerai après 9h de coupure, soit à 3h du matin'' ; qu'encore une fois, cet avertissement était donc fondé exclusivement sur le fait non-fautif de s'être abstenu de répondre sur son téléphone personnel à son employeur pendant son temps de repos ; qu'en le jugeant pourtant justifié au prétexte que ''les éléments produits sont suffisants à démontrer qu'une nouvelle fois le salarié n'a pas respecté les consignes pourtant précédemment rappelées quant à la reprise du travail après une absence'', la cour d'appel a violé l'article L. 1333-2 du code du travail. »


Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1333-1 et L. 1333-2 du code du travail🏛 :

13. Pour rejeter la demande d'annulation des avertissements des 3 novembre 2016, 21 mars 2017 et 8 décembre 2017, l'arrêt retient, s'agissant de la première sanction disciplinaire, que le salarié s'est toujours conformé à la pratique suivant laquelle il lui revenait de se renseigner sur le travail pour le jour suivant un repos, s'agissant de la deuxième sanction, que le fait de devoir prendre contact avec l'employeur la veille d'une reprise de service concernant les missions à réaliser n'est pas proscrit par la convention collective applicable au transport routier et n'est pas anormal compte tenu du secteur d'activité, et enfin, à propos de la troisième sanction, qu'une nouvelle fois le salarié n'a pas respecté les consignes pourtant précédemment rappelées quant à la reprise du travail après une absence.

14. En statuant ainsi, alors que le fait de n'avoir pu être joint en dehors des horaires de travail sur son téléphone portable personnel est dépourvu de caractère fautif et ne permet donc pas de justifier une sanction disciplinaire, la cour a violé les textes susvisés.


Et sur le deuxième moyen pris en sa sixième branche en ce qu'il fait grief à l'arrêt de débouter le salarié de sa demande indemnitaire pour harcèlement moral

Enoncé du moyen

15. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande indemnitaire pour harcèlement moral, alors « que pour le débouter de ses demandes fondées sur le harcèlement moral, la cour d'appel a retenu que, hormis le rappel du 6 juin 2016 et l'avertissement du 19 août 2015, ''la majorité des sanctions disciplinaires sont fondées sur des faits précis et justifiés, de sorte que les mesures disciplinaires même nombreuses ne sauraient en l'espèce être considérées comme du harcèlement moral, le salarié multipliant les comportements répréhensibles'' ; que la cassation à intervenir sur le premier moyen, en ce qu'elle reposera sur le constat que de nombreuses autres sanctions étaient parfaitement injustifiées, emportera donc, par voie de conséquence, la censure du chef de l'arrêt relatif au rejet des demandes fondées sur le harcèlement moral, en application de l'article 624 du code de procédure civile🏛. »


Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

16. En application de ce texte, la cassation des dispositions de l'arrêt déboutant le salarié de sa demande d'annulation des avertissements notifiés les 3 novembre 2016, 21 mars 2017 et 8 décembre 2017 entraîne la cassation du chef de dispositif le déboutant de sa demande indemnitaire au titre du harcèlement moral, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

Portée et conséquences de la cassation

17. Le deuxième moyen ne formulant aucune critique contre les motifs de l'arrêt fondant la décision de débouter le salarié de sa demande d'annulation du licenciement, la cassation ne peut s'étendre à cette disposition de l'arrêt qui n'est pas dans un lien de dépendance avec les dispositions de l'arrêt critiquées par ce moyen.


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [V] de sa demande d'annulation des sanctions disciplinaires notifiées les 3 novembre 2016, 21 mars 2017 et 8 décembre 2017, de sa demande indemnitaire au titre du harcèlement moral, le condamne aux dépens et le déboute de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛, l'arrêt rendu le 27 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamne la société Transguy aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Transguy et la condamne à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille vingt-quatre.

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