Jurisprudence : Cass. crim., 15-10-2024, n° 23-81.968, FP-B

Cass. crim., 15-10-2024, n° 23-81.968, FP-B

A838059A

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Cass. crim., 15-10-2024, n° 23-81.968, FP-B. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/112042090-cass-crim-15102024-n-2381968-fpb
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Abstract

► L'article 2 de la loi du 9 octobre 1981, portant abolition de la peine de mort, permet aux ayants droit de déposer une requête tendant au rétablissement de l'honneur de la personne condamnée et exécutée ; toutefois, cette réhabilitation n'est pas de plein droit et doivent ainsi être démontrés des gages d'amendement du condamné, appréciés par la juridiction saisie.


N° W 23-81.968 FP-B

N° 00912


SL2
15 OCTOBRE 2024


REQUÊTE EN RÉHABILITATION - REJET


M. BONNAL président,


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 OCTOBRE 2024



M. [H] [I] a présenté, en sa qualité d'ayant droit, une requête tendant au rétablissement de l'honneur de [J] [I], condamné à la peine de mort par arrêt de la cour d'assises de la Seine du 6 avril 1957, pour meurtre sur agent de la force publique dans l'exercice de ses fonctions, tentatives de meurtres et vol qualifié, dont la peine a été exécutée.

Des observations ont été produites.

Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de Me Spinosi, avocat de M. [H] [I], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 6 juin 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. A Aa de Champfeu, Ab B, Ac, M. Ad, Mme Ae, M. Af, Mme Ag, MM. Pauthe, Turbeaux, Seys, Dary, Mme Ah, MM. de Lamy, Sottet, Ai, Coirre, Gouton, Brugère, Mmes Hairon, Chaline-Bellamy, M. Hill, Mme Jaillon, M. Tessereau, Mme Clément, conseillers de la chambre, MM. Ascensi, Joly, Mme Aj, MM. Violeau, Leblanc, Mallard, Mmes Ak, Al, M. Am, Mme An, MM. Charmoillaux, Rouvière, Mmes Diop-Simon, Girard-Bloch, conseillers référendaires, M. Tarabeux, avocat général, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Il résulte des pièces de la procédure les faits suivants.

2. Le 25 février 1954, à [Localité 2], [J] [I], âgé de vingt-trois ans, qui souhaitait financer l'acquisition d'un voilier pour faire le tour du monde, s'est présenté chez un changeur avec lequel il avait pris rendez-vous, l'a menacé avec un pistolet 7,65 mm dérobé chez son père, l'a frappé d'un coup de crosse sur la tête et s'est emparé d'une somme de 330 000 francs qui se trouvait dans la caisse. Alors qu'il le frappait de nouveau, il a été lui-même blessé à l'auriculaire par une balle partie de son arme qui a brisé la vitrine de la boutique et alerté un passant.

3. [J] [I] s'est enfui, poursuivi par le changeur et ce passant. Il s'est réfugié dans l'escalier de service d'un immeuble où le gardien de la paix [D] [T], alerté par la clameur publique, a pénétré à son tour.

4. Redescendant du haut de l'escalier où il s'était trouvé bloqué, [J] [I] a traversé calmement la voûte de l'immeuble jusqu'au moment où [D] [T], à qui il a alors été désigné comme étant le malfaiteur recherché, lui a fait sommation de s'arrêter.

5. [J] [I], faisant volte-face, lui a tiré dessus, l'atteignant mortellement d'une balle en plein coeur.

6. Prenant la fuite, l'arme à la main, il s'est retourné contre des passants qui le poursuivaient, ajustant son tir tout d'abord sur l'un d'eux qu'il a atteint à la nuque.

7. Parvenu à une station de métro, il a tiré, en le visant, sur un deuxième poursuivant, sans l'atteindre.

8. Ce dernier et un troisième passant ont finalement réussi à le maîtriser et à le désarmer, essuyant deux nouveaux coups de feu qui ont vidé le chargeur de l'arme.

9. A l'issue de l'information ouverte sur ces faits, [J] [I] a été déclaré coupable des chefs précités et condamné à la peine de mort par arrêt de la cour d'assises de la Seine du 6 avril 1957.

10. Par arrêt du 11 juillet 1957, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cette décision.

11. Son avocat a présenté un recours en grâce que le Président de la République a rejeté.

12. [J] [I] a été exécuté le [Date décès 1] 1957.

13. M. [H] [I], son fils, a déposé auprès de la chambre criminelle de la Cour de cassation une requête intitulée « requête en réhabilitation ».

Sur le texte applicable

14. La requête est présentée sur le fondement de la loi n° 81-908 du 9 octobre 1981 dont l'article premier abolit la peine de mort et l'article 2, modifié par le V de l'article 27 de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020🏛, permet aux ayants droit d'une personne condamnée à la peine de mort dont la peine a été exécutée de saisir la chambre criminelle de la Cour de cassation d'une demande tendant au rétablissement de l'honneur de cette personne à raison des gages d'amendement qu'elle a pu fournir.

15. Les circonstances dans lesquelles l'article 2 a été adopté sont les suivantes.

16. Le 20 mars 2018, M. [H] [I] a saisi une chambre de l'instruction d'une requête en réhabilitation judiciaire de [J] [I] et a présenté, devant cette juridiction, une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles 785 et 786, alinéa 1er, du code de procédure pénale🏛🏛, sur lesquels sa requête était fondée. Cette question a été transmise à la Cour de cassation.

17. Relevant que ces textes subordonnent la recevabilité de la demande en réhabilitation à des exigences de délais cumulées qui deviennent incompatibles entre elles lorsque la demande concerne un condamné à mort dont la peine a été exécutée, la Cour de cassation a renvoyé cette question au Conseil constitutionnel (Crim., 11 décembre 2019, pourvoi n° 19-90.031⚖️).

18. Dans sa décision du 28 février 2020 (n° 2019-827 QPC), le Conseil constitutionnel a jugé que l'impossibilité, pour les ayants droit d'un condamné à mort dont la peine a été exécutée, d'engager une procédure en réhabilitation en son nom était conforme à la Constitution. Il a ajouté : « Toutefois, après l'abolition de la peine de mort par la loi du 9 octobre 1981🏛 [...], le constituant a, par la loi constitutionnelle du 23 février 2007 [...], introduit dans la Constitution l'article 66-1 aux termes duquel « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ». Dans ces conditions, le législateur serait donc fondé à instituer une procédure judiciaire, ouverte aux ayants droit d'une personne condamnée à la peine de mort dont la peine a été exécutée, tendant au rétablissement de son honneur à raison des gages d'amendement qu'elle a pu fournir ».

19. C'est dans ce contexte que la loi du 24 décembre 2020 précitée a modifié l'article 2 de la loi du 9 octobre 1981🏛.

Sur l'office de la chambre criminelle de la Cour de cassation

20. Le législateur n'a pas fait du rétablissement de l'honneur d'une personne condamnée à mort dont la peine a été exécutée une conséquence de plein droit de l'abolition de la peine de mort. Il l'a, en effet, subordonné à l'existence de gages d'amendement relevant de l'appréciation du juge.

21. La loi ne définissant pas de tels gages, il appartient à la chambre criminelle de la Cour de cassation de déterminer leur nature et les modalités de leur appréciation.

22. Cette notion de « gages d'amendement », qui n'apparaît dans aucun autre texte de nature pénale, se retrouve dans la jurisprudence relative à la réhabilitation judiciaire prévue à l'article 785 du code de procédure pénale.

23. En effet, la Cour de cassation a jugé que peuvent bénéficier de cette mesure de bienveillance les personnes condamnées et ayant subi leur peine qui se sont rendues dignes, par les gages d'amendement qu'elles ont donnés pendant un délai d'épreuve, d'être replacées dans l'intégralité de leur état ancien (Crim., 12 février 1963, pourvoi n° 62-90.725⚖️, Ao. crim. 1963, n° 72).

24. Il appartient à la juridiction saisie d'une requête en réhabilitation d'apprécier, au regard de la nature et de la gravité de l'ensemble des condamnations concernées par la demande, si le comportement du requérant pendant le délai d'épreuve doit conduire au prononcé de la mesure sollicitée afin de permettre l'effacement de condamnations dont le maintien ne serait plus nécessaire et proportionné (Crim., 6 septembre 2023, pourvoi n° 23-80.643⚖️, publié au Bulletin).

25. La notion de gages d'amendement pourrait également être rapprochée de celle de « gages sérieux de réadaptation sociale » figurant à l'article 720-4 du code de procédure pénale🏛, lequel permet à une personne condamnée à une peine privative de liberté assortie d'une période de sûreté de bénéficier, à titre exceptionnel, de la réduction ou de la suppression de cette période.

26. Cependant, d'une part, le délai d'épreuve prévu par la procédure de réhabilitation judiciaire ne court qu'à compter du moment où le condamné, ayant recouvré la liberté et n'étant plus soumis aux rigueurs de la peine prononcée, est en mesure de démontrer qu'il s'est amendé de façon durable.

27. D'autre part, la réduction de la période de sûreté est décidée en vue de faciliter la réinsertion de la personne condamnée.

28. En conséquence, dans le cas d'une requête fondée sur l'article 2 de la loi du 9 octobre 1981, il y a lieu d'appréhender de façon autonome les modalités selon lesquelles doivent être examinés les gages d'amendement que la personne condamnée a pu fournir.

29. La période pendant laquelle doivent être appréciés ces gages n'est pas définie par la loi et les travaux parlementaires font seulement état, se référant au cas d'espèce, des trois années de détention de [J] [I].

30. Cette privation de liberté a débuté lors de son interpellation, le jour même des faits, date à partir de laquelle il convient donc d'apprécier ces gages.

31. Cette appréciation ne saurait, sauf à priver la loi de tout effet utile, se fonder uniquement sur la gravité des faits ayant motivé la condamnation à mort, mais doit également reposer sur l'examen de l'évolution de la personnalité et du comportement de [J] [I], en fonction des pièces produites par le demandeur et des éléments que la Cour de cassation a pu recueillir dans le cadre des mesures d'instruction qu'elle a conduites.

32. Ont ainsi été versés aux débats le dossier de la procédure d'information et de jugement, celui du recours en grâce, le dossier pénitentiaire et des articles de journaux parus à l'époque du procès, étant précisé que l'écoulement du temps a entraîné un dépérissement des éléments d'appréciation utiles.

Sur l'appréciation des gages d'amendement

33. La requête invoque, en premier lieu, la conduite irréprochable et exemplaire de [J] [I] à l'égard du personnel pénitentiaire et de ses codétenus.

34. Les pièces versées aux débats établissent qu'au cours de sa détention, [J] [I] a adopté une attitude respectueuse envers les agents de l'administration pénitentiaire et apporté un soutien à des codétenus. Ce comportement doit être pris en compte au titre des gages d'amendement.

35. La requête met en avant, en deuxième lieu, l'expression par [J] [I] de sincères regrets de ses agissements et du mal causé à sa famille et celle de [D] [T].

36. Il résulte des pièces mises dans le débat que l'intéressé a effectivement exprimé à divers interlocuteurs et exposé, dans ses lettres et son journal, certaines pensées manifestant un regret de ses actes et de leurs conséquences.

37. Cependant, dans d'autres passages des ouvrages cités dans la requête, [J] [I] impute la commission des faits à une forme de fatalité ou un dessein supérieur dont il n'aurait été que l'instrument, ce qui atténue la portée des regrets ainsi manifestés.

38. La requête ne mentionne pas l'indemnisation des victimes, en exécution de l'arrêt de la cour d'assises qui a condamné [J] [I] à payer diverses sommes à l'agent de change, au passant blessé ainsi qu'aux parents et à la fille de [D] [T]. Aucun document n'y était annexé sur ce point et aucune information ne figure à cet égard dans les pièces rassemblées par la chambre criminelle de la Cour de cassation. Celle-ci a pris l'initiative de mettre cette question dans les débats, une telle indemnisation devant être examinée au titre des gages d'amendement.

39. Le demandeur a alors produit une attestation de Mme [G] [T], fille de [D] [T], datée du 29 mai 2024, qui rappelle qu'elle était âgée de quatre ans et orpheline de mère au moment du meurtre de son père et précise qu'elle ne dispose pas d'éléments matériels établissant le versement à son profit d'une indemnisation et que, compte tenu de l'ancienneté des faits, aucun ascendant vivant ne peut lui apporter cette information.

40. Mme [T] ajoute cependant avoir « le souvenir que ce versement a été évoqué comme ayant été effectué par le père de [J] [I] ». Cette indication imprécise, qui, de surcroît, ne cite pas l'intéressé et ne concerne qu'une seule des victimes que [J] [I] a été condamné à indemniser, ne suffit pas à établir la réalité de l'indemnisation des victimes, que ce soit par l'intéressé lui-même ou, à son initiative, par sa famille.

41. La requête souligne encore le caractère exemplaire et l'utilité sociale du cheminement personnel de [J] [I], marqué par la découverte de la foi qui a constitué la source de son propre amendement, ce qui continue d'apporter, par les ouvrages reproduisant ses lettres et son journal, un message d'espoir, notamment aux personnes emprisonnées.

42.Toutefois, d'une part, cette démarche religieuse ne saurait s'analyser en elle-même comme un gage d'amendement.

43. D'autre part, la large diffusion des écrits de [J] [I] et l'intérêt qu'ils ont suscité ne sont pas davantage de nature à constituer un tel gage, étant postérieurs à son décès et indépendants de sa propre volonté.

44. La requête relève, enfin, que l'exécution de [J] [I] ne lui a pas permis de parachever son œuvre d'amendement en se réinsérant dans la société et qu'il convient d'apprécier la demande en prenant en compte les conditions dans lesquelles il a été condamné à mort et a vu son recours en grâce rejeté.

45. Cependant, les circonstances dans lesquelles la peine a été prononcée et exécutée sont étrangères à l'appréciation des gages requis par l'article 2 de la loi précitée du 9 octobre 1981.

46. Il résulte des considérations qui précèdent que les éléments ci-dessus analysés, pris dans leur ensemble, ne sont pas de nature à constituer, au regard de la gravité et de la multiplicité des crimes commis par [J] [I], des gages d'amendement suffisants.

47. La requête est en conséquence rejetée.



PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE la requête ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quinze octobre deux mille vingt-quatre.

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