Jurisprudence : CE 2/7 ch.-r., 10-10-2024, n° 493514

CE 2/7 ch.-r., 10-10-2024, n° 493514

A579559I

Référence

CE 2/7 ch.-r., 10-10-2024, n° 493514. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/111985996-ce-27-chr-10102024-n-493514
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Abstract

► Lorsqu'un étranger a présenté plusieurs demandes de titre de séjour, le rejet implicite né du silence gardé sur une demande présentée en méconnaissance de la règle de comparution personnelle, applicable à cette demande, ne constitue pas une décision susceptible de recours pour excès de pouvoir.



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 493514⚖️


Séance du 25 septembre 2024

Lecture du 10 octobre 2024

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 2ème et 7ème chambres réunies)


Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n° 23VE01730 du 17 avril 2024, enregistré le 18 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Versailles, avant de statuer sur la demande de Mme M B tendant à l'annulation du jugement n°2209792 du 18 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 18 février 2022 par lequel le préfet des Yvelines a refusé de l'admettre au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle sera renvoyée en cas d'exécution d'office, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative🏛, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :

1°) Il résulte d'un avis contentieux du Conseil d'Etat du 11 octobre 2006 (n° 292969) qu'à défaut de disposition expresse en sens contraire, une demande de titre de séjour présentée par un ressortissant étranger en méconnaissance de la règle de présentation personnelle du demandeur en préfecture fait naître, en cas de silence gardé par l'administration pendant plus de 4 mois, délai fixé par l'article R. 432-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛, une décision implicite de rejet susceptible d'un recours pour excès de pouvoir. Lorsqu'une demande de titre de séjour a été adressée par voie postale, sur un autre fondement que celle déposée préalablement en préfecture par présentation personnelle du demandeur, le préfet est-il tenu de considérer que cette demande formée par voie postale, bien que présentée irrégulièrement, doit être regardée comme complémentaire de celle formée initialement en préfecture ou constitue-t-elle une nouvelle demande, donnant lieu au terme d'un délai de quatre mois à la naissance d'une décision implicite de rejet '

2°) Si cette demande formée par voie postale doit être regardée comme complémentaire de la première, le juge administratif doit-il regarder l'arrêté préfectoral, lorsqu'il intervient après réception de la demande formée par voie postale, comme entaché d'absence d'examen particulier de la demande du requérant, si le préfet se prononce uniquement sur le fondement mentionné dans la demande déposée initialement en préfecture en omettant de répondre expressément sur le second fondement '

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hadrien Tissandier, auditeur,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Zribi, Texier, avocat de Mme B ;

REND L'AVIS SUIVANT :

1. Aux termes de l'article L. 431-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 : " Les conditions dans lesquelles les demandes de titres de séjour sont déposées auprès de l'autorité administrative compétente sont fixées par voie réglementaire ". Le premier alinéa de l'article R. 431-2 du même code🏛 dispose que : " la demande d'un titre de séjour figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de l'immigration s'effectue au moyen d'un téléservice à compter de la date fixée par le même arrêté. Les catégories de titres de séjour désignées par arrêté figurent en annexe 9 du présent code ". Selon l'article R. 431-3 du même code🏛 : " La demande de titre de séjour ne figurant pas dans la liste mentionnée à l'article R. 431-2, est effectuée à Paris, à la préfecture de police et, dans les autres départements, à la préfecture ou à la sous-préfecture. / Le préfet peut également prescrire que les demandes de titre de séjour appartenant aux catégories qu'il détermine soient adressées par voie postale ". Il résulte de ces dispositions qu'en dehors des titres dont la demande s'effectue au moyen d'un téléservice et qui figurent sur la liste prévue à l'article R. 431-2 du code, fixée par arrêté du ministre chargé de l'immigration, la demande de titre de séjour est effectuée par comparution personnelle au guichet de la préfecture ou, si le préfet le prescrit, par voie postale.

2. Aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil ; / 2° Les documents justifiants de sa nationalité ; / 3° Les documents justifiants de l'état civil et de la nationalité de son conjoint, de ses enfants et de ses parents lorsqu'il sollicite la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour pour motif familial. / La délivrance du premier récépissé et l'intervention de la décision relative au titre de séjour sollicité sont subordonnées à la production de ces documents. / Lorsque la demande de titre de séjour est introduite en application de l'article L. 431-2, le demandeur peut être autorisé à déposer son dossier sans présentation de ces documents ". L'article R. 431-12 du même code🏛 dispose que : " L'étranger admis à souscrire une demande de délivrance ou de renouvellement de titre de séjour se voit remettre un récépissé qui autorise sa présence sur le territoire pour la durée qu'il précise. / () ". Ainsi que le précise l'article L. 431-3 de ce code🏛, la délivrance d'un tel récépissé ne préjuge pas de la décision définitive qui sera prise au regard de son droit au séjour. En outre, selon l'article R. 431-11 de ce code🏛 : " L'étranger qui sollicite la délivrance d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande les pièces justificatives dont la liste est fixée par arrêté annexé au présent code ", cet arrêté dressant une liste de pièces pour chaque catégorie de titre de séjour.

3. Aux termes de l'article R* 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile : " Le silence gardé par l'autorité administrative sur les demandes de titres de séjour vaut décision implicite de rejet ". Selon l'article R. 432-2 du même code : " La décision implicite de rejet mentionnée à l'article R.* 432-1 naît au terme d'un délai de quatre mois. / Par dérogation au premier alinéa, ce délai est de quatre-vingt-dix jours lorsque l'étranger sollicite la délivrance d'un titre de séjour mentionné aux articles R. 421-23, R. 421-43, R. 421-47, R. 421-54, R. 421-54, R. 421-60, R. 422-5, R. 422-12, R. 426-14 et R. 426-17. / Par dérogation au premier alinéa ce délai est de soixante jours lorsque l'étranger sollicite la délivrance du titre de séjour mentionné à l'article R. 421-26 ".

4. Le silence gardé par le préfet sur une demande de titre de séjour fait en principe naître, au terme du délai mentionné au point 3, une décision implicite de rejet de cette demande. Il en va autrement lorsqu'il est établi que le dossier de la demande était incomplet, le silence gardé par l'administration valant alors refus implicite d'enregistrement de la demande, lequel ne constitue pas une décision faisant grief susceptible de recours pour excès de pouvoir.

5. De même, si le silence gardé sur une demande de titre de séjour présentée par voie postale, lorsqu'un tel mode de dépôt a été prescrit par le préfet, vaut rejet implicite de la demande, sauf à ce que le dossier soit incomplet, le silence gardé par l'administration sur une demande de titre irrégulièrement présentée par voie postale, en méconnaissance de la règle de comparution personnelle en préfecture, ne fait pas naître une décision faisant grief susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir. Si le préfet n'est pas tenu de rejeter une demande de titre de séjour irrégulièrement présentée en méconnaissance de la règle de comparution personnelle, une telle irrégularité, si elle est établie, peut légalement justifier, à elle seule, le refus de l'administration d'instruire la demande.

6. En l'absence de texte en disposant autrement, il est loisible à un étranger de demander simultanément ou successivement des titres de séjour relevant des différentes catégories mentionnées au point 1, dont le mode de dépôt de demande diffère. Aucun principe n'impose, en l'absence de texte, à l'étranger de présenter une demande unique, ni au préfet de statuer par une seule décision sur des demandes de titre déposées simultanément ou successivement par un même demandeur. Dès lors, lorsqu'un étranger a présenté plusieurs demandes de titre de séjour, le rejet implicite né du silence gardé sur une demande présentée en méconnaissance de la règle de comparution personnelle, applicable à cette demande, ne constitue pas une décision susceptible de recours pour excès de pouvoir, quand bien même l'étranger aurait régulièrement présenté une demande sur un autre fondement.

7. Compte tenu de la réponse apportée à la première question posée par la cour administrative d'appel de Versailles, il n'y a pas lieu de répondre à l'autre question de la demande d'avis.

Le présent avis sera notifié à la cour administrative d'appel de Versailles, à M. M B et au ministre de l'intérieur. Il sera publié au Journal officiel de la République française.

Délibéré à l'issue de la séance du 25 septembre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. H I, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme A J, M. E N, M. F L, M. K G, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et M. Hadrien Tissandier, auditeur-rapporteur.

Rendu le 10 octobre 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

L'Auditeur-Rapporteur :

Signé : M. Hadrien Tissandier

La secrétaire :

Signé : Mme C D

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