Jurisprudence : CA Paris, 16e ch., A, 13-09-1994, n° 93/11525



N° Répertoire Général COUR D' APPEL DE PARIS
93/11525 16ème chambre, section A 94/4352
ARRÊT DU 13 SEPTEMBRE 1994 (N° i, 1 0 pages)
AIDE JURIDICTIONNELLE

PARTIES EN CAUSE
Admission du
au profit de
1°) La Compagnie AEROFLOT, Date de l'ordonnance entreprise soviétique de de clôture 13 JUIN 1994 transports aériens internationaux dont le siège est à Moscou (Russie) 37 Leningradsky Prospekt, représentée par son Directeur
S/Appel d'une décision rendue le Général, et dont le principal 9 février 1993 par le Tribunal établissement en France est à de Grande Instance de Paris Paris 8ème, 33 avenue des Champs 18ème Chambre, Élysées et d'une décision rendue le 29 novembre 1993 par le Tribunal de Grande Instance de Paris, baux commerciaux.
- CONFIRMATION -
APPELANTE des deux décisions Représentée par la S.C.P. VERDUN-GASTOU, avoués
Assistée de Maître Daniel Guyot, avocat
ET
2°) La société Assurances Générales de France dont le siège est à Paris 9ème pris en la personne de ses représentants légaux
3°) La SNC ELYSEES MONCEAU PHENIX, dont le siège est à Paris 8ème, pris en la personne de ses représentants légaux
INTIMÉES des deux décisions
Représentées par Maître OLIVIER, avoué
Assistées de Maître Denise Jouy, avocat
MINISTÈRE PUBLIC représenté aux débats par Monsieur ..., Substitut Général.
1-9

COMPOSITION DE LA COUR Lors des débats et du délibéré
Monsieur PELLETIER, Président
Madame ... et Monsieur ... Conseillers.
GREFFIER Mme THUILLIER-CHEVRIER.
DÉBATS A l'audience publique du 14 juin 1994.
ARRÊT CONTRADICTOIRE.
Prononcé publiquement par Monsieur PELLETIER, Président, lequel a signé la minute, assisté de Madame THUILLIER-CHEVRIER Greffier.

X X La Cour statue sur les appels interjetés par la compagnie Aeroflot à l'encontre
d'une partidu jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 9 février 1993 qui a
- dit que la compagnie Aéroflot bénéficie des dispositions du décret du 30 septembre 1953,
- dit que le bail conclu entre la société Assurances Générales de France-Vie et la compagnie Aéroflot le 19 mars 1973 pour les locaux situés à Paris 8ème, est sous réserve de l'application des règles édictées par l'article 35 du décret du 30 septembre 1953, conforme audit décret,
- dit que la compagnie Aéroflot bénéficie d'un nouveau bail de neuf ans ayant pris effet le 1er avril 1991,
- constaté que s'agissant de la fixation du prix du loyer du bail renouvelé, le Tribunal Arbitral, saisi conformément à la convention des parties et sans violation des règles édictées par l'article 35 du décret du 30 septembre 1953, a rendu sa sentence le 28 février 1992,
- déclaré le jugement commun et opposable à la société en nom collectif Élysées Monceau Phénix,
- rejeté toutes autres demandes des parties comme irrecevables ou mal fondées,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du N.C.P.C. ni à exécution provisoire;
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d'autre part, du jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 29 novembre 1993 qui a
- constaté que la compagnie Aéroflot bénéficie des dispositions du décret du 30 septembre 1953,
- dit que le bail conclu entre la société A.G.F. Vie, aux droits de laquelle se trouve à compter du 12 septembre 1992 la SNC Élysées Monceau Phénix, et la compagnie Aéroflot le 19 mars 1973 pour des locaux situés à Paris 33 avenue des Champs Élysées sous réserve d'application de l'article 35 du décret du 30 septembre 1953, est conforme au décret,
- dit que les dispositions des articles 23 à 23-6 du décret du 30 septembre 1953 ne sont pas d'ordre public,
- dit que les parties au bail pouvaient donc y déroger,
- dit que le prix du bail renouvelé doit être fixé en conformité des clauses et conditions du contrat de bail du 19 mars 1973 et ce par voie d'arbitrage,
- déclare irrecevable la procédure dont Aéroflot a saisi le juge des loyers,
- dit que les parties devront mettre en oeuvre une procédure d'arbitrage selon les modalités contractuelles;
Eléments du litige
La Cour se réfère aux jugements entrepris pour l'exposé des faits de la cause et de la procédure;
Il convient de rappeler que
- par acte du 19 mars 1973 la compagnie Aéroflot a acquis un fonds de commerce, à Paris 8ème,
- par acte du même jour, la société Assurances Générales de France (A.G.F.) propriétaire des murs, a consenti à la compagnie Aéroflot un bail d'une durée de neuf années commençant à courir le 1er avril 1973, l'autorisant à exercer dans les lieux loués toutes activités commerciales relatives à l'aéronautique et à l'espace, toutes activités relevant de l'agence de tourisme et de bureaux de change ainsi que l'exposition et la vente de tous produits et de tous objets provenant d'U.R.S.S.,
- le 20 septembre 1990, la société A.G.F. a proposé à la compagnie Aéroflot un nouveau bail de 9 années à compter du 1er avril 1991 moyennant un loyer de 3.300.000 francs,
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- les parties n'étant pas parvenues à un accord, la procédure d'arbitrage prévue au bail a été mise en oeuvre,
- à la suite de la constitution du Tribunal Arbitral, AEROFLOT a, par mémoire du 23 août 1991, revendiqué le bénéfice des dispositions du décret du 30 septembre 1953 et a conclu à l'incompétence du Tribunal précité au profit du juge des loyers commerciaux,
- le 30 août 1991, les A.G.F. ont délivré à AEROFLOT un congé avec refus de renouvellement et sans indemnité d'éviction,
- le 1er octobre 1991, AEROFLOT a assigné les A.G.F. pour voir juger qu'elle bénéficie des dispositions du décret du 30 septembre 1953, et constater la nullité du congé susvisé,
- le 28 février 1992, le Tribunal arbitral a fixé le loyer à la somme de 2.600.000 francs, à compter du 1er avril 1991,
- le 11 septembre 1992, la société A.G.F. a vendu à la société Élysées Monceau Phénix l'immeuble dans lequel Aéroflot était locataire,
- le 10 juin 1993, la Cour d'Appel de Paris a annulé la sentence arbitrale du 28 février 1992 comme ayant méconnu le principe du contradictoire et, en- égard au caractère -"-international de l'arbitrage, a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 1485 du N.C.P.C.
- le 24 mai 1993, la compagnie Aéroflot a assigné la société Élysées Monceau Phénix aux fins de voir fixer à la somme de 1.169.100francs le montant du loyer renouvelé au 1er avril 1991;
Par les jugements dont appel, le Tribunal de Grande Instance de Paris a statué à la suite des deux assignations susvisées;

Prétentions et moyens des parties en appel
1°) La compagnie Aeroflot demande à la Cour
a) en ce qui concerne le jugement du 9 février 1993,
- d'ordonner la jonction des deux procédures d'appel,
- de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la compagnie Aéroflot devait bénéficier des dispositions du décret du 30 septembre 1953 et que le bail conclu le 19 mars 1973 était, sous réserve de l'application des règles prévues par l'article 35 du décret précité, conforme audit
ti décret,
- de dire que le congé avec refus de renouvellement du 30 août 1991 est nul et que le tribunal ne pouvait constater, s'agissant de la fixation du prix du loyer du bail renouvelé, que le tribunal arbitral, saisi conformément à la Convention des parties sans violation des règles édictées par l'article 35 du décret du 30 septembre 1953, avait rendu sa sentence le 28 février 1992, celle-ci ayant été annulée par l'arrêt de la Cour d'Appel de Paris du 10 juin 1993,
- d'annuler la clause d'arbitrage figurant au bail du 19 mars 1973 comme contraire aux dispositions d'ordre public du décret du 30 septembre 1953, aux règles du N.C.P.C. relatives à l'arbitrage et en raison de la qualité d'amiables compositeurs conférée par cette clause aux arbitres devant être désignés;
subsidiairement
- de dire que l'application de la clause précitée ne peut avoir pour effet de la priver de la règle de plafonnement du loyer prévue par le décret du 30 septembre 1953, b) en ce qui concerne le jugement du 29 novembre 1993
- de dire que la juridiction des loyers es seule compétente pour décider si la règle du plafonnement est applicable,
- de dire, en conséquence, que la compagnie Aéroflot était recevable à saisir le juge des loyers d'une demande tendant à l'application des dispositions de l'article 23-6 du décret du 30 septembre 1953,
- de dire que la compagnie Aéroflot est fondée à invoquer la règle du plafonnement et que le loyer du bail renouvelé au 1er avril 1991 doit être fixé à la somme de 1.169.000 francs;
2°) Les sociétés Assurances Générales de France et Élysées Monceau Phenix sollicitent la jonction des deux procédures d'appel susvisées;
Sur appel incident, elles demandent à la Cour de dire que la compagnie Aéroflot ne peut bénéficier des dispositions du décret de 1953 dès lors qu'elle est une société étrangère et ne justifie pas des conditions pouvant lui permettre le bénéfice des dispositions précitées;
Elles prient en outre la Cour de confirmer les
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jugements entrepris en ce qu'ils ont décidé que les stipulations contractuelles concernant la fixation du loyer ne sont pas contraires aux dispositions du décret de 1953, et de dire qu'il convient de renvoyer les parties à mettre en oeuvre un nouvel arbitrage;
Elles sollicitent enfin la condamnation de la compagnie Aéroflot au paiement de la somme de 50.000 francs au titre de l'article 700 du N.C.P.C.
3°) Le Ministère Public demande la confirmation du jugement du 9 février 1993;

CELA ÉTANT EXPOSÉ, LA COUR
Sur la jonction des procédures
Considérant qu'en raison de leur connexité manifeste, l'intérêt d'une bonne administration de la justice commande la jonction des procédures susvisées enregistrées au répertoire général de la Cour sous les numéros 93/011525 et 94/004352; qu'il sera, en conséquence, statué par un seul et même arrêt;
Sur l'application du statut des baux commerciaux à la compagnie Aéroflot
Considérant que la compagnie Aéroflot est une société de droit étranger ayant son siège à Moscou et qui est inscrite au registre du commerce de Paris depuis le 17 juillet 1973;
Considérant que, comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges, si les dispositions du décret de 1953 ne peuvent être invoquées par des commerçants de nationalité étrangère, cette règle n'est applicable, selon l'article 38 dudit décret, que sous réserve des dispositions de la loi du 28 mai 1943 relative à l'application aux étrangers des lois en matière de baux à loyers et de baux à terme;
Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la loi précitée, "sont considérés comme dispensant de la réciprocité législative prévue à l'article 1er, les traités diplomatiques qui admettent directement ou indirectement l'assimilation de l'étranger au national dans le domaine des droits civils ou au moins dans celui régi par la loi dont l'application est revendiquée";
Or considérant qu'a été signé le 3 septembre 1951 un accord bilatéral concernant les relations commerciales entre la France et l'U.R.S.S.; qu'un décret du 21 février 1953 portant application de cet accord a été publié au Journal Officiel du 27 février 1953;
Que ledit accord stipule notamment
Article 1er "La France et l'U.R.S.S. conviennent de s'accorder réciproquement, le traitement de la Nation la plus favorisée pour tout ce qui concerne le commerce et la navigation entre les deux pays";
Article 4 "Sans préjudice de stipulations ultérieures les commerçants et industriels français, personnes physiques ou morales. . . seront aussi favorablement traités dans leurs personnes et dans leurs biens que les ressortissants...de la nation la plus favorisée...,
Les organisations économiques d'Etat de L'U.R.S.S. et les personnes morales soviétiques...seront aussi favorablement traitées dans leurs personnes et dans leurs biens que les ressortissants et les personnes morales de la nation la plus favorisée pour l'exercice de leur activité économique sur le territoire de la France dans les conditions où cette activité est autorisée par la législation française; les ressortissants et les personnes morales de chaque partie contractante pourront ester en justice et bénéficieront du libre et facile accès aux Tribunaux de l'autre partie contractante";
Considérant qu'il résulte des termes de ces articles que cet accord de réciprocité diplomatique contenant la clause de la nation la plus favorisée entre la France et l'U.R.S.S. permet d'inclure les baux commerciaux dans son champ d'application;
Considérant dès lors que la Compagnie Aéroflot dont les activités commerciales entrent, contrairement à ce qui est soutenu par les intimés devant la Cour, dans les prévisions dudit accord, peut bénéficier des dispositions du décret du 30 septembre 1953; que, comme l'ont décidé les premiers juges par des motifs que la Cour adopte, il n'est pas établi que, dans le bail du 19 mars 1973, Aéroflot ait renoncé à se prévaloir du statut des baux commerciaux;
Considérant d'ailleurs qu'il convient de constater d'après les pièces versées aux débats devant la Cour, que la société Élysées Monceau Phénix a consenti, en 1994, à la compagnie Aéroflot un bail pour des locaux sis 29 avenue des Champs Élysées et que ledit bail a été expressément soumis aux dispositions du décret de 1953 par les parties, une clause d'arbitrage ayant en outre été prévue;
Sur la clause d'arbitrage prévue dans le bail du 19 mars 1973 et ses conséquences
Considérant que le bail du 19 mars 1973 conclu entre les A.G.F. et AEROFLOT prévoit que les parties conviennent de soumettre à l'arbitrage les litiges qui pourraient survenir entre elles à l'occasion notamment de la fixation du loyer du bail renouvelé à la valeur locative;
Considérant que l'article 35 du décret du 30 septembre 1953 dispose "sont nuls et de nul effet quelle qu'en soit la forme, les clauses et arrangements qui auraient pour effet de faire échec au droit de renouvellement...ou aux dispositions des articles 3-1, 24 à 28, 34 à 34-7 al.l";
Mais considérant que les articles 23 à 23-6 du décret de 1953 relatifs à la fixation du prix du loyer du bail renouvelé ne sont pas visés par l'article 35 précité; qu'ainsi rien n'interdit d'y déroger par convention; que de même, l'article 29 n'est pas mentionné par l'article 35;
Considérant dès lors que les A.G.F. et la compagnie Aéroflot pouvaient, sans méconnaître les dispositions du décret de 1953, saisir le Tribunal arbitral pour fixer le prix du loyer renouvelé selon la valeur locative, excluant ainsi implicitement la règle du plafonnement;
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Considérant d'ailleurs qu'il convient de constater, d'après les pièces versées aux débats, qu'AEROFLOT n'avait pas renoncé à se prévaloir de la clause d'arbitrage qui a été appliquée lors du renouvellement du bail le 1er avril 1982; qu'en outre, par lettre du 22 mai 1991 transmise aux A.G.F., elle faisait connaître à cette société le nom de l'arbitre choisi prao. elle pour la fixation du loyer du nouveau bail;
Considérant que si la Cour d'Appel de Paris, par arrêt définitif du 10 juin 1993, a annulé la seconde sentence arbitrale du 28 février 1992 pour violation du principe de la contradiction, elle a, en revanche, relevé que la fixation du loyer par des arbitres en vertu de la clause d'arbitrage, n'était pas contraire aux dispositions du décret de 1953; qu'elle a ajouté que s'agissant d'un arbitrage international, l'article 1485 du N.C.P.C. ne lui était pas applicable;
Considérant ainsi que les premiers juges ont, à bon droit, décidé que
- la compagnie Aéroflot bénéficie des dispositions du décret du 30 septembre 1953,
- le bail conclu le 19 mars 1973 entre les A.G.F. aux droits de laquelle se trouve, à compter du 12 septembre 1992, la société Élysées Monceau Phénix et la compagnie Aéroflot, est conforme au décret de 1953,
- les dispositions des articles 23 à 23-6 n'étant pas d'ordre public, les parties pouvaient y déroger et prévoir une clause d'arbitrage pour fixer le prix du loyer du bail renouvelé,
- le prix pour le bail renouvelé au 1er avril 1991 doit être fixé conformément aux clauses du bail du 19 mars 1973 selon la procédure d'arbitrage prévue par les parties;
Sur la validité du congé du 30 août 1991
Considérant que la compagnie Aéroflot soutient que le congé avec refus de renouvellement du bail qui lui a été délivré le 30 août 1991 par les A.G.F. est nul dès lors qu' "il ne répond à aucune des conditions de forme et de fond prévues par le décret du 30 septembre 1953";
Mais considérant que sur ce point, les premiers
juges ont justement relevé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur cette nullité dès lors que les A.G.F. ont renoncé à se prévaloir du congé litigieux et que par l'effet du congé régulièrement délivré le 20 septembre 1990, Aéroflot est titulaire d'un nouveau bail de neuf années à compter du 1er avril 1991; que ce dernier point est reconnu par les A.G.F. et la société Élysées Monceau Phénix dans leurs écritures déposées devant la Cour;
Considérant que l'équité ne commande pas, en l'espèce, l'application de l'article 700 du N.C.P.C.
Considérant que le litige ayant été mené dans l'intérêt commun des parties, il y a lieu d'ordonner le partage des dépens par moitié;

PAR CES MOTIFS,
et ceux non contraires des premiers juges
Ordonne la jonction des procédures 93/011525 et 94/004352 du répertoire général de la Cour;
CONFIRME les jugements déférés; Y ajoutant
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du N.C.P.C.
Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires;
Fait masse des dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils seront partagés par moitié entre d'une part la société Aéroflot et d'autre part les sociétés Assurances Générales de France et Élysées Monceau Phénix;
Admet les avoués de la cause, dans la limite de leurs droits, au bénéfice de l'article 699 du N.C.P.C.
LE GREFFIER
LE PRÉSIDENT
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