Jurisprudence : CA Paris, 5, section B, 28-01-1999, n° 1997/09415

CA Paris, 5, section B, 28-01-1999, n° 1997/09415

A7592A3L

Référence

CA Paris, 5, section B, 28-01-1999, n° 1997/09415. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1111328-ca-paris-5-section-b-28011999-n-199709415
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

ARRET DU 28 JANVIER 1999
Répertoire Général n° 1997/09415


ARRET :
Contradictoire
prononcé publiquement par Monsieur LECLERCQ, Président, lequel a signé la minute avec Madame LAISSAC, Greffier
La Cour est saisie de l'appel interjeté par la SA OPERA RLC agence de publicité, et Bernard X , son PDG en 1995, du jugement contradictoirement rendu le 6 février 1997 par le Tribunal de commerce de Paris qui a condamné la société OPERA RLC verser à Christophe Y 200.000 francs de dommages-intérêts pour résiliation abusive de ses fonctions de directeur général de cette société, Christophe Y à payer aux appelants, en réparation du préjudice engendré par sa mise en cause publique de la société OPERA RLC la somme de 25.000 francs, enfin la société OPERA RLC et Bernard ROUX verser solidairement à l'intimé 20.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Au soutien de leur recours les appelants font valoir que : - la révocation le 2 février 1996 de Christophe Y de ses fonctions de directeur général de la société OPERA RLC n'était ni brutale ni irrégulière puisque l'intimé a été entendu et s'est expliqué devant le conseil
d' administration,
- contrairement à ce qu'affirme Christophe Y , ce n'est pas la société OPERA RLC qui n'y avait aucun intérêt, mais lui-même qui a alerté la presse et ainsi placé le différend existant entre les parties sur la place publique,
- l'intimé n'a en toute hypothèse subi aucun préjudice puisque, peu de temps après sa révocation, "sa carrière a connu un essor considérable",
- Christophe Y leur a causé un préjudice certain en les dénigrant de façon malveillante par voie de presse et auprès des salariés et clients de la société et en intentant abusivement une action judiciaire "pour redoubler ainsi la malveillance qu'il poursuivait contre celui qui a aidé à sa promotion".
La société OPERA RLC et Bernard ROUX demandent en conséquence à la Cour d'infirmer la décision critiquée, de débouter Christophe Y de ses demandes et de le condamner à leur payer :
- 250.000 francs de dommages-intérêts pour dénigrement public,
- 50.000 francs de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- 15.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Christophe Y réplique que :
- sa révocation a été brutale et dépourvue de tout caractère contradictoire,
- Bernard X a utilisé le pouvoir de révocation "ad nutum" du conseil d'administration à des fins personnelles au seul motif que son directeur géréral avait rejeté son offre de rachat de ses actions,
- il a été sommé de quitter sur le champ le siège social, ce qui laissait entendre aux collaborateurs de cette société qu'il avait commis de graves fautes et caractérise la volonté de nuire de Bernard X qui a cherché à "enfoncer le clou" en contactant immédiatement un grand organe de presse pour annoncer sa révocation,
- n'ayant pas retrouvé d'emploi pendant deux mois, il a subi un préjudice financier certain auquel s'ajoute un préjudice moral du fait de l'atteinte injustifiée portée à sa probité et à ses compétences professionnelles,
- c'est à tort que les premiers Juges l'ont condamné, "sur la base de propos relayés dans un article paru dans le magazine CB NEWS du 2 au 18 février", à payer des dommages-intérêts à la société OPERA RLC et à son président, alors qu'il n'a fait que répondre aux questions d'un journaliste qui l'a interviewé à la suite de la parution d'articles émanant des appelants,
- les demandes reconventionnelles formulées par les appelants ne sont pas fondées.
L'intimé prie en conséquence la Cour de confirmer pour partie la décision du Tribunal, de l'infirmer pour le surplus, de débouter la société OPERA RLC et Bernard ROUX de leurs demandes et de les condamner à lui payer une indemnité complémentaire de 25.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Les appelants répliquent que :
- Christophe Y ne peut soutenir qu'il a été porté atteinte à son honneur puisqu'il a retrouvé des fonctions équivalentes dans une agence de publicité fort connue sur la place de Paris et que dans la presse Bernard X a "toujours reconnu et affirmé les qualités professionnelles" de l'intimé,
- la révocation litigieuse n'est que la conséquence d'une mésentente d'ordre professionnel existant entre les parties,et a été décidée en toute régularité lors d'une réunion du conseil d'administration et en présence de Christophe Y qui a pu s'expliquer contradictoirement.
SUR CE:
Considérant que la révocation d'un directeur général peut intervenir à tout moment et ne saurait être déclarée abusive que si la décision a été prise ou divulguée dans des conditions ou circonstances anormales de nature à porter atteinte à la réputation ou à l'honneur du dirigeant révoqué ou à son droit à un débat contradictoire ;
Considérant que les pièces communiquées établissent que le 30 janvier 1996 Christophe Y , administrateur et directeur général de la société OPERA RLC été invité à assister le 2 février 1996 à 9 heures 30 à la réunion du conseil d'administration de cette société afin de délibérer sur un ordre du jour ainsi défini:" point sur la situation de la société, examen des propositions de rapprochement avec différents groupes de communication, décisions à prendre, questions diverses";
Que par lettre du ler février 1996 Bernard X , alors président du conseil d'administration de la société OPERA RLC fait part à Christophe Y de sa proposition financière au dessous laquelle il ne pouvait, selon lui, descendre concernant la cession de ses actions dans cette société et lui a demandé de voir ses "futurs associés dans la soirée pour avoir une réponse écrite définitive demain lors du conseil de 9 heures 30";

Que la révocation du directeur général n'était pas inscrite à l'ordre du jour de ce conseil ; que Christophe Y est fondé soutenir qu'il s'y est présenté sans imaginer que ses fonctions étaient en jeu d'autant que la convocation qui lui a été adressée était accompagnée d'une courte lettre manuscrite amicale rédigée par Bernard X ;
Considérant que si dès le début de la réunion du conseil d'administration son président a rappelé "que depuis la rentrée de septembre 1995 il existait un profond malaise au sein de la société", il n'en demeure pas
Cour d'appel de Paris 5è chambre, section B 28 JANVIER 1999 7/09415 4ème page
moins que, comme cela ressort du procès-verbal du conseil, la séance consacrée à un "examen de propositions de rapprochement avec différents groupes de communication" s'est tenue sans animosité particulière jusqu'au moment o, après constatation des divergences de vues existant entre son directeur général et lui-même, Bernard X a exprimé le souhait de voir Christophe Y quitter la société puis, "usant de sa majorité", l'a révoqué en lui demandant "afin de ne pas gêner la bonne marche de l'agence, .. de bien vouloir quitter celle-ci aujourd'hui (2 février 1996) avant 13 heures";
Qu'il est ainsi établi que Christophe Y a été révoqué brutalement, sans avoir pu préparer sa défense, dans des conditions d'exécution laissant planer un doute sur son honnêteté dans l'esprit de ses collaborateurs ou même du public puisqu'ainsi qu'en atteste Thierry Z qui a remplacé Christophe Y dans sës fonctions de directeur général, la société OPERA RLC fait paraître le 3 février 1996 dans le FIGARO un bref encart annonçant cette révocation sans en préciser de motif ;
Considérant qu'outre un préjudice moral certain, Christophe Y , dont il n'est pas établi qu'il ait pris les devants pour avertir les médias de son départ, est en droit de se prévaloir de la perte d'une chance qu'il pouvait avoir de ne pas être révoqué ; que, compte tenu des circonstances particulières de cette révocation et de la valeur reconnue au travail de Christophe Y par Bernard X lui-même qui, dans un article paru dans la presse le 13 février 1996, reconnaissait à son collaborateur un "talent fou", la Cour possède les éléments d'appréciation suffisants pour évaluer à 200.000 francs la réparation du préjudice;
Considérant que Christophe Y a laissé paraître dans le magazine CB NEWS du 12 au 18 février 1996 un article dans lequel il affirme : ".. Il (Bernard X ) n'est plus capable de remettre de l'argent, l'agence risque d'être bientôt en cessation de paiement. Elle a une situation négative d'environ 15 MF - quasiment la MB actuelle une fois retirés les budgets perdus, TF1 et SONAUTO - et un déficit prévisionnel en exploitation de 2,6 MF. Pour la redresser, il aurait fallu engager du new biz fin 1995. Or on n'a été sur aucune compétition";
Considérant que si l'intimé prétend dans le même article : "Je n'agis pas par vengeance. J'aime cette agence. Il faut une solution rapide ..", force est de constater que ses propos traduisent par leur précision et leur impact négatif prévisible une intention malveillante de leur auteur que ne peuvent excuser les articles parus antérieurement dans la presse à l'initiative des appelants ; que Christophe Y a délibérément affaibli la société OPERA RLC l'égard des tiers et porté atteinte à son image de marque et à son assise financière ainsi qu'à celle de son président d'alors qui sont en droit
d'obtenir chacun 40.000 francs en réparation de leur préjudices ;
Considérant que l'indemnité allouée en première instance à Christophe Y en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile apparait suffisante ; qu'il n'y a pas lieu de la majorer ;
Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge des appelants le montant de leurs frais irrépétibles;
Considérant que lês appelants, qui sont condamnés à verser des dommages-intérêts à Christophe Y , ne sont pas fondés à prétendre que la procédure dirigée à leur encontre est abusive;

PAR CES MOTIFS
CONFIRME LE JUGEMENT DEFERE EN SES DISPOSITIONS NON CONTRAIRES AU PRESENT ARRET, LE REFORMANT POUR LE SURPLUS ET, STATUANT A NOUVEAU :
CONDAMNE CHRISTOPHE Y A PAYER A LA SOCIETE OPERA RLC LA SOMME DE 40.000 FRANCS ET LA MEME SOMME A BERNARD X EN REPARATION DE LEURS PREJUDICES,
DEBOUTE LES PARTIES DE LEURS AUTRES DEMANDES,
CONDAMNE IN SOLIDUM LES APPELANTS AUX DEPENS DE PREMIERE INSTANCE ET D'APPEL; ADMET LA SCP L. TAZE-BERNARD C. BELFAYOLBROQUET, AVOUE, AU BENEFICE DES DISPOSITIONS DES L'ARTICLE 699 DU NOUVEAU CODE DE PROCEDURE CIVILE,

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