Jurisprudence : CEDH, 12-11-2002, Req. 46129/99, ZVOLSKÝ ET ZVOLSKÁ

CEDH, 12-11-2002, Req. 46129/99, ZVOLSKÝ ET ZVOLSKÁ

A7402A3K

Référence

CEDH, 12-11-2002, Req. 46129/99, ZVOLSKÝ ET ZVOLSKÁ . Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1111058-cedh-12112002-req-4612999-zvolsky-et-zvolska
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Cour européenne des droits de l'homme

12 novembre 2002

Requête n°46129/99

ZVOLSKÝ ET ZVOLSKÁ



COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ZVOLSKÝ ET ZVOLSKÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

(Requête n° 46129/99)

ARRÊT

STRASBOURG

12 novembre 2002

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Zvolský et Zvolská c. République tchèque,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,

A.B. Baka,

Gaukur Jörundsson,

K. Jungwiert,

V. Butkevych,

Mme W. Thomassen,

M. M. Ugrekhelidze, juges,

et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 octobre 2002, rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 46129/99) dirigée contre la République tchèque et dont deux ressortissants de cet Etat, M. Arnost Zvolský et Mme Jirina Zvolská (" les requérants "), avaient saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (" la Commission ") le 23 septembre 1998 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").

2. Les requérants sont représentés devant la Cour par Me Z. Koschin, avocat au barreau tchèque. Le gouvernement tchèque (" le Gouvernement ") est représenté par son agent, M. V. Schorm.

3. Dans leur requête, les requérants alléguaient, en particulier, la méconnaissance de leur droit d'accès à un tribunal, consacré par l'article 6 § 1 de la Convention, et de leurs droits de propriété, garantis par l'article 1 du Protocole n° 1 à la Convention.

4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).

5. Elle a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement).

6. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La requête est ainsi échue à la deuxième section telle que remaniée (article 52 § 1). Au sein de celle-ci a alors été constituée, conformément à l'article 26 § 1 du règlement, la chambre chargée d'en connaître (article 27 § 1 de la Convention).

7. Par une décision du 11 décembre 2001, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.

8. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement). La chambre ayant décidé après consultation des parties qu'il n'y avait pas lieu de tenir une audience consacrée au fond des griefs (article 59 § 2 in fine du règlement), les parties ont chacune soumis des commentaires écrits sur les observations de l'autre.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

9. Le 20 juin 1967, les requérants conclurent avec M.R. un contrat de vente et de donation (kupní a darovací smlouva) par lequel l'intéressé leur vendait un immeuble d'habitation situé à Srch et leur transférait à titre gratuit les terrains agricoles attenants. A l'époque, le transfert d'une exploitation rurale s'effectuait par la vente du bâtiment d'habitation et la donation des terrains attenants exploités par une organisation socialiste. La conclusion du contrat d'achat et de donation était conditionnée par l'autorisation de l'organisation socialiste exploitant les terrains, ainsi que par l'accord du comité national compétent. Les acquéreurs des terrains devaient s'engager à travailler pour l'organisation socialiste.

Selon les requérants, M.R. voulait se dégager de son obligation de travailler pour la coopérative socialiste, ce qui n'était possible que par le transfert des terrains agricoles exploités par celle-ci. A leurs dires, ce fut M.R. qui prit l'initiative de conclure le contrat, en vue de régler sa situation familiale. Conformément aux dispositions légales valables à l'époque, les requérants furent obligés, pour pouvoir acquérir l'immeuble d'habitation, de s'engager à travailler pour la coopérative à la place de M.R. Ils lui versèrent, en sus du prix d'achat de l'immeuble, la somme de 30 000 couronnes tchécoslovaques (CSK) pour compenser la valeur des terrains transférés.

10. En 1991, M.R. signa une déclaration attestant qu'il avait jadis transféré les terrains de son plein gré. Pour les requérants, cette déclaration constituait un avenant au contrat interprétant la volonté de M.R.

11. Or, le 1er juillet 1993, M.R. introduisit au civil contre les requérants une action par laquelle il demandait, entre autres, l'annulation, sur la base de l'article 8-3 de la loi n° 229/1991 sur la propriété foncière, de la partie du contrat relative au transfert des terrains agricoles.

12. Par un jugement du 30 septembre 1994, le tribunal de district (okresní soud) de Pardubice statua en faveur de M.R. Il s'exprima notamment ainsi :

" [Les requérants] invitaient le tribunal à rejeter l'action de M.R. au motif que celui-ci leur avait transféré ses terrains de son plein gré, pour régler sa situation familiale, et qu'en contrepartie ils avaient repris son obligation de travailler pour la coopérative agricole. (...)

Selon l'article 8-3 de la loi n° 229/1991 sur la propriété foncière, lorsqu'un propriétaire a donné ses terrains à une personne physique sous la contrainte ou les a transférés à titre gratuit dans le cadre d'un contrat de vente de l'immeuble auquel les terrains sont attenants, et que ces terrains sont, à la date de l'entrée en vigueur de ladite loi, en possession de cette même personne, le tribunal, sur demande de la personne habilitée, a) annule la partie du contrat de vente par laquelle les terrains ont été donnés ou transférés à titre gratuit, ou b) décide que le propriétaire actuel doit rembourser le prix des terrains. (...)

Le tribunal (...) a conclu que les conditions précitées étaient remplies en l'espèce et a donc décidé en faveur de [M.R.]. Il a en effet été prouvé que [M.R.] était la personne habilitée au sens de la loi n° 229/1991, c'est-à-dire celle ayant donné [aux requérants] - les personnes obligées au sens de cette loi - les terrains agricoles dans le cadre de la vente de l'immeuble (...). Il a également été prouvé que [les requérants] sont actuellement en possession de ces terrains. En conséquence, le tribunal (...) a annulé dans le contrat de vente et de donation conclu entre les parties le 20 juin 1967 la partie concernant le transfert à titre gratuit de la propriété des terrains en question. (...) Le tribunal n'a pas considéré " le procès-verbal concernant l'avenant au contrat " du 6 avril 1991 comme un avenant valable au contrat de vente et de donation. Faite à un moment où l'amendement à la loi sur les terres permettant de faire valoir ses prétentions en matière de restitution n'existait pas encore, la déclaration par laquelle [M.R.] confirmait expressément avoir vendu sa propriété immobilière volontairement et au prix d'achat convenu n'a aucune (...) valeur juridique. En fait, [M.R.] nie avoir eu l'intention de vendre les terrains [aux requérants], et la volonté des deux parties ressort du procès-verbal du notaire (...). Le tribunal a jugé infondé l'argument [des requérants] tiré du fait qu'une décision favorable à [M.R.] entraînerait une violation de l'article 11 de la Charte des droits et libertés fondamentaux, considérant que ce dernier avait été obligé de transférer à titre gratuit la propriété de ses terrains agricoles utilisés par la coopérative agricole. "

13. Par un arrêt du 29 février 1996, la cour régionale (krajský soud) de Hradec Králové confirma le jugement du tribunal de district annulant la partie litigieuse du contrat de vente et de donation avait été annulée. Elle considéra que M.R. avait donné, donc de facto transféré à titre gratuit, les terrains agricoles aux requérants dans le cadre du contrat de vente de l'immeuble auquel les terrains étaient attenants. Elle nota également que les termes " donner " et " transférer à titre gratuit " étaient identiques. En même temps, elle rejeta la demande des requérants tendant à faire admettre un pourvoi en cassation (dovolání), considérant que la demande d'interprétation du terme " transférer à titre gratuit " figurant à l'article 8-4 de la loi sur la propriété foncière ne concernait pas une question d'une importance juridique cruciale (rozhodnutí po právní stránce zásadního významu).

14. Selon l'article 239-2 du code de procédure civile, le pourvoi en cassation est admissible lorsque la cour de cassation (dovolací soud) considère que la décision attaquée revêt une importance juridique cruciale. Se fondant sur cette disposition, les requérants se pourvurent en cassation le 14 juin 1996, alléguant que les tribunaux de droit commun avaient interprété la loi sur la propriété foncière de façon erronée, en confondant deux notions incompatibles : la " donation " et le " transfert à titre gratuit ".

15. Par un arrêt du 29 juillet 1997, la Cour suprême (Nejvyssí soud) déclara le pourvoi en cassation des requérants non admissible au motif que l'arrêt de la cour régionale ne constituait pas une décision d'une importance juridique cruciale. Elle releva que la question de l'identité de contenu des termes " donation " et " transfert à titre gratuit " avait à plusieurs reprises été examinée par elle et que, selon sa jurisprudence, la loi n'exigeait pas qu'une contrainte eût été exercée lors du transfert à titre gratuit des biens agricoles. L'arrêt de la Cour suprême fut notifié aux requérants le 11 septembre 1997 au plus tôt.

16. Le 12 novembre 1997, les requérants introduisirent un recours constitutionnel (ústavní stíznost), dans lequel ils alléguaient que les décisions des tribunaux nationaux avaient violé les principes constitutionnels d'égalité des citoyens en droits et de protection du droit de propriété, consacrés par les articles 1, 11-1 et 11-3 de la Charte des droits et libertés fondamentaux (Listina základních práv a svobod). Ils demandèrent également l'annulation de l'article 8-4 de la loi sur la propriété foncière.

17. Le 4 août 1998, la Cour constitutionnelle (Ústavní soud) déclara leur recours irrecevable pour tardiveté. Elle s'exprima notamment ainsi :

" La Cour constitutionnelle estime que l'on ne peut engager devant la cour de cassation une procédure non admissible selon la loi et y inclure une demande tendant à l'annulation de décisions rendues par des tribunaux de droit commun, sauf si l'exclusion [du pourvoi en cassation] constitue un déni de justice et, par conséquent, une violation du droit à un procès équitable. L'arrêt en question [de la cour de cassation] ne vaut pas décision sur la dernière voie de recours offerte par la loi pour protéger les droits (...). Le recours constitutionnel ne pouvait être introduit que contre l'arrêt de la cour d'appel, passé en force de chose jugée le 15 mai 1996. Dans la mesure où le recours constitutionnel a été introduit le 17 novembre 1997, la condition prescrite par l'article 72-2 de la loi sur la Cour constitutionnelle n'est pas satisfaite. Pour cette raison, force est à la Cour constitutionnelle de déclarer le recours irrecevable comme introduit après l'expiration du délai fixé par ladite loi. "

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Droit constitutionnel

18. Aux termes de l'article 10 de la Constitution de la République tchèque (version en vigueur au moment des faits), les traités sur les droits de l'homme et les libertés fondamentales ratifiés et promulgués, qui lient la République tchèque, sont immédiatement obligatoires et priment la loi.

19. Les articles 11-1 et 11-2 de la Charte des droits et libertés fondamentaux disposent, entre autres, que chacun a droit à la propriété. La loi établit quels biens nécessaires aux besoins de la société, au développement de l'économie nationale et à l'intérêt public peuvent être possédés exclusivement par l'Etat, par les communes ou par les personnes morales qu'elle détermine ; la loi peut également établir que certains biens peuvent être possédés exclusivement par des citoyens ou par des personnes morales résidant en République fédérative tchèque et slovaque. Selon l'article 11-3, tout abus de propriété au détriment des droits d'autrui ou en contradiction avec l'intérêt général protégé par la loi est interdit. L'exercice de ce droit ne doit pas porter à la santé humaine, à la nature ou à l'environnement une atteinte dépassant les limites prévues par la loi.

20. Aux termes de l'article 36-1 de la Charte, chacun a le droit de demander justice, suivant une procédure définie, auprès d'un tribunal indépendant et impartial ou, dans des cas déterminés, auprès d'une autre autorité.

B. Code de procédure civile (loi n° 99/1963)

21. Aux termes de l'article 236-1, le pourvoi en cassation (dovolání) n'est ouvert que contre les décisions (rozhodnutí) d'appel passées en force de chose jugée, et seulement dans les cas prévus par la loi.

22. Selon l'article 239-1, le pourvoi en cassation contre une décision confirmative rendue en appel est admissible lorsque la juridiction d'appel estime que l'importance cruciale du point de vue juridique de sa décision justifie l'admission du pourvoi (rozhodnutí po právní stránce zásadního významu). La juridiction d'appel peut admettre le pourvoi en cassation sans que les parties le demandent.

L'article 239-2 dispose que, lorsque la juridiction d'appel refuse de faire droit à une demande d'admission de pourvoi présentée par une des parties (...) avant l'adoption de la décision confirmant celle de la juridiction de première instance, le pourvoi n'est admissible que si la cour de cassation elle-même considère que la décision de la juridiction d'appel revêt une importance cruciale du point du vue juridique.

C. Loi n° 182/1993 sur la Cour constitutionnelle

23. Aux termes de l'article 72-1, un recours constitutionnel peut être introduit par toute personne physique qui se prétend victime d'une violation, commise par " une autorité publique ", des droits ou libertés fondamentaux reconnus dans une loi constitutionnelle ou dans un traité international au sens de l'article 10 de la Constitution.

L'article 72-2 précise que le recours constitutionnel doit être introduit dans un délai de 60 jours à compter de la date à laquelle a été notifiée au requérant la décision sur la dernière voie de recours que lui offre la loi pour défendre ses droits.

24. Selon l'article 75-1, le recours constitutionnel est irrecevable lorsque le requérant n'a pas exercé toutes les voies de recours offertes par la loi, à l'exception du recours en révision de la procédure. En vertu de l'article 75-2 a), la Cour constitutionnelle a la possibilité de ne pas déclarer un recours constitutionnel irrecevable en cas de non-épuisement des voies de recours offertes par la loi si l'enjeu de la demande dépasse de façon substantielle les intérêts propres du requérant et si le recours a été introduit dans le délai d'un an à compter du fait qui constitue l'objet de la demande.

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