Jurisprudence : Cass. soc., 30-10-2002, n° 00-40.868, inédit, Rejet

Cass. soc., 30-10-2002, n° 00-40.868, inédit, Rejet

A4145A3W

Référence

Cass. soc., 30-10-2002, n° 00-40.868, inédit, Rejet. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1107777-cass-soc-30102002-n-0040868-inedit-rejet
Copier


SOC.
PRUD'HOMMESC.M.
COUR DE CASSATION
Audience publique du 30 octobre 2002
Rejet
M. CHAGNY, conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président
Pourvoi n° X 00-40.868
Arrêt n° 3150 F D
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant

Sur le pourvoi formé par M. Jacky Z, demeurant Saint-Genis-Laval,
en cassation d'un arrêt rendu le 9 décembre 1999 par la cour d'appel de Versailles (17ème chambre sociale), au profit de la société Geci France, société anonyme, dont le siège est Paris,
défenderesse à la cassation ;
Vu la communication faite au Procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 25 septembre 2002, où étaient présents M. Chagny, conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président, M. Bailly, conseiller rapporteur, M. Frouin, Mme Lebée, conseillers référendaires, M. Bruntz, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Bailly, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de M. Z, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Geci France, les conclusions de M. Bruntz, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique
Attendu que M. Z était salarié de la société GECI France et exerçait des fonctions de chargé de mission dans le domaine des marchés ; qu'il a démissionné le 11 décembre 1995 ; que l'employeur ayant rompu le préavis du 26 janvier 1996 pour faute grave, le salarié a engagé une instance prud'homale pour demander, notamment, le paiement d'une indemnité de préavis ;
Attendu que M. Z fait grief à l'arrêt attaqué (Versailles, 9 décembre 1999) de l'avoir débouté de sa demande alors, selon le moyen
1°/ que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise, de sa liberté d'expression ; qu'il ne peut être apporté à celle-ci que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ; que ne constitue pas un abus de la liberté d'expression constitutif d'une faute grave le fait, pour un salarié, d'écrire, au bas de sa lettre de démission, qu'il lui semble urgent de "prendre des distances vis-à-vis des dirigeants dont je ne partage ni l'éthique ni le sens civique, notamment manifesté au travers de manipulations répétées dans les comptes de (l'entreprise)" ; que ces seuls propos, tenus dans le cadre d'un courrier destiné à mettre fin au contrat de travail, ne justifient pas la rupture, à l'initiative de l'employeur, du préavis du salarié démissionnaire ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé, par refus d'application, ensemble les articles L. 120-2, L. 122-1 et L. 122-5 du Code du travail ;
2°/ que l'abus de la liberté d'expression est caractérisé par des critiques répétées et systématiques, formulées en termes injurieux, diffamatoires ou excessifs, dans un but malveillant à l'égard de l'entreprise ; que la publicité faite par le salarié à ces propos peut constituer un facteur aggravant ; que la faute grave est celle qui empêche l'exécution du préavis ; qu'en se bornant à relever que M. Z avait mis en cause, de manière agressive, l'honnêteté de ses dirigeants dans un courrier de démission, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé un abus de la liberté d'expression constitutif d'une faute grave, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 122-1 et L. 122-5 du Code du travail ;
3°/ que M. Z avait soutenu dans ses conclusions d'appel, que sa lettre de démission avait été adressée directement et personnellement au directeur général de la société GECI France, qu'elle n'avait fait l'objet d'aucune diffusion et d'aucune publicité au regard de quiconque, et qu'au surplus, les propos de M. Z avaient été explicités oralement lors de l'entretien préalable et d'autres entretiens informels, et qu'ils n'ont fait l'objet d'aucune poursuite pour la prétendue diffamation qu'ils constitueraient ; qu'en ne répondant pas à ces conclusions, susceptibles d'établir que M. Z n'avait pas abusé de son droit d'expression, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs en méconnaissance de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
4°/ que le motif énoncé dans la lettre de rupture du préavis doit être la véritable cause du renvoi ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme l'y invitaient les conclusions d'appel, si la vraie cause de la rupture ne résidait pas dans l'acrimonie éprouvée par les dirigeants de la société GECI France du fait que l'intéressé avait décidé de créer sa propre entreprise lors de son départ, la cour d'appel a méconnu l'étendue des pouvoirs qui lui sont conférés par l'article L. 122-14-3 du Code du travail ;
5°/ que M. Z avait soutenu, dans ses conclusions d'appel, que l'acrimonie de la société GECI France à son encontre provenait du fait qu'il avait créé sa propre entreprise, nonobstant l'absence de concurrence déloyale de sa part, et que la réalité de cette acrimonie était démontrée par la procédure engagée par la société GECI France devant le tribunal de commerce de Lyon, puis devant la cour d'appel de Lyon, pour faire cesser ce qu'elle considérait comme des actes de concurrence déloyale, et que cette procédure s'était terminée par un rejet du pourvoi de la société GECI France par un arrêt de la Cour de Cassation du 15 juin 1999 qui avait rappelé l'absence de preuve d'agissements déloyaux ; qu'en ne répondant pas à ces conclusions d'appel, la cour d'appel a, là encore, entaché sa décision d'un défaut de motifs en méconnaissance de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que si le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle il ne peut être apporté que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché, il ne peut abuser de cette liberté par des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs ;

Et attendu qu'ayant relevé que, dans la lettre de démission, le salarié avait écrit qu'il estimait "urgent de prendre ses distances avec les dirigeants de la société dont je ne partage ni l'éthique, ni le sens civique notamment manifesté au travers des manipulations répétées des comptes" de l'entreprise, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre le salarié dans le détail de son argumentation, a pu décider que ces propos, qui constituaient l'imputation de faits contraires à l'honneur et à la considération, constituaient un abus de la liberté d'expression et étaient de nature à justifier l'interruption du préavis ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Z aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente octobre deux mille deux.

Agir sur cette sélection :