Jurisprudence : CJCE, 22-10-2002, aff. C-94/00, Roquette Frères SA c/ Directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes

CJCE, 22-10-2002, aff. C-94/00, Roquette Frères SA c/ Directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes

A3294A3E

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CJCE, 22-10-2002, aff. C-94/00, Roquette Frères SA c/ Directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1106885-cjce-22102002-aff-c9400-roquette-freres-sa-c-directeur-general-de-la-concurrence-de-la-consommation-
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c/
Directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes



ARRÊT DE LA COUR


22 octobre 2002 (1)


"Droit de la concurrence - Article 14, paragraphes 3 et 6, du règlement n° 17 - Décision de la Commission ordonnant une vérification - Assistance des autorités nationales - Interprétation de l'arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission - Principes généraux - Protection contre les interventions arbitraires ou disproportionnées de la puissance publique dans la sphère d'activité privée d'une personne morale - Portée du contrôle incombant à la juridiction nationale compétente pour autoriser des mesures de contrainte à l'encontre des entreprises - Devoir d'information de la Commission - Coopération loyale"


Dans l'affaire C-94/00,


ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par la Cour de cassation (France) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre


Roquette Frères SA


et


Directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes,


en présence de:


Commission des Communautés européennes ,


une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 14 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204), et de l'arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission (46/87 et 227/88, Rec. p. 2859),


LA COUR,


composée de M. G. C. Rodríguez Iglesias, président, MM. J.-P. Puissochet, M. Wathelet et R. Schintgen, présidents de chambre, MM. C. Gulmann, D. A. O. Edward, A. La Pergola (rapporteur), P. Jann et V. Skouris, Mmes F. Macken et N. Colneric, et MM. S. von Bahr et J. N. Cunha Rodrigues, juges,


avocat général: M. J. Mischo,


greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,


considérant les observations écrites présentées:


- pour Roquette Frères SA, par Mes O. Prost et A. Choffel, avocats,


- pour la Commission des Communautés européennes, par M. G. Marenco et Mme F. Siredey-Garnier, en qualité d'agents,


- pour le gouvernement français, par Mme K. Rispal-Bellanger et M. F. Million, en qualité d'agents,


- pour le gouvernement allemand, par M. W.-D. Plessing et Mme B. Muttelsee-Schön, en qualité d'agents,


- pour le gouvernement hellénique, par Mme A. Samoni-Rantou et M. G. Karipsiadis, en qualité d'agents,


- pour le gouvernement italien, par M. U. Leanza, en qualité d'agent, assisté de Mme F. Quadri, avvocato dello Stato,


- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. J. E. Collins, en qualité d'agent, assisté de M. J. Turner, barrister,


- pour le gouvernement norvégien, par M. H. Seland, en qualité d'agent,


vu le rapport d'audience,


ayant entendu les observations orales de Roquette Frères SA, représentée par Mes O. Prost et A. Choffel, de la Commission, représentée par M. G. Marenco et Mme F. Siredey-Garnier, du gouvernement français, représenté par M. R. Abraham, en qualité d'agent, du gouvernement hellénique, représenté par Mme A. Samoni-Rantou et M. G. Karipsiadis, du gouvernement italien, représenté par M. M. Greco, en qualité d'agent, et du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par MM. J. E. Collins et J. Turner, à l'audience du 10 juillet 2001,


ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 20 septembre 2001,


rend le présent


Arrêt


1.


Par arrêt du 7 mars 2000, parvenu à la Cour le 13 mars suivant, la Cour de cassation a posé, en vertu de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 14 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204), et de l'arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission (46/87 et 227/88, Rec. p. 2859).


2.


Ces questions ont été soulevées à l'occasion de l'examen d'un pourvoi introduit par Roquette Frères SA (ci-après "Roquette Frères") contre une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Lille (France) autorisant des opérations de visite et de saisie dans les locaux de cette société en vue de recueillir des preuves de sa participation éventuelle à des accords et/ou à des pratiques concertées susceptibles de constituer une infraction à l'article 85 du traité CE (devenu article 81 CE).


Le cadre juridique


Le règlement n° 17


3.


L'article 14 du règlement n° 17 confère à la Commission des pouvoirs de vérification en vue d'enquêter sur d'éventuelles infractions aux règles de concurrence applicables aux entreprises. Aux termes de cette disposition:


"1. [...]


[...] les agents mandatés par la Commission sont investis des pouvoirs ci-après:


a) contrôler les livres et autres documents professionnels;


b) prendre copie ou extrait des livres et documents professionnels;


c) demander sur place des explications orales;


d) accéder à tous locaux, terrains et moyens de transport des entreprises.


[...]


3. Les entreprises et associations d'entreprises sont tenues de se soumettre aux vérifications que la Commission a ordonnées par voie de décision. La décision indique l'objet et le but de la vérification, fixe la date à laquelle elle commence et indique les sanctions prévues à l'article 15, paragraphe 1, alinéa c), et à l'article 16, paragraphe 1, alinéa d), ainsi que le recours ouvert devant la Cour de justice contre la décision.


[...]


6. Lorsqu'une entreprise s'oppose à une vérification ordonnée en vertu du présent article, l'État membre intéressé prête aux agents mandatés par la Commission l'assistance nécessaire pour leur permettre d'exécuter leur mission de vérification. À cette fin, les États membres prennent, avant le 1er octobre 1962 et après consultation de la Commission, les mesures nécessaires."


Le droit national


4.


En France, les procédures de vérification dans le domaine de la concurrence sont régies par l'ordonnance n° 86-1243, du 1er décembre 1986, relative à la liberté des prix et de la concurrence (JORF du 9 décembre 1986, p. 14773, ci-après l'"ordonnance relative à la concurrence").


5.


L'article 48 de l'ordonnance relative à la concurrence dispose:


"Les enquêteurs ne peuvent procéder aux visites en tous locaux, ainsi qu'à la saisie de documents, que dans le cadre d'enquêtes demandées par le ministre chargé de l'économie ou le Conseil de la concurrence et sur autorisation judiciaire donnée par ordonnance du président du tribunal de grande instance [...]


Le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée; cette demande doit comporter tous les éléments d'information de nature à justifier la visite.


[...] Il désigne un ou plusieurs officiers de police judiciaire chargés d'assister à ces opérations et de le tenir informé de leur déroulement.


[...]"


6.


Aux fins d'éclairer la portée de cette disposition, la juridiction de renvoi indique que, par décision du 29 décembre 1983, le Conseil constitutionnel (France) a jugé que des investigations dans des lieux privés ne peuvent être conduites que dans le respect de l'article 66 de la Constitution, lequel confie à l'autorité judiciaire la sauvegarde de la liberté individuelle et, notamment, de l'inviolabilité du domicile. Le Conseil constitutionnel en a déduit que les dispositions légales applicables à cet égard doivent assigner de façon explicite à la juridiction compétente la mission de vérifier, de manière concrète, le bien-fondé de la demande qui lui est soumise.


7.


Il résulte de l'article 56 bis de l'ordonnance relative à la concurrence que les prescriptions de l'article 48 de ladite ordonnance sont applicables en cas de demande d'assistance de la Commission sur le fondement de l'article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17.


Le cadre factuel et procédural du litige au principal et les questions préjudicielles


8.


Roquette Frères exerce une activité de commercialisation de gluconate de sodium et de glucono-delta-lactone.


9.


Le 10 septembre 1998, la Commission a adopté, sur le fondement de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17, une décision ordonnant à Roquette Frères de se soumettre à une vérification (ci-après la "décision de vérification du 10 septembre 1998").


10.


L'article 1er du dispositif de cette décision est ainsi libellé:


"L'entreprise Roquette Frères SA est tenue de se soumettre à une vérification portant sur sa participation éventuelle à des accords et/ou pratiques concertées dans les domaines du gluconate de sodium et du glucono-delta-lactone, susceptibles de constituer une infraction à l'article 85 du traité CE. La vérification peut avoir lieu dans tous les établissements de cette entreprise.


L'entreprise permettra aux agents mandatés par la Commission pour procéder à la vérification, et aux agents de l'État membre qui les assistent, d'accéder à tous ses locaux, terrains et moyens de transport pendant les heures normales d'ouverture des bureaux. L'entreprise présentera pour contrôle les livres et autres documents professionnels requis par lesdits agents; elle leur permettra de contrôler ses livres et autres documents professionnels aux endroits où ils se trouvent et d'en prendre copie ou extrait. En outre, elle leur fournira immédiatement toutes les explications orales que lesdits agents pourraient demander en relation avec l'objet de la vérification."


11.


Les motifs de la décision de vérification du 10 septembre 1998 énoncent ce qui suit:


"Le destinataire de la présente décision est actif dans le domaine du gluconate de sodium. Le gluconate de sodium est utilisé, entre autres, comme produit de nettoyage industriel, pour le traitement de surface des métaux, la production de substances chimiques textiles ainsi que comme retardateur de prise dans l'industrie des bétons.


La Commission dispose d'informations selon lesquelles des responsables de l'entreprise visée auraient tenu des réunions régulières avec des concurrents, au cours desquelles des parts du marché du gluconate de sodium auraient été allouées et des prix minimums convenus vis-à-vis des utilisateurs des diverses régions du marché. Les niveaux de ventes, totales et relatives aux diverses régions, auraient aussi été fixés. Chaque réunion aurait donné lieu à l'évaluation du degré d'observance des accords. Toute entreprise ayant dépassé les ventes qui lui étaient accordées devait, semble-t-il, essayer de réduire ses ventes au cours de la période suivante.


Le destinataire de la présente décision est aussi producteur de glucono-delta-lactone. Le glucono-delta-lactone est utilisé dans la production du fromage, de produits à base de viande ainsi que du tofu.


La Commission dispose d'informations selon lesquelles les contacts en question avec des concurrents se seraient étendus aussi au glucono-delta-lactone. Il se serait agi en particulier de conversations bi- ou multilatérales, qui se seraient tenues souvent en marge (avant, après ou lors de pauses) des réunions concernant le gluconate de sodium. Les participants auraient, à cette occasion, échangé des informations sur le marché, sur les prix du marché ainsi que sur la situation de la demande. Ils auraient aussi tenu des conversations sur les capacités de production et les volumes de vente. Les contacts auraient visé le contrôle des prix et étaient, semble-t-il, de nature à provoquer une coordination du comportement des participants sur le marché.


Si leur existence était établie, les accords et/ou les pratiques concertées susvisés pourraient constituer une infraction grave à l'article 85 du traité instituant la Communauté européenne. La nature même de tels accords et/ou pratiques concertées donne à penser qu'il seraient appliqués selon des modalités secrètes et qu'une vérification est à cet égard le moyen le plus approprié pour recueillir des éléments de preuve de leur existence.


Pour permettre à la Commission de prendre connaissance de tous les éléments de fait concernant les éventuels accords et/ou pratiques concertées et du contexte dans lequel ils s'insèrent, il est donc nécessaire de procéder à une vérification en vertu de l'article 14 du règlement n° 17.


Le destinataire de la présente décision est susceptible de détenir des informations nécessaires à la Commission pour la poursuite de son enquête dans le cadre de l'affaire décrite ci-dessus.


Afin de préserver l'efficacité de la vérification, il est nécessaire que l'entreprise n'en soit pas informée à l'avance.


Il est donc nécessaire de contraindre l'entreprise, par voie de décision, à se soumettre à une vérification au sens de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17."


12.


La Commission a demandé au gouvernement français de prendre les mesures nécessaires pour que l'assistance des autorités nationales, prévue à l'article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17, soit assurée en cas d'opposition de Roquette Frères à la vérification ainsi projetée.


13.


À la suite de cette demande, les services administratifs compétents ont, le 14 septembre 1998, introduit une requête devant le président du tribunal de grande instance de Lille aux fins d'obtenir à l'égard de Roquette Frères l'autorisation de visite et de saisie prévue aux articles 48 et 56 bis de l'ordonnance relative à la concurrence. Étaient, pour l'essentiel, annexés à ladite requête une copie de la décision de vérification du 10 septembre 1998 et le texte de l'arrêt Hoechst/Commission, précité.


14.


Le président du tribunal de grande instance de Lille a fait droit à cette requête par ordonnance du même jour (ci-après l'"ordonnance d'autorisation").


15.


L'ordonnance d'autorisation a été notifiée le 16 septembre 1998. Les opérations de vérification ont eu lieu les 16 et 17 septembre 1998. Roquette Frères a coopéré auxdites vérifications tout en émettant des réserves quant à la prise de copies d'un certain nombre de documents.


16.


Dans son pourvoi contre l'ordonnance d'autorisation, Roquette Frères fait valoir que le président du tribunal de grande instance de Lille ne pouvait ordonner des visites domiciliaires sans s'être, au préalable, assuré, au vu de pièces qu'était tenue de lui fournir l'administration, qu'il existait bien des présomptions sérieuses de pratiques anticoncurrentielles de nature à justifier l'octroi de pouvoirs de contrainte.

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