Jurisprudence : TA Besançon, du 16-07-2024, n° 2302184

TA Besançon, du 16-07-2024, n° 2302184

A25385T8

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Abstract

► Le retard de l'État dans son obligation de faire mettre en œuvre par un exploitant agricole les mesures de réparation prévues par le Code de l'environnement entraîne sa condamnation à verser une astreinte à une association agréée pour la défense de l'environnement.



TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE BESANÇON
N° 2302184
___________
ASSOCIATION COMMISSION DE
PROTECTION DES EAUX DE FRANCHECOMTE
__________
Mme Lola Kiefer
Rapporteure
___________
Mme Fabienne Guitard
Rapporteure publique
___________
Audience du 3 juillet 2024
Décision du 16 juillet 2024
___________
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le tribunal administratif de Besançon
(1ère chambre)

Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 16 novembre 2023 et un mémoire enregistré le
29 juin 2024, non communiqué, l'association commission de protection des eaux,
du patrimoine,
de l'environnement, du sous-sol et des chiroptères de Franche-Comté (CPEPESC)
demande au
tribunal :
1°) de prononcer la liquidation de l'astreinte prescrite dans le jugement n°
1902114 rendu
le 20 septembre 2022 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 360 euros au titre de
l'article L. 761-1
du code de justice administrative🏛
, ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- le jugement du 20 septembre 2022 n'a pas été exécuté ;
- le préfet a édicté son premier arrêté de mise en demeure à l'expiration du
délai qui lui
avait été laissé ;
- les délais supplémentaires laissés à l'exploitant ne sont pas justifiés ;
- aucune mesure ou travail de réparation écologique n'a sérieusement été mis
en œuvre
ou initié sur le terrain.
Par des mémoires en défense enregistrés les 7 mai et 26 juin 2024, le préfet
de la HauteSaône conclut au rejet de la requête.
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Il fait valoir que :
- les moyens soulevés par la CPEPESC ne sont pas fondés ;
- le retard dans l'exécution du jugement ne lui est pas imputable.
La procédure a été communiquée à M. Aa, qui n'a pas produit d'observations.
Vu :
- le jugement n° 1902114 rendu le 20 septembre 2022 par le tribunal
administratif de
Besançon ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Kiefer, conseillère,
- les conclusions de Mme Guitard, rapporteure publique,
- et les observations de M. M., pour la commission de protection des eaux, du
patrimoine,
de l'environnement, du sous-sol et des chiroptères de Franche-Comté.
Une note en délibéré présentée par la CPEPESC a été enregistrée le 8 juillet
2024.
Considérant ce qui suit :
1. Entre 2012 et 2013, M. Aa, exploitant agricole, a engagé des travaux sur
des
parcelles situées sur le territoire des communes de Quers, Dambenoît-lès-
Colombe et Adelans-etle-Val-de-Bithaine afin de convertir des prairies en
champs de céréales. Il a ainsi supprimé
plusieurs centaines de mètres linéaires de haies et de nombreux bosquets et
arbres en alignement
ou isolés qui constituaient des aires de repos et de reproduction de plusieurs
espèces d'oiseaux
protégées au titre des articles L. 411-1 et suivants du code de
l'environnement par l'arrêté
ministériel du 29 octobre 2009, situés, d'une part, dans une zone nord
comprise en grande partie
dans le périmètre du site Natura 2000 intitulé « Vallée de la lanterne », aux
lieux-dits « Champs
Saint-Laurent », « Faux d'Angles » et « les Graviers » et, d'autre part, dans
une zone sud à hauteur
des lieux-dits « les Lauchères » et « en Couillard », et à proximité du
ruisseau « le Bauvier »,
protégé par un arrêté préfectoral de biotope. Par un courrier du 29 juillet
2019, la CPEPESC a
demandé à ce que l'auteur de ces travaux soit mis en demeure, sur le fondement
de l'article L.
171-7 du code de l'environnement, de déposer, sous un mois maximum, un dossier
de demande
de dérogation au titre de la destruction d'espèces protégées et de leurs
habitats prévoyant des
mesures de nature à compenser les effets de ces travaux, ainsi qu'un dossier
d'évaluation des
incidences Natura 2000 au titre des parcelles concernées. Par un jugement n°
1902114 du
20 septembre 2022, le tribunal, saisi par la CPEPESC du refus implicite né du
silence conservé
par le préfet de la Haute-Saône sur sa demande, a enjoint à ce dernier de
faire mettre en œuvre par
M. Aa les mesures de réparation définies aux articles L. 162-3 à L. 162-12 du
code de
l'environnement, dans le délai de trois mois suivant la notification du
présent jugement, sous
astreinte de 50 euros par jour de retard. Par la présente requête, la CPEPESC
demande au tribunal
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de prononcer la liquidation de cette astreinte.
Sur la liquidation de l'astreinte :
2. Aux termes de l'article L. 911-7 du code de justice administrative🏛 : « En
cas
d'inexécution totale ou partielle ou d'exécution tardive, la juridiction
procède à la liquidation de
l'astreinte qu'elle avait prononcée. / Sauf s'il est établi que l'inexécution
de la décision provient
d'un cas fortuit ou de force majeure, la juridiction ne peut modifier le taux
de l'astreinte définitive
lors de sa liquidation. / Elle peut modérer ou supprimer l'astreinte
provisoire, même en cas
d'inexécution constatée ». En cas d'inexécution totale ou partielle ou
d'exécution tardive de la
décision, la juridiction procède, en vertu de l'article L. 911-7 du code de
justice administrative, à
la liquidation de l'astreinte.
3. Il résulte de l'instruction qu'à la suite du jugement du 20 septembre
2022, par un
arrêté du 21 décembre 2022, le préfet de la Haute-Saône a mis en demeure M. Aa
de régulariser sa
situation administrative, en déposant auprès du service Biodiversité Eau
Patrimoine, Département
Biodiversité de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et
du logement de
Bourgogne Franche-Comté, dans un délai de deux mois à compter de la
notification de l'arrêté, un
projet exposant les mesures de réparation adaptées à la biologie des espèces
impactées et à leurs
habitats dans un objectif d'absence de perte nette de biodiversité. Le 22 mars
2023, soit plus de
deux mois à compter de la notification de cet arrêté, M. Aa a sollicité un
délai supplémentaire pour
produire le document sollicité. Ce délai supplémentaire a été accordé par le
préfet de la HauteSaône par un courrier du 24 avril 2023, plus d'un mois plus
tard, à la condition que M. Aa produise
dans un délai de quinze jours la lettre de commande faite au bureau d'études
missionné. En
l'absence de réponse, par un courrier du 13 juin 2023, près de deux mois après
son précédent
courrier accordant ce délai de quinze jours, le préfet de la Haute-Saône a
informé l'exploitant qu'à
défaut de production de cette lettre, il lancerait une procédure de sanction.
Le 10 juillet 2023, M.
Aa a fait parvenir à la préfecture le devis du bureau d'études « EMC
Environnement », daté du 28
juin 2023. Le 4 octobre 2023, ce bureau d'études a informé la préfecture du
retard pris dans la
constitution du rapport. Par deux courriels des 21 et 22 novembre 2023, il a
transmis le rapport
définitif sollicité. Enfin, par un courrier du 25 avril 2024, le préfet de la
Haute-Saône, après étude
de ce rapport, a informé M. Aa de l'insuffisance des mesures envisagées et lui
a donné la possibilité
de présenter des observations dans un délai d'un mois quant aux mesures
complémentaires
préconisées.
4. Ainsi que le soutient la CPEPESC, il résulte tout d'abord de l'instruction
que le
premier arrêté du préfet de la Haute-Saône, qui se borne à solliciter de la
part de M. Aa la production
d'un projet exposant les mesures de réparation adaptées à la biologie des
espèces impactées et à
leurs habitats dans un objectif d'absence de perte nette de biodiversité, a
été édicté seulement le
21 décembre 2022, soit plus de trois mois après le jugement du 20 septembre
2022, alors que ce
jugement lui laissait ce seul délai pour faire entièrement mettre en œuvre par
l'intéressé les mesures
de réparation définies aux articles L. 162-3 à L. 162-12 du code de
l'environnement. Ce premier
arrêté doit ainsi être regardé comme ayant été édicté tardivement. Par
ailleurs, la pertinence des
délais supplémentaires successivement accordés à M. Aa pour transmettre ce
projet, ainsi que
décrits au point précédent, n'est pas sérieusement démontrée par le préfet de
la Haute-Saône, alors
notamment que l'intéressé n'a fait preuve d'aucune diligence d'exécution, se
bornant à attendre
l'expiration des échéances fixées pour en demander le report. Ainsi, si le
préfet se prévaut des
délais induits par la biologie des espèces naturelles, notamment les périodes
de reproduction et de
nidification, pour justifier du retard pris par le bureau d'études mandaté par
M. Aa et des délais
successifs accordés, il résulte de l'instruction que le rapport et l'étude
écologique qu'il contient
ont, en tout état de cause, été établis hors de ces périodes. En outre, le
temps d'instruction
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nécessaire au sein de ses services ne peut sérieusement justifier l'écoulement
d'un délai de cinq
mois entre la réception du rapport par le préfet et le courrier informant
l'exploitant de l'insuffisance
des mesures envisagées. Enfin, si le préfet de la Haute-Saône verse au dossier
un projet d'arrêté
décrivant des mesures de réparation complémentaires, il résulte de
l'instruction, et notamment du
dernier mémoire produit en défense, que ce projet d'arrêté doit être modifié
suite à la rencontre de
M. Aa et du service instructeur sur le terrain le 6 juin 2024, soit plus de
dix-huit mois après la
notification du jugement du 20 septembre 2022. Dans ces conditions, et eu
égard, au surplus, au
délai écoulé depuis l'intervention des travaux initiaux, à l'importance qui
s'attache au respect
effectif des exigences et des intérêts prévus par le code de l'environnement,
et à la gravité des
conséquences du retard d'exécution sur ces intérêts, et alors que le préfet de
la Haute-Saône
pouvait faire usage à l'encontre de M. Aa des pouvoirs dont il dispose en
application des articles
L. 171-7 et L. 171-8 du code de l'environnement, le retard pris dans
l'exécution de l'article 1er du
jugement n° 1902114 du 20 septembre 2022, correspondant à la date du présent
jugement à un
retard de plus de dix-huit mois, est imputable à l'autorité administrative, et
celle-ci ne peut être
regardée comme ayant pris des mesures suffisantes propres à assurer
l'exécution complète de ce
jugement en temps utile.
5. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de procéder à la liquidation
provisoire de
l'astreinte ordonnée par le jugement n° 1902114 du 20 septembre 2022, sur la
période courant à
compter de la date de notification de ce jugement et jusqu'au jour du
délibéré, tout en modérant
son montant. Cette astreinte doit ainsi être liquidée provisoirement à hauteur
de 10 000 euros.
Sur les frais liés au litige :
6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de
l'Etat une
somme de 360 euros à verser à la CPEPESC au titre de l'article L. 761-1 du
code de justice
administrative.
D E C I D E :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à la CPEPESC une somme de 10 000
euros au titre de la
liquidation provisoire de l'astreinte fixée par le jugement n° 1902114 du 20
septembre 2022 du
tribunal administratif de Besançon.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 360 euros à la CPEPESC au titre de
l'article L. 761-1 du
code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à l'association commission de
protection des eaux, du
patrimoine, de l'environnement, du sous-sol et des chiroptères de Franche-
Comté, au ministre de
la transition écologique et de la cohésion des territoires, au préfet de la
Haute-Saône, et à M. Aa
Copie en sera adressée au ministère public près la Cour des comptes en
application de
l'article R. 921-7 du code de justice administrative🏛.

Délibéré après l'audience du 3 juillet 2024, à laquelle siégeaient :
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- Mme Schmerber, présidente,
- Mme Goyer-Tholon, conseillère,
- Mme Kiefer, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juillet 2024.
La rapporteure,
L. Kiefer
La présidente,
C. Schmerber
La greffière,
E. Cartier
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de
la cohésion
des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce
requis en ce qui concerne
les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à
l'exécution de la présente
décision.
Pour expédition conforme,
La greffière

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