TA Bordeaux, du 04-07-2024, n° 2403635
A21065NC
Référence
► Doit être rejetée une offre déposée dans le mauvais " tiroir numérique " dès lors que la société disposait de toutes les informations nécessaires et utiles pour déposer correctement son offre.
Par une requête enregistrée le 10 juin 2024, la SAS Sogea Sud-Ouest Hydraulique, représentée par Me Hourcabie, demande au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative🏛 :
1°) d'enjoindre à l'Etat - Ministère des armées - Etablissement du Service d'Infrastructure de la Défense (ESID) de Bordeaux de suspendre l'exécution de la décision de rejet de l'offre de la société Sogea Sud-Ouest Hydraulique et, plus généralement, de toute décision prise à compter de la phase d'analyse des offres remises dans le cadre de la procédure de passation de l'accord-cadre à bons de commande ayant pour objet l'exécution des travaux d'entretien et d'améliorations diverses dans les immeubles des sites Gironde de la DGA/EM ;
2°) d'ordonner à l'Etat - Ministère des armées - ESID de Bordeaux de reprendre la procédure de passation de l'accord-cadre à bons de commande ayant pour objet l'exécution des travaux d'entretien et d'améliorations diverses dans les immeubles des sites Gironde de la DGA/EM au stade de l'analyse des offres et, avant toute analyse des offres, replacer dans le bon tiroir numérique l'offre de la société Sogea Sud-Ouest Hydraulique SAS ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat - Ministère des armées - ESID de Bordeaux, une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
La société requérante soutient que :
- l'ESID ne peut pas légalement signer le marché en cause, à compter de la réception de la notification du recours ;
- le juge du référé précontractuel est saisi dans le cadre des pouvoirs qu'il tient des articles L. 551-2 et L. 551-6 du code de la commande publique ;
- elle a été illégalement induite en erreur par les mentions erronées figurant au règlement de la consultation s'agissant des conditions de dépôt dématérialisé de son offre ; il appartenait à l'ESID de replacer de lui-même l'offre de l'exposante dans le bon " tiroir numérique " et de l'analyser, son offre ne pouvant être régulièrement qualifiée d'offre inappropriée au sens de l'article L. 2152-4 du code de la commande publique🏛 ; l'acheteur est pleinement responsable des conditions de dépôt des offres dématérialisées, tandis que l'opérateur économique n'a pas à pâtir de dysfonctionnement ou d'erreur de l'acheteur s'agissant de ces conditions de dépôt ; l'erreur de " tiroir numérique " résulte tout à la fois des mentions du règlement de la consultation et du profil d'acheteur ; la société Sogea a suivi les instructions figurant dans le règlement de la consultation et, du fait de leur caractère erroné, elle a finalement déposé son offre dans un mauvais " tiroir numérique " ;
Par un courrier, enregistré le 24 juin 2024, le ministre des Armées a informé le tribunal de ce que le marché a été attribué à la société Etchart Construction (Bayonne), mais n'a pas été signé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juin 2024, le ministre des Armées conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société requérante une somme de 2 400 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la société requérante disposait de toutes les informations nécessaires et utiles pour déposer correctement son offre, que ce soit à l'article 5 du règlement de consultation, dans le message l'invitant à déposer son offre, dans le guide d'utilisation, dans le message de la plateforme PLACE du 8 janvier 2024, dans les renseignements complémentaires mentionnés à l'article 5-4 du règlement de consultation pour déposer son pli dans le bon " tiroir numérique " ;
- le lien " d'accès à la salle de consultation " était seulement inactif et ne pouvait en aucun cas orienter la requérante vers un autre " tiroir numérique " ;
- il était impossible de confondre les deux procédures de consultation, dont le numéro de marché, l'intitulé, l'objet étaient différents ;
- il n'appartient pas au pouvoir adjudicateur de vérifier et encore moins de rectifier une éventuelle erreur d'un candidat dans le dépôt de son offre ;
- en toute hypothèse, le caractère " inapproprié " de l'offre de la requérante s'entend uniquement au regard du marché auquel elle a soumissionné par erreur ;
- le ministère justifie de frais particuliers à hauteur de 2 400 euros pour le traitement de ce contentieux ;
Par un mémoire en réplique, enregistrée le 2 juillet 2024, la SAS Sogea Sud-Ouest Hydraulique conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que sa requête.
Elle précise que le ministère doit assumer totalement et seul ses propres erreurs ; la société Sogea n'avait pas d'obligation légale ou jurisprudentielle de rectifier les erreurs commises par le ministère concernant les modalités de dépôt des offres, mais de surcroît elle n'a pas fait preuve de négligence coupable ;
Vu :
- les pièces desquelles il résulte que la requête a été communiquée à la société Etchart Construction, qui n'a pas produit de mémoire ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. Vaquero, premier conseiller pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique du mercredi 3 juillet 2024 à 10h00, ont été entendus :
1) le rapport de M. Vaquero, juge des référés ;
2) les observations de Me Hourcabie, représentant la SAS Sogea Sud-Ouest Hydraulique, qui conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que la requête. Il ajoute que :
- la société Sogea ne demande pas l'annulation totale de la procédure de passation ;
- aucune négligence ou légèreté ne peut lui être reprochée dès lors qu'elle est habituée des appels d'offres du ministère des Armées et qu'elle a déposé son offre dans les délais ;
- lorsque l'acheteur commet une erreur, il doit assumer pleinement sa responsabilité ;
3) les observations de M. B A, pour le ministre des Armées, qui maintient ses écritures en défense. Il ajoute que :
- la procédure relative au marché de Mont-de-Marsan était ouverte et ne nécessitait pas de code d'accès, ce qui aurait dû alerter la requérante ;
- l'ESID n'a aucun moyen d'accéder aux offres avant la fin du délai de dépôt des candidatures ;
- ce sont finalement 3 offres qui ont été déposées dans le " tiroir numérique " du marché, dont deux émanent de sociétés différentes ;
La société Etchart Construction, titulaire du marché, n'étant ni présente ni représentée ;
La parole a été donnée en dernier lieu au défendeur et la clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
1. L'Etat - Ministère des armées - Etablissement du Service d'Infrastructure de la Défense de Bordeaux (ESID) a lancé une procédure avec négociation en vue de la conclusion d'un accord-cadre à bons de commande n° DAF 2023000052 intitulé " Nouvelle Aquitaine 33 - DGA/EM Gironde - ACBC pour l'exécution des travaux d'entretien et d'améliorations diverses dans les immeubles des sites Gironde de la DGA/EM - Marché de gros œuvre, maçonnerie, métallurgie, couverture, clôture, VRD et génie civil ". Ce marché est régi par les dispositions du Livre III du code de la commande publique. A l'occasion de la première phase, destinée à sélectionner les candidats appelés à présenter une offre, huit plis ont été reçus sur la plateforme numérique des achats de l'Etat (PLACE), dont celui de la SAS Sogea Sud-Ouest Hydraulique. Les sociétés sélectionnées ont été invitées le 26 octobre 2023 à déposer leur offre sur la plateforme numérique jusqu'au 16 janvier 2024 à 16h00. Par lettre recommandée contre accusé de réception en date du 17 mai 2024, l'ESID de Bordeaux a informé la SAS Sogea Sud-Ouest Hydraulique du rejet de son offre pour son caractère inapproprié dès lors que cette offre a été déposée dans le " tiroir numérique " correspondant au marché n° DAF 2023001448 " 40-43 Base de défense de Mont-de-Marsan - Accord cadre à bons de commande SOS Dépannage et multi corps d'état ". Par la présente requête, cette société demande au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au ministre de suspendre l'exécution de la décision de rejet de son offre et de reprendre la procédure de passation de l'accord-cadre.
Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 551-1 et L. 551-6 du code de justice administrative🏛 :
2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique (). / () Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code🏛 :" I.- Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. /Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. II.- Toutefois, le I n'est pas applicable aux contrats passés dans les domaines de la défense ou de la sécurité au sens de l'article L. 1113-1 du code de la commande publique🏛. Pour ces contrats, il est fait application des articles L. 551-6 et L. 551-7. ". En vertu de l'article L. 551-6 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations en lui fixant un délai à cette fin. Il peut lui enjoindre de suspendre l'exécution de toute décision se rapportant à la passation du contrat ou à la constitution de la société d'économie mixte à opération unique. Il peut, en outre, prononcer une astreinte provisoire courant à l'expiration des délais impartis (). ".
3. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le règlement de la consultation prévoit que " le candidat est inscrit sur la plateforme des achats de l'Etat (PLACE) et dispose d'un certificat numérique lui permettant de transmettre son pli : le candidat dépose son pli (candidature) sur le site : www.marches-publics.gouv.fr " à la rubrique " marchés et opportunités " en cliquant sur le lien " accès à la salle de consultation, puis en sélectionnant la consultation ". La seule circonstance que le lien mentionné était inactif ne peut être regardé comme une mention erronée de nature à avoir induit en erreur la requérante dès lors que ce lien inexistant ne pouvait orienter la candidate vers un autre " tiroir numérique ", c'est-à-dire vers une fenêtre correspondant à un autre marché. Il a d'ailleurs été confirmé à l'audience que la société requérante, sans chercher à contacter le cas échéant une quelconque assistance sur la plateforme PLACE ou en ligne, a suivi un autre chemin pour accéder au " tiroir numérique " dans lequel elle a déposé son offre. Il résulte en outre de l'instruction qu'après avoir déposé son offre, la société requérante a reçu de façon immédiate un accusé-réception automatique indiquant sans la moindre équivoque les références/intitulé, l'objet, la date de mise en ligne ainsi que la date limite de dépôt du marché correspondant au " tiroir numérique " utilisé. La société ne pouvait donc ignorer, à l'issue du dépôt de son offre, la nature et l'objet de la consultation à laquelle elle venait de répondre. Eu égard à l'heure de dépôt de son offre, soit le 16 janvier 2024 à 11h35, elle avait la possibilité de rectifier son erreur et de déposer son offre dans le bon " tiroir numérique " avant 16h00 le même jour. Il est par ailleurs constant que la société Sogea Sud-Ouest Hydraulique a bien reçu, à l'issue de la phase de sélection des candidats, le 26 octobre 2023, un message qui invitait les candidats sélectionnés à déposer leur offre sur la PLACE, précisant la référence, l'intitulé, l'objet du marché ainsi que la date et l'heure limite de dépôt. Il résulte également de l'instruction que la société requérante disposait de plusieurs chemins d'accès à la salle de consultation, notamment un lien d'accès direct à la fiche du marché auquel elle candidatait, par un message du 8 janvier 2024, muni du code d'accès correspondant. Elle pouvait également à tout moment vérifier l'état de sa candidature en actionnant l'onglet " mon panier " de la PLACE. En tout état de cause, il n'est pas contesté que l'ESID de Bordeaux a réceptionné pour le marché n° DAF 2023000052 trois offres dont deux émanant d'entreprises distinctes et qui n'ont pas rencontré de difficultés pour accéder à la salle de consultation et déposer leur offre dans le bon " tiroir numérique ". Pour l'ensemble de ces raisons, la société Sogea Sud-Ouest Hydraulique, qui est titulaire de plusieurs autres marchés avec le ministère des Armées et l'ESID de Bordeaux, qui a la qualité de titulaire sortant du marché litigieux et qui pratique régulièrement la plateforme numérique PLACE pour candidater et déposer des offres, n'est pas fondée à soutenir qu'elle a été illégalement induite en erreur par des mentions erronées figurant au règlement de la consultation s'agissant des conditions de dépôt dématérialisé de son offre .
4. En deuxième lieu, aucune disposition ni aucun principe n'impose au pouvoir adjudicateur d'informer un candidat que son offre a été déposée dans le cadre d'une autre consultation que celle à laquelle il voulait postuler et, d'autre part, il ne peut rectifier de lui-même l'erreur de dépôt ainsi commise, sauf dans l'hypothèse où il serait établi que cette erreur résulterait d'un dysfonctionnement de la plateforme de l'acheteur public. Eu égard à ce qui vient d'être dit, en l'absence de dysfonctionnement de la plateforme PLACE susceptible d'induire en erreur la société requérante, il n'appartenait pas au pouvoir adjudicateur de rectifier de lui-même l'erreur commise par la société requérante lors du dépôt de son offre. Il n'est en outre pas contesté que celui-ci n'avait pas la possibilité d'intervenir dans le " tiroir numérique " dans lequel l'offre était déposée avant la date de clôture fixée pour le dépôt des offres correspondantes, soit en l'espèce, avant le 5 février 2024 à 16h00 pour le marché n° DAF 2023001448. En toute hypothèse, à cette date, la consultation relative au marché litigieux n° DAF 2023000052 était achevée depuis le 16 janvier 2024 à 16h00.
5. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 2152-4 du code de la commande publique : " Une offre inappropriée est une offre sans rapport avec le marché parce qu'elle n'est manifestement pas en mesure, sans modification substantielle, de répondre au besoin et aux exigences de l'acheteur qui sont formulés dans les documents de la consultation ". En l'espèce, le pouvoir adjudicateur ne pouvait que regarder comme " inappropriée " l'offre de la société Sogea Sud-Ouest Hydraulique élaborée dans le cadre du marché n° DAF 2023000052 intitulé " Nouvelle Aquitaine 33 - DGA/EM Gironde - ACBC pour l'exécution des travaux d'entretien et d'améliorations diverses dans les immeubles des sites Gironde de la DGA/EM - Marché de gros œuvre, maçonnerie, métallurgie, couverture, clôture, VRD et génie civil ", et déposée dans le " tiroir numérique " correspondant au marché n° DAF 2023001448 " 40-43 Base de défense de Mont-de-Marsan - Accord cadre à bons de commande SOS Dépannage et multi corps d'état ".
6. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'injonction de la requête, présentées sur le fondement des articles L. 551-1 et L. 551-6 du code de justice administrative doivent être rejetées.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme dont la SAS Sogea Sud-Ouest Hydraulique demande le paiement au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la SAS Sogea Sud-Ouest Hydraulique la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens que l'Etat justifie avoir exposés.
Article 1er : La requête n° 2403635 de la SAS Sogea Sud-Ouest Hydraulique est rejetée.
Article 2 : La SAS Sogea Sud-Ouest Hydraulique versera la somme de 2 000 euros à l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société par actions simplifiée Sogea Sud-Ouest Hydraulique, à l'Etat (ministère des Armées - Etablissement du Service d'Infrastructure de la Défense (ESID) de Bordeaux) et à la société Etchart Construction.
Fait à Bordeaux, le 4 juillet 2024.
Le juge des référés,
M. VAQUERO La greffière,
H. MALO
La République mande et ordonne au ministre des Armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
La greffière,
Article, L551-1, CJA Article, L551-6, CJA Accord cadre Entretien Signature d'un marché Dépôt des offres Marché attribué Procédure de consultation Présentation d'une offre Mise en concurrence Pouvoirs adjudicateurs Prestation de service Intérêt public Candidats inscrits Dépôt des candidatures Titulaire du marché Information d'un candidat Acheteur public