Cour de justice des Communautés européennes9 novembre 1999
Affaire n°C-365/97
Commission des Communautés européennes
c/
République italienne
61997J0365
Arrêt de la Cour
du 9 novembre 1999.
Commission des Communautés européennes contre République italienne.
Manquement d'Etat - Directives 75/442/CEE et 91/156/CEE - Gestion des déchets.
Affaire C-365/97.
Recueil de Jurisprudence 1999 page I-7773
1 Recours en manquement - Objet du litige - Détermination au cours de la procédure précontentieuse - Modification ultérieure dans un sens restrictif - Admissibilité
(Traité CE, art. 169 (devenu art. 226 CE))
2 Recours en manquement - Procédure précontentieuse - Mise en demeure - Délimitation de l'objet du litige - Avis motivé - Énoncé détaillé des griefs
(Traité CE, art. 169 (devenu art. 226 CE))
3 Recours en manquement - Objet du litige - Détermination au cours de la procédure précontentieuse - Adaptation en raison d'un changement en droit communautaire - Admissibilité - Conditions
(Traité CE, art. 169 (devenu art. 226 CE))
4 Environnement - Élimination des déchets - Directive 75/442 - Article 4, premier alinéa - Obligation des États membres d'assurer la valorisation ou l'élimination des déchets - Portée - Nécessité des mesures à prendre - Marge d'appréciation - Limites
(Directive du Conseil 75/442, telle que modifiée par la directive 91/156, art. 4, § 1)
5 Recours en manquement - Preuve du manquement - Charge incombant à la Commission - Présentation d'éléments faisant apparaître le manquement - Réfutation à la charge de l'État membre mis en cause
(Traité CE, art. 169 (devenu art. 226 CE))
6 États membres - Obligations - Mission de surveillance confiée à la Commission - Devoir des États membres - Coopération aux enquêtes en matière de manquement d'État
(Traité CE, art. 5 et 169 (devenus art. 10 CE et 226 CE))
7 Environnement - Élimination des déchets - Directive 75/442 - Obligations incombant aux États membres à l'égard des détenteurs de déchets - Non-respect dans le cas d'une décharge illégale - Manquement
(Directive du Conseil 75/442, telle que modifiée par la directive 91/156, art. 8)
1 La lettre de mise en demeure adressée par la Commission à l'État membre puis l'avis motivé émis par la Commission au titre de l'article 169 du traité (devenu article 226 CE) délimitent l'objet du litige qui ne peut plus, dès lors, être étendu. Par conséquent, l'avis motivé et le recours de la Commission doivent reposer sur les mêmes griefs que ceux de la lettre de mise en demeure qui engage la procédure précontentieuse.
Toutefois, cette exigence ne saurait aller jusqu'à imposer en toute hypothèse une coïncidence parfaite entre l'énoncé des griefs dans la lettre de mise en demeure, le dispositif de l'avis motivé et les conclusions de la requête, dès lors que l'objet du litige n'a pas été étendu ou modifié mais, au contraire, simplement restreint.
2 Si l'avis motivé, visé à l'article 169 du traité (devenu article 226 CE), doit contenir un exposé cohérent et détaillé des raisons ayant amené la Commission à la conviction que l'État intéressé a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu du traité, la lettre de mise en demeure ne saurait être soumise à des exigences de précision aussi strictes, celle-ci ne pouvant nécessairement consister qu'en un premier résumé succinct des griefs. Rien n'empêche donc la Commission de détailler, dans l'avis motivé, les griefs qu'elle a déjà fait valoir de façon plus globale dans la lettre de mise en demeure.
3 Dans le cadre d'un recours en manquement, si les conclusions contenues dans la requête introductive d'instance ne sauraient en principe être étendues au-delà des manquements allégués dans le dispositif de l'avis motivé et dans la lettre de mise en demeure, il n'en demeure pas moins que, lorsqu'un changement en droit communautaire intervient au cours de la procédure précontentieuse, la Commission est recevable à faire constater un manquement aux obligations qui trouvent leur origine dans la version initiale d'une directive, par la suite modifiée ou abrogée, et qui ont été maintenues par de nouvelles dispositions. En revanche, l'objet du litige ne saurait être étendu à des obligations résultant de la directive modifiée qui ne trouveraient pas leur équivalence dans la version initiale de la directive, sous peine de constituer une violation des formes substantielles de la régularité de la procédure constatant le manquement.
4 Si l'article 4, premier alinéa, de la directive 75/442, telle que modifiée par la directive 91/156, ne précise pas le contenu concret des mesures qui doivent être prises par les États membres pour assurer que les déchets soient valorisés ou éliminés sans mettre en danger la santé de l'homme et sans que soient utilisés des procédés ou méthodes susceptibles de porter préjudice à l'environnement, il n'en reste pas moins que cette disposition lie les États membres quant à l'objectif à atteindre, tout en laissant à ces derniers une marge d'appréciation dans l'évaluation de la nécessité de telles mesures.
Il n'est donc en principe pas possible de déduire directement de la non-conformité d'une situation de fait avec les objectifs fixés à l'article 4, premier alinéa, de la directive 75/442, modifiée, que l'État membre concerné a nécessairement manqué aux obligations imposées par cette disposition. Toutefois, la persistance d'une telle situation de fait, notamment lorsqu'elle entraîne une dégradation significative de l'environnement pendant une période prolongée sans intervention des autorités compétentes, peut révéler que les États membres ont outrepassé la marge d'appréciation que leur confère cette disposition.
5 Si, dans le cadre d'une procédure en manquement, il incombe à la Commission d'établir l'existence du manquement allégué, il appartient à l'État membre mis en cause, lorsque la Commission a fourni suffisamment d'éléments faisant apparaître le manquement, de contester de manière substantielle et détaillée les données présentées et leurs conséquences. À défaut, les faits allégués doivent être tenus pour établis.
6 Conformément au devoir de chaque État membre, découlant de l'article 5 du traité (devenu article 10 CE), de faciliter l'accomplissement de la mission générale de la Commission, qui doit veiller à l'application des dispositions du traité ainsi que de celles prises par les institutions en vertu de celui-ci, il appartient aux autorités nationales de procéder, dans le cadre d'enquêtes menées par la Commission pour établir la réalité de violations du droit communautaire, aux vérifications nécessaires, dans un esprit de coopération loyale.
7 L'article 8 de la directive 75/442, relative aux déchets, telle que modifiée par la directive 91/156, impose aux États membres, à défaut pour le détenteur de déchets de pouvoir lui-même assurer la valorisation ou l'élimination des déchets, l'obligation de prendre, à l'égard de ce dernier, les mesures nécessaires pour que les déchets soient remis à un ramasseur privé ou public ou à une entreprise d'élimination. Ainsi, lorsqu'un État membre s'est limité à ordonner la mise sous séquestre d'une décharge illégale et à diligenter une procédure pénale contre l'exploitant de ladite décharge, qui, en y accueillant des déchets, est devenu détenteur de ces déchets, il n'a pas satisfait à l'obligation spécifique que lui impose ledit article.
Dans l'affaire C-365/97,
Commission des Communautés européennes, représentée par M. P. Stancanelli, membre du service juridique, en qualité d'agent, assisté de Me M. Merola, avocat au barreau de Rome, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du même service, Centre Wagner, Kirchberg,
partie requérante,
contre
République italienne, représentée par M. le professeur U. Leanza, chef du service du contentieux diplomatique du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, assisté de M. P. G. Ferri, avvocato dello Stato, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade d'Italie, 5, rue Marie Adélaïde,
partie défenderesse,
ayant pour objet de faire constater que, en n'ayant pas appliqué intégralement et correctement, dans la zone du lit du ruisseau de San Rocco, la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO L 194, p. 39), la République italienne a manqué à ses obligations résultant du traité CE et des articles 4, 5, 7, premier tiret, et 10 de la directive 75/442 ou des dispositions correspondantes, telles que modifiées par la directive 91/156/CEE du Conseil, du 18 mars 1991 (JO L 78, p. 32),
LA COUR,
composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, J. C. Moitinho de Almeida, D. A. O. Edward et R. Schintgen, présidents de chambre, P. J. G. Kapteyn, J.-P. Puissochet, G. Hirsch, P. Jann et H. Ragnemalm (rapporteur), juges,
avocat général: M. J. Mischo,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 2 mars 1999,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 20 avril 1999,
rend le présent
Arrêt
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 22 octobre 1997, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE), un recours visant à faire constater que, en n'ayant pas appliqué intégralement et correctement, dans la zone du lit du ruisseau de San Rocco, la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO L 194, p. 39, ci-après la "directive 75/442"), la République italienne a manqué à ses obligations résultant du traité CE et des articles 4, 5, 7, premier tiret, et 10 de la directive 75/442 ou des dispositions correspondantes, telles que modifiées par la directive 91/156/CEE du Conseil, du 18 mars 1991 (JO L 78, p. 32, ci-après la "directive 75/442 modifiée").
2 La directive 75/442 vise à harmoniser les réglementations nationales en matière d'élimination des déchets.
3 Les dispositions de la directive 75/442 ont été remplacées par la directive 91/156. Il résulte en effet de l'article 1er de la directive 91/156 que les articles 1er à 12 de la directive 75/442 ont été remplacés par les articles 1er à 18 et les annexes I, II A et II B ont été ajoutées. Les nouveaux articles 4, 6, 8 et 13 de la directive 75/442 modifiée correspondent en substance aux anciens articles 4, 5, 7 et 10 de la directive 75/442.
4 Ainsi qu'il ressort de ses considérants, la directive 75/442 vise notamment à assurer la protection de la santé de l'homme et de l'environnement contre les effets préjudiciables causés par le ramassage, le transport, le traitement, le stockage et le dépôt de ces déchets.
5 En vue d'assurer la réalisation de ces objectifs, la directive 75/442 imposait aux États membres d'adopter certaines dispositions.
6 Tout d'abord, en vertu de l'article 4 de la directive 75/442, les États membres devaient prendre les mesures nécessaires pour assurer que les déchets soient éliminés sans mettre en danger la santé de l'homme et sans porter préjudice à l'environnement, et notamment sans créer de risque pour l'eau, l'air ou le sol, ni pour la faune et la flore, sans provoquer d'incommodités par le bruit ou les odeurs et sans porter atteinte aux sites et aux paysages. L'article 4 de la directive 75/442 modifiée, qui reprend en substance cette disposition, ajoute, en son second alinéa, que les États membres prennent, en outre, les mesures nécessaires pour interdire l'abandon, le rejet et l'élimination incontrôlée des déchets.
7 Ensuite, en vertu de l'article 5 de la directive 75/442, les États membres avaient l'obligation de désigner la ou les autorités compétentes chargées, dans une zone déterminée, de planifier, d'organiser, d'autoriser et de superviser les opérations d'élimination des déchets. Il résulte désormais de l'article 6 de la directive 75/442 modifiée que les États membres établissent ou désignent la ou les autorités compétentes chargées de la mise en oeuvre de cette directive.
8 L'article 7 de la directive 75/442 prescrivait, notamment, aux États membres de prendre les dispositions nécessaires pour que tout détenteur de déchets les remette à un ramasseur privé ou public ou à une entreprise d'élimination. Cette disposition a été remplacée par l'article 8 de la directive 75/442 modifiée, qui prévoit, notamment, que les États membres prennent les dispositions nécessaires pour que tout détenteur de déchets les remette à un ramasseur privé ou public ou à une entreprise qui effectue les opérations visées aux annexes II A ou II B de la directive.
9 Enfin, l'article 10 de la directive 75/442 prévoyait que les entreprises qui assurent le transport, le ramassage, le stockage, le dépôt ou le traitement de leurs propres déchets, ainsi que celles qui ramassent ou transportent pour le compte d'autrui des déchets, étaient soumises à la surveillance de l'autorité compétente visée à l'article 5 de cette directive. L'article 13 de la directive 75/442 modifiée prévoit, à cet effet, que les établissements ou entreprises qui assurent les opérations visées aux articles 9 à 12 sont soumis à des contrôles périodiques appropriés des autorités compétentes.
10 L'article 2 de la directive 91/156 dispose que les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive au plus tard le 1er avril 1993 et qu'ils en informent immédiatement la Commission.
La procédure précontentieuse et les conclusions des parties
11 Le 26 juin 1990, la Commission a adressé une lettre de mise en demeure à la République italienne, dans laquelle elle relevait la violation par cette dernière des obligations résultant des articles 4, 5, 6, 7 et 10 de la directive 75/442 et 5, 6, 9, 12 et 15 de la directive 78/319/CEE du Conseil, du 20 mars 1978, relative aux déchets toxiques et dangereux (JO L 84, p. 43).
12 Par lettre du 28 janvier 1992, le ministère de l'Environnement italien a fourni à la Commission les informations suivantes:
- il est apparu que, dans le vallon de San Rocco, des matériaux biologiques et chimiques provenant de la deuxième polyclinique ont systématiquement été déversés, ce qui mettait gravement en danger la population résidant dans certains quartiers;
- dans ce même vallon, de sérieux problèmes hydrogéologiques dus à la présence de carrières tufières ont été enregistrés;
- une de ces carrières tufières a été utilisée, dans le passé, comme décharge illégale;
- après avoir été mise sous séquestre le 8 mai 1990, cette carrière a été réutilisée comme décharge en mai 1991. Le concessionnaire a fait l'objet d'une poursuite pénale pour cette réutilisation, qui est toujours en cours.
13 N'ayant reçu aucune communication relative à la mise en oeuvre des mesures destinées à rétablir la situation environnementale dans le vallon de San Rocco, la Commission a adressé au gouvernement italien, par lettre du 5 juillet 1996, un avis motivé dans lequel elle a conclu que, en ce qui concerne la zone du lit du ruisseau de San Rocco, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 4, 5, 6, 7 et 10 de la directive 75/442 et 5, 6, 12 et 15 de la directive 78/319: