Jurisprudence : CJCE, 14-12-1995, aff. C-430/93, Jeroen van Schijndel et Johannes Nicolaas Cornelis van Veen c/ Stichting Pensioenfonds voor Fysiotherapeuten

CJCE, 14-12-1995, aff. C-430/93, Jeroen van Schijndel et Johannes Nicolaas Cornelis van Veen c/ Stichting Pensioenfonds voor Fysiotherapeuten

A5844AY4

Référence

CJCE, 14-12-1995, aff. C-430/93, Jeroen van Schijndel et Johannes Nicolaas Cornelis van Veen c/ Stichting Pensioenfonds voor Fysiotherapeuten. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1089954-cjce-14121995-aff-c43093-jeroen-van-schijndel-et-johannes-nicolaas-cornelis-van-veen-c-stichting-pen
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Cour de justice des Communautés européennes

14 décembre 1995

Affaire n°C-430/93

Jeroen van Schijndel et Johannes Nicolaas Cornelis van Veen
c/
Stichting Pensioenfonds voor Fysiotherapeuten



61993J0430

Arrêt de la Cour
du 14 décembre 1995.

Jeroen van Schijndel et Johannes Nicolaas Cornelis van Veen contre Stichting Pensioenfonds voor Fysiotherapeuten.

Demandes de décision préjudicielle: Hoge Raad - Pays-Bas.

Qualification comme entreprise d'un fonds professionnel de pension - Affiliation obligatoire à un régime professionnel de pension - Compatibilité avec les règles de concurrence - Possibilité d'invoquer pour la première fois en cassation un moyen de droit communautaire impliquant un changement de l'objet du litige et un examen des faits.

Affaires jointes C-430/93 et C-431/93.

Recueil de Jurisprudence 1995 page I-4705

Droit communautaire ° Effet direct ° Droits individuels ° Sauvegarde par les juridictions nationales ° Recours en justice ° Modalités procédurales nationales ° Conditions d'application ° Appréciation d'office d'un grief tiré de la violation du droit communautaire ° Limites ° Principe de la passivité du juge civil

(Traité CEE, art. 3, f), 5, 85, 86, 90 et 177)

Dans une procédure portant sur des droits et obligations civils dont les parties disposent librement, il appartient au juge national d'appliquer des dispositions communautaires contraignantes telles que les articles 3, sous f), 85, 86 et 90 du traité, même lorsque la partie qui a intérêt à leur application ne les a pas invoquées, dans le cas où son droit national lui permet une telle application.

En effet, il incombe aux juridictions nationales, par application du principe de coopération énoncé à l'article 5 du traité, d'assurer la protection juridique découlant pour les justiciables de l'effet direct des dispositions du droit communautaire.

Cependant, le droit communautaire n'impose pas aux juridictions nationales de soulever d'office un moyen tiré de la violation de dispositions communautaires, lorsque l'examen de ce moyen les obligerait à renoncer à la passivité qui leur incombe, en sortant des limites du litige tel qu'il a été circonscrit par les parties et en se fondant sur d'autres faits et circonstances que ceux sur lesquels la partie qui a intérêt à l'application desdites dispositions a fondé sa demande.

En effet, en l'absence d'une réglementation communautaire en la matière, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l'effet direct du droit communautaire. Toutefois, ces modalités ne peuvent être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne, ni rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire. Une règle de droit national empêchant la mise en oeuvre de la procédure prévue à l'article 177 du traité doit, à cet égard, être écartée.

Chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l'application du droit communautaire doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l'ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il y a lieu de prendre en considération, s'il échet, les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure.

À cet égard, le principe de droit national selon lequel l'initiative d'un procès civil appartient aux parties, le juge ne pouvant agir d'office que dans des cas exceptionnels où l'intérêt public exige son intervention, met en oeuvre des conceptions partagées par la plupart des États membres quant aux relations entre l'État et l'individu, protège les droits de la défense et assure le bon déroulement de la procédure, notamment en la préservant des retards inhérents à l'appréciation des moyens nouveaux.

Dans les affaires jointes C-430/93 et C-431/93,

ayant pour objet des demandes adressées à la Cour, en application de l'article 177 du traité CEE, par le Hoge Raad der Nederlanden et tendant à obtenir, dans les litiges pendants devant cette juridiction entre

Jeroen van Schijndel

Stichting Pensioenfonds voor Fysiotherapeuten,

et entre

Johannes Nicolaas Cornelis van Veen

Stichting Pensioenfonds voor Fysiotherapeuten,

une décision à titre préjudiciel, d'une part, sur l'interprétation du droit communautaire quant au pouvoir du juge national d'apprécier d'office la compatibilité d'une règle de droit national avec les articles 3, sous f), 5, 85, 86 et/ou 90 du traité CEE et, d'autre part, sur l'interprétation de ces dispositions,

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, C. N. Kakouris, D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet et G. Hirsch, présidents de chambre, G. F. Mancini, F. A. Schockweiler, J. C. Moitinho de Almeida (rapporteur), P. J. G. Kapteyn, C. Gulmann, J. L. Murray, P. Jann et H. Ragnemalm, juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,

greffier: MM. R. Grass, greffier, et H. A. Ruehl, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

° pour les parties demanderesses au principal, par Me I. G. F. Cath, avocat au barreau de La Haye,

° pour la partie défenderesse au principal, par Mes P. A. Wackie Eysten, avocat au barreau de La Haye, et E. H. Pijnacker Hordijk, avocat au barreau d'Amsterdam,

° pour le gouvernement néerlandais, par M. J. G. Lammers, conseiller juridique remplaçant au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,

° pour le gouvernement allemand, par MM. E. Roeder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, et B. Kloke, Regierungsrat au même ministère, en qualité d'agents,

° pour le gouvernement français, par M. C. Chavance, secrétaire des Affaires étrangères à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et Mme C. de Salins, sous-directeur à la même direction, en qualité d'agents,

° pour le gouvernement du Royaume-Uni, par MM. J. D. Colahan, du Treasury Solicitor' s Department, en qualité d'agent, et P. Duffy, barrister,

° pour la Commission des Communautés européennes, par MM. C. Timmermans, directeur général adjoint, B. J. Drijber et B. Smulders, membres du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales des parties demanderesses au principal, représentées par Me I. G. F. Cath, de la partie défenderesse au principal, représentée par Mes P. A. Wackie Eysten et E. H. Pijnacker Hordijk, du gouvernement néerlandais, représenté par M. J. W. de Zwaan, conseiller juridique adjoint au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, du gouvernement allemand, représenté par M. G. Thiele, Assessor au ministère fédéral de l'Économie, en qualité d'agent, du gouvernement hellénique, représenté par M. V. Kontolaimos, conseiller juridique adjoint auprès du Conseil juridique de l'État, en qualité d'agent, du gouvernement espagnol, représenté par M. A. Navarro González, directeur général de la coordination juridique et institutionnelle communautaire, et Mmes R. Silva de Lapuerta et G. Calvo Díaz, abogados del Estado, du service juridique de l'État, en qualité d'agents, du gouvernement français, représenté par MM. C. Chavance et H. Renié, secrétaire des affaires étrangères à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, du gouvernement irlandais, représenté par M. J. O'Reilly, SC, et Mme J. Payne, barrister-at-law, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par MM. J. D. Colahan et P. Duffy, et de la Commission, représentée par MM. C. Timmermans et B. J. Drijber, à l'audience du 4 avril 1995,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 15 juin 1995,

rend le présent

Arrêt

1 Par arrêts du 22 octobre 1993, parvenus à la Cour le 28 du même mois, le Hoge Raad der Nederlanden a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, six questions préjudicielles relatives, d'une part, à l'interprétation du droit communautaire quant au pouvoir du juge national d'apprécier d'office la compatibilité d'une règle de droit national avec les articles 3, sous f), 5, 85, 86 et/ou 90 du traité CEE et, d'autre part, à l'interprétation de ces dispositions.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de deux litiges opposant MM. Van Schijndel (C-430/93) et Van Veen (C-431/93) au Stichting Pensioenfonds voor Fysiotherapeuten (Fonds des pensions pour physiothérapeutes, ci-après le "Fonds").

3 Par ordonnance du 2 décembre 1993, les deux affaires ont été jointes aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l'arrêt.

4 Selon l'article 2, paragraphe 1, de la Wet betreffende verplichte deelneming in een beroepspensioenregeling (loi néerlandaise sur l'affiliation obligatoire à un régime professionnel de pension, ci-après la "WVD"), le ministre des Affaires sociales est compétent pour rendre obligatoire, à la demande d'une ou de plusieurs organisations qu'il juge suffisamment représentatives des travailleurs de la branche professionnelle concernée, l'affiliation à un régime professionnel de pension établi par les membres de la profession pour toutes les catégories ou pour une ou plusieurs catégories déterminées d'entre eux. Selon l'article 2, paragraphe 4, de la même loi, l'affiliation implique, pour les personnes concernées, l'obligation de respecter les dispositions prises à leur égard par ou en vertu des statuts et des règlements du fonds de pension.

5 En 1978, les physiothérapeutes ont créé le Fonds. Selon l'article 2, paragraphe 1, du règlement de pension adopté par ce dernier, est affilié "tout physiothérapeute qui exerce une activité professionnelle en cette qualité aux Pays-Bas et n'a pas encore atteint l'âge de la retraite". Certaines catégories de physiothérapeutes en sont exclues. Ainsi en va-t-il notamment pour ceux qui "travaillent exclusivement dans les liens d'un contrat d'emploi en vertu duquel le régime de l'Algemene Burgerlijke Pensioenwet (loi générale portant sur les pensions civiles) ou une autre assurance pension au moins équivalente au régime du présent règlement s'applique, pourvu que les intéressés ° en respectant les dispositions de caractère administratif prescrites en la matière par l'article 25, paragraphe 3 ° fassent connaître au Fonds par écrit leur souhait à cet égard" [article 2, paragraphe 1, sous a)].

6 Par arrêté du 31 mars 1978, le secrétaire d'État aux Affaires sociales a, en application de l'article 2, paragraphe 1, de la WVD, rendu l'affiliation au Fonds obligatoire pour les physiothérapeutes qui exercent leur activité aux Pays-Bas. Comme le règlement du Fonds, l'arrêté du 31 mars 1978 exclut de cette obligation les physiothérapeutes qui "travaillent exclusivement dans les liens d'un contrat d'emploi en vertu duquel le régime de l'Algemene Burgerlijke Pensioenwet, ou une autre assurance pension au moins équivalente au régime professionnel de pension précité, s'applique, pourvu que les intéressés ° en respectant les dispositions de caractère administratif prescrites en la matière par le règlement de pension cité ° fassent connaître au Fonds par écrit leur souhait à cet égard".

7 En vertu des "règles conformes à l'article 2, paragraphe 1, sous a), du règlement de pension" qui ont été édictées par le Fonds, l'affiliation est obligatoire sauf dans le cas où l'assurance pension, contractée par un physiothérapeute exerçant sa profession dans le cadre d'un contrat de travail, s'applique à "tous les membres de la profession employés par la société à responsabilité limitée".

8 En application des dispositions prédécrites, les requérants, qui exercent aux Pays-Bas la profession de physiothérapeute comme travailleurs salariés, ont demandé à être exemptés de l'affiliation obligatoire au régime professionnel de pensions des physiothérapeutes. Le Fonds a rejeté leur demande au motif que le régime de pension auquel les requérants avaient adhéré en contractant avec la compagnie d'assurances Delta Lloyd n'était pas applicable à tous les membres de la profession employés par l'employeur concerné (ci-après l'"exigence de collectivité"). Il a par conséquent adressé aux deux demandeurs une injonction de poursuivre le paiement des cotisations dues au titre du régime de pension. Ces derniers s'y sont opposés, respectivement, devant le Kantonrechter te Breda et le Kantonrechter te Tilburg en faisant valoir que l'exigence de collectivité ne trouvait de fondement ni dans le règlement de pension du Fonds ni dans la WVD.

9 Le Kantonrechter te Breda a donné tort à M. Van Veen, tandis que le Kantonrechter te Tilburg a fait droit à la demande de M. Van Schijndel. En appel, le Rechtbank te Breda s'est rallié au point de vue défendu par le Fonds et a rejeté les demandes des deux requérants.

10 MM. Van Veen et Van Schijndel se sont pourvus en cassation contre ces décisions en faisant valoir notamment, pour la première fois au cours de cette procédure, que le Rechtbank te Breda aurait dû apprécier "au besoin d'office" la compatibilité de l'affiliation obligatoire litigieuse au Fonds avec les règles supérieures du droit communautaire, notamment les articles 3, sous f), 5, deuxième alinéa, 85 et 86 ainsi que 90, de même que les articles 52 à 58 et 59 à 66 du traité CEE. Ainsi, selon les requérants, l'obligation litigieuse pourrait priver de leur effet utile les règles de concurrence applicables aux organismes d'assurances pension et aux membres individuels de la profession dans la mesure où elle imposerait ou favoriserait la conclusion d'accords incompatibles avec les règles de concurrence communautaires ou en renforcerait les effets. En outre, le Fonds ne pourrait pas satisfaire à la demande du marché, du moins à la demande d'assurances pension équivalentes à des conditions plus attrayantes.

11 Le Hoge Raad constate à cet égard que les demandeurs se sont prévalus, pour étayer leur moyen en cassation, de nombreux faits et circonstances qui n'ont pas été établis par le Rechtbank te Breda ni invoqués à l'appui de leurs demandes devant les juridictions inférieures. Or, selon la juridiction de renvoi, en droit néerlandais, la nature du moyen de cassation implique que de nouvelles allégations ne peuvent être invoquées que si elles sont de pur droit, c'est-à-dire qu'elles ne requièrent pas un examen des faits. En outre, même si l'article 48 du code de procédure civile néerlandais oblige le juge, au besoin, à soulever d'office les moyens de droit, le principe de la passivité du juge dans les affaires portant sur des droits et obligations civils dont les parties disposent librement implique que les moyens de droit suppléés ne contraignent pas le juge à sortir des limites du litige tel qu'il a été circonscrit par les parties ni à se fonder sur d'autres faits et circonstances que ceux qui fondent la demande.

12 Compte tenu de ce qui précède, le Hoge Raad a décidé de surseoir à statuer et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Appartient-il au juge civil national, dans une procédure portant sur des droits et obligations civils dont les parties disposent librement, d'appliquer les dispositions des articles 3, sous f), 5, 85, 86 et/ou 90 du traité instituant la Communauté économique européenne même lorsque la partie qui a intérêt à leur application ne les a pas invoquées?

2) S'il convient de répondre en principe par l'affirmative à la première question, cette réponse est-elle valable si, ce faisant, le juge en question doit renoncer à la passivité qui lui incombe parce qu'il devrait a) sortir des limites du litige circonscrit par les parties et/ou b) se fonder sur d'autres faits et circonstances que ceux sur lesquels la partie au litige qui a intérêt à l'application des dispositions du traité a fondé sa demande?

3) S'il convient également de répondre par l'affirmative à la deuxième question, les dispositions du traité citées à la première question peuvent-elles être invoquées pour la première fois devant un juge de cassation national si a) selon le droit procédural applicable en l'espèce, de nouvelles allégations ne peuvent être avancées en cassation que si elles sont de nature purement juridique ° c'est-à-dire ne requièrent pas un examen des faits et valent en toutes circonstances ° et b) le fait d'invoquer les dispositions en question requiert notamment un examen des faits?

4) A la lumière de l'esprit de la Wet betreffende verplichte deelneming in een beroepspensioenregeling (WVD) esquissé au paragraphe 3.1, sous A), v), ci-dessus, un fonds professionnel de pension auquel tous les membres d'une profession ou une ou plusieurs catégories déterminées d'entre eux sont tenus d'adhérer en vertu et en application de la WVD, avec les effets juridiques, brièvement indiqués au paragraphe 3.1, sous A), ci-dessus, qu'y attache cette loi, doit-il être considéré comme une entreprise au sens des articles 85, 86 ou 90 du traité?

5) Dans l'affirmative, le fait de rendre obligatoire l'affiliation au fonds professionnel de pension des physiothérapeutes visé au paragraphe 3.1, sous B), constitue-t-il une mesure édictée par un État membre qui supprime l'effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises, ou n'est-ce le cas que dans certaines circonstances et, dans cette dernière hypothèse, lesquelles?

6) S'il convient de répondre à la dernière question par la négative, d'autres circonstances peuvent-elles alors rendre l'obligation d'affiliation contraire aux dispositions de l'article 90 et, dans l'affirmative, lesquelles?"

Sur la première question

13 Il y a lieu de relever que les règles de concurrence mentionnées par la juridiction nationale sont des règles contraignantes, directement applicables dans l'ordre juridique national. Dès lors que, en vertu du droit national, les juridictions doivent soulever d'office les moyens de droit tirés d'une règle interne de nature contraignante, qui n'auraient pas été avancés par les parties, une telle obligation s'impose également, s'agissant des règles communautaires contraignantes (voir, notamment, arrêt du 16 décembre 1976, Rewe, 33/76, Rec. p. 1989, point 5).

14 Il en est de même si le droit national confère au juge la faculté d'appliquer d'office la règle de droit contraignante. En effet, il incombe aux juridictions nationales, par application du principe de coopération énoncé à l'article 5 du traité, d'assurer la protection juridique découlant pour les justiciables de l'effet direct des dispositions du droit communautaire (voir, notamment, arrêt du 19 juin 1990, Factortame e.a., C-213/89, Rec. p. I-2433, point 19).

15 Il y a lieu, dès lors, de répondre à la première question que, dans une procédure portant sur des droits et obligations civils dont les parties disposent librement, il appartient au juge national d'appliquer les dispositions des articles 3, sous f), 85, 86 et 90 du traité, même lorsque la partie qui a intérêt à leur application ne les a pas invoquées, dans le cas où son droit national lui permet une telle application.

Sur la deuxième question

16 Par cette question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si une telle obligation existe également dans le cas où, pour appliquer d'office les règles communautaires précitées, le juge devrait renoncer à la passivité qui lui incombe, en sortant des limites du litige tel qu'il a été circonscrit par les parties et/ou en se fondant sur d'autres faits et circonstances que ceux sur lesquels la partie au litige qui a intérêt à l'application des dispositions du traité a fondé sa demande.

17 A cet égard, il y a lieu de rappeler que, en l'absence de réglementation communautaire en la matière, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l'effet direct du droit communautaire. Toutefois, ces modalités ne peuvent être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne ni rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire (voir, notamment, arrêts Rewe, précité, point 5; du 16 décembre 1976, Comet, 45/76, Rec. p. 2043, points 12 à 16; du 27 février 1980, Just, 68/79, Rec. p. 501, point 25; du 9 novembre 1983, San Giorgio, 199/82, Rec. p. 3595, point 14; du 25 février 1988, Bianco et Girard, 331/85, 376/85 et 378/85, Rec. p. 1099, point 12; du 24 mars 1988, Commission/Italie, 104/86, Rec. p. 1799, point 7; du 14 juillet 1988, Jeunehomme et EGI, 123/87 et 330/87, Rec. p. 4517, point 17; du 9 juin 1992, Commission/Espagne, C-96/91, Rec. p. I-3789, point 12; et du 19 novembre 1991, Francovich e.a., C-6/90 et C-9/90, Rec. p. I-5357, point 43).

18 Il y a lieu de rappeler également que la Cour a déjà jugé qu'une règle de droit national empêchant la mise en oeuvre de la procédure prévue à l'article 177 du traité doit être écartée (voir arrêt du 16 janvier 1974, Rheinmuehlen, 166/73, Rec. p. 33, points 2 et 3).

19 Pour l'application de ces principes, chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l'application du droit communautaire doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l'ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il y a lieu de prendre en considération, s'il échet, les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de la sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure.

20 En l'occurrence, il convient de relever que le principe de droit national selon lequel, dans une procédure civile, le juge doit ou peut soulever d'office des moyens est limité par l'obligation, pour celui-ci, de s'en tenir à l'objet du litige et de baser sa décision sur les faits qui ont été présentés devant lui.

21 Cette limitation est justifiée par le principe selon lequel l'initiative d'un procès appartient aux parties, le juge ne pouvant agir d'office que dans des cas exceptionnels où l'intérêt public exige son intervention. Ce principe met en oeuvre des conceptions partagées par la plupart des États membres quant aux relations entre l'État et l'individu, protège les droits de la défense et assure le bon déroulement de la procédure, notamment, en la préservant des retards inhérents à l'appréciation des moyens nouveaux.

22 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la deuxième question que le droit communautaire n'impose pas aux juridictions nationales de soulever d'office un moyen tiré de la violation de dispositions communautaires, lorsque l'examen de ce moyen les obligerait à renoncer à la passivité qui leur incombe, en sortant des limites du litige tel qu'il a été circonscrit par les parties et en se fondant sur d'autres faits et circonstances que ceux sur lesquels la partie qui a intérêt à l'application desdites dispositions a fondé sa demande.

Sur les autres questions

23 Compte tenu des réponses apportées aux deux premières questions, il n'est pas nécessaire de répondre à la troisième. Il n'y a pas lieu non plus de répondre aux autres questions qui n'ont été posées que dans le cas où il serait décidé que le Hoge Raad doit apprécier un moyen tel que celui soulevé par les parties au principal.

Sur les dépens

24 Les frais exposés par les gouvernements néerlandais, allemand, hellénique, espagnol, français, irlandais et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par le Hoge Raad der Nederlanden, par arrêts du 22 octobre 1993, dit pour droit:

1) Dans une procédure portant sur des droits et obligations civils dont les parties disposent librement, il appartient au juge national d'appliquer les dispositions des articles 3, sous f), 85, 86 et 90 du traité CEE, même lorsque la partie qui a intérêt à leur application ne les a pas invoquées, dans le cas où son droit national lui permet une telle application.

2) Le droit communautaire n'impose pas aux juridictions nationales de soulever d'office un moyen tiré de la violation de dispositions communautaires, lorsque l'examen de ce moyen les obligerait à renoncer à la passivité qui leur incombe, en sortant des limites du litige tel qu'il a été circonscrit par les parties et en se fondant sur d'autres faits et circonstances que ceux sur lesquels la partie qui a intérêt à l'application desdites dispositions a fondé sa demande.

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