Cour de justice des Communautés européennes15 juin 1994
Affaire n°C-137/92
Commission des Communautés européennes
c/
BASF AG et autres
61992J0137
Arrêt de la Cour
du 15 juin 1994.
Commission des Communautés européennes contre BASF AG, Limburgse Vinyl Maatschappij NV, DSM NV, DSM Kunststoffen BV, Hüls AG, Elf Atochem SA, Société artésienne de vinyle SA, Wacker Chemie GmbH, Enichem SpA, Hoechst AG, Imperial Chemical Industries plc, Shell International Chemical Company Ltd et Montedison SpA.
Pourvoi - Concurrence - Décision de la Commission - Inexistence.
Affaire C-137/92P.
Recueil de Jurisprudence 1994 page I-2555
1. Procédure - Délais - Délai de distance - Application aux institutions communautaires - Modalités
(Règlement de procédure de la Cour, art. 81, § 2; annexe II, art. 1er)
2. Actes des institutions - Présomption de validité - Acte inexistant - Notion
(Traité CEE, art. 189)
3. Commission - Principe de collégialité - Portée
(Traité de fusion, art. 17)
4. Concurrence - Procédure administrative - Décision constatant une infraction - Motivation - Obligation incombant au collège - Modification après adoption - Illégalité
[Traité CEE, art. 85 et suiv. et 190; traité de fusion, art. 17; règlement du Conseil n° 17, art. 3, § 1, et 15, § 2, sous a)]
5. Concurrence - Procédure administrative - Décision constatant une infraction - Adoption sur habilitation - Atteinte au principe de collégialité - Illégalité
[Traité CEE, art. 85 et suiv.; traité de fusion, art. 17; règlement du Conseil n° 17, art. 3, § 1, et 15, § 2, sous a)]
6. Recours en annulation - Moyens - Violation des formes substantielles - Violation des dispositions du règlement intérieur de la Commission relatives à l'authentification de ses actes dans les langues faisant foi
(Traité CEE, art. 173; traité de fusion, art. 17; règlement intérieur de la Commission, art. 12)
1. Si les délais de procédure répondent à des exigences de sécurité juridique, les différents suppléments de temps prévus dans la décision de la Cour sur les délais de distance sont destinés à tenir compte des difficultés auxquelles se trouvent confrontées les parties en raison de leur plus ou moins grand éloignement du siège de la Cour de justice et à les mettre ainsi sur un pied d'égalité. L'attribution des délais de distance doit donc se faire en fonction de l'endroit où les parties sont habituellement installées et où sont prises des décisions relatives à leur activité.
En ce qui concerne la Commission, il importe de constater que, avant que la décision prise du commun accord des représentants des gouvernements des États membres relative à la fixation des sièges des institutions et de certains organismes et services des Communautés fixe son siège à Bruxelles, elle était déjà effectivement dirigée à partir de cet endroit, qui constituait l'un des lieux de travail provisoires des institutions. Le fait que certains de ses services étaient et restent installés à Luxembourg est à cet égard sans pertinence.
Par conséquent, la Commission doit bénéficier du délai de distance prévu pour les personnes ayant leur résidence habituelle en Belgique.
2. Si les actes des institutions communautaires jouissent, en principe, d'une présomption de légalité et produisent des effets juridiques, même s'ils sont entachés d'irrégularités, aussi longtemps qu'ils n'ont pas été annulés ou retirés, par exception à ce principe, les actes entachés d'une irrégularité dont la gravité est si évidente qu'elle ne peut être tolérée par l'ordre juridique communautaire doivent être réputés n'avoir produit aucun effet juridique, même provisoire, c'est-à-dire regardés comme juridiquement inexistants. Cette exception vise à préserver un équilibre entre deux exigences fondamentales, mais parfois antagonistes, auxquelles doit satisfaire un ordre juridique, à savoir la stabilité des relations juridiques et le respect de la légalité.
La gravité des conséquences qui se rattachent à la constatation de l'inexistence d'un acte des institutions postule que, pour des raisons de sécurité juridique, cette constatation soit réservée à des hypothèses tout à fait extrêmes.
Tel n'est pas le cas dans une situation où, quels que puissent être les vices dont est entachée une décision, il est constant que la Commission a effectivement décidé d'en adopter le dispositif, et où, par ailleurs, les irrégularités de compétence et de forme qui concernent la procédure d'adoption de la décision n'apparaissent pas d'une gravité à ce point évidente que celle-ci doive être regardée comme juridiquement inexistante.
3. Le fonctionnement de la Commission est régi par le principe de collégialité découlant de l'article 17 du traité de fusion, disposition remplacée par l'article 163 du traité CE. Ce principe repose sur l'égalité des membres de la Commission dans la participation à la prise de décision et implique notamment, d'une part, que les décisions soient délibérées en commun et, d'autre part, que tous les membres du collège soient collectivement responsables, sur le plan politique, de l'ensemble des décisions arrêtées.
4. Le respect du principe de collégialité, et spécialement la nécessité que les décisions soient délibérées en commun, intéresse nécessairement les sujets de droit concernés par les effets juridiques qu'elles produisent, en ce sens qu'ils doivent être assurés que ces décisions ont été effectivement prises par le collège et correspondent exactement à la volonté de ce dernier.
Tel est le cas, en particulier, des actes, qualifiés expressément de décisions, que la Commission est amenée à prendre à l'égard des entreprises ou associations d'entreprises en vue du respect des règles de concurrence et qui ont pour objet de constater une infraction à ces règles, d'émettre des injonctions à l'égard de ces entreprises et de leur infliger des sanctions pécuniaires.
De telles décisions doivent être obligatoirement motivées en vertu de l'article 190 du traité CEE qui exige que la Commission expose les raisons qui l'ont amenée à arrêter une décision, afin de permettre à la Cour d'exercer son contrôle et de faire connaître tant aux États membres qu'aux personnes physiques ou morales intéressées les conditions dans lesquelles elle a fait application du traité. Le dispositif et la motivation d'une décision constituant un tout indivisible, c'est uniquement au collège qu'il appartient, en vertu du principe de collégialité, d'adopter à la fois l'un et l'autre. Cela implique que seules des adaptations purement orthographiques ou grammaticales peuvent encore être apportées, par les services de la Commission, au texte d'un acte après son adoption formelle par le collège, toute autre modification étant du ressort exclusif de ce dernier.
5. Les décisions de la Commission constatant une infraction aux règles de concurrence du traité ne peuvent, sans violer le principe de collégialité, faire l'objet d'une habilitation, au sens de l'article 27 de son règlement intérieur, en faveur du membre responsable de la politique de la concurrence.
6. L'authentification des actes prévue à l'article 12, premier alinéa, du règlement intérieur de la Commission a pour but d'assurer la sécurité juridique en figeant, dans les langues faisant foi, le texte adopté par le collège. Elle permet ainsi de vérifier, en cas de contestation, la correspondance parfaite des textes notifiés ou publiés avec ce dernier et, par là même, avec la volonté de leur auteur. Il en découle que l'authentification constitue une forme substantielle au sens de l'article 173 du traité CEE, dont la violation peut donner lieu à un recours en annulation.
Dans l'affaire C-137/92 P,
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. C. Timmermans, directeur général adjoint du service juridique, J. Amphoux, conseiller juridique principal, G. Marenco et G. zur Hausen, conseillers juridiques, J. Currall et B. J. Drijber, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. G. Kremlis, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
partie requérante,
ayant pour objet un pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 27 février 1992 par le Tribunal de première instance des Communautés européennes dans les affaires T-79/89, T-84/89, T-85/89, T-86/89, T-89/89, T-91/89, T-92/89, T-94/89, T-96/89, T-98/89, T-102/89 et T-104/89 (Rec. p. II-315) et tendant, d'une part, à l'annulation de cet arrêt et, d'autre part, à ce que les affaires soient renvoyées devant le Tribunal pour qu'il statue sur les autres moyens soulevés par les parties requérantes et non abordés dans l'arrêt,
les autres parties à la procédure étant:
BASF AG, ayant son siège social à Ludwigshafen (République fédérale d'Allemagne), représentée par Me F. Hermanns, avocat à Duesseldorf, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Mes Loesch & Wolter, 11, rue Goethe,
Limburgse Vinyl Maatschappij NV (LVM), ayant son siège social à Tessenderlo (Belgique), représentée par Me I. G. F. Cath, avocat au barreau de La Haye, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me L. H. Dupong, 14 A, rue des Bains,
DSM NV et DSM Kunststoffen BV, ayant leur siège social à Heerlen (Pays-Bas), représentées par Me I. G. F. Cath, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me L. H. Dupong, 14 A, rue des Bains,
Huels AG, ayant son siège social à Marl (République fédérale d'Allemagne), représentée par Me H. J. Herrmann, avocat à Cologne, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Mes Loesch & Wolter, 11, rue Goethe,
Elf Atochem SA, anciennement Atochem SA, ayant son siège à Puteaux (France), représentée par Mes X. de Roux et Ch.-H. Léger, avocats au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Mes Hoss & Elvinger, 15, Côte d'Eich,
Société artésienne de vinyle SA, ayant son siège social à Paris, représentée par Me B. van de Walle de Ghelcke, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Mes Loesch & Wolter, 11, rue Goethe,
Wacker Chemie GmbH, ayant son siège social à Munich (République fédérale d'Allemagne), représentée par Me H. Hellmann, avocat à Cologne, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Mes Loesch & Wolter, 11, rue Goethe,
Enichem SpA, ayant son siège social à Milan (Italie), représentée par Mes M. Siragusa, avocat au barreau de Rome, et G. Scassellati Sforzolini, avocat au barreau de Bologne, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Mes Arendt & Medernach, 4, avenue Marie-Thérèse,
Hoechst AG, ayant son siège social à Francfort-sur-le-Main (République fédérale d'Allemagne), représentée par Me H. Hellmann, avocat à Cologne, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Mes Loesch & Wolter, 11 rue Goethe,
Imperial Chemical Industries plc (ICI), ayant son siège social à Londres, représentée par MM. D. A. J. Vaughan, QC, et D. W. K. Anderson, barrister, et MM. V. O. White et R. J. Coles, solicitors, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me L. H. Dupong, 14 A, rue des Bains,
Shell International Chemical Company Ltd, ayant son siège social à Londres, représentée par MM. K. B. Parker, QC, et J. W. Osborne, solicitor, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me J. Hoss, 15, Côte d'Eich,
Montedison SpA, ayant son siège social à Milan (Italie), représentée par Mes G. Aghina et G. Celona, avocats au barreau de Milan, ainsi que par Me P. A. M. Ferrari, avocat au barreau de Rome, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me G. Margue, 20, rue Philippe II,
LA COUR,
composée de MM. O. Due, président, G. F. Mancini (rapporteur), J. C. Moitinho de Almeida, M. Diez de Velasco et D. A. O. Edward, présidents de chambre, C. N. Kakouris, R. Joliet, F. A. Schockweiler, G. C. Rodríguez Iglesias, F. Grévisse, M. Zuleeg, P. J. G. Kapteyn et J. L. Murray, juges,
avocat général: M. W. Van Gerven,
greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 17 mars 1993 au cours de laquelle Enichem SpA était représentée par Mes M. Siragusa et F. Moretti, avocat au barreau de Bologne,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 29 juin 1993,
rend le présent
Arrêt
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 29 avril 1992, la Commission des Communautés européennes a, en vertu de l'article 49 du statut (CEE) de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du 27 février 1992, BASF e.a./Commission (T-79/89, T-84/89, T-85/89, T-86/89, T-89/89, T-91/89, T-92/89, T-94/89, T-96/89, T-98/89, T-102/89 et T-104/89, Rec. p. II-315), dans lequel le Tribunal de première instance a déclaré inexistant l'acte intitulé "Décision 89/190/CEE de la Commission, du 21 décembre 1988, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV 31.865, PVC)", notifié aux requérantes et publié au Journal officiel des Communautés européennes L 74 du 17.3.1989 (p. 1), et a rejeté comme irrecevables les recours en annulation introduits devant lui contre cette décision.
Les faits et le déroulement de la procédure devant le Tribunal de première instance
2 Il ressort de l'arrêt du Tribunal que les défenderesses au pourvoi, entreprises actives dans le secteur du polychlorure de vinyle (PVC), ont demandé l'annulation de la décision 89/190, précitée, par laquelle la Commission a constaté qu'elles avaient enfreint l'article 85 du traité en participant à un accord et/ou à une pratique concertée. Selon cette décision, les producteurs approvisionnant en PVC le territoire du marché commun avaient en effet assisté à des réunions périodiques afin de fixer des prix "cibles" et des quotas "cibles", de planifier des initiatives concertées visant à élever le niveau des prix et de surveiller la mise en oeuvre de ces arrangements collusoires (article 1er). En outre, lesdites entreprises se sont vu enjoindre de mettre fin aux infractions constatées, de s'abstenir à l'avenir des pratiques incriminées (article 2) et de payer des amendes individuelles (article 3).
3 Les requérantes ayant contesté à plusieurs égards la procédure d'adoption et de notification de la décision, le Tribunal a procédé à une instruction approfondie, et demandé à la Commission, dans un premier temps, de produire le procès-verbal de la réunion du collège des commissaires du 21 décembre 1988 ainsi que le texte de la décision telle qu'elle avait été adoptée à cette date.
4 La Commission ayant produit les pages 41 à 43 dudit procès-verbal ainsi que trois projets de décision, datés du 14 décembre 1988 et rédigés en langues allemande, anglaise et française, le Tribunal, suite aux débats qui ont eu lieu devant lui au sujet de ces documents, a enjoint à la Commission de produire une copie certifiée conforme de l'original de la décision litigieuse, telle qu'adoptée le 21 décembre 1988 et authentifiée dans les conditions prévues par le règlement intérieur de l'institution, et ce dans les différentes versions linguistiques dans lesquelles cette décision avait été adoptée.