COUR DE CASSATION
Chambre civile
Audience du 9 février 1937
Dame veuve Dewailly et autres
C/
Société Le Progrès de la Somme
LA COUR ;
Sur le premier moyen :
Attendu que par délibération du 24 mai 1919, l'assemblée générale de la Société Le Progrès de la Somme a modifié l'art. 12 des statuts de ladite société et étendu le droit de préemption des associés à tous les cas de déclaration de transfert des actions, qu'il s'agisse d'une cession à titre onéreux ou d'une transmission à titre gratin; que par une deuxième délibération en date du 14 mars 1925, le droit de préemption, qui jusque là appartenait individuellement à tout associé, a été réservé au conseil d'administration au profit de la société ;
Attendu que le pourvoi reproche à l'arrêt attaqué d'avoir violé l'art. 31, alin. 1er, de la loi du 24 juill. 1867, modifié par la loi du 22 nov. 1913, en refusant d'annuler ces délibérations comme constituant une augmentation des engagements des actionnaires ;
Mais attendu qu'aux termes des textes précités, l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires d'une société anonyme peut, au moyen d'une délibération prise dans les conditions de forme requise la loi, modifier les statuts dans toutes leurs dispositions, eus réserve de ne pas changer la nationalité de la société ni d'augmenter les engagements des actionnaires ;
Attendu que le principe ainsi pose par la loi comportant la faculté pour l'assemblée générale de modifier toutes les dispositions statutaires, la réserve qu'elle formule relativement à l'augmentation des engagements déroge à la règle générale et doit, en conséquence, être interprétée restrictivement ;
Attendu que les engagements des actionnaires primitifs ne sont augmentés que si les dispositions prises par l'assemblée générale entraînent une aggravation de la dette contractée par eux envers la société ou envers les tiers ; que la réglementation du droit de préemption et les restrictions apportées à la cessibilité des actions, si elles peuvent constituer une diminution des droits des actionnaires, ne constituent cependant pas une augmentation de leurs engagements ;
Attendu que le pourvoi ajoute qu'à supposer même la validité intrinsèque des délibérations des 24 mai 1919 et 14 mars 1925, l'exercice par l'assemblée générale de ses pouvoirs a constitué, dans les circonstances de espèce, un véritable abus du droit viciant lesdites délibérations ;
Mais attendu, en ce qui concerne la délibération du 14 mars 1925, que l'arrêt attaqué en a précisément prononcé la nullité comme constituant effectivement un abus de droit ; que, dès lors, le pourvoi est sur ce point sans objet ; qu'en ce qui concerne la délibération du 24 mai 1919, l'arrêt ne relève aucun fait pouvant justifier la rétention du pourvoi, alors que les dispositions votées par 'assemblée générale ont été régulières et valablement prises ; qu'il suit de là que le moyen n'est pas fondé.
Sur le deuxième moyen :
Attendu que les demandeurs au pourvoi font grief à l'arrêt d'avoir violé les art. 28 et suiv. de la loi du 24 juill. 1867, en déclarant régulière la délibération de l'assemblée générale du 24 mai 1919, sans exiger la production du registre des transferts, formellement réclamée par eux, production ri constituerait, suivant eux, le seul moyen de vérifier la régularité de l'assemblée ;
Mais attendu, d'une part, que si l'art. 35 de la loi du 24 juill. 1867 dispose que tout actionnaire peut prendre communication de la liste des actionnaires, cette communication doit être faite au siège social et seulement dans les quinze jours qui précèdent la tenue de l'assemblée générale ; que si les statuts de la société permettent aux seuls actionnaires ayant cette qualité depuis plus de six mois de prendre part à l'assemblée, il ne s'ensuit pas que les actionnaires aient le droit d'exiger la production du registre des transferts après la tenue de l'assemblée générale pour vérifier la régularité de celle-ci ;
Attendu d'autre part, que si le procès-verbal de la délibération d'une assemblée générale, tenue en conformité des prescriptions de l'art. 28 de la loi du 24 juill. 1867, fait foi jusqu'à preuve contraire de son contenu, il est toujours loisible aux intéressés d'établir par tous les autres moyens la régularité ou l'irrégularité d'une délibération ;
Attendu qu'en l'espèce l'art. 33 des statuts réservait aux seuls actionnaires dont le titre avait été transféré depuis plus de six mois, le droit de prendre part aux assemblées générales ; que l'arrêt attaqué a décidé que la Société Le Progrès de la Somme avait établi par des constats effectués sur son registre de transfert que la délibération prise par l'assemblée générale le 24 mai 1919 l'avait été régulièrement et que le quorum requis avait été atteint dans les conditions prévues par les statuts ; que faire ces constatations souveraines l'arrêt a légalement Justifié sa décision et qu'ainsi le moyen n'est pas fondé.
Sur le moyen additionnel :
Attendu que le pourvoi soutient qu'en étendant le droit de préemption aux transferts par suite de succession ou de testament, la délibération de l'assemblée générale a fait un pacte sur succession future interdit par la loi ;
Mais attendu qu'aux termes de l'art. 1868 c. civ., s'il a été stipulé qu'en cas de mort de l'un des associés la société continuerait avec les associés survivants, ces dispositions seront suivies ;
Attendu, en conséquence, qu'on ne saurait invoquer l'art. 1130 c. civ. à l'appui d'une nullité de la délibération des assemblées générales des actionnaires d'une société étendant le droit de préemption des associés en cas de transmission des actions par voie de succession ;
Par ces motifs, rejette.