TA Montreuil, du 21-05-2024, n° 2108543
A34665HT
Référence
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 juin 2021 et 30 mai 2023, Mme B D, représentée par Me Pitti-Ferrandi, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision implicite née le 19 mai 2021 par laquelle le maire de la commune de Montreuil a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit procédé à son évaluation professionnelle au titre des années 2018 et 2019 ;
2°) d'enjoindre au maire de la commune de Montreuil de procéder à son évaluation professionnelle au titre des années 2018 et 2019 ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Montreuil la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable ;
- le mémoire en défense présenté par la commune de Montreuil et les pièces jointes qui l'accompagnent sont irrecevables, en l'absence d'une délégation de signature régulièrement publiée autorisant Mme E F à signer les mémoires établis dans le cadre de la défense des intérêts de la commune devant les juridictions administratives ;
- la décision attaquée est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation dès lors qu'elle aurait dû bénéficier d'une évaluation professionnelle au titre des années 2018 et 2019 en application de l'article 76 de la loi du 26 janvier 1984🏛 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et de l'article 2 du décret du 16 décembre 2014🏛 relatif à l'appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires territoriaux.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 28 avril 2023 et 14 juin 2023, la commune de Montreuil, représentée par son maire en exercice, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- la décision implicite attaquée est inexistante dès lors que la demande du 18 mars 2021 est présentée pour Mme A, et non pour Mme D ;
- ses mémoires en défense sont recevables ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 14 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 juin 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983🏛 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984🏛 ;
- le décret n° 2006-1691 du 22 décembre 2006🏛 ;
- le décret n° 2014-1526 du 16 décembre 2014🏛 ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné Mme Bazin, conseillère, pour statuer sur les litiges prévus à l'article R. 222-13 du code de justice administrative🏛.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bazin, rapporteure,
- et les conclusions de M. Colera, rapporteur public.
1. Mme D est agente titulaire, relevant du cadre d'emplois des agents techniques territoriaux, au sein de la commune de Montreuil depuis le 4 juin 2005. Elle y occupe le poste d'agent d'entretien. Par un courrier du 18 mars 2021, reçu le 19 mars 2021, elle a saisi le maire de la commune de Montreuil d'une demande tendant à ce qu'il soit procédé à son évaluation professionnelle au titre des années 2018 et 2019. Le silence gardé pendant plus de deux mois sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet. Par la présente requête, Mme D demande l'annulation de la décision implicite née le 19 mai 2021 par laquelle le maire de la commune de Montreuil a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit procédé à son évaluation professionnelle au titre des années 2018 et 2019.
Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune de Montreuil :
2. Il ressort des pièces du dossier que, comme le fait valoir la commune de Montreuil, le courrier du 18 mars 2021, rédigé par le conseil de Mme D, indique que " Mme A " entend demander par les présentes à bénéficier d'une évaluation professionnelle au titre des années 2018 et 2019. Toutefois, il est indiqué sans ambiguïté en en-tête et objet de ce même courrier " Recours gracieux en demande d'évaluation professionnelle de Mme B D au titre des années 2018 et 2019 ". Par ailleurs, le nom de Mme D est ensuite mentionné à plusieurs reprises, notamment à la fin du courrier où il est écrit " Ainsi, par les présentes, Mme D entend formaliser sa demande qu'il soit procédé à l'appréciation de sa valeur professionnelle au titre des années 2018 et 2019 ", alors que le nom de Mme A n'apparaît par erreur qu'une seule fois dans ce courrier. Dès lors, cette mention doit être regardée comme une simple erreur de plume. Par suite, le silence gardé pendant deux mois par le maire de la commune de Montreuil a bien fait naître une décision implicite de rejet susceptible de faire l'objet d'un recours en excès de pouvoir. La fin de non-recevoir soulevée à ce titre doit donc être écartée.
Sur la recevabilité du mémoire en défense :
3. Aux termes l'article L. 2122-19 du code général des collectivités territoriales🏛 : " Le maire peut donner, sous sa surveillance et sa responsabilité, par arrêté, délégation de signature : / 1° Au directeur général des services et au directeur général adjoint des services de mairie ; () ". Aux termes de l'article L. 2122-22 du même code : " Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : () / 16° D'intenter au nom de la commune les actions en justice ou de défendre la commune dans les actions intentées contre elle, dans les cas définis par le conseil municipal () ".
4. D'une part, il ressort des pièces du dossier que, par délibération du 29 juin 2022, le conseil municipal de la commune de Montreuil a donné délégation permanente au maire pour la durée de son mandat pour défendre la commune dans les actions intentées contre elle. D'autre part, par un arrêté du 19 décembre 2022, transmis en préfecture et publié le même jour, Mme E F, directrice adjointe des services, a reçu délégation permanente de signature pour tous les actes et correspondances concernant la commune dans le cadre de ses fonctions, en particulier pour les correspondances avec les juridictions administratives, " notamment lorsqu'elles portent sur la communication de mémoires ou pièces administratives liées à l'instruction ". Par suite, l'exception tirée de l'incompétence de la signataire des mémoires en défense doit être écartée.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
5. Aux termes de l'article 17 de la loi du 13 juillet 1983🏛 portant droits et obligations des fonctionnaires, désormais codifié à l'article L. 521-1 du code général de la fonction publique : " La valeur professionnelle des fonctionnaires fait l'objet d'une appréciation qui se fonde sur une évaluation individuelle donnant lieu à un compte rendu qui leur est communiqué ". Aux termes de l'article 76 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, désormais codifié à l'article L. 521-1 et suivants du même code : " L'appréciation, par l'autorité territoriale, de la valeur professionnelle des fonctionnaires se fonde sur un entretien professionnel annuel conduit par le supérieur hiérarchique direct qui donne lieu à l'établissement d'un compte rendu. () ". Aux termes de l'article 2 du décret du 16 décembre 2014 relatif à l'appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires territoriaux : " Le fonctionnaire bénéficie chaque année d'un entretien professionnel qui donne lieu à compte rendu. / Cet entretien est conduit par le supérieur hiérarchique direct. / La date de l'entretien est fixée par le supérieur hiérarchique direct en fonction, notamment, du calendrier de la commission administrative paritaire dont relève l'agent évalué ". Aux termes de l'article 3 du même décret : " L'entretien professionnel porte principalement sur : / 1° Les résultats professionnels obtenus par le fonctionnaire eu égard aux objectifs qui lui ont été assignés et aux conditions d'organisation et de fonctionnement du service dont il relève ; / 2° Les objectifs assignés au fonctionnaire pour l'année à venir et les perspectives d'amélioration de ses résultats professionnels, compte tenu, le cas échéant, des évolutions prévisibles en matière d'organisation et de fonctionnement du service ; / 3° La manière de servir du fonctionnaire ; / 4° Les acquis de son expérience professionnelle ; / 5° Le cas échéant, ses capacités d'encadrement ; / 6° Les besoins de formation du fonctionnaire eu égard, notamment, aux missions qui lui sont imparties, aux compétences qu'il doit acquérir et à son projet professionnel ainsi que l'accomplissement de ses formations obligatoires. 7° Les perspectives d'évolution professionnelle du fonctionnaire en termes de carrière et de mobilité () ". Aux termes de l'article 4 du même décret : " Les critères à partir desquels la valeur professionnelle du fonctionnaire est appréciée, au terme de cet entretien, sont fonction de la nature des tâches qui lui sont confiées et du niveau de responsabilité assumé. Ces critères, fixés après avis du comité technique, portent notamment sur : / 1° Les résultats professionnels obtenus par l'agent et la réalisation des objectifs ; / 2° Les compétences professionnelles et techniques ; / 3° Les qualités relationnelles ; / 4° La capacité d'encadrement ou d'expertise ou, le cas échéant, à exercer des fonctions d'un niveau supérieur ". Aux termes de l'article 15 du décret du 22 décembre 2006🏛 portant statut particulier du cadre d'emplois des adjoints techniques territoriaux : " La valeur professionnelle des membres de ce cadre d'emplois est appréciée dans les conditions prévues par le décret n° 2014 1526 du 16 décembre 2014 relatif à l'appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires territoriaux. ".
6. S'il résulte des dispositions précédemment précitées de l'article 76 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale que, sauf dérogation prévue par les statuts particuliers, l'évaluation de la valeur professionnelle du fonctionnaire doit faire l'objet chaque année d'un entretien par le supérieur hiérarchique donnant lieu à l'établissement d'un compte-rendu visé par l'autorité territoriale, l'application de ces dispositions est subordonnée à la présence effective du fonctionnaire au cours de l'année en cause pendant une durée suffisante, eu égard notamment à la nature des fonctions exercées, pour permettre à son chef de service d'apprécier sa valeur professionnelle.
7. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme D a été placée en congé de longue durée du 21 juin 2015 au 30 septembre 2018. Elle a ensuite repris ses fonctions à compter du 1er octobre 2018 à temps partiel pour raison thérapeutique pour une durée de trois mois. À compter du 13 septembre 2019, Mme D a été placée en congé de longue durée jusqu'au 2 juin 2021, puis a été mise en disponibilité d'office du 3 juin 2021 au 2 juin 2022. Il est constant que la valeur professionnelle de Mme D n'a pas été évaluée au titre des années 2018 et 2019.
8. D'une part, s'agissant de l'année 2018, il est constant que Mme D a exercé ses fonctions d'agent d'entretien pendant trois mois. Si, en défense, la commune de Montreuil fait valoir que, compte tenu de la période de présence, il n'y avait pas lieu de procéder à une évaluation professionnelle pour cette période, celle-ci n'apporte aucune pièce ou précision de nature à établir que la nature des tâches accomplies par l'intéressée rendait effectivement impossible toute évaluation professionnelle au titre de l'année 2018. Ainsi, la durée de présence de Mme D durant l'année 2018, compte tenu des fonctions exercées, et nonobstant la circonstance qu'elle était placée en mi-temps thérapeutique, était suffisante pour permettre à son supérieur hiérarchique de procéder à l'évaluation de sa valeur professionnelle.
9. D'autre part, s'agissant de l'année 2019, il est constant que Mme D a exercé ses fonctions pendant plus de neuf mois à temps complet. En défense, la commune de Montreuil fait valoir que l'intéressée était indisponible durant la période de campagne des entretiens professionnels annuels, à savoir du 6 janvier au 31 mars 2020, dès lors qu'elle était placée en congé de longue durée. Toutefois, il résulte des dispositions citées plus haut que l'entretien dont doit bénéficier un fonctionnaire pour l'évaluation de sa manière de servir au titre d'une période pendant laquelle il a occupé son poste relève des droits qu'il tient de sa situation statutaire d'activité, quand bien même l'intéressé serait placé en congé de maladie à la date de cet entretien. La participation de l'agent à cet entretien n'est pas, par ses caractéristiques, assimilable à l'accomplissement effectif des fonctions qu'il est dans l'impossibilité d'exercer en raison de la pathologie justifiant l'octroi d'un congé maladie et ne peut, en l'absence de contre-indication médicale sur ce point, justifier l'absence d'un entretien sur lequel est fondée l'évaluation de sa valeur professionnelle. Dans ces conditions, la circonstance que Mme D était placée en congé de maladie au moment de la campagne des entretiens professionnels au titre de l'année 2019 ne dispensait pas la commune de convoquer l'intéressée dans des délais lui permettant, à défaut d'entretien et dans la mesure compatible avec son état de santé, soit d'avoir un échange par visioconférence ou par téléphone, soit de faire parvenir des observations écrites avant la date fixée. En l'espèce, la commune de Montreuil n'établit pas, ni même n'allègue, avoir convoqué Mme D à un entretien professionnel, ni même avoir recherché une autre modalité d'organisation dans l'hypothèse où la situation médicale de l'intéressée aurait fait obstacle à la tenue de cet entretien.
10. Enfin, si la commune de Montreuil fait valoir que la requérante ne démontre pas en quoi l'absence d'entretien professionnel au titre des année 2018 et 2019 aurait une incidence sur sa carrière, cette circonstance est sans influence sur la légalité de la décision attaquée.
11. Dans ces conditions, en estimant qu'il n'était pas en mesure d'apprécier la valeur professionnelle de Mme D, le maire de la commune de Montreuil a méconnu les dispositions précitées de l'article 76 de la loi du 26 janvier 1984 et entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.
12. Il résulte de ce qui précède que Mme D est fondée à demander l'annulation de la décision du 19 mai 2021 par laquelle le maire de la commune de Montreuil a implicitement rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit procédé à son évaluation professionnelle au titre des années 2018 et 2019.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. L'exécution du présent jugement, eu égard à ses motifs, implique nécessairement que, sauf changement de circonstances de droit ou de fait sur la situation de la requérante, le maire de la commune de Montreuil procède à l'évaluation professionnelle de Mme D au titre des années 2018 et 2019. Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre à l'autorité territoriale d'y procéder, dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement.
Sur les frais liés au litige :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Montreuil la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme D et non compris dans les dépens.
Article 1er : La décision implicite née le 19 mai 2021 par laquelle le maire de la commune de Montreuil a rejeté la demande de Mme D tendant à ce qu'il soit procédé à son évaluation professionnelle au titre des années 2018 et 2019 est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au maire de la commune de Montreuil, sauf changement dans les circonstances de droit ou de fait, de procéder à l'évaluation professionnelle de Mme D au titre des années 2018 et 2019, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : La commune de Montreuil versera à Mme D la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme B D et à la commune de Montreuil.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mai 2024.
La magistrate désignée,La greffière,Mme BazinMme C
La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis, en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
No 2108543
Loi, 83-634, 13-07-1983 Loi, 84-53, 26-01-1984 Article, R222-13, CJA Décret, 2006-1691, 22-12-2006 Décret, 2014-1526, 16-12-2014 Arrêté, 19-12-2022 Décision entachée d'une erreur de droit Dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale Fonctionnaire Occupation du poste Agent d'entretien Décision implicite de rejet Simple erreur Durée de mandat Communication du mémoire Autorités territoriales Commission paritaire Évolution prévisible Critères fixés Adjoint technique Longue durée Disponibilité d'office Participation d'un agent Contre-indication médicale Délai à compter d'une notification Changement dans les circonstances de droit