Jurisprudence : Cass. crim., 28-11-2001, n° 01-86467, publié au bulletin, Cassation



Z Laurent
CRIM.
N° H 01-86.467 F-P+F N° 7546
VG28 NOVEMBRE 2001
M. ... président,
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-huit novembre deux mille un, a rendu l'arrêt suivant
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire ..., les observations de Me THOUIN-PALAT, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général ... ;

Statuant sur le pourvoi formé par
- Z Laurent,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de NÎMES, en date du 29 août 2001, qui, dans l'information suivie contre lui pour meurtre, n'a fait droit que partiellement à sa requête en annulation d'actes de la procédure ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 4 octobre 2001, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de laConvention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 81, 101 à 109, 170, 173, 174, 427, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué, qui a prononcé l'annulation des pièces de procédure cotées S 177, D 181 et D 202, correspondant à la désignation d'un expert hypnologue et à l'audition de Laurent Z sous hypnose le 10 octobre 2000, a refusé de faire droit, pour le surplus, à la requête, et notamment a refusé d'annuler les procès-verbaux de l'audition de Laurent Z, personne gardée à vue du 13 au 15 décembre 2000, ainsi que l'interrogatoire de première comparution du 15 décembre 2000 ;
"aux motifs que, "le 13 décembre 2000, Laurent Z était placé en garde à vue et détaillait longuement les circonstances du meurtre de sa femme, du dépeçage de son cadavre et de l'abandon en divers lieux des restes enfouis avec les vêtements dans des sacs poubelles ; il confirmait longuement ses aveux devant le juge d'instruction le 15 décembre 2000 ; auparavant, le 10 octobre 2000, Laurent Z avait été longuement entendu sous hypnose sur désignation par le juge d'instruction de M. Alban ... ... pour y procéder ; au cours de cette audition n'était cependant recueilli aucun aveu ni aucun élément supplémentaire ou en contradiction avec ceux qu 'avaient déjà recueillis les enquêteurs auprès du mis en examen sur les faits eux-mêmes, sur ses relations de couple ou sur ce qu'il prétendait avoir été son enfance ; que si selon le principe posé par l'article 81 du Code de procédure pénale, le juge d'instruction peut procéder à tous les actes d'information utiles à la manifestation de la vérité, encore faut-il qu'il se conforme aux dispositions légales relatives au mode d'administration de la preuve ; que viole les dispositions légales relatives au mode d'administration des preuves et compromet l'exercice des droits de la défense l'audition par les gendarmes d'un témoin placé avec son consentement sous hypnose par un expert désigné par le juge d'instruction ; qu'en conséquence, il y aura donc lieu de faire droit partiellement à la requête et d'annuler les pièces cotées S 177, D 181 et D 202, d'annuler partiellement par cancellation les actes qui font référence à ceux visés ci-dessus et qui seront détaillés dans le dispositif ; que cependant, et sur le second moyen, ces pièces annulées ne contiennent aucun élément d'aveu, ni de contradictions avec les éléments de biographie précédemment recueillis par les enquêteurs ; qu'en conséquence, il ne peut être soutenu sérieusement que les aveux du mis en examen au cours de la garde à vue, puis devant le juge d'instruction auraient un quelconque lien avec les éléments recueillis dans les pièces annulées ; que la requête est donc sur ce point en voie de rejet" (arrêt, pages 5 et 6) ;
"alors que, lorsqu'elle constate la nullité d'un acte de la procédure, la chambre de l'instruction a l'obligation d'annuler tous les actes de la procédure subséquente qui ont un lien de causalité avec l'acte irrégulier ; que le lien de causalité pouvant exister entre une audition sous hypnose, procédé de preuve prohibé, et les actes ultérieurs de la procédure, ne résulte pas du seul contenu intrinsèque des propos tenus par l'intéressé au cours de la séance d'hypnose mais en outre, et surtout, des conséquences d'un tel entretien sur son état psychique ultérieur, et notamment du fait qu'ainsi préparé, il se trouve affecté d'une confusion mentale susceptible, à la faveur de questionnements adaptés, de le conduire à tenir des propos dont il n'a pas pleinement le contrôle ; qu'en l'espèce, il est constant que, postérieurement à l'audition sous hypnose de Laurent Z, effectuée le 10 octobre 2000, l'adjudant-chef Jobin, psychologue commis le 22 novembre de la même année par le magistrat instructeur avec pour mission d'établir un profil psychologique de l' "auteur", a - en se référant notamment au rapport de l'audition sous hypnose dont il a reproduit la teneur dans son propre rapport du 15 décembre 2000 - indiqué d'emblée (rapport page 2) que les premiers éléments d'analyse lui avaient permis d'affirmer que l'auteur du meurtre était Laurent Z ; qu'ayant par ailleurs pour mission d'effectuer une "préparation technique d'audition aux fins de garde à vue" du demandeur, le psychologue a, au cours de cette garde à vue, adressé diverses remarques à Laurent Z, notamment sur son comportement, provoquant l'énervement et la déstabilisation dudit demandeur qui, selon les propres constatations de l'expert, observait souvent ce dernier, lequel l'intriguait beaucoup ; que d'après le même rapport, les aveux litigieux ont été délivrés "dans une sorte de transe" et "en parlant à la troisième personne", au moment précis où le psychologue indiquait à Laurent Z, après présentation d'une photographie du cadavre de Mme Z, "vous avez parlé d'un couteau, et il manque l'intérieur du ventre" ; qu'ainsi, en s'attachant au seul contenu de l'audition sous hypnose, qui n'avait révélé aucun aveu, pour en déduire que cette pièce annulée n'avait aucun lien avec les aveux effectués par le mis en examen au cours de la garde à vue puis devant le juge d'instruction, sans rechercher, comme elle y était invitée par la requête dudit demandeur, si ces aveux ne constituaient pas le prolongement et l'exploitation, psychologiquement dirigée, d'éléments de sa biographie et de sa vie intime recueillis au cours de son audition sous hypnose, la chambre de l'instruction, qui s'est déterminée par un motif inopérant, a privé sa décision de base légale" ;
Vu les articles 81, 101 à 109,171 et 174 du Code de procédure pénale ;
Attendu que, d'une part, selon les articles 171 et 174 du même Code, sont nuls, par voie de conséquence, les actes d'instruction qui procèdent d'actes dont l'annulation a été prononcée dans la même procédure ;
Attendu que, d'autre part, par application des articles 81, 101 à 109 du Code de procédure pénale, si le juge d'instruction peut procéder ou faire procéder à tous actes d'information utiles à la manifestation de la vérité, encore faut-il qu'il se conforme aux dispositions légales relatives au mode d'administration des preuves ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le juge d'instruction a fait procéder à l'audition de Laurent Z qui avait été placé sous hypnose par un expert désigné par ce magistrat ; que ce même juge d'instruction a ordonné ensuite une expertise "en matière de profilage psychologique", confiée à un psychologue conseil et lui enjoignant, notamment, de procéder "à une préparation technique d'audition aux fins de garde à vue ultérieurement" ; que cet expert, au cours des auditions de Laurent Z, effectuées sur commission rogatoire par les gendarmes, après son placement en garde à vue, est intervenu à plusieurs reprises pour poser des questions à l'intéressé, lequel a avoué à cette occasion et pour la première fois le meurtre de son épouse et le dépeçage de son corps ;
Attendu qu'après avoir annulé l'audition de Laurent Z effectuée sous hypnose, la chambre de l'instruction a écarté de l'annulation, notamment, le rapport déposé le 28 décembre 2000 par l'expert qui avait procédé au placement sous hypnose et le rapport de "profilage psychologique" déposé le 15 décembre 2000 qui se référaient, tous deux, en en rapportant la teneur, à l'audition sous hypnose de Laurent Z ; qu'elle a également refusé d'annuler les auditions au cours desquelles les enquêteurs ont recueilli, en présence du psychologue conseil désigné par le magistrat, les aveux de Laurent Z lors de sa garde à vue ;
Mais attendu qu'en cet état, alors que le rapport d'expertise relative aux opérations de placement sous hypnose et celui "de profilage psychologique" avaient pour support nécessaire l'audition sous hypnose de Laurent Z et alors que le procédé consistant à faire entendre sur commission rogatoire, délivrée à des officiers de police judiciaire, une personne suspectée, placée en garde à vue, et à la faire, dans ces conditions, interroger par un psychologue conseil, sous couvert d'une mission d'expertise, viole les dispositions légales relatives au mode d'administration des preuves et compromet l'exercice des droits de la défense, la chambre de l'instruction a méconnu les textes et principes ci-dessus rappelés ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nîmes, en date du 29 août 2001, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nîmes, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré M. ... président, Mme ... conseiller rapporteur, MM. Le Gall, Farge, Pelletier, Mme Ponroy, M. Arnould, Mme Koering-Joulin, M. Corneloup conseillers de la chambre, M. ... conseiller référendaire ;
Avocat général M. Launay ;
Greffier de chambre M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;
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