Jurisprudence : CA Lyon, 30-04-2024, n° 22/03109, Confirmation


N° RG 22/03109 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OIP2


Décision du

Tribunal Judiciaire de LYON

Au fond

du 29 mars 2022


RG : 21/0464L

ch C°1 cab 01 B


[L]

[C]


C/


[J]


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D'APPEL DE LYON


1ère chambre civile B


ARRET DU 30 Avril 2024



APPELANTS :


M. [E] [L]

né le … … … à [… …] (…)

[Adresse 2]

[Localité 4]


M. [M] [C]

né le … … … à [Localité 8] (43)

[Adresse 6]

[Localité 5]


Représentés par Me Robin PAILLARET de la SELARL MALESHERBES AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 418


INTIMEE :


Mme [Aa] [Ab] veuAce [W]

née le … … … à [Localité 7] (33)

[Adresse 1]

[Localité 3]


Représentée par Me Denis WERQUIN de la SAS TW & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON, toque : 1813

ayant pour avocat plaidant la SCP MENDI CAHN, avocat au barreau de MULHOUSE


* * * * * *


Date de clôture de l'instruction : 19 Octobre 2023


Date des plaidoiries tenues en audience publique : 06 Février 2024


Date de mise à disposition : 30 Avril 2024



Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Olivier GOURSAUD, président

- Stéphanie LEMOINE, conseiller

- Bénédicte LECHARNY, conseiller


assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier


A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile🏛.


Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile🏛,


Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.


* * * *



EXPOSÉ DU LITIGE


Le 24 septembre 2020, Mme [U] [J] (la promettante) a conclu avec MM. [N] [L] et [M] [C] (les bénéficiaires) une promesse de vente portant sur un bien immobilier situé à [Localité 9], moyennant le prix de 825'000 euros.


Une somme de 82'500 euros a été séquestrée entre les mains du notaire instrumentaire à titre d'indemnité d'immobilisation.


La vente n'ayant pas été réitérée au terme convenu, la promettante a assigné les bénéficiaires en paiement de l'indemnité d'immobilisation.


Par un jugement réputé contradictoire du 29 mars 2022, le tribunal judiciaire de Lyon a :

- débouté la promettante de sa demande de condamnation solidaire des bénéficiaires à lui payer la somme de 82'500 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

- autorisé la SCP ABFM notaires associés, prise en la personne de Maître [D] [Y], à libérer la somme de 82'500 euros séquestrée au profit de la promettante,

- condamné les bénéficiaires in solidum à payer à la promettante la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

- condamné les bénéficiaires aux dépens,

- rappelé que l'exécution provisoire du jugement est de droit.



Par déclaration du 28 avril 2022, les bénéficiaires ont relevé appel du jugement.


Par ordonnance du 3 octobre 2022, le conseiller délégué du premier président a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire présentée par les bénéficiaires et les a condamnés in solidum aux dépens du référé et à verser à la promettante une indemnité de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Au terme de leurs conclusions notifiées le 18 octobre 2023, les bénéficiaires demandent à la cour de :

- dire recevable et bien fondé leur appel,

en conséquence,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la promettante de sa demande de condamnation solidaire des bénéficiaires à lui payer la somme de 82'500 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

- réformer le jugement en ce qu'il a :


autorisé la SCP ABFM notaires associés, prise en la personne de Maître [D] [Y], à libérer la somme de 82'500 euros séquestrée au profit de la promettante,

condamné les bénéficiaires in solidum à payer à la promettante la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné les bénéficiaires aux dépens,

rappelé que l'exécution provisoire du jugement et de droit,


statuant à nouveau,

- constater que la promettante n'a pas exécuté le compromis de bonne foi,

- requalifier la promesse unilatérale de vente en promesse synallagmatique,

- requalifier la clause d'indemnité d'immobilisation en clause pénale,


- constater que la clause pénale évoquée est manifestement disproportionnée compte-tenu du temps d'exclusivité accordée,

en conséquence,

à titre principal :

- ordonner la libération de l'intégralité des sommes séquestrées au sein de la SCP ABFM notaires associés à leur profit, soit la somme de 82'500 euros,

et si la somme de 82'500 euros n'est plus séquestrée au sein de la SCP ABFM notaires associés :

- condamner la promettante à leur payer la somme de 82'500 euros avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

- débouter la promettante de toutes ses demandes, fins et prétentions,

à titre subsidiaire :

- modérer le montant dû à la promettante et le réduire dans de plus justes proportions,

en tout état de cause :

- condamner la promettante à leur payer la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la promettante aux entiers dépens.


Au soutien de leur appel, les bénéficiaires font valoir essentiellement que :

- ils sont de bonne foi mais ont rencontré des difficultés liées à l'épidémie de Covid-19 ; ils ont en outre eu connaissance d'un désordre structurel affectant le bien immobilier ;

- à l'inverse, la promettante n'a pas exécuté de bonne foi la promesse de vente, en s'étant abstenu de mentionner dans la promesse l'existence d'un désordre structurel, en cherchant à monnayer la prorogation de la promesse de vente, en refusant systématiquement toutes les solutions proposées par eux pour finaliser la vente, notamment celle de faire acquérir le bien par une société constituée par eux, et en refusant une proposition de transaction ;

- la clause d'indemnité d'immobilisation doit être requalifiée en clause pénale, dès lors que l'indemnité de 82'500 euros ne peut raisonnablement être la contrepartie d'une exclusivité d'une durée de deux mois et 14 jours mais avait pour unique objet de les contraindre à finaliser la vente ; l'excessivité de la clause permet ainsi de requalifier la promesse unilatérale de vente en promesse synallagmatique, laquelle vaut vente ;

- il convient au moins de moduler les effets de cette clause compte-tenu du caractère manifestement excessif de son montant, de la mauvaise foi de la promettante et de la crise sanitaire ; en outre, la promettante qui a été informée immédiatement des difficultés rencontrées et a vendu son bien dans des conditions plus avantageuses, ne justifie d'aucun préjudice.


Au terme de ses conclusions du 5 juillet 2023, la promettante demande à la cour de :

- confirmer le jugement,

en conséquence,

- débouter les bénéficiaires de toutes leurs fins et conclusions,

- condamner solidairement les bénéficiaires à lui payer la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux entiers frais et dépens, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile🏛.


Elle soutient essentiellement que :

- l'indemnité d'immobilisation a été expressément convenue comme constituant le prix de l'exclusivité consentie par la promettante aux bénéficiaires et n'a pas été fixée en fonction de la durée de la promesse ; les parties ont clairement exprimé leur volonté et défini l'objet de cette clause d'immobilisation ;

- les bénéficiaires ont manqué à leurs obligations, de sorte que l'indemnité due au titre de la clause d'immobilisation a été exigible ; les bénéficiaires ont fait preuve d'une totale mauvaise foi en ne fournissant aucun élément justifiant de la constitution d'une société et en invoquant un défaut du bien vendu alors que celui-ci était connu et résultait d'un procès-verbal d'assemblée générale du 2 juillet 2020 qui leur avait été communiqué au moment de l'établissement de la promesse unilatérale de vente.


L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 octobre 2023.


Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile🏛, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.



MOTIFS DE LA DÉCISION


Aucune des parties ne demande l'infirmation du jugement en ce qu'il a débouté la promettante de sa demande de condamnation solidaire des bénéficiaires à lui payer la somme de 82'500 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement.


Le jugement est donc définitif sur ce point.


1. Sur la nature juridique de la promesse de vente et la demande de requalification de la clause d'indemnité d'immobilisation en clause pénale


Selon l'article 1103 du code civil🏛, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.


Par application de l'article 12 alinéa 2 du code de procédure civile🏛, le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.


Aux termes de l'article 1124 du code civil🏛, la promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l'autre, le bénéficiaire, le droit d'opter pour la conclusion d'un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire.


Il est constant qu'une promesse unilatérale de vente, si elle comprend des obligations mises à la charge du bénéficiaire portant une atteinte excessive à sa liberté d'option, lui interdisant, de fait, d'exercer son libre choix pour opter ou non pour l'acquisition, doit être requalifiée en promesse synallagmatique.


L'indemnité d'immobilisation est la contrepartie versée par le bénéficiaire au promettant de l'option qui lui est offerte pendant un certain délai. L'indemnité d'immobilisation rémunère donc l'immobilisation du bien par le promettant au profit du bénéficiaire. Elle se distingue de la clause pénale à moins qu'il ne soit établi qu'elle « avait pour objet de faire assurer par l'acquéreur l'exécution de son obligation de diligence » concernant un engagement pris par le bénéficiaire, notamment l'obtention du prêt nécessaire à l'acquisition. Dans ce cas, elle change de nature et constitue alors une clause pénale (en ce sens, Cass. 3e civ., 24 sept. 2008, n° 07-13.989⚖️).


En l'espèce, l'acte notarié stipule que :

- la promesse de vente est consentie pour une durée expirant le 10 décembre 2020, à 20 heures,

- la réalisation de la promesse aura lieu, soit par la signature de l'acte authentique de vente avec versement entre les mains du notaire rédacteur du prix de vente, soit par la levée de l'option par le bénéficiaire qui versera le prix entre les mains du notaire rédacteur,

- « les parties conviennent de fixer le montant de l'indemnité d'immobilisation, constituant le prix de l'option consentie au bénéficiaire [...], à la somme forfaitaire de [...] 82'500 euros. Elles déclarent que cette somme de [...] 82'500 euros constitue le prix de l'exclusivité consentie par le promettant au bénéficiaire. Elle est la contrepartie de la possibilité donnée à ce dernier, s'il le souhaite, de former la vente à son profit en levant l'option selon les modalités prévues aux présentes, en raison de l'engagement pris par le promettant de ne pas vendre à autrui pendant la durée de la présente promesse. Cette somme convenue pour le prix de l'exclusivité consentie au bénéficiaire n'a pas été fixée en fonction de la durée de la présente promesse, de sorte qu'elle ne pourra être réduite en cas de renonciation par le bénéficiaire au bénéfice de la promesse ou de décision de ne pas acquérir intervenant rapidement après la signature des présentes ».


Ainsi que l'ont justement retenu les premiers juges, les parties ont expressément stipulé une indemnité d'immobilisation exclusivement conçue par elles comme la contrepartie de l'exclusivité consentie par la promettante aux bénéficiaires pour former la vente.


La cour observe que l'indemnité d'immobilisation fait l'objet de dispositions contractuelles parfaitement claires et précises la définissant comme constituant le prix forfaitaire de l'exclusivité consentie par la promettante aux bénéficiaires, ne pouvant faire l'objet d'aucune réduction quel que soit le temps écoulé entre la date de la promesse et la décision prise par les bénéficiaires de ne pas acquérir.


Contrairement à ce que soutiennent ces derniers, la somme réclamée ne constitue nullement une clause pénale en ce qu'elle ne vise pas à sanctionner une inexécution ou un défaut de diligence de leur part, étant observé que la promesse a été expressément consentie sans condition suspensive d'obtention d'un prêt.


Par ailleurs, le montant de l'indemnité d'immobilisation, égal à 10% du prix de vente, pourcentage habituel en la matière, ne peut être qualifié de disproportionné ou d'excessif, et ne peut être considéré comme constituant un élément interdisant aux bénéficiaires, de fait, d'exercer leur option.


Enfin, le bénéficiaire d'une promesse unilatérale de vente n'étant pas tenu d'acquérir et ne manquant pas à une obligation contractuelle en ne levant pas l'option, il importe peu qu'aucune inexécution fautive ne puisse être reprochée aux bénéficiaires, comme ils le font valoir.


L'indemnité d'immobilisation stipulée dans la promesse de vente constitue bien le prix de l'exclusivité consentie aux bénéficiaires et ne peut être qualifiée de clause pénale susceptible d'être réduite par le juge.


Par conséquent, il n'y a pas lieu de requalifier la promesse unilatérale de vente en promesse synallagmatique ni de requalifier l'indemnité d'immobilisation en clause pénale.


2. Sur la demande en paiement de l'indemnité d'immobilisation


Il n'est pas contesté qu'alors que la promesse ne prévoit comme conditions suspensives que celles de droit commun relatives à l'absence de révélation par les documents d'urbanisme de servitudes, charges ou vices grevant l'immeuble et en diminuant la valeur ou le rendant impropre à sa destination, et d'inscriptions hypothécaires dont la charge augmentée du coût des radiations à effectuer serait supérieure au prix disponible, la signature de l'acte authentique n'est pas intervenue dans le délai expirant le 10 décembre 2020 et que les bénéficiaires n'ont pas davantage levé l'option dans ce délai.


Dans la mesure où la promettante avait pour seules obligations de transférer la propriété du bien au profit des bénéficiaires en cas d'acceptation de la promesse et de s'interdire pendant toute la durée de la promesse de « conférer une autre promesse à un tiers ni aucun droit réel ni charge quelconque sur le bien », de « consentir aucun bail, location ou prorogation de bail » ou d'« apporter aucune modification matérielle [...] ni détérioration au bien », c'est vainement que les bénéficiaires lui reprochent de n'avoir pas exécuté de bonne foi la promesse de vente, en cherchant à monnayer la prorogation de la promesse de vente ou en refusant leurs propositions pour finaliser la vente.


Ils sont encore mal fondés à alléguer la découverte, postérieurement à la signature de la promesse, d'un désordre structurel affectant le bien immobilier (dégradation d'une poutre maîtresse), alors qu'ils ont disposé, dès la signature de l'acte, du procès-verbal de l'assemblée générale du 2 juillet 2020 au cours de laquelle les copropriétaires ont décidé de « faire procéder à la vérification de la poutre maîtresse partie commune endommagée dans le local du rez-de-chaussée est propriétaire la SCI ['] », ce dont il ressort qu'ils étaient en mesure d'avoir connaissance du désordre invoqué.


Il résulte de la promesse de vente que les parties ont convenu, d'une part, de remettre l'indemnité d'immobilisation entre les mains de la société ABFM, notaires associés, désignée en qualité de séquestre, d'autre part, que cette indemnité « sera versée au promettant, et lui restera acquise à titre d'indemnité forfaitaire et non réductible faute par le bénéficiaire ou ses cessionnaires ou substitués d'avoir réalisé l'acquisition dans les délais et conditions ci-dessus, indépendamment de la réalisation [des] conditions suspensives affectant la vente ».


Au vu de ces dispositions, c'est à juste titre que le tribunal a autorisé le séquestre à libérer la somme de 82'500 euros au profit de la promettante, étant ajouté que la cour ayant jugé qu'il n'y a pas lieu de requalifier l'indemnité d'immobilisation en clause pénale, les bénéficiaires ne peuvent qu'être déboutés de leur demande de modération et de réduction de la somme due à la promettante.


Aussi convient-il de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a autorisé la SCP ABFM notaires associés, prise en la personne de Maître [D] [Y], à libérer la somme de 82'500 euros séquestrée au profit de la promettante.


3. Sur les demandes accessoires


Le jugement est encore confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance.


En appel, les bénéficiaires, partie perdante, sont condamnés aux dépens et à payer, in solidum, à la promettante la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



PAR CES MOTIFS


La cour,


Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,


Y ajoutant,


Condamne in solidum MM. [N] [L] et [M] [C] à payer à Mme [Aa] [J] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,


Condamne MM. [N] [I] et [M] [C] aux dépens d'appel.


LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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