Jurisprudence : CE 3/8 ch.-r., 26-04-2024, n° 475259, mentionné aux tables du recueil Lebon

CE 3/8 ch.-r., 26-04-2024, n° 475259, mentionné aux tables du recueil Lebon

A239829P

Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2024:475259.20240426

Identifiant Legifrance : CETATEXT000049478779

Référence

CE 3/8 ch.-r., 26-04-2024, n° 475259, mentionné aux tables du recueil Lebon. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/107173506-ce-38-chr-26042024-n-475259-mentionne-aux-tables-du-recueil-lebon
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Abstract

24 La délibération par laquelle un conseil municipal constate que sont réunies les conditions posées par le 1° de l’article L. 1123-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) pour que la commune soit, en vertu de l’article 713 du code civil, propriétaire d’un bien sans maître produit ses effets tant que la commune ne renonce pas à l’exercice des droits qu’elle tient de ces dispositions ou ne cède pas le bien. ...Par suite, les conclusions tendant à ce que l’exécution d’une telle délibération soit suspendue sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative (CJA) conservent leur objet après l’intervention des actes pris par le maire pour tirer les conséquences de la délibération contestée, qui n’en a pas épuisé les effets.



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 475259⚖️


Séance du 27 mars 2024

Lecture du 26 avril 2024

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 8ème et 3ème chambres réunies)


Vu la procédure suivante :

MM. D et C B ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative🏛, de suspendre l'exécution de la délibération du 25 février 2023 par laquelle le conseil municipal de Gourdon (Alpes-Maritimes) a exercé les droits que cette commune tient de l'article 713 du code civil🏛 et autorisé son maire à signer tout acte relatif à l'incorporation de la parcelle cadastrée B n° 1613 dans le domaine communal en application des dispositions du 1° de l'article L. 1123-1 du code général de la propriété des personnes publiques🏛, d'enjoindre à la commune de ne pas faire application de cette délibération et de n'en tirer aucun intérêt de quelque manière que ce soit, de lui enjoindre de retirer le procès-verbal de prise de possession du 4 mai 2023 et l'acte authentifiant l'incorporation de cette parcelle dans son domaine et d'en informer le service de la publicité foncière, et, enfin, d'interdire à la commune de modifier, d'aménager, de démolir, de vendre cette parcelle et les constructions qui y sont édifiées et de prendre tout autre acte de nature à remettre en cause les droits qu'ils estiment détenir sur cette parcelle. Par une ordonnance n° 2302082 du 5 juin 2023, ce juge des référés a prononcé un non-lieu à statuer sur leurs conclusions à fins de suspension et rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 juin et 5 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, MM. B demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à leur demande ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Gourdon la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de MM. B et à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de la commune de Gourdon ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par une délibération du 25 février 2023, le conseil municipal de Gourdon (Alpes-Maritimes), constatant que la dernière propriétaire connue de la parcelle cadastrée B n° 1613, située sur le territoire de cette commune, était décédée en 1970 et qu'aucun successible ne s'était présenté dans un délai de trente ans a, d'une part, " exercé ses droits en application des dispositions de l'article 713 du code civil " et, d'autre part, autorisé son maire " à signer tout acte relatif à l'incorporation de [cette] parcelle au domaine communal ". MM. D et C B se pourvoient en cassation contre l'ordonnance du 5 juin 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice a prononcé un non-lieu à statuer sur leur demande tendant à ce qu'il ordonne, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de cette délibération.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

3. Aux termes de l'article L. 1123-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Sont considérés comme n'ayant pas de maître les biens autres que ceux relevant de l'article L. 1122-1 et qui : / 1° () font partie d'une succession ouverte depuis plus de trente ans et pour laquelle aucun successible ne s'est présenté () ". L'article L. 1123-2 du même code prévoit que : " Les règles relatives à la propriété des biens mentionnés au 1° de l'article L. 1123-1 sont fixées par l'article 713 du code civil ". Aux termes de l'article 713 du code civil : " Les biens qui n'ont pas de maître appartiennent à la commune sur le territoire de laquelle ils sont situés. Toutefois, la propriété est transférée de plein droit à l'Etat si la commune renonce à exercer ses droits ".

4. Pour juger que les conclusions de MM. D et C B tendant à ce que soit suspendue l'exécution de la délibération en litige sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative avaient perdu leur objet à la date à laquelle il s'est prononcé, le juge des référés s'est fondé sur ce qu'à cette date, le maire avait signé les actes relatifs à l'incorporation de la parcelle en cause dans le domaine communal, notamment un " procès-verbal de prise de possession " dressé le 4 mai 2023 et un " acte authentique comportant incorporation de bien vacant et sans maître " daté du 9 mai 2023 et enregistré au service de la publicité foncière d'Antibes, de sorte que la délibération du 25 février 2023 avait reçu une complète exécution. En statuant ainsi, alors que la délibération par laquelle un conseil municipal constate que sont réunies les conditions posées par les dispositions du 1° de l'article L. 1123-1 du code général de la propriété des personnes publiques pour qu'un bien sans maître soit devenu, en vertu de l'article 713 du code civil, propriété de la commune ne cesse pas de produire ses effets du seul fait de l'intervention d'actes pris par le maire en vue de tirer les conséquences de l'entrée des biens dans son patrimoine ainsi revendiquée par la commune, le juge des référés du tribunal administratif a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de leur pourvoi, MM. B sont fondés à demander l'annulation de l'ordonnance qu'ils attaquent.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative🏛.

7. D'une part, l'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par les requérants, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.

8. MM. B font état, au soutien de leur demande, de l'existence d'un projet de vente à bref délai de la parcelle en litige, auquel la délibération qu'ils contestent fait obstacle, et de ce que cette délibération est susceptible d'entraîner pour eux un préjudice irréversible dans l'hypothèse où la commune déciderait de céder cette parcelle et les biens immobiliers qu'elle supporte, de démolir ces derniers ou de les réaménager. Les éléments ainsi avancés suffisent à caractériser une situation d'urgence, au sens des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, sans qu'y fasse obstacle la volonté exprimée par la commune en défense de conserver la destination actuelle des lieux.

9. D'autre part, MM. B produisent des pièces dont il ressort que leurs parents leur ont fait don, par un acte de donation-partage du 3 novembre 1992, de l'ensemble de leurs biens immobiliers, parmi lesquels la parcelle B n° 1612. Ils soutiennent qu'à la suite d'erreurs de retranscription dans différents actes notariés, cette parcelle a été confondue avec la parcelle B n° 1613 en litige, dont ils s'estiment également propriétaires. Ils indiquent, sans être contredits, recevoir en cette qualité des loyers en exécution d'un bail commercial dont les immeubles construits sur cette parcelle font l'objet et acquitter chaque année, à raison de ces constructions, la taxe foncière sur les propriétés bâties. Par suite, le moyen tiré de ce que les conditions posées par les dispositions 1° de l'article L. 1123-1 du code général de la propriété des personnes publiques ne sont pas réunies pour que la parcelle en litige puisse être qualifiée de bien sans maître apparaît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la délibération contestée, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance, alléguée par la commune de Gourdon, que cette parcelle serait, d'après les éléments recueillis auprès du service de la publicité foncière, dépourvue de propriétaire.

10. Il résulte de ce qui précède que MM. B sont fondés à demander la suspension de l'exécution de la délibération du 25 février 2023 de la commune de Gourdon. Cette suspension, qui fait obstacle à ce que la commune exerce les droits du propriétaire sur le bien en cause dans l'attente du jugement au fond, prive d'utilité les injonctions que MM. B demandent au juge des référés d'adresser à la commune.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Gourdon une somme de 3 000 euros à verser à MM. B au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de MM. B qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 5 juin 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Nice est annulée.

Article 2 : L'exécution de la délibération du 25 février 2023 de la commune de Gourdon est suspendue.

Article 3 : La commune de Gourdon versera une somme globale de 3 000 euros à MM. B au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Gourdon au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties devant le juge des référés du tribunal administratif de Nice est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à MM. D et C B et à la commune de Gourdon.

Délibéré à l'issue de la séance du 27 mars 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Philippe Ranquet, Mme Nathalie Escaut, Mme Sylvie Pellissier, conseillers d'Etat et M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur-rapporteur.

Rendu le 26 avril 2024.

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