TA Toulouse, du 10-04-2024, n° 2401810
A249124Z
Référence
Par une requête et un mémoire enregistrés les 26 mars et 9 avril 2024, M. C B, représenté par Me Hirtzlin-Pinçon, demande au juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative🏛 :
1°) de suspendre l'exécution de la décision du 4 janvier 2024 par laquelle le président directeur général de La Poste a prononcé sa révocation ;
2°) d'enjoindre au président directeur général de La Poste de procéder à sa réintégration ainsi qu'à sa reconstitution de carrière, à titre provisoire, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter d'un délai de 15 jours après le prononcé de sa décision ;
3°) de mettre les entiers dépens à la charge de La Poste ainsi qu'une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Il soutient que :
- sa requête est recevable ;
s'agissant de la condition tenant à l'urgence :
-la décision en litige a pour effet de le priver de tout revenu ; il subit une perte de 3 000 euros mensuels ;
s'agissant de la condition tenant à l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée :
-la décision litigieuse est entachée d'incompétence en l'absence de toute délégation de pouvoir consentie à son signataire ;
- elle est insuffisamment motivée dès lors qu'elle n'est qu'un " copier-coller " du rapport de saisine du conseil de discipline ;
- elle méconnaît le principe du contradictoire et celui du droit de la défense dès lors, d'une part, que La Poste ne l'a pas informé, dans le rapport de saisine, du droit, qu'il avait, de se taire, et d'autre part, qu'aucun des éléments qu'il a produits devant le conseil de discipline n'a été pris en compte, sa représentante ayant d'ailleurs été interrompue au cours de l'exposé de ses observations ;
- la sanction prononcée est injustifiée dès lors d'une part, qu'aucune pièce ne corrobore l'existence d'une proposition à caractère sexuel non plus que d'une menace professionnelle, et d'autre part, qu'elle repose sur des faits erronés, en particulier il n'a pas téléphoné à Mme A le dimanche 27 novembre 2022, par ailleurs il entretenait des rapports professionnels cordiaux avec cette dernière ainsi que le démontrent les fiches " bilatérales d'activité " et les " smileys " que Mme A insérait dans ses courriels, enfin, la plainte déposée par Mme A contre lui pour harcèlement n'a pas prospéré ;
- la sanction prononcée présente un caractère disproportionné.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 avril 2024, La Poste, représentée par Me Bellanger, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. B au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
-la condition tenant à l'urgence n'est pas satisfaite dès lors que le requérant n'établit aucunement ses allégations selon lesquelles l'arrêté attaqué porterait une atteinte grave et immédiate à ses intérêts financiers, les éléments qu'il produit révélant que La Poste lui a versé une indemnité équivalant à peu près à cinq mois et demi de sa rémunération mensuelle, en outre l'intéressé, qui a reconnu avoir adopté un comportement inapproprié, s'est lui-même placé en situation d'être sanctionné ;
-eu égard à la nature des faits ayant donné lieu à cette décision, l'intérêt public tenant à la préservation d'un climat de sérénité dans le service justifie qu'elle soit immédiatement exécutée ;
-et qu'aucun des autres moyens de la requête n'est fondé.
Vu :
-les autres pièces du dossier ;
-la requête n° 2401387 enregistrée le 8 mars 2024 tendant à l'annulation de la décision contestée.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code de justice administrative.
La présidente du tribunal a désigné Mme Douteaud, première conseillère, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 9 avril 2024, en présence de Mme Guerin, greffière d'audience :
-le rapport de Mme Douteaud,
-les observations de Me Hirtzlin-Pinçon, représentant M. B, qui a repris ses écritures, en insistant particulièrement d'une part, sur la violation du droit de se taire alors que la révocation, dont le caractère punitif est évident, découle d'une procédure disciplinaire et d'autre part, sur le fait que la qualification de harcèlement n'est pas établie dès lors que, s'agissant du harcèlement moral, le requérant était dépourvu de toute intention de discréditer Mme A et que, s'agissant du harcèlement sexuel, l'intéressé ne s'est livré à aucun chantage sexuel et en ajoutant notamment qu'en l'absence d'antécédents disciplinaires, la sanction est disproportionnée ;
- et les observations de Me Cortes, substituant Me Bellanger, représentant La Poste, qui a repris ses écritures en ajoutant que M. B percevra au cours du mois d'avril un reliquat de congés payés représentant quelques centaines d'euros et en soulignant, notamment, que le droit disciplinaire de la fonction publique se situe en dehors du champ d'application du droit de se taire, qu'en tout état de cause, l'intéressé se contredit en soutenant qu'il n'aurait pas été informé du bénéfice de ce droit alors qu'il fait grief à la décision attaquée de ne pas avoir été suffisamment entendu par le conseil de discipline, de sorte que le vice de procédure, à le supposer caractérisé, n'est pas susceptible d'avoir influencé le sens de la décision prise.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Une note en délibéré présentée pour le président directeur général de La Poste a été enregistrée le 10 avril 2024 et n'a pas été communiquée.
1. M. B, cadre supérieur à La Poste, exerçait ses fonctions de responsable en métiers spécialisés au sein du service qualité assurances (SQA) au sein du centre financier de Toulouse depuis l'année 2018. Par un courriel en date du 9 janvier 2023, Mme A, experte métier au SQA, a alerté la directrice des ressources humaines du centre à propos d'une situation de harcèlement qu'elle subissait en raison du comportement de M. B. A la suite de la tenue d'un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) exceptionnel le 9 février 2023 et au vu des conclusions du 9 mai 2023 issues d'un rapport élaboré en application du dispositif de prévention des situations en lien avec un harcèlement, protocole interne à La Poste, M. B a fait l'objet, le même jour, d'une mesure de suspension à titre conservatoire. Le conseil central de discipline de La Poste, réuni le 14 novembre 2023, a proposé au président directeur général de l'entreprise de prononcer la révocation de l'intéressé. Suivant cette proposition, le président a prononcé, le 4 janvier 2024, la révocation de M. B. Par sa requête, ce dernier demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 4 janvier 2024.
2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. ".
Sur la condition tenant à l'urgence :
3. Il résulte des dispositions citées au point 2 que la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il en va ainsi, alors même que cette décision n'aurait un objet ou des répercussions que purement financiers et que, en cas d'annulation, ses effets pourraient être effacés par une réparation pécuniaire. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Saisi d'une demande de suspension dirigée contre une décision de révocation, le juge des référés n'a pas à présumer l'urgence de la suspension mais à apprécier concrètement si les éléments figurant au dossier permettent de caractériser une urgence.
4. Par les pièces qu'il a produites dans l'instance, et en particulier son dernier bulletin de salaire daté du mois de décembre 2023, faisant état d'une rémunération nette de 2 941, 27 euros ainsi qu'un courrier du 9 février 2024 par lequel le directeur de l'agence Pôle emploi de Colomiers l'informe de son droit à percevoir une indemnité de 1845,30 euros pour un mois de 30 jours, M. B justifie que l'exécution de la décision attaquée aura pour effet de le priver d'environ 37% de ses revenus mensuels à compter du 17 juin 2024. Toutefois, la dégradation de sa situation financière n'est pas démontrée à la date à laquelle le juge des référés se prononce, alors qu'il résulte de l'instruction que M. B, lequel ne justifie pas des charges financières qu'il assume, a perçu au cours des mois de janvier et février 2024 des indemnités pour un montant total de 16 616, 77 euros, soit l'équivalent de 3 323,35 euros mensuels durant la période allant du mois de janvier 2024 à juin 2024, date à laquelle il percevra ses revenus de remplacement. Pour l'ensemble de ces motifs, M. B ne peut être regardé comme justifiant que la décision attaquée le prive de tout revenu et génère une perte de 3 000 euros mensuels.
5. Il résulte de tout ce qui précède que l'existence d'une situation d'urgence justifiant que le juge des référés fasse usage des pouvoirs qu'il tient des dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'est pas caractérisée.
Sur la condition tenant à l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée :
6. En l'état de l'instruction, au vu de la demande et des éléments versés au dossier par La Poste, aucun des moyens invoqués par M. B à l'encontre de la décision contestée tels qu'ils ont été visés ci-dessus, n'apparaît de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité, étant précisé qu'il ressort des termes du procès-verbal du conseil central de discipline que l'intéressé a été informé à l'ouverture de la séance, par son président, du droit qu'il avait de répondre aux questions des membres du conseil ou de se taire.
7. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter les conclusions de M. B tendant à la suspension de son exécution et, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte, celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que celles tendant à la condamnation de La Poste aux dépens. Il n'y a par ailleurs pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par La Poste sur le fondement de ces mêmes dispositions.
Article 1er : La requête de M. B est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de La Poste tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C B et à La Poste.
Fait à Toulouse, le 10 avril 2024.
La juge des référés,
S. DOUTEAUD
La greffière,
S. GUÉRIN
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
la greffière en chef,
ou par délégation, la greffière,
Article, L521-1, CJA Délégation de pouvoirs Atteinte grave et immédiate Indemnité Intérêt public Procédure disciplinaire Sanction disproportionnée Suspension Moyens propres Urgence Rétractation Directeur