Jurisprudence : CEDH, 25-06-1997, Req. 73/1996/692/884, Halford c. Royaume-Uni

CEDH, 25-06-1997, Req. 73/1996/692/884, Halford c. Royaume-Uni

A8304AWH

Référence

CEDH, 25-06-1997, Req. 73/1996/692/884, Halford c. Royaume-Uni. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1065231-cedh-25061997-req-731996692884-halford-c-royaumeuni
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Cour européenne des droits de l'homme

25 juin 1997

Requête n°73/1996/692/884

Halford c. Royaume-Uni



En l'affaire Halford c. Royaume-Uni (1),

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A (2), en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Bernhardt, président,
L.-E. Pettiti,
C. Russo,
A. Spielmann,
I. Foighel,
J.M. Morenilla,
Sir John Freeland,
MM. M.A. Lopes Rocha,
P. Kuris,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 19 mars et 27 mai 1997,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

Notes du greffier

1. L'affaire porte le n° 73/1996/692/884. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

2. Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.

PROCÉDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 28 mai 1996, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 de la Convention (art. 32-1, art. 47). Le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ("le Gouvernement") a également soumis une requête introductive d'instance le 27 août 1996 (paragraphe 6 ci-dessous). A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 20605/92) dirigée contre le Royaume-Uni et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Alison Halford, avait saisi la Commission le 22 avril 1992 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration britannique reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 8, 10, 13 et 14 de la Convention (art. 8, art. 10, art. 13, art. 14).

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, la requérante a manifesté le désir de participer à l'instance et désigné son conseil (article 30).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit Sir John Freeland, juge élu de nationalité britannique (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 par. 4 b) du règlement A). Le 10 juin 1996, le président de la Cour, M. R. Ryssdal, a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. L.-E. Pettiti, C. Russo, A. Spielmann, I. Foighel, J.M. Morenilla, M.A. Lopes Rocha et P. Kuris, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 5 du règlement A) (art. 43).

4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 6 du règlement A), M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier adjoint, l'agent du Gouvernement, l'avocat de la requérante et la déléguée de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 2 janvier 1997 et celui de la requérante le 6 janvier 1997.

5. Le 20 août 1996, M. Bernhardt avait autorisé Liberty, organisation non gouvernementale de défense des droits de l'homme ayant son siège à Londres, à soumettre des observations écrites sur certains aspects précis de l'affaire (article 37 par. 2 du règlement A), reçues au greffe le 2 janvier 1997.

6. Le 21 février 1997, la chambre a décidé de rejeter la requête introductive d'instance du Gouvernement au motif qu'elle était parvenue à la Cour après l'expiration du délai de trois mois prévu aux articles 32 par. 1 et 47 de la Convention (art. 32-1, art. 47) et qu'aucune raison exceptionnelle ne justifiait de prolonger ce délai.

7. Ainsi que le président en avait décidé, les débats se sont déroulés en public le 17 mars 1997, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

MM. M. Eaton, conseiller juridique adjoint, ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth,

agent,
J. Eadie, Barrister-at-Law,

conseil,
H. Carter, ministère de l'Intérieur,
P. Regan, ministère de l'Intérieur,
C. Raikes, ministère du Commerce et de l'Industrie,

conseillers;

- pour la Commission

Mme J. Liddy,

déléguée;

- pour la requérante

MM. R. Makin, Solicitor,
P. Duffy, Barrister-at-Law,

conseils.

La Cour a entendu en leurs déclarations Mme Liddy, M. Makin, M. Duffy et M. Eadie, ainsi que la réponse à une question de l'un des juges.

EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

8. La requérante, Mme Alison Halford, est née en 1940 et réside au Wirral. Elle a travaillé dans la police de 1962 jusqu'à sa retraite, en 1992.
A.
Contexte des interceptions téléphoniques alléguées

9. En mai 1983, Mme Halford fut nommée au grade de contrôleur général (Assistant Chief Constable) de la police de Merseyside. Elle devint ainsi la femme la plus gradée de la police britannique.

10. Au cours des sept années suivantes, Mme Halford postula en vain à huit reprises au grade d'inspecteur général adjoint (Deputy Chief Constable), des postes étant devenus vacants dans la police de Merseyside et d'autres régions. L'accord du ministère de l'Intérieur était requis pour une telle promotion. La requérante avance cependant que celui-ci lui a chaque fois été refusé sur la recommandation de l'inspecteur général (Chief Constable) de la police de Merseyside, qui désapprouvait son engagement en faveur de l'égalité de traitement entre hommes et femmes.

11. A la suite d'un nouveau rejet de sa candidature en février 1990, Mme Halford engagea le 4 juin de la même année une action pour discrimination fondée sur le sexe devant le tribunal du travail, notamment contre l'inspecteur général de la police de Merseyside et le ministre de l'Intérieur.

Le 14 juin 1990, le président et le vice-président du comité de contrôle de la police (Police Authority) furent désignés pour constituer un "comité spécial" chargé d'examiner les questions soulevées par cette affaire de discrimination.

12. Mme Halford allègue que certains membres du comité de contrôle de la police de Merseyside lancèrent une "campagne" contre elle parce qu'elle avait déposé plainte auprès du tribunal du travail, sous forme notamment de fuites dans la presse, d'interception de ses appels téléphoniques (paragraphe 16 ci-dessous) et de la décision d'ouvrir une procédure disciplinaire contre elle.

13. Le 14 septembre 1990, le comité spécial adressa à la commission disciplinaire des hauts fonctionnaires (Senior Officers' Disciplinary Committee) un rapport rédigé par l'inspecteur général indiquant que Mme Halford aurait commis une faute professionnelle le 24 juillet 1990. La commission disciplinaire décida le 20 septembre 1990 d'ouvrir une enquête officielle et de renvoyer l'affaire à la direction des plaintes contre la police (Police Complaints Authority) puis, le 8 février 1991, d'engager une procédure disciplinaire. Mme Halford fut suspendue de ses fonctions en continuant à percevoir intégralement son traitement à compter du 12 décembre 1990.

14. Elle saisit la High Court d'une demande de contrôle juridictionnel. En septembre 1991, le juge MacPherson ajourna l'affaire en raison de la possibilité d'un accord entre les parties. Celles-ci n'étant pas parvenues à s'entendre, l'affaire revint devant lui le 20 décembre 1991. Il jugea que le président et le vice-président du comité de contrôle de la police avaient outrepassé leurs compétences et, sans les accuser de mauvaises intentions, déclara que l'affaire n'était pas exempte d'iniquité. Il annula donc les décisions concernées.

15. Le tribunal du travail tint audience en juin 1992. La procédure fut suspendue le 14 juillet 1992 dans l'attente du résultat des négociations entre les parties, qui débouchèrent sur le règlement de l'affaire. L'inspecteur général versa à titre gracieux à Mme Halford 10 000 livres sterling (GBP) (somme maximale que le tribunal du travail pouvait légalement octroyer) et le ministre de l'Intérieur 5 000 GBP pour les dépens exposés par elle. Il fut convenu qu'elle prendrait sa retraite pour raisons médicales (en raison d'une blessure au genou survenue en 1989). De plus, le ministère de l'Intérieur accepta de mettre en oeuvre diverses propositions présentées par la commission sur l'égalité des chances, comme l'actualisation et la révision des procédures de sélection pour les grades élevés dans la police.
B.
Les interceptions alléguées

16. En sa qualité de contrôleur général, Mme Halford eut droit à un bureau réservé à son usage et à deux téléphones, dont un pour ses communications privées. Ces postes faisaient partie du système interne de communications de la police de Merseyside, indépendant du réseau public. L'utilisation de ces téléphones n'était assortie d'aucune restriction et aucun conseil ne fut donné à la requérante à cet égard, sauf lorsqu'elle demanda à l'inspecteur général, peu après avoir engagé la procédure devant le tribunal du travail, si elle était autorisée à s'occuper de l'affaire pendant ses heures de service, notamment en se servant du téléphone, ce qu'il lui confirma.

En outre, étant donné qu'elle était souvent d'astreinte à domicile, la police de Merseyside réglait une part importante de sa facture téléphonique personnelle. Le téléphone installé chez elle se composait d'un appareil relié au réseau public des télécommunications, par l'intermédiaire d'un "point terminal de réseau".

17. Elle allègue que des appels téléphoniques passés depuis son domicile et son bureau ont été interceptés dans le but d'obtenir des informations à utiliser contre elle au cours de la procédure en matière de discrimination. Elle a présenté à la Commission divers éléments de preuve à l'appui de ces affirmations (rapport de la Commission, paragraphe 21). En outre, elle a informé la Cour que, selon ce qu'une personne lui avait déclaré sous le couvert de l'anonymat le 16 avril 1991, cette dernière avait surpris peu avant cette date des agents de la police de Merseyside en train de vérifier des transcriptions de conversations téléphoniques qu'elle avait eues à son domicile.

Aux fins de l'affaire devant la Cour, le Gouvernement admet que la requérante a présenté suffisamment d'éléments pour établir, avec une probabilité raisonnable, que des appels passés depuis les téléphones de son bureau ont été interceptés, mais ne reconnaît pas que cela soit le cas en ce qui concerne le téléphone du domicile.

18. Mme Halford se plaignit de l'interception de ses appels téléphoniques devant le tribunal du travail le 17 juin 1992. Le 2 juillet 1992, au cours de l'audience, le conseil du ministre de l'Intérieur déclara qu'elle ne pouvait présenter au tribunal de preuves se rapportant aux interceptions alléguées car l'article 9 de la loi de 1985 sur l'interception de communications (Interception of Communications Act 1985 - "la loi de 1985") exclut expressément de présenter à quelque tribunal ou commission que ce soit des éléments tendant à montrer qu'il y a eu infraction à l'article 1 de ladite loi (paragraphe 25 ci-dessous).

19. Le 6 décembre 1991, Mme Halford demanda à la commission compétente en matière d'interception de communications (Interception of Communications Tribunal - "la commission") d'ouvrir une enquête en vertu de l'article 7 de la loi de 1985 (paragraphes 30-32 ci-dessous). La commission l'informa par un courrier du 21 février 1992 que son enquête l'avait convaincue que, dans son cas, il n'y avait pas eu d'infraction aux articles 2 à 5 de la loi de 1985 (paragraphes 26-29 ci-dessous). Elle confirma par une lettre du 27 mars 1992 ne pas être en mesure de préciser si des interceptions s'étaient en fait produites ou non (paragraphe 32 ci-dessous).

20. Dans une lettre du 4 août 1992 adressée à M. David Alton, député, le ministre de l'Intérieur expliqua que la requête de Mme Halford relative à l'interception d'appels émanant de ses téléphones de bureau "ne relevait pas de [ses] responsabilités de ministre de l'Intérieur ni de la loi [de 1985]".

II. Le droit et la pratique internes pertinents
A.
Systèmes publics de télécommunications

1. Infraction créée par la loi de 1985 sur l'interception de

communications

21. La loi de 1985 sur l'interception de communications (Interception of Communications Act 1985), adoptée à la suite de l'arrêt rendu par la Cour en l'affaire Malone c. Royaume-Uni (2 août 1984, série A n° 82), est entrée en vigueur le 10 avril 1986. Son objectif, exposé dans le Livre blanc du ministère de l'Intérieur qui l'a précédée, était d'indiquer clairement les conditions dans lesquelles seraient autorisées et contrôlées les interceptions de communications sur les systèmes publics, de manière à inspirer confiance aux citoyens (Interception of Communications in the United Kingdom (février 1985) HMSO, Cmnd. 9438).

22. Un système de télécommunications "public" est un réseau exploité en vertu d'une licence délivrée conformément à la loi de 1984 sur les télécommunications (Telecommunications Act 1984 - "la loi de 1984") et désigné comme tel par le ministre (article 10 par. 1 de la loi de 1985, lequel renvoie à l'article 4 par. 1 de la loi de 1984).

23. Aux termes de l'article 1 par. 1 de la loi de 1985, quiconque intercepte volontairement une communication au cours de sa transmission sur un réseau public de communications se rend coupable d'une infraction pénale.

24. L'article 1 paras. 2 et 3 indique les quatre cas où une personne se livrant à une interception ainsi définie ne se rend pas coupable d'infraction. La seule qui soit pertinente en l'espèce est la suivante: l'interception d'une communication en exécution d'un mandat délivré par le ministre en vertu de l'article 2 de la loi (paragraphe 26 ci-dessous).

2. Exclusion de preuves

25. L'article 9 de la loi de 1985 interdit la production, au cours de toute procédure devant un tribunal ou une commission, de preuves donnant à penser qu'un fonctionnaire a commis une infraction à l'article 1 de ladite loi ou qu'un mandat a été délivré à une telle personne en vertu de l'article 2 de la loi.

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