Jurisprudence : CA Grenoble, 26-03-2024, n° 22/03131


N° RG 22/03131 -

N° Portalis DBVM-V-B7G-LPWZ

C1

N° Minute :


Copie exécutoire

délivrée le :


la SCP ALPAVOCAT


la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC


la SCP LEGALP

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D'APPEL DE GRENOBLE


PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE


ARRÊT DU MARDI 26 MARS 2024


Appel d'un jugement (N° RG 20/00534)

rendu par le tribunal judiciaire de GAP

en date du 27 juin 2022

suivant déclaration d'appel du 09 août 2022



APPELANTS :


M. [Aa] [C]

né le [Date naissance 4] 1953 à [Localité 12]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 10]


Mme [F] [V] épouse [C]

née le [Date naissance 1] 1953 à [Localité 12]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 10]


représentés par Me Fabien BOMPARD de la SCP ALPAVOCAT, avocat au barreau de HAUTES-ALPES postulant, et plaidant par Me Nicolas OOSTERLYNCK de la SCP PENARD-OOSTERLYNCK, avocat au barreau d'AVIGNON


INTIMÉES :


MUTUELLE DU MINISTERE DE LA JUSTICE (MMJ) prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 6]

[Localité 12]


représentée par Me Dejan MIHAJLOVIC de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, et ayant pour avocat plaidant Me Julien DEGROVE, avocat au barreau de Paris


SA POLYCLINIQUE [9] prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège situé :

[Adresse 5]

[Localité 10]


S.A SHAM prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège situé :

[Adresse 3]

[Localité 7]


représentées par Me Anaïs CLEMENT-GABELLA de la SCP LEGALP, avocat au barreau de HAUTES-ALPES postulant et plaidant par Me Vittoria OUVRARD,de la S.E.L.A.R.L ABEILLE & ASSOCIES, avocate au barreau de MARSEILLE



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :


Mme Catherine Clerc, président de chambre,

Mme Joëlle Blatry, conseiller,

Mme Véronique Lamoine, conseiller,


DÉBATS :


A l'audience publique du 22 janvier 2024, Mme Clerc présidente de chambre chargée du rapport et Mme Blatry, conseiller, assistées de Mme Anne Burel, greffier, ont entendu seules les avocats en leurs observations, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile🏛🏛.


Il en a été rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu ce jour.


*****



FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES


M. [Aa] [C] né le [Date naissance 4] 1953 a été hospitalisé du 1er août 2017 au 3 août 2017 à la Polyclinique [9] à [Localité 10] (la Polyclinique) pour la pose le 1er août d'une prothèse totale de hanche gauche par le Dr [J], chirurgien.


Après une luxation de la hanche opérée ayant nécessité, courant août, une réduction orthopédique au CHU de [Localité 8] région où il séjournait, puis une seconde luxation, M. [C] a été transféré à la Polyclinique pour revoir son chirurgien qui a préconisé un remplacement de la prothèse.


Cette seconde intervention chirurgicale a été réalisée le 6 septembre 2017 par le Dr [J] à la Polyclinique de [Localité 10] et M. [C] est rentré à domicile le 8 septembre. Des prélèvements microbiologiques ont été pratiqués le jour de l'intervention, et sont revenus négatifs à 5 jours.

Le 11 septembre 2017, une thrombose péronière est diagnostiquée. Le 13 septembre, le Dr [J] réalise l'évacuation d'un hématome de sang noir avec pose d'un point de suture, aucun prélèvement microbiologique n'est alors réalisé. Des pansements à faire par infirmier à domicile sont prescrits le 20 septembre.

Le 28 septembre, le Dr [J] constate la persistance d'un écoulement noir avec aspect inflammatoire, et, après réunion de concertation pluridisciplinaire à la Polyclinique, une reprise chirurgicale est préconisée, avec lavage, synovectomie et prélèvements bactériologiques.


Cette reprise chirurgicale est réalisée le 4 octobre 2017, avec prélèvements bactériologiques dont deux reviennent positifs à Staphylococcus aureus (staphylocoque doré). Une antibiothérapie est mise en place et l'évolution est, dans un premier temps, favorable.


A partir de mi-décembre 2017, des douleurs réapparaissent avec syndrome inflammatoire biologique, après arrêt de l'antibiothérapie le 16 novembre.

Une échographie réalisée le 21 décembre 2017 complétée par un scanner révèle une collection profonde au niveau de la prothèse. Une ponction réalisée le 28 décembre ramène un liquide séro-hématique positif en bactériologie avec un "Staphylococcus epidermidis'.


M. [C] est alors adressé à un médecin spécialisé en maladies infectieuses au CHU de [Localité 11], qui évoque une infection chronique nécessitant un changement de prothèse.


M. [C] ayant des relations sur [Localité 12], est finalement pris en charge au service d'orthopédie de l'hôpital de la [13] où est réalisé, le 25 janvier 2018, un remplacement de la prothèse avec prélèvements microbiologiques multiples retrouvant un Staphylococcus epidermidis.

Il a quitté l'hôpital le 10 février avec prescription d'antibiothérapie, et a pu reprendre son activité professionnelle le 16 mai 2018, avant de faire valoir ses droits à la retraite pour début 2019.


Le 30 octobre 2018, M. [C] a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales "CCI" d'une demande de réparation de son préjudice en invoquant une infection nosocomiale. Deux experts, les Docteurs [N] [X] orthopédiste et [Y] [P] infectiologue ont été désignés.

Ces experts ont déposé leur rapport le 25 juillet 2019, concluant à l'existence d'une infection ayant causé les dommages, contractée "lors de la solution de continuité tégumentaire liée à l'évacuation de l'hématome le 13 septembre 2017". Ils concluent néanmoins à l'absence d'infection nosocomiale mais à une "infection associée aux soins" et qualifient les différents postes de préjudice sur le plan médico-légal, concluant notamment à un déficit fonctionnel permanent de 10 %.

Par une décision du 12 août 2019, la CCI s'est déclarée incompétente pour donner l'avis prévu par l'article L. 1142-8 du code de la santé publique🏛, au regard de la gravité du dommage inférieur au seuil défini par l'article L. 1142-1 du même code.


Par actes des 8, 9 et 10 juillet 2020, M. [C] et son épouse [F] [V] ont assigné la Polyclinique [9] ainsi que la SA SHAM assureur de cette dernière, enfin la Mutuelle du Ministère de la Justice (MMJ), devant le tribunal judiciaire de Gap aux fins d'indemnisation de leurs préjudices sur le fondement de la responsabilité de la Polyclinique [9] en raison de l'infection nosocomiale contractée par M. [C].



Par jugement du 27 juin 2022, réputé contradictoire en l'absence de comparution de la MMJ, le tribunal a :


débouté les époux [C] de l'ensemble de leurs demandes,

débouté la Polyclinique [9] et la SA SHAM de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile🏛,

condamné les époux [C] aux dépens.



Par déclaration au greffe en date du 9 août 2022, les époux [C] ont interjeté appel de ce jugement.


Par dernières conclusions (n° 2) notifiées le 20 septembre 2023, ils demandent à cette cour d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, et de :


A titre principal :


juger que Monsieur [H] [C] a contracté une infection nosocomiale au décours de sa prise en charge à la Polyclinique [9],

juger que la Polyclinique [9] est responsable de plein droit de l'infection nosocomiale contractée par Monsieur [C],

débouter la Polyclinique [9] et la SHAM de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

condamner in solidum la Polyclinique [9] et la SHAM à payer :


à M. [C] les sommes suivantes en réparation de ses différents préjudices :


3 610,60 € au titre du déficit fonctionnel temporaire,

12 000 € au titre des souffrances endurées,

12 000 € au titre du déficit fonctionnel permanent,

10 000 € au titre du préjudice d'agrément,

430 € au titre de la perte des gains professionnels actuels,

1 387 € au titre des frais divers,

3 950 € au titre de l'assistance par tierce personne avant consolidation,

53 969 € au titre des pertes de gains professionnels futurs,


à Mme [C] les sommes suivantes en réparation de ses différents préjudices :


5 000 € en réparation de son préjudice moral,

5 000 € en réparation de son préjudice d'agrément par ricochet,


A titre subsidiaire :


ordonner une expertise médicale pour rechercher tous éléments permettant de déterminer si l'infection de la plaie opératoire de M. [C] par deux staphylocoques, contractée au décours de l'intervention chirurgicale du 6 septembre 2017, présente un caractère nosocomial,


En toute hypothèse :


condamner in solidum la Polyclinique [9] et la SHAM aux dépens de première instance et d'appel, et à leur payer la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.


Ils font valoir :


qu'une infection est dite "nosocomiale" si elle est survient au cours ou au décours d'une prise en charge d'un patient, et si elle n'était ni présente ni en incubation au début de la prise en charge,

qu'il est couramment admis qu'en cas de pose d'un implant ou d'une prothèse, les infections survenant dans le champ de l'implant et dans l'année de son implantation sont présumées nosocomiales, sauf à l'établissement hospitalier à rapporter la preuve contraire,

qu'il est constant que l'infection en cause est survenue au décours de l'intervention chirurgicale du 6 septembre 2017 et très rapidement après cette dernière, ayant été diagnostiquée avec certitude au retour des prélèvements effectués le 4 octobre soit moins d'un mois après,

que les experts nommés par la CCI mettent en évidence cette chronologie, tout en employant des termes pouvant prêter à confusion, et parfois contradictoires dans leurs analyses et leurs conclusions,

que le tribunal ne pouvait, après avoir fait ce constat, retenir dans ces conditions une seule des conclusions émises, à savoir que l'infection serait survenue au cours de soins infirmiers à domicile, alors-même que les experts n'indiquaient avoir eu aucune traçabilité de ces soins infirmiers, et que M. [C] était resté hospitalisé deux jours après l'intervention du 6 septembre 2017, période au cours de laquelle il avait subi des soins infirmiers à l'hôpital, notamment la réfection des pansements de la plaie opératoire,

que, dès lors, l'établissement hospitalier et son assureur ne rapportent pas la preuve du fait étranger à l'établissement à l'origine de l'infection, et que le caractère nosocomial de cette infection doit être retenu, avec toutes conséquences de droit.


La Polyclinique [9] et la SA SHAM, par uniques conclusions notifiées le 16 janvier 2023, demandent la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et :


le débouté des époux [C] de l'ensemble de leurs demandes, y compris celle tendant à voir ordonner une expertise faute d'utilité démontrée au sens des articles 263 et suivants du code de procédure civile🏛,


A titre infiniment subsidiaire, elles concluent à la réduction à de plus justes proportions des demandes présentées par les appelants, et au débouté de leurs demandes injustifiées.


Elles sollicitent enfin la condamnation des époux [C] aux entiers dépens et à leur payer une somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.


Elles reprennent, en les développant, les éléments retenus par le tribunal pour considérer que l'infection ne présente pas, en l'espèce, de caractère nosocomial, en particulier l'affirmation des experts mandatés par la CCI selon laquelle l'infection "a été acquise en dehors de l'établissement lors des pansements réalisés à domicile", les experts concluant ainsi leur analyse : "Nous retiendrons une infection associée aux soins".


La MMJ, par uniques conclusions notifiées le 3 janvier 2023, demande l'infirmation du jugement, et la reconnaissance du caractère nosocomial de l'infection contractée par M. [C].


Elle réclame la condamnation in solidum de la Polyclinique [9] et de son assureur la SA SHAM à verser la somme de 4 512,58 € au titre de ses débours résultant de l'intervention du 6 septembre 2017 selon décompte arrêté au 1er avril 2019, outre intérêts de droit.


A titre subsidiaire, elle s'associe à la demande d'expertise présentée par les époux [C].


En toute hypothèse, elle demande condamnation in solidum de la Polyclinique [9] et de la SA SHAM aux entiers dépens et à lui payer la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.


Il est renvoyé à ses conclusions pour plus ample exposé.


L'instruction a été clôturée par une ordonnance rendue le 12 décembre 2023.



MOTIFS


Sur la responsabilité de la Polyclinique [9]


Aux termes de l'article L. 1142-1 alinéa 2 du code de la santé publique🏛 :


"Les établissements, services et organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère".


L'article R. 6111-6 du même code dispose que :


"Les infections associées aux soins contractées dans un établissement de santé sont dites infections nosocomiales".


Le Conseil d'état a précisé cette définition en considérant l'infection nosocomiale comme :


« l'infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge ».


Enfin, le Comité technique des infections nosocomiales et des infections liées aux soins, en liaison avec la Commission nationale des accidents médicaux a, en mai 2007, repris cette définition en la précisant de la manière suivante :


« Une infection est dite nosocomiale ou associée aux soins si elle survient au cours ou au décours d'une prise en charge (diagnostique, thérapeutique, palliative, préventive ou éducative) d'un patient et si elle n'était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge.

Est considérée habituellement comme associée aux soins, l'infection survenant dans les 30 jours suivant l'intervention ou, s'il y a mise en place d'un implant, d'une prothèse ou d'un matériel prothétique, dans l'année qui suit l'intervention ».


Par ailleurs, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a, dans un arrêt du 3 novembre 2016, énoncé la responsabilité de plein droit d'une clinique dans le cas d'une infection, consécutive à des soins, contractée par un patient qui avait été hospitalisé au sein de cette clinique, cette dernière ayant, dès lors, la charge de rapporter la preuve d'une cause étrangère.


En l'espèce, il est constant que l'infection subie par M. [C] est survenue dans les suites d'une intervention pour prothèse de hanche pratiquée par le Dr [J] à la Polyclinique [9] le 1er août 2017.


Par ailleurs, il ressort des conclusions des experts mandatés par la CCI, non discutées sur ce point (page 5 de leur rapport, milieu de la page, paragraphe commençant par les mots "Sur le plan infectieux"), que l'infection en cause est survenue "à compter de" la réimplantation de la 2ème prothèse le 06 septembre 2017, dès lors que des prélèvements microbiologiques effectués lors de cette intervention s'étaient avérés stériles.


Les experts énoncent encore les faits matériels suivants, documentés par les pièces médicales transmises par les parties et confirmées par celles versées aux débats par M. [C] dans le cadre de la présente instance, qui se sont déroulés selon la chronologie suivante après l'intervention du 6 septembre 2017 :


M. [C] a présenté le 11 septembre une thrombose dont la décoagulation a été efficace,

le 13 septembre soit à 7 jours post-opératoire et à 5 jours de la sortie d'hospitalisation, a été diagnostiqué un hématome de sang noir que le Dr [J] a évacué avec pose d'une suture,

le 4 octobre, le Dr [J] a procédé à une fistulectomie avec changement des implants, lavage et prélèvements, parmi lesquels deux sont revenus positifs à Staphylococcus aureus.


Il en résulte que l'infection en cause est survenue dans l'année de la pose de la prothèse initiale le 1er août 2017 et du remplacement de celle-ci le 6 septembre, au décours de cette dernière intervention (puisque les prélèvements réalisés ce jour-là sont revenus négatifs) et avant l'intervention du 4 octobre (puisque les prélèvements faits ce jour-là sont revenus positifs).


Entre ces deux événements :


M. [C] est resté hospitalisé deux jours après l'intervention du 6 septembre,

il est ensuite retourné à son domicile le 8 septembre,

le Dr [J] a, ainsi que rappelé plus haut, pratiqué le 13 septembre une évacuation d'un hématome par incision et pose d'une suture,

M. [C] est rentré à son domicile avec prescription de pansements à faire par infirmier.


Il résulte des principes rappelés plus haut que la Polyclinique [9] est, au regard de l'existence d'une prothèse, et du court laps de temps survenu entre l'intervention du 6 septembre et le diagnostic d'infection à Staphylococcus aureus moins d'un mois plus tard (puisque révélé par des prélèvements opérés le 4 octobre) responsable de plein droit de l'infection constatée, sauf pour elle à en rapporter la preuve contraire.


Or cette preuve n'est pas rapportée par la Polyclinique [9], qui se contente sur ce point de l'affirmation figurant au bas de la page 5 du rapport des experts mandatés par la CCI, selon laquelle "Sur le plan nosologique, il s'agit d'une infection aux soins, dans la mesure où la survenue de l'hématome est apparue cinq jours après la sortie de l'établissement de soins, alors qu'il était pris en charge par pansements infirmiers à son domicile", conduisant à la conclusion figurant en bas du tableau en page 10 du rapport des mêmes experts, lesquels n'ont pas validé la rubrique "infection nosocomiale", mais renseigné la rubrique "infection non nosocomiale" de la façon suivante : "Infection associée aux soins à Staphylococcus aureus puis Staphylococcus epidermidis".


Or, cette affirmation entre en contradiction avec la phrase figurant au milieu de la page 5 du même rapport, soit quelques paragraphes seulement avant celle qui vient d'être citée, aux termes de laquelle les experts énoncent : "l'hypothèse qui nous paraît la plus vraisemblable est la survenue d'une contamination de la plaie opératoire lors de la solution de continuité tégumentaire liée à l'évacuation de l'hématome du 13/09/17" (sic, seul le soulignement ayant été ajouté ici pour plus de clarté), la "solution de continuité tégumentaire" évoquée par les experts ne pouvant se rapporter qu'à l'incision pratiquée le 13 septembre par le Dr [J] pour évacuer l'hématome, ce terme induisant une rupture ou interruption de ce qui doit être continu, et l'adjectif "tégumentaire" désignant la peau et ses annexes (poils, glandes, etc...), cette "solution de continuité" ne pouvant donc pas se rapporter aux soins infirmiers de changement de pansements prescrits suite à cette intervention.


Il en résulte que la seule affirmation des experts selon laquelle l'infection serait survenue lors de soins infirmiers à domicile, non documentée si ce n'est par la circonstance que "l'hématome est survenu 5 jours après la sortie de l'établissement de soins, alors qu'il était pris en charge par pansements infirmiers à domicile" dont la pertinence n'est pas manifeste, et contraire à leur analyse précédente évoquant l'origine de la contamination dans la "solution de continuité tégumentaire" pratiquée le 13 septembre 2017, ne constitue pas la preuve suffisante d'une cause étrangère à l'hospitalisation et aux actes chirurgicaux pratiqués, qui serait directement à l'origine de l'infection.


Au vu de l'ensemble de ces éléments, étant rappelé que le juge n'est pas lié par les constatations ou conclusions du technicien conformément à l'article 246 du code de procédure civile🏛, il y a lieu, par voie d'infirmation du jugement, de dire que l'infection présentée par M. [C] est une infection nosocomiale dont la Polyclinique [9] doit réparation, in solidum avec son assureur la SA SHAM qui ne conteste pas sa garantie en l'espèce.


Sur les préjudices de M. [C] consécutifs à l'infection en cause


Les experts désignés par la CCI ont fixé la date de consolidation au 1er avril 2019, ce qui n'est contesté par aucune des parties.


I- préjudices patrimoniaux


I-I avant consolidation


1. dépenses de santé


La notification des sommes payées par la MMJ fait apparaître des dépenses médicales prises en charge du 6 septembre 2017 au 28 mars 2019 à hauteur de la somme totale de 4 512,58 €, dont le détail est fourni dans un décompte de cinq pages, et qui n'est pas discutée par la Polyclinique et son assureur.


M. [C] n'indique pas avoir conservé des frais à sa charge.


Il y a donc lieu de faire droit à la demande de la MMJ tendant à voir condamner in solidum la Polyclinique et son assureur au paiement de cette somme.


2. pertes de gains professionnels avant consolidation


Ce préjudice s'élève au montant des pertes de revenus subis par M. [C]. Or, s'il indique avoir perdu la somme de 430 € au titre des retenues sur salaire de juin et août 2018 au titre de la maladie ordinaire et des jours de carence, il n'en justifie pas dès lors que les bulletins de salaire correspondants aux mois en cause ne sont pas versés au débat, ni aucune attestation ni certificat de son organisme de paie de nature à établir la réalité et le montant de cette perte.


Il ne peut donc être fait droit à cette demande.


3. frais divers


M. [C] est fondé à se voir indemniser du coût des déplacements, consécutifs à l'infection nosocomiale, qu'il a dû effectuer entre [Localité 10] lieu de son domicile et :


d'une part [Localité 11] pour la consultation du Dr [T] au CHU, spécialiste en maladies infectieuses,

d'autre part [Localité 12] où il a finalement été pris en charge pour remplacement total de la prothèse le 5 janvier 2018 à l'hôpital de la [13], puis suivi post-opératoire puisque les prélèvements microbiologiques réalisés au cours de cette intervention se sont révélés positifs.


Compte-tenu du coût unitaire moyen justifié d'un trajet [Localité 10]-[Localité 11] (25 € aller et retour), et [Localité 10]-[Localité 12] (227 €), la demande de M. [C] à hauteur de 1 387 € correspondant à un trajet vers [Localité 11] et six trajets vers [Localité 12] est justifiée, et il y a lieu d'y faire droit.


4. assistance par tierce personne


Il ressort du rapport des experts mandatés par la CCI que M. [C] a dû bénéficier de l'aide de son épouse à domicile 2 à 3 heures par jour pendant la période de déficit fonctionnel temporaire à 50 %.


Ce préjudice peut être indemnisé sur la base d'un coût horaire moyen de 20 €, ce qui conduit à l'indemnisation suivante :


20 x 2,5 heures x 79 jours = 3 950 €, somme qui sera donc allouée à M. [C] à ce titre.


I-II préjudices patrimoniaux permanents


1. dépenses de santé après consolidation


Aucun préjudice n'est invoqué à ce titre.


2. perte de gains professionnels après consolidation


M. [C] fait valoir, à ce titre :


que le 6 mars 2017, soit avant la pose de la première prothèse, il avait "exprimé sa volonté auprès du Conseil supérieur de la magistrature et de la Direction des services judiciaires" de poursuivre son activité juridictionnelle jusqu'à l'âge limite correspondant à sa tranche d'âge soit 66 ans et deux mois, c'est-à-dire jusqu'en octobre 2019,

mais que tant l'année perdue du fait de ses ennuis de santé que les difficultés qu'il a rencontrées à la reprise de son activité le 8 mai 2018, l'ont convaincu et surtout contraint d'anticiper la fin de son activité professionnelle et de faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er janvier 2019.


Or, cette affirmation n'est étayée d'aucune pièce justificative de nature à établir la ferme intention du demandeur, avant la pose de la première prothèse de hanche le 1er août 2017, de poursuivre son activité professionnelle jusqu'à l'âge limite, en particulier aucune "volonté (exprimée) auprès du Conseil supérieur de la magistrature et de la Direction des services judiciaires" telle qu'elle est alléguée n'est justifiée.


Néanmoins, il n'est pas contestable que les nombreuses vicissitudes médicales consécutives à l'infection, subies par M. [C] pendant huit mois entre la déclaration de l'infection en septembre 2017 et la reprise de son activité professionnelle en mai 2018, associées au déficit fonctionnel permanent de 10 % retenu par les médecins experts de la CCI comme consécutifs à l'infection en cause, et consistant dans une gêne dans la fonctionnalité de la hanche, lui ont fait perdre une chance de poursuivre son activité professionnelle jusqu'à son terme maximal c'est-à-dire le mois d'octobre 2019 inclus, soit 10 mois après la date à laquelle il a fait valoir ses droits à la retraite.


Cette perte peut être estimée à 50 % en considération de ce que M. [C] était en bonne santé et sportif mais déjà âgé de presque 64 ans au moment de la pose de la première prothèse, et qu'il avait 65 ans et 4 mois lorsqu'il a, finalement, fait valoir ses droits à la retraite.


Dès lors, il y a lieu de lui allouer à ce titre la somme suivante, au vu des justificatifs produits :


perte de revenus de janvier 2019 à octobre 2019 = 6 083 - 4 056 € nets = 2 027 € mensuels x 10 mois = 20 270 € x 50 % = 10 135 €,

perte de pension de retraite : 4 225 - 4 056 € nets = 169 € mensuels x 12 = 2 028 € annuels x 16,568 (montant de l'euro de rente du taux de capitalisation de la Gazette du Palais 2018, dernière connue en 2019) = 33 599 € x 50 % = 16 799,50 €,

soit une somme totale de : 26 934,50 €.


II- préjudices extra patrimoniaux


II-I préjudices extra patrimoniaux temporaires


1. déficit fonctionnel temporaire


Les experts l'ont estimé de la manière suivante, ce qui n'est pas discuté par les personnes tenues à indemnisation :


total : durant les périodes d'hospitalisation soit une durée totale de 42 jours selon le calcul effectué par le demandeur conforme aux éléments du dossier, qui peuvent être indemnisés selon la base moyenne de l'indemnisation de ce type de préjudice soit 28 € par jour soit un total de 1 176 €,

à 50 % durant un mois plus un jour pendant les périodes suivants les hospitalisations, sauf celle suivant l'hospitalisation de fin décembre 2017 à début janvier 2018 (21 jours), soit un total de 79 jours, ce qui donne un total de (28 € x 76 jours) x 50 % = 1 106 €,

à 25 % pendant 35 jours du 16 novembre 2017 au 21 décembre 2017 soit une indemnisation à ce titre de : (28 € x 35 jours) x 25 % = 245 €.


Ainsi que le sollicite M. [C], il convient d'y ajouter la période courant à compter du 11 mars 2018 (soit juste après la dernière période de DFP à 50 %) et jusqu'à la date de consolidation le 1er avril 2019, au cours de laquelle le déficit fonctionnel ne saurait être inférieur aux 10 % auquel les médecins experts ont estimé le déficit fonctionnel permanent.

Cette période doit donner lieu à une indemnisation ainsi calculée : (28 € x 387 jours) x 10 % = 1 083,60 €.


La somme totale due à ce titre à la victime et donc de : (1 176 + 1 106 + 245 + 1 083,60) = 3 610,60 €.


2. souffrances endurées


Le médecin expert a estimé ce poste de préjudice à 4/7, comprenant les différentes interventions majeures subies, explorations, antibiothérapies, perfusion par Picc-Line et intolérance aux antibiotiques.


Ce préjudice sera intégralement réparé par l'allocation d'une somme de 12 000 € réclamée par M. [C], qui n'est pas excessive compte-tenu des nombreux éléments constituant ce poste de préjudice.


II-II préjudices extra patrimoniaux permanents


1. déficit fonctionnel permanent


Il a été estimé par les médecins experts à 10 % ; les éléments du dossier permettent de fixer la réparation intégrale de ce poste de préjudice à la somme de 12 000 € sur la base de 1 200 € le point pour un homme de 65 ans à la date de la consolidation.


2. préjudice d'agrément


M. [C] justifie, par plusieurs attestations ainsi que des photographies versées aux débats, qu'il pratiquait, avant les faits en litige, une activité soutenue de randonnées en montagne et en haute montagne, les médecins experts nommés par la CCI confirmant que la poursuite de cette activité était fortement compromise par les séquelles de l'infection subie et le déficit fonctionnel permanent qui en est résulté.


Il y a lieu, au vu des éléments du dossier, de réparer ce poste de préjudice l'allocation d'une somme de 4 000 €, suffisante à le réparer entièrement.


Sur les demandes formées par Mme [C] au titre de ses préjudices


# demande au titre d'un préjudice moral


Cette demande recouvre en réalité, au vu des éléments invoqués par l'épouse de la victime, ce que la nomenclature dite "DINTILHAC' qualifie de "préjudice d'affection", c'est-à-dire le préjudice moral subi par les proches à la vue de la souffrance et du handicap de la victime directe.

En l'espèce, il est incontestable que Mme [C] a subi un préjudice en devant accompagner moralement son époux durant les nombreuses vicissitudes médicales qui ont suivi l'infection nosocomiale en litige, et en étant témoin de ses souffrances physiques, de ses déficits fonctionnels temporaires puis permanent.


Ce préjudice sera réparé par l'allocation d'une somme de 3 000⚖️ €.


# demande au titre d'un préjudice d'agrément par ricochet


Mme [C] établit, par les attestations produites, que la pratique intensive de la randonnée en montagne et haute montagne précédant les faits en litige était très régulièrement partagée avec son époux. Il en résulte que la difficulté majeure pour ce dernier d'y procéder aujourd'hui rejaillit nécessairement sur la pratique de son épouse qui subit donc, à ce titre, un préjudice d'agrément par ricochet.


Au vu des éléments du dossier, ce préjudice sera réparé par l'allocation d'une somme de 3 000 €.


Sur les demandes accessoires


Les dépens seront supportés in solidum par la SA POLYCLINIQUE [9] et son assureur, tenus à indemnisation.


Il serait inéquitable de laisser à la charge des époux [C] et de la MMJ la totalité des frais irrépétibles engendrés par la présente procédure ainsi que celle devant le tribunal.



PAR CES MOTIFS


La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,


Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré.


Statuant à nouveau et y ajoutant :


Dit que l'infection présentée par M. [C] est une infection nosocomiale engageant la responsabilité de plein droit de la SA POLYCLINIQUE [9].


Condamne par conséquent in solidum la SA POLYCLINIQUE [9] et son assureur la SHAM à payer :


à M. [C] les sommes suivantes en réparation des postes de préjudices suivants :


- déficit fonctionnel temporaire total et partiel


3 610,60 €


- souffrances endurées


12 000 €


- déficit fonctionnel permanent


12 000 €


- préjudice d'agrément


4 000 €


- frais divers


1 387 €


- assistance par tierce personne avant consolidation


3 950 €


- perte de gains professionnels futurs


26 934,50 €


à Mme [F] [V] épouse [C] les sommes suivantes en réparation de ses préjudices :


- préjudice moral requalifié en préjudice d'affection


- préjudice d'agrément par ricochet


3 000 €

3 000 €


à M. [C] et Mme [C] la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.


Condamne in solidum la SA POLYCLINIQUE [9] et son assureur la SHAM à payer à la Mutuelle du Ministère de la Justice "MMJ" :


la somme totale de 4 5120, 58 € au titre de ses débours consécutifs à l'infection en cause,

la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.


Rejette toutes les autres demandes.


Condamne in solidum la SA POLYCLINIQUE [9] et son assureur la SHAM aux dépens de première instance et d'appel.


Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de la procédure civile🏛,


Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


LE GREFFIER LA PRESIDENTE

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