Jurisprudence : Avis, Conclusions, 18-05-2022, n° 22-70.003

Avis, Conclusions, 18-05-2022, n° 22-70.003

A85762R3

Référence

Avis, Conclusions, 18-05-2022, n° 22-70.003. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105409149-avis-conclusions-18052022-n-2270003
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AVIS DE M. CHAUMONT, AVOCAT GÉNÉRAL

Avis n° 15005 (B+R) du 18 mai 2022 – Première chambre civile Saisine pour avis n° 22-70.003 du 23 février 2022 – tribunal judiciaire de Vannes

M. le juge des libertés et de la détention du Tribunal Judiciaire de Vannes C/ l'établissement Public de Santé Mentale du Morbihan _________________

1. Rappel des faits et de la procédure Le 27 janvier 2022, Mme [S] [J] rédigeait, sur un formulaire intitulé « Soins psychiatriques à la demande d'un tiers», la demande suivante : «Je soussignée [J] [S] (...) en qualité de mère demande au directeur de l' EPSM [adresse 1} d'admettre dans son établissement en soins psychiatriques sur demande d'un tiers Mme [J] [Z], étudiante, née le [date de naissance 1] 2004 (...) pour y recevoir les soins que nécessite son état conformément à l'article L. 3212-1 ou L. 3212-3 du code de la santé publique». Un certificat médical était établi le même jour indiquant : «passage à l'acte suicidaire par strangulation dans chambre d'hospitalisation, à l'aide du cordon de son MP3 (1er passage à l'acte dans l'unité le 04/01/2022 (...). Patiente hospitalisée depuis le 29/10/2021 à la clinique pour adolescents pour résurgence de troubles dépressifs

majeurs avec velléités suicidaires persistantes, médicamenteux. Sismographie programmée».

résistance

aux

traitement

Le directeur de l'établissement public de santé mentale de [adresse 1] (Morbihan) prenait, également le même jour, la décision d'admettre [Z] [J] en hospitalisation complète en application de la procédure prévue par l'article L.3212-1 du code de la santé publique (CSP) pour l'admission en soins psychiatriques à la demande d'un tiers.

Le lendemain, il saisissait le juge des libertés et de la détention (JLD) de Vannes sur le fondement de l'article L.3211-12-1 du CSP et maintenait pour un mois les soins en hospitalisation complète. Le JLD confirmait cette décision le 4 février 2022, et, le 14 février suivant, se saisissait d'office comme le lui permet l'article L. 3211-12, alinéa 3, du CSP. Par ordonnance du 23 février 2022, il sursoyait à statuer et saisissait la Cour de cassation de la question suivante : « L'article L.3211-10 du code de la santé publique s'analyse-t-il comme interdisant toute mesure d'hospitalisation d'un mineur à la demande d'un tiers, ou limite-t-il la qualité de tiers demandeur aux seuls titulaires de l'autorité parentale ?».

2- Examen de la recevabilité de la demande d'avis 2.1 Règles de forme Les diligences relatives : . à la délivrance d'avis aux parties ainsi qu'au ministère public et au recueil de leurs observations (article 1031-1 du code de procédure civile), . à la délivrance d'avis au ministère public, au premier président de la cour d'appel et au procureur général (article 1031-2, alinéa 3), . à la transmission au greffe de la Cour de cassation (article 1031-2, alinéa 1er), ont été respectées. En revanche, la notification aux parties de la décision sollicitant l'avis a été effectuée par courriel et non par lettre recommandée avec avis de réception, et ceci sans que la date de transmission du dossier soit indiquée, contrairement aux exigences de l'article 1031-2, alinéa 2 du code de procédure civile. Or la Cour a déclaré irrecevables des demandes d'avis lorsque la date de transmission du dossier n'avait pas été communiquée aux parties (14 février 1997, pourvoi n° 09-60.012, Bull. 1997, Avis n°1, et 11 avril 2019, pourvoi n° 19-70.003).

Mais, dans les décisions précitées, non seulement les parties n'avaient pas été informées de la transmission de la demande d'avis à la Cour de cassation mais elles n'avaient pas non plus été avisées de ce que le juge envisageait de solliciter l'avis de cette dernière. Ceci était de nature à porter atteinte au principe de la contradiction en privant les parties de la possibilité d'exprimer leur avis sur l'utilité de poser une question de droit à la Cour de cassation et sur son contenu, ainsi que de présenter le cas échéant des observations. Tel n'est pas le cas en l'espèce et c'est pourquoi, en dépit des manquements relevés, qui sont sans incidence sur les droits des parties, je conclus à la recevabilité formelle de la demande d'avis. 2.2 Règles de fond Selon l'article L. 441-1 du code de l'organisation judiciaire, la demande d'avis doit porter sur une question de droit nouvelle, commandant l'issue du litige, présentant une difficulté sérieuse et étant susceptible de se poser dans de nombreux litiges. La présente demande répond à ces conditions et c'est pourquoi, sur ce point également, je vous propose de la déclarer recevable.

3- Examen, sur le fond, de la demande d'avis 3.1 La demande d'avis au regard de l'autorité parentale 3.1.1 Le rôle des titulaires de l'autorité parentale, exclusif de celui des tiers L'article L.3211-10 du code de la santé publique dispose qu'« hormis les cas prévus au chapitre III du présent titre, la décision d'admission en soins psychiatriques d'un mineur ou la levée de cette mesure sont demandées, selon les situations, par les personnes titulaires de l'exercice de l'autorité parentale ou par le tuteur. En cas de désaccord entre les titulaires de l'exercice de l'autorité parentale, le juge aux affaires familiales statue». Précisons, à titre liminaire, que les personnes titulaires de l'autorité parentale sont, sauf exception, les deux parents, ou l'un d'eux, du mineur. Les cas de délégation ou de retrait de l'autorité parentale ou de déclaration judiciaire d'abandon sont en effet rares. Ensuite, observons que le texte est clair.

Il ne vise pas le chapitre II du titre premier consacré à l'admission en soins psychiatriques à la demande d'un tiers ou en cas de péril imminent mais seulement le chapitre III qui porte sur l'admission en soins psychiatriques sur décision du représentant de l'Etat. Il est issu de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 dont les travaux parlementaires font apparaître qu'il a été adopté, sans discussion, conformément au projet de loi. Cette disposition n'est d'ailleurs que la reprise de l'article L.330-1 du code de la santé publique, créé par la loi n° 90-527 du 27 juin 1990, qui excluait lui-même que l'hospitalisation d'un mineur puisse être demandée par d'autres personnes que les titulaires de l'exercice de l'autorité parentale, hormis le préfet, le conseil de famille ou le tuteur. Cette constance législative s'explique par le fait que, compte tenu des liens qui les unissent à leur enfant, c'est aux parents, et à personne d'autre, que la loi confie le soin de le protéger et d'agir dans son intérêt, particulièrement dans le domaine de la santé. L'article L.371-1 du code civil dispose ainsi que : « L'autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant. Elle appartient aux parents jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne (...)». La protection du mineur est rendue nécessaire, en règle générale, par la vulnérabilité inhérente à son âge, laquelle est accentuée en cas de troubles mentaux. Il ne paraît pas envisageable, encore moins dans le domaine particulier et sensible des soins psychiatriques, de scinder l'autorité parentale et de considérer que, dans ce domaine précis, les parents interviendraient en qualité de tiers à l'égard de leur enfant. Ce serait remettre en cause les fondements de l'autorité parentale, ce qui serait d'autant moins opportun que l'objectif serait de contourner la loi afin permettre la mise en oeuvre des mesures privatives de liberté que sont la contention et l'isolement qui, à ce jour, sont réservés aux hospitalisations à la demande d'un tiers ou du représentant de l'Etat. L'autorité parentale est, par ailleurs, une fonction d'ordre public à laquelle il ne peut être renoncé et qui ne peut être cédée si ce n'est en vertu d'un jugement dans les cas déterminés par la loi. Ceci n'exclut pas que, comme l'exige l'article L.1111-4, alinéa 7, du CSP, le consentement du mineur soit systématiquement recherché, mais seulement si ce dernier est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision.

Cependant, dans son rapport de 2017 dédié aux droits fondamentaux des mineurs en établissement de santé mentale, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) souligne fort à propos, que « demander à un enfant mineur (y compris à partir de seize ans comme en Norvège) de consentir expressément à son hospitalisation, c'est attendre de lui qu'il reconnaisse le trouble mental ; une telle démarche est probablement très douloureuse, parfois même impossible, pour un adolescent» (p.21). C'est donc aux parents, qui sont les mieux à mêmes d'apprécier l'intérêt de leur enfant, et à eux seuls, de prendre la décision de demander son admission en soins psychiatriques. 3.1.2 La défaillance des titulaires de l'autorité parentale En cas de carence des titulaires de l'autorité parentale, ce n'est pas à un tiers, y compris au sens de l'article L.3212-1 du CSP, c'est à dire un membre de la famille du mineur ou une personne justifiant de l'existence de relations avec lui antérieures à la demande de soins, qu'il appartient d'intervenir. C'est au juge des enfants qu'il incombe, en vertu de l'article 375 du code civil, s'il estime que la santé ou la sécurité du mineur sont en danger, d'ordonner d'office ou à la requête d'autres acteurs, des mesures d'assistance éducative. A cette occasion, et si la protection de l'enfant l'exige, ce magistrat peut confier celui-ci à un service sanitaire spécialisé, comme le lui permet l'article 375-3,3° (1ère Civ., 29 mai 1996, pourvoi n° 92-05.018, Bulletin 1996 I n° 226), selon les conditions de l'article 375-9. Il apparaît donc qu'en matière de soins psychiatriques d'un mineur, l'admission à la demande d'un tiers est exclue, car elle ne se justifie pas.

3.2 La demande d'avis au regard des droits du mineur Dans les motifs de son ordonnance, le JLD de Vannes souligne que la lecture de l'article L.3211-10 dans le sens que je viens d'exposer emporte deux inconvénients : - Elle «(...) prive le mineur du droit de voir sa situation examinée par le juge des liberté et de la détention alors que la possibilité pour un mineur de saisine du (JLD) est une des préconisations du contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rapport de 2017 (...). - En outre la loi du 22 janvier 2022 (...) interdit le recours aux mesures d'isolement et de contention en dehors de toute mesure de soins sans consentement, ce qui pose une difficulté récurrente aux établissements de santé mentale en charge de mineurs lorsque de telles mesures s'avèrent indispensables (...)».

3.2.1 S'agissant du premier point Le JLD n'intervient que lorsque des soins contraints sont prodigués, lesquels ne le sont qu'à la suite d'une décision d'admission prononcée soit : - par le directeur d'un établissement de santé chargé d'assurer les soins psychiatriques sans consentement, soit à la demande d'un tiers, soit en cas de péril imminent (chapitre II du CSP, article L.3212-1); - par le représentant de l'Etat dans le département (chapitre III du CSP, article L.3213-1); - par l'autorité judiciaire, à l'occasion d'une procédure pénale (article 706135 du code de procédure pénale). L'admission à la demande des titulaires de l'autorité parentale ne relevant d'aucune de ces hypothèses, les soins sont considérés comme libres, de sorte que le JLD n'est pas appelé à exercer son contrôle. Dans son rapport, le CGLPL souligne que si le consentement du mineur doit être recherché, il n'est pas un préalable indispensable à l'admission. Il peut même faire défaut si le mineur conteste l'opportunité de son admission et il le fera avec d'autant plus de force qu'il s'approche de sa majorité. C'est pourquoi le Contrôleur recommande que les mineurs puissent, comme les majeurs, saisir le JLD (p.21 et 22 du rapport). Un tel recours pourrait être opportunément instauré par le législateur. Il y a lieu de souligner toutefois que le mineur n'est pas privé de tout accès à un magistrat puisqu'il peut saisir son juge naturel, le juge des enfants, en application de l'article 375 du code civil s'il estime que sa santé et sa sécurité sont en danger. Cette situation recouvre l'hypothèse d'une admission considérée par l'enfant comme non justifiée, voire abusive. En toute hypothèse, la circonstance qu'il ne puisse pas, en l'état du droit, saisir le JLD ne peut conduire à assimiler les titulaires de l'autorité parentale à des tiers. 3.2.2 S'agissant du second point L'article L.3222-5-1 du code de la santé publique, issu de la loi n° 2046-41 du du 26 janvier 2016, qui prévoit le recours, dans des conditions strictement limitées, aux mesures d'isolement et la contention n'est pas applicable aux soins libres. Le JLD souligne les difficultés pratiques auxquelles peuvent être confrontés les soignants face au comportement violent d'un jeune patient à l'égard de lui-même et d'autrui.

Cette situation a été également examinée par le CGLPL qui a préconisé diverses améliorations à ce sujet (p.48 à 50 du rapport). Cependant, les services de santé mentale ne sont pas totalement démunis puisqu'une admission en soins psychiatriques sur décision du représentant de l'Etat dans le département, prévue par l'article L.3213-1 du CSP, permet ces mesures de contrainte lorsque le malade, qui peut être un mineur, présente des troubles mentaux qui compromettent la sûreté des personnes, y compris la sienne, ou portent atteinte de façon grave à l'ordre public. L'extension de l'application de ces mesures privatives de liberté aux soins dispensés aux mineurs admis à la demande des titulaires de l'autorité parentale relève du législateur.

En tout cas, la difficulté soulevée par le JLD de Vannes ne justifie pas davantage que la précédente que, lorsqu'ils demandent l'admission de leur enfant, les représentants légaux soient considérés comme des tiers. +++ Au regard de ce qui précède, je vous propose de déclarer la demande d'avis recevable et de répondre que l'article L.3211-10 du CSP doit être interprété en ce sens qu'hormis les cas prévus par les articles L.3213-1 à L.3214-3 du même code, l'admission en soins psychiatriques d'un mineur ou la levée de cette mesure sont demandées, selon les situations, par les personnes titulaires de l'autorité parentale ou par le tuteur, à l'exclusion des tiers. --------

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