Cass. com., Conclusions, 30-08-2023, n° 21-12.307
A85622RK
Référence
AVIS DE M. LECAROZ, AVOCAT GÉNÉRAL
Arrêt n° 513 du 30 août 2023 (B-R) – Chambre commerciale, financière et économique Pourvoi n° 21-20.307 Décision attaquée : 18 décembre 2020 de la cour d'appel de SaintDenis de la Réunion M. [S] [C] C/ Directeur général des finances publiques _________________ Avis de cassation Avis de relevé d'un moyen de pur droit et de cassation Rédigé avec le concours de Mme Hortense Derrien, Mme Constance Duxin et M. Emile Lansade, stagiaires au parquet général.
Le présent dossier pose le problème de la représentation mutuelle des codébiteurs solidaires d'une dette fiscale qui aboutit, selon votre jurisprudence actuelle, à la décharge totale de la dette dès lors que l'un d'entre eux n'a pas reçu une notification valable de la part de l'administration fiscale. La solution ne me paraît pas satisfaisante et je vous propose un revirement de jurisprudence qui me semble à la fois proportionné aux irrégularités procédurales commises par l'administration fiscale et respectueux des droits des codébiteurs solidaires, qui ont reçu notification valable de l'Administration sans que leur sort ne soit aggravé.
1
1. Eléments généraux sur la solidarité et la portée de l'unité de la dette La solidarité est prévue par l'article 1313 du Code civil : « La solidarité entre les débiteurs oblige chacun d'eux à toute la dette. Le paiement fait par l'un d'eux les libère tous envers le créancier. Le créancier peut demander le paiement au débiteur solidaire de son choix. Les poursuites exercées contre l'un des débiteurs solidaires n'empêchent pas le créancier d'en exercer de pareilles contre les autres ». En synthèse de la solidarité passive, la doctrine 1 expose, pour décrire ses effets, que « la dette ne se divisant pas entre les codébiteurs, chacun est tenu pour le tout envers le créancier ; corrélativement, le codébiteur qui a payé pour le tout dispose d'un recours contre les autres afin de leur réclamer leur part contributive » et, pour exprimer sa finalité, que « le créancier pouvant réclamer la totalité de la dette à l'un ou l‘autre des codébiteurs, ne supporte pas le risque tenant à l'insolvabilité de l'un d'entre eux ». Les effets de la solidarité dépendent du rapport dans lequel on se place : au stade de l'obligation à la dette entre le créancier et les codébiteurs solidaires (I), au stade de la contribution à la dette dans les relations réciproques entre ces derniers (II). 1.1. - Le rapport d'obligation à la dette Selon la conception majoritaire, les effets de la solidarité se divisent en deux catégories : ceux qui lui sont inhérents (donc indépassables), dits principaux, et ceux qui sont dits secondaires et fondés sur l'idée de représentation mutuelle2. Ces derniers seront abordés dans une partie à part, en tant qu'ils concernent directement la question. Les effets principaux, essentiels, s'articulent autour de deux idées directrices complémentaires. « D'une part, dans une obligation solidaire, les codébiteurs doivent la même chose. La dette, au sens de debitum, est unique (a). D'autre part, chaque 1 On reprendra la présentation de J. FRANCOIS, Les obligations – Régime général, in C. LARROUMET,
Traité de droit civil, Economica, 4e éd. 2 Pour M. CHABAS (in H.-L.-J. MAZEAUD et F. CHABAS, Obligations, t2, 1er vol., 9 éd., 1998, n°1061-2),
réfutant la distinction entre effets principaux et secondaires, la représentation serait même de l'essence de la solidarité en ce qu'elle permettrait d'en expliquer tous les effets. Cette lecture théorique est minoritaire et condamnée par le reste de la doctrine qui fait valoir (au delà des contre-arguments empiriques de droit positif) que, si chaque codébiteur était investi d'un mandat de payer la part de chacun des autres au créancier, cela expliquerait certes le fait qu'il puisse payer le tout mais pas que le créancier puisse l'exiger, étant tiers au mandat. On notera cependant que l'idée de mandat implicite, donc de représentation mutuelle, explique un certain nombre d'effets de la solidarité. M. PLANIOL, G. RIPERT, t. 7, 2e éd. Traité pratique de droit civil français, par P. ESMEIN et J. RADOUANT et G. GABOLDE, n° 1083, p. 452 et s. Mais la représentation mutuelle ne rend pas compte de l'ensemble des solutions retenues par le législateur. Elle est insuffisante pour expliquer le droit positif, fondé sur la distinction entre l'unité de la dette et la pluralité des liens obligatoires. Elle n'est donc pas une clef de lecture impérative dont la méconnaissance permettrait d'invalider une solution en tant qu'elle porterait atteinte à l'essence de la solidarité.
2
codébiteur est, vis-à-vis du créancier, dans un lien d'obligation qui lui est propre. L'obligation solidaire s'accommode donc d'une pluralité de liens obligatoires (b). C'est à partir de ces deux idées que l'on déduit le régime des exceptions ou moyens de défense opposables au créancier par ses codébiteurs (c) ». 1.1.1. - L'unicité de la dette3 L'unicité, ou unité, de la dette signifie que le créancier peut demander le paiement de la totalité4 de la dette à l'un quelconque des codébiteurs solidaires. Autrement dit, le débiteur appelé ne saurait lui opposer le bénéfice de division des poursuites. Le créancier n'est pas même tenu de mettre les autres en cause5. 1.1.2. - La pluralité des liens obligatoires La pluralité des liens obligatoires signifie d'une part que le créancier dispose d'autant d'actions qu'il a de débiteurs et, d'autre part, que les obligations des codébiteurs peuvent être assorties de modalités différentes (termes, conditions, pour l'une et non pour l'autre). 1.1.3. - Le régime des exceptions Il résulte de l'articulation des deux idées précédentes. L'article 1315 du code civil dispose que : « Le débiteur solidaire poursuivi par le créancier peut opposer les exceptions qui sont communes à tous les codébiteurs, telles que la nullité ou la résolution, et celles qui lui sont personnelles. Il ne peut opposer les exceptions qui sont personnelles à d'autres codébiteurs, telle que l'octroi d'un terme. Toutefois, lorsqu'une exception personnelle à un autre codébiteur éteint la part divise de celui-ci, notamment en cas de compensation ou de remise de dette, il peut s'en prévaloir pour la faire déduire du total de la dette ». Les exceptions « communes » sont inhérentes à la dette. Puisque celle-ci est unique, il est logique que chacun des codébiteurs puisse les opposer au créancier. Ces exceptions sont celles qui ont trait à la cause de la dette (nullité pour absence de 3 L'unité de la dette, issue de la conception romaine de la solidarité, n'est pas toujours présentée comme
le fondement de celle-ci. La thèse a été soutenue que l'obligation au tout se formerait par addition d'une obligation conjointe et d'obligations de garantie sur la tête de chaque codébiteur : si chaque codébiteur doit le tout, c'est parce qu'il est débiteur de sa propre part et caution de celles des autres. Cette conception dualiste est fondée sur la notion de garantie mutuelle. Bien qu'elle fut à l'orientation initiale de la réforme de 2016, elle n'a pas été consacré par le législateur qui est resté fidèle à l'idée selon laquelle la solidarité groupe une pluralité d'engagements principaux autour d'un objet unique en faisant échec au principe de division. Il en reste cependant des traces concernant l'opposabilité des exceptions. Elle est commode pour expliquer le régime de celles qui sont simplement personnelles. V. M. MIGNOT, Les obligations solidaires et les obligations in solidum en droit privé français, D. 2006, Chron. 2696. Pour une présentation résumée C. LARROUMET, J. FRANCOIS préc., n° 315 et s. 4 C'est l'effet essentiel de la solidarité, issue du latin « solidum » qui signifie « tout », « total », « entier »
(DEMOLOMBE, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, t. 3, Paris 1870, n° 116, p. 89) Bien sûr l'esprit de la solidarité est de diminuer le risque d'insolvabilité en multipliant les débiteurs, mais le nombre de débiteurs est contingent, quand le fait que chacun soit tenu pour le tout envers le créancier est de l'essence de la solidarité. 5 Com. 18 mars 1980, Bull. civ. IV, n° 129
3
contrepartie, objet indéterminé ou illicite etc.) ou à son objet (extinction), et également le vice de forme de l'acte par lequel ils se sont engagés ainsi que le manquement du créancier à ses propres obligations. A l'inverse, les exceptions personnelles n'affectent que le lien obligatoire particulier qui unit un codébiteur au créancier. Elles ne peuvent alors être invoquées que par lui, pas par les autres, nonobstant l'unité de la dette, dont elles sont dissociables. Les exceptions personnelles se subdivisent en deux catégories. D'une part, celles qui sont considérées comme strictement personnelles au débiteur concerné, de sorte qu'elles ne profiteront aucunement aux autres, soit ne libèrent pas le débiteur concerné (ex : l'octroi d'un terme), soit qu'elle le libère (ex : incapacité). Les codébiteurs demeurent tenus pour le tout, le créancier perd simplement un débiteur, ce qui diminue ses chances globales de recouvrement mais pas le quantum. D'autre part, puisqu'en principe « on ne saurait admettre que la charge des autres codébiteurs soit alourdie », ces derniers pourront faire constater la diminution de la dette solidaire à hauteur de la part contributive du débiteur libéré lorsque les exceptions seront simplement personnelles, ou « mixtes » (remise de dette, compensation, confusion…). La doctrine remarque que la réforme de 2016 promeut la catégorie des exceptions simplement personnelles. Certaines exceptions inhérentes à la dette n'en sont plus, comme la remise de dette. C'est également le cas d'exceptions purement personnelles, comme la compensation. La formulation du texte pourrait en exclure d'autres qui avaient été reconnues strictement personnelles par la jurisprudence pour les faire entrer dans la catégorie des exceptions simplement personnelles (défaut de déclaration de la créance à la procédure collective6, clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif7). D'un point de vue théorique, plus les exceptions produisent d'effet au-delà du rapport particulier où elles sont invoquées, plus l'idée d'unité de la dette sort renforcée, et vice-versa.
1.2. - Le rapport de contribution à la dette L'indivisibilité de la dette ne se produit que dans le rapport entre le créancier et les codébiteurs solidaires. Entre ces derniers, au contraire, la solidarité n'a plus de raison d'être de sorte que la dette est divisée. C'est la solution retenue par l'article 1317, al. 1 er et 2e, qui dispose qu' : « Entre eux, les codébiteurs solidaires ne contribuent à la dette que chacun pour sa part. Celui qui a payé au-delà de sa part dispose d'un recours contre les autres à proportion de leur propre part. »
Com. 19 janvier 1993, Bull. civ. IV, n° 25 ; cause d'extinction strictement personnelle (sauf cautionnement) qui a disparu pour laisser place à la suspension des poursuites, laquelle est désormais étendue aux codébiteurs solidaires par les articles L. 631-14 et L. 641-3 du Code de commerce 6
7 Com. 24 mars 2004, n° 01-17288
4
1.2.1. - Premier temps : La représentation mutuelle en général Les fondements de la représentation mutuelle La solidarité entre débiteurs a pour effet principal, au stade de l'obligation à la dette, de rendre celle-ci unitaire en permettant au créancier de demander paiement pour le tout à l'un quelconque d'entre eux. En parallèle, elle a pour effet secondaire la représentation mutuelle des codébiteurs, forme d'interchangeabilité, qui repose sur la communauté d'intérêts qui leur est prêtée, laquelle se traduit juridiquement en mandat implicite. La jurisprudence classique énonce donc « qu'en matière d'obligations solidaires, chacun des codébiteurs doit être considéré comme le contradicteur légitime et le représentant nécessaire de ses coobligés »8. Il s'ensuivrait, dans l'absolu, que « tous les actes faits à l'égard de l'un sont efficaces contre les autres »9. Pourtant, on lit souvent que la représentation mutuelle serait limitée dans ses effets, en fonction de son résultat10. Aussi est-il fréquemment soutenu qu'elle ne permettrait que de diminuer ou de maintenir l'obligation des codébiteurs, sans pouvoir jamais l'augmenter. Cette solution découle du point de vue classique de Dumoulin et Pothier selon lesquels « ad conservandam vel minuendam non ad augendam obligationem ». Cette lecture in favorem a été consacrée par un ancien arrêt énonçant que « le mandat que les débiteurs sont réputés se donner entre eux, s'il leur permet d'améliorer la condition de tous, n'a pas pour effet de pouvoir nuire à la condition d'aucun d'eux »11. Elle se retrouve également dans la doctrine qui commente la solidarité active, laquelle ne saurait nuire aux créanciers12. La cause d'une telle faveur s'évincerait du caractère tacite de la représentation ; une volonté tacite « peut plus difficilement justifier une aggravation se traduisant généralement par une renonciation »13. Ou bien dans la contrepartie du droit de poursuite du créancier, « chaque débiteur s'exposant à payer toute la dette (donc, sa part, mais aussi celle des autres) retire le droit d'invoquer les initiatives favorables des coobligés »14. 8 DP. 1886. 1. 251 ; Par ex., Com., 6 juin 1961, Bull III, n° 258 9 A. BENABENT, Droits des obligations, LGDJ, n° 764 10 Ph. MALAURIE, L. AYNES, Ph. STOFFEL-MUNCK, Droit des obligations, LGDJ, n° 862 11 Civ. 16 décembre 1891, DP 1892. 177 12
ESMEIN, RADOUANT et GABOLDE, in Traité pratique de droit civil français, M. PLANIOL et G. RIPERT, t. 7, 2e éd., n° 1063 13 J. GHESTIN, M. BILLIAU, G. LOISEAU, Traité de droit civil, LGDJ, Le régime des créances et des
dettes, n° 257 14 J. MESTRE, obs. RTD civ., 1986, p. 598
5
L'état du droit positif, dispersé, est toutefois plus incertain, ce qui contraint la doctrine contemporaine à se résigner à une approche pragmatique, relevant que « les effets secondaires de la solidarité passive [s'analysent] en des mesures de simplification de l'action du créancier, lui évitant d'avoir à procéder à autant de formalités qu'il a de débiteurs, ceux-ci devant, en contrepartie, tirer profit des initiatives favorables de l'un d'entre eux »15. La représentation mutuelle est même fortement contestée sur son principe, certains estimant « qu'elle a été inventée pour tenter de donner quelque rationalité aux effets dits secondaires de la solidarité qui ne s'appuient que sur la nécessité »16. Son caractère artificiel, notamment car l'idée de communauté d'intérêts entre coobligés est une fiction totale en matière de la solidarité légale, a pu lui valoir d'être décrite comme un élément de « folklore juridique »17. En effet, le mandat tacite, pour exister, implique une situation sinon un comportement rendant plausible la volonté de conférer à autrui un pouvoir de représentation, quand la solidarité fiscale est imposée au contribuable. Les occurrences de la représentation mutuelle18 La loi Le Code civil contient plusieurs manifestations significatives de la représentation mutuelle. L'article 2245 permet l'interruption de la prescription de la créance à l'égard de tous les coobligés solidaires dès qu'un acte interruption (action en justice ou acte d'exécution forcée) est diligenté par le créancier à l'encontre d'un seul d'entre eux19. L'article 1319 est interprété comme disposant que la mise en demeure à l'égard d'un seul transfère la charge des risques de la chose au détriment de tous. L'article 1304 énonce que les intérêts moratoires courent à l'encontre de tous dès l'instant où ils sont exigibles à l'égard d'un seul. Le Code de procédure civile, au stade de l'appel, tire également des conséquences de la représentation mutuelle, du moins lorsqu'elle joue en faveur du débiteur. 15 J. FRANCOIS, Traité de droit civil – Régime général de l'obligation, Economica, n° 304 ; contra, au
soutien de la représentation mutuelle comme clef de lecture Ph. DIDIER, De la représentation en droit privé, th. Paris II, 2000, n° 389 et s., p. 282 16
M. CABRILLAC, C. MOULY, Droit des sûretés, Litec, 6e éd., n° 393 ; également critiques mais moins virulents, F. TERRE, Ph. SIMLER, Y LEQUETTE, Obligations, 8e éd., Dalloz, 2002, n° 1257 ; J. FLOUR, J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, vol. 3, 3e éd., 2004, n° 321 17 V. VEAUX, « La représentation mutuelle des coobligés », Mel. WEILL, 1983, p. 547 18
Légende : en gras, les cas qui concernent une notification ou une formalité voisine, avec lesquels l'analogie est la plus pertinente. 19 Par ex., Civ.1ère, 11 février 2001, Bull I, n° 36
6
D'une part, l'article 552 prévoit que l'appel formé par l'un conserve le droit des autres, la possibilité pour chaque débiteur solidaire de se joindre à l'instance déclenchée par son coobligé, et pour le juge saisi par l'un de les mettre tous en cause. Néanmoins cette solution s'explique d'abord par le souci de réunir tous les intéressés pour éviter le risque de contrariété de décisions20. D'autre part cependant, selon l'al. 1er de l'article 529, « en cas de condamnation solidaire ou indivisible de plusieurs parties, la notification faite à l'une d'elles ne fait courir le délai [d'appel] qu'à son égard ». Le créancier doit donc notifier la décision à chaque codébiteur s'il veut lui interdire à tous d'exercer une voie de recours à l'expiration du délai légal. Mais, selon l'al. 2, « dans les cas où un jugement profite solidairement ou indivisiblement à plusieurs parties, chacune peut se prévaloir de la notification faite par l'une d'elles ». En conséquence, le créancier ne pourra plus faire appel à l'expiration du délai ayant couru depuis la première notification qui lui a été faite par l'un des codébiteurs21. La jurisprudence La jurisprudence, quant à elle, tantôt consacre la représentation mutuelle, tantôt la limite. En procédure civile et dans le sens de la représentation mutuelle, elle juge qu'il suffit que l'un des codébiteurs ait formé un pourvoi en cassation en temps utile pour que les autres soient relevés de la déchéance encourue pour l'avoir fait hors délai 22, ce qui revient à la solution prévue par l'article 552 pour l'appel. Par ailleurs, elle considère traditionnellement que l'autorité de la chose jugée d'un jugement obtenu à l'égard d'un seul coobligé solidaire s'étend à l'autre 23. Par conséquent le créancier peut s'en prévaloir à l'encontre de chacun 24, et réciproquement25. En prolongement, la cassation obtenue par un codébiteur solidaire profite à tous les autres26.
20 J. FRANCOIS, Traité de droit civil – Régime général de l'obligation, Economica, n° 305 21 Civ.2ème, 6 mai 1998, Bull II, n° 145 22 Soc., 30 mai 1989, Bull V, n° 404, Com., 11 décembre 1957, Bull III, n° 345, Civ. 10 novembre 1941,
DC 1942 . 99 23 Civ. 28 décembre 1881, DP 1881. 1. 377 ; sauf exception personnelle ou fraude du coobligé 24 Civ. 1ère, 14 février 1990, Bull I, n° 42 ; Com., 1er juin 1999, Bull IV, n° 415 ; Civ.1ère 20 janvier 1993
(pour les cautions solidaires entre elles) 25
Com., 25 novembre 2008, Bull IV, n° 199, n° 07.14.583 : un débiteur solidaire peut opposer au créancier la décision d'admission de la créance à la procédure collective obtenue par son seul coobligé. V. aussi, Com. ? 18 novembre 2014, n° 13-23.976 26 Civ.1ère, 19 janvier 1999, Bull I, n° 19 ; sauf à ce que le débiteur ait lui-même formé son propre pourvoi,
Civ.1ère, 5 juin 1985, Bull I, n°180
7
A l'inverse, la Cour de cassation a considéré que la représentation ne jouait pas à l'égard des codébiteurs qui, présents en première instance, ont négligé de relever appel contre le jugement qui les a condamnés. Par conséquent, ils ne pourront se prévaloir de la décision de réformation27. De même, elle a jugé qu' « un jugement rendu par défaut ou réputé contradictoire au seul motif qu'il est susceptible d'appel, portant condamnation solidaire, et notifié à l'un des coobligés, est non avenu à l'égard de ceux, n'ayant pas comparu, auxquels il n'a pas été notifié dans le délai »28. De plus, elle a estimé, dans une décision à la portée contestée 29, que le codébiteur solidaire pouvait former un recours en tierce-opposition, au nom du droit effectif au juge30. Les droits fondamentaux de nature procédurale ont été mobilisés pour attenter à la représentation (dans la lignée d'une lecture plus contemporaine de l'analyse in favorem). Et la représentation mutuelle ne vaut pas pour les titres exécutoires, strictement personnels31. En droit des contrats, notamment en matière de bail, la notification du congé par le bailleur à un codébiteur solidaire vaut pour son coobligé32, sauf à ce qu'ils soient mariés33. Dans ce dernier cas, le congé sera notifié à chaque époux, tout comme sera dédoublée la notification prévue par l'article L. 411-9 du Code de la construction et de l'habitation34, ainsi que la proposition de relogement consécutive à un arrêté d'insalubrité portant interdiction d'habiter les lieux donnés à bail35. Par ailleurs, la jurisprudence a pu estimer, par exception à l'effet relatif de la transaction prévu à l'article 2051 du Code civil, « qu'un codébiteur solidaire peut invoquer la transaction intervenue entre le créancier commun et l'un de ses coobligés, dès lors qu'il en résulte pour ce dernier un avantage dont il peut lui-même bénéficier »36.
27 Civ.1ère, 24 novembre 1994, Bull I, n° 326, n° 96-15.572 ; sorte de contrepartie à leur possibilité de se
joindre à l'instance dont l'initiative appartient à leur codébiteur, et ce même s'ils sont hors délai. 28 Civ.2ème, 29 janvier 1997, Bull II, n° 30 ; expliquée par le principe « in favorem » par GESTHIN, préc. 29 Dans le sens d'un cantonnement à la matière arbitrale, J. FRANCOIS préc., dans celui d'un revirement
de jurisprudence Ph. MALAURIE préc. 30 Com.,
5 mai 2015, n° 14-16.644
31 Civ.2ème, 15 janvier 2004, Bull II, n° 9 ; Com., 3 mai 2006, Bull IV, n° 112 32 Civ.3ème, 30 juillet 1989, Bull III, n° 174 33 Civ.3ème, 10 mai 1989, Bull III, n° 103 34 Civ.3ème, 12 mars 2014, Bull III, n° 36 35 Civ.3ème, 9 février 2017, n° 16-13.260 36 Com. 28 mars 2006, n° 04-12.197, Bull. civ. IV, n° 85, D. 2006. 2381, note A.-L. Thomat-Raynaud ;
RTD civ. 2006. 766, obs. J. Mestre et B. Fages ; RDC 2006. 806, qui relèvent que J. Mestre, B; Fages, RTDCiv. 2006, p. 766 « cette solution s'explique par « cette idée de représentation mutuelle des codébiteurs solidaires, du moins in favorem, que la première chambre civile avait d'ailleurs mise
8
En synthèse, la seule conclusion que l'on peut en tirer est que la représentation mutuelle n'est pas systématiquement déterminante, et qu'elle est en recul37. 1.2.2. - Deuxième temps : La représentation mutuelle en matière fiscale Force est de constater que les incertitudes du droit commun se reflètent en matière fiscale. Ce qui fait dire à la doctrine que « la représentation mutuelle des coobligés constitue, en droit fiscal, une construction juridique dont l'existence ne peut être contestée » avant d'immédiatement souligner que la représentation mutuelle « n'en soulève cependant pas moins de nombreuses interrogations, qui tiennent notamment à son champ d'application. Celui-ci apparait ainsi très limité et ses contours précis demeurent en partie incertains »38. La jurisprudence de la chambre commerciale La Cour de cassation, sur le fondement de la représentation mutuelle, a jugé que l'administration des impôts pouvait se contenter de notifier un redressement et les actes de procédures consécutifs à l'un quelconque des débiteurs solidaires de la dette fiscale39. Toutefois elle estime, depuis son arrêt « marie » du 18 novembre 200840, que : « Si l'administration fiscale peut choisir de notifier les redressements à l'un seulement des redevables solidaires de la dette fiscale, la procédure ensuite suivie doit être contradictoire et que la loyauté des débats l'oblige à notifier les actes de celle-ci à tous ces redevables »41. Ce faisant, la Haute juridiction considère que, en vertu du principe de loyauté des débats, la procédure est entachée d'irrégularité si elle est suivie, dans son ensemble, à l'encontre du simple donataire, sans que son codébiteur solidaire n'ait reçu l'ensemble des actes de la procédure autres que la proposition de rectification.
expressément en avant dans son arrêt précité du 27 octobre 1969 » obs. X. Lagarde ; LPA 5 sept. 2007, p. 7, note S. Hazoug 37 Com., 14 novembre 1984, Bull. IV, n° 311 : « les consorts […] ne sauraient se prévaloir de l'effet de la
représentation qui, selon eux, serait attaché à leur qualité de débiteurs solidaires » 38 F. DURAND préc., ; v. aussi C. David, O. Fouquet, B. Plagnet, P.-F. Racine, Les grands arrêts de la
jurisprudence fiscale, 5e éd., Thème n° 60, p. 1013. 39 Com. 6 mars 1985, Bull. civ. IV, n° 88 ; Com. 12 déc. 1989, Bull. civ. IV, n° 315 ; Com. 25 mars 1991,
Bull. civ. IV, n° 118. ; Com., 25 mars 1991, Bull IV, n° 118 ; Com., 21 janvier 1997, Bull IV, n° 21, Com., 21 juin 2011, Bull IV, n° 104, n° 10-20.461 40 Com., 18 nov. 2008, n° 07-19.762, Bull. N° 195 (dit arrêt « SOLUTION ») 41 Voir aussi l'arrêt « Tchenio », pour un attendu identique, Com. 12 juin 2012, n° 11-30.396, F-P+B, MM.
Tchenio, D. 2012. 1680 ; AJ fam. 2012. 409, obs. V. A.-R. ; RTD com. 2012. 865, obs. P. Neau-Leduc ; Dr. fisc. 2012, n° 45, comm. 510, note J.-F. Desbuquois et Ph. Neau-Leduc ; JCP N 2012, n° 45, comm. 1366, note J.-J. Lubin
9
Dans cette affaire, l'ensemble des actes de la procédure n'avait pas été notifié au même débiteur. Les notifications avaient été distribuées entre les codébiteurs (avis de mise en recouvrement à l'un, avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit à l'autre). De sorte que la procédure n'était régulière vis-à-vis d'aucuns d'eux. La doctrine observe qu'« il s'agit là, selon la Cour, de la conséquence du principe de la solidarité passive, qui veut que le principe du contradictoire soit respecté à l'égard de tous les redevables pouvant être poursuivis en paiement ou qui, du fait des actions récursoires ultérieures, ont vocation à être tenus au règlement final de la dette »42. Dans le même sens, dans son avis rendu dans une affaire postérieure, Mme l'avocat général Batut expose, pour éclairer cette solution qu' « il est certes compréhensible et conforme à l'intérêt général, et votre jurisprudence n'y oppose aucun obstacle, que pour faciliter le recouvrement de l'impôt, l'administration puisse ne s'adresser qu'à l'un des codébiteurs solidaires. Mais dans ce cas, le débiteur visé par la procédure a la possibilité de se retourner, après paiement, contre ses cohéritiers ou codonataires non appelés à la procédure pour leur demander d'acquitter leur part de l'impôt. Ceux-ci doivent donc être en mesure - surtout si les relations entre les codébiteurs sont rompues, voire conflictuelles, ce qui est loin d'être rare, notamment en matière de succession - de faire valoir leurs arguments au moment des discussions contradictoires qui peuvent avoir lieu avec l'administration ». Dans un arrêt du 7 avril 2010, « Rigault », la chambre commerciale connaît d'une affaire dont la configuration est légèrement différente puisque l'ensemble des actes de la procédure avait été notifié au même débiteur, à l'exclusion de tous les autres 43. La Cour sanctionne durement le défaut de notification à chacun, dès lors que quand bien même tous les actes de la procédure auraient été notifiés au codébiteur solidaire que l'administration avait fait le choix de poursuivre, le défaut de notification d'un acte chacun des codébiteurs solidaires, en l'occurrence l'avis de la commission départementale de conciliation sur la valeur vénale d'un bien, entache d'irrégularité toute la procédure suivie pour établir le rappel des droits, justifiant qu'en soit prononcée la décharge. Cette décharge est totale44, y compris pour celui des codébiteurs vis-à-vis duquel la procédure est régulière. C'est dire qu'en plus d'écarter la représentation mutuelle, la Cour fait du défaut de notification à chacun une exception inhérente à la dette. Dans un arrêt postérieur du 26 février 2013, il a été jugé que le cohéritier poursuivi, à qui tous les actes ont bien été notifiés, a bien intérêt à agir en soulevant l'irrégularité de la procédure au motif que l'ensemble des actes n'a pas été notifié à tous les codébiteurs solidaires : « Attendu, selon l'arrêt attaqué, que [X] [Y] est décédée le 10 août 1996 laissant comme héritiers MM. [W] et [Y] ; que l'administration fiscale a notifié un redressement des droits de succession à M. [W] ; qu'après mise en recouvrement des droits et pénalités correspondants et en l'absence de réponse à sa réclamation, M. [W] a saisi le tribunal de grande instance afin d'être déchargé de cette imposition ; 42 F. DURAND, préc. 43 Com., 7 avr. 2010, n° 09-14.516 44 Au vu dispositif de l'arrêt attaqué : Paris, 13 mars 2009
10
Attendu que, pour le dire dépourvu d'intérêt à soulever l'irrégularité de la procédure fiscale, l'arrêt retient qu'il a été destinataire de l'ensemble des actes afférents à celle-ci, que seul son cohéritier serait en droit d'invoquer la méconnaissance du principe de la contradiction et de loyauté des débats et que le non-respect de ce principe n'a pas fait grief à M. [W] ; Attendu qu'en statuant ainsi, alors que, si l'administration peut choisir de notifier les redressements à l'un seulement des redevables solidaires de la dette fiscale, la procédure ensuite suivie doit être contradictoire et que la loyauté des débats l'oblige à notifier les actes de celle-ci à tous ces redevables, la cour d'appel a violé les textes susvisés »45. Cet arrêt ne permet pas de savoir si l'exception est inhérente à la dette, et devrait conduire en conséquence à la décharge totale, ou si elle n'est que simplement personnelle et permet au codébiteur vis-à-vis duquel la procédure est régulière de n'être déchargé que de la part contributive des autres. Un nouvel arrêt du 25 mars 2014, « Friedrich », semble opter (à l'inverse de l'arrêt de 2010) pour cette seconde solution, plus équilibrée, qui valide la qualification « d'exception personnelle » du défaut de notification de l'avis à tiers détenteur et des commandements de payer, aboutissant en l'espèce à ne pas interrompre la prescription qui était alors acquise. C'est ainsi qu'au stade du recouvrement de l'impôt il a été jugé que : « Mais attendu que l'arrêt constate que Mme Y.. invoquait l'absence de notification à sa personne de l'avis à tiers détenteur et des deux commandements de payer litigieux que lui opposait l'administration ; que, donnant aux faits ainsi soumis la qualification juridique qu'ils comportaient, l'arrêt retient que l'intéressée invoquait une exception personnelle et que, si l'administration pouvait notifier les titres exécutoires et actes de poursuite à l'un seulement des redevables solidaires de la dette fiscale, la procédure devait cependant être contradictoire, la loyauté des débats l'obligeant à notifier, en cours de procédure, à l'ensemble des personnes pouvant être poursuivies, les actes de la procédure les concernant ; que la cour d'appel, qui ne s'est pas prononcée sur la prescription de l'action en recouvrement, a exactement déduit de ses constatations et appréciations l'inopposabilité à Mme Y... des actes en cause, faute de notification personnelle régulière ; que le moyen n'est pas fondé »46. Enfin la Cour a étendu la solution de « l'arrêt Marie » à la phase contentieuse, en l'occurrence la notification de la décision de rejet des réclamations d'un héritier à tous ses cohéritiers, pour en tirer la conséquence de la décharge du rappel des droits, la procédure ne pouvant, en l'état, donner lieu à recouvrement47.
45
Com., 26 fév. 2013, n° 12-13.877, Bull. N° 30 ; v. J.-P. Maublanc, Invocabilité par le codébiteur solidaire choisi par l'Administration de la violation du principe de la contradiction envers les autres codébiteurs, Dr. fisc. 2013, n° 26, comm. 356 46 Com. 25 mars 2014, n° 12.27.612, RJF 6/2014, n° 634, préc. 47 Com., 12 déc. 2018, n° 17-11.861
11
Par ailleurs, à contrepied de l'arrêt du 25 mars 2014, cet arrêt du 12 décembre 2018 rejette un pourvoi dirigé contre un arrêt qui avait totalement déchargé le débiteur à qui l'ensemble des actes de la procédure avait été notifié et fait ainsi un pas vers la théorie des exceptions inhérentes à la dette. Il ne l'affirme cependant pas, ce d'autant que l'administration fiscale se bornait à contester la jurisprudence Marie et son application à la phase du contentieux fiscal, sans développer de moyen subsidiaire relatif à la portée de la décharge. La question n'était donc pas posée, de sorte que pour la traiter la chambre commerciale n'aurait pu que la soulever d'office. Mais la chambre commerciale a rejeté le moyen reprochant à la cour d'appel d'avoir considéré que le défaut de notification conduisait à l'irrégularité de l'ensemble de la procédure alors que le défaut de notification devrait être sans conséquence sur la régularité d'assiette du redressement. La jurisprudence du Conseil d'Etat Le Conseil d'Etat est fortement imprégné de la conception classique de la représentation mutuelle48. Aussi énonce-t-il encore en 2010, très explicite, « qu'il résulte des dispositions précitées du code général des impôts que des époux ayant la qualité de codébiteurs solidaires de l'impôt sur le revenu sont réputés se représenter mutuellement dans les instances relatives à la dette fiscale »49 ou encore que « les codébiteurs solidaires sont réputés se représenter mutuellement dans toute instance relative à la dette »50. Sur le plan procédural, le Conseil d'Etat en tire des conséquences en matière de voie de recours et de tierce opposition. Il a ainsi été jugé que, les débiteurs se représentant mutuellement, un codébiteur peut contester un impôt, alors même que le contribuable ne le fait pas51. Il peut, par ailleurs, se greffer à toutes les étapes du contentieux fiscal, ce qui lui permet de saisir les tribunaux en se fondant sur la réclamation administrative préalable
48 CE 19 mars 1956, n° 76745, Lebon 130 ; CE 20 avr. 1977, n° 96249, Dr. fisc. 1977, n° 52, comm.
1888, concl. Rivière ; CE 25 avr. 1979, n° 07253, Dr. fisc. 1980, n° 12, comm. 671, concl. Fabre ; CE 23 mai 1980, n° 16218, RJF 7-8/80, n° 616 ; CE 12 janv. 1983, n° 6660, RJF 3/83, n° 470 ; CE 3 juill. 1985, n° 52011, RJF 10/85, n° 1393 ; CE 17 juin 1987, n° 82891, RJF 7/87, n° 951 ; CE 17 févr. 1988, n° 60842, RJF 04/88, n° 541 ; CE 25 janv. 1989, n° 65426, RJF 03/89, n° 372 ; CAA Lyon, 17 avr. 1996, n° 94-1599, RJF 11/96, n° 1341 ; CE 10 oct. 1997, n° 117640, Chevreux, au Lebon ; AJDA 1997. 1003, concl. G. Goulard ; Dr. fisc. 1998, n° 3, comm. 34, concl. G. Goulard ; CAA Nancy, 21 déc. 2000, n° 97425, RJF 10/01, n° 1433 ; CAA Paris, 24 févr. 2003, n° 98-2764, Dr. fisc. 2004, n° 14, comm. 399, concl. D. Pruvost ; CE, 8 mars 2004, n° 231199, Bergner, au Lebon ; Dr. fisc. 2004, n° 26, comm. 592 ; CE 8 mars 2004, n° 248132, Pinot, au Lebon ; Dr. fisc. 2004, n° 25, comm. 571, concl. F. Séners ; CAA Nantes, 4 févr. 2008, n° 06-1083, RJF 8-9/08, n° 922 concl. C. Hervouet ; BDCF 10/08, n° 99 ; CE 6 août 2008, n° 295906, Dr. fisc. 2010, n° 15, comm. 275 ; CE 20 oct. 2010, n° 312461, Lafarge (M}superme), au Lebon ; Dr. fisc. 2010, n° 48, comm. 582, concl. S.-J. Lieber. 49 CE 13 janv. 2010, n° 289804, Ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie c/ Besnier (Cts), au Lebon ; Dr. fisc. 2010, n° 15, comm. 275, concl. N. Escaut ; TA Cergy-Pontoise, 16 juin 2013, n° 1104861, Dr. fisc. 2013, n° 42, comm. 488 50 CE 8 mars 2004, n° 231199 préc. 51 CE 25 avr. 1979, n° 07253 préc.
12
adressée par son codébiteur52, d'interjeter appel d'un jugement ou encore de se pourvoir en cassation contre un arrêt rendu à l'encontre de l'autre débiteur53. Pour le Conseil d'État, ces solutions se justifient par le fait que le codébiteur solidaire constitue une véritable « partie » 54 à l'instance en cours. L'autorité de la chose jugée s'étend à son égard et, corrélativement, il ne peut exercer une tierce opposition à l'encontre d'un jugement rendu dans une instance à laquelle il était représenté 55. Pour l'heure, cependant, le Conseil d'État n'a eu à connaître de l'articulation des effets de la représentation mutuelle avec le principe du contradictoire qu'au travers de la solidarité des époux au paiement de l'impôt56. Là, en se fondant sur les dispositions des articles L. 54 et L. 54 A du LPF, il a jugé que l'Administration peut mener régulièrement la procédure de redressement des résultats d'une copropriété de navire directement avec la société exploitant cette copropriété et remettre en cause les amortissements pratiqués par le copropriétaire sur le prix de revient des parts de la copropriété lui appartenant, sans être tenue de suivre cette procédure avec l'ex-épouse qui n'était pas membre de la copropriété. Cette dernière ne peut alors se prévaloir de la méconnaissance du principe du contradictoire, pour faire échec aux opérations de recouvrement diligentées à son encontre par l'Administration. Une telle solution, dont le Rapporteur public reconnaît lui-même qu'elle « n'est pas absolument à l'abri de critique », constitue-t-elle la marque du rejet général du principe du contradictoire, par le Conseil d'État ? Ou bien s'explique-t-elle par les règles procédurales spécifiques à la solidarité entre époux, règles qui la cantonneraient dès lors à cette seule matière ?
2. Critique de la jurisprudence « Marie » 2.1 - Sur l'invocabilité de l'exception tirée du défaut de notification 2.1.1. Sur la nécessité d'écarter ou non la représentation mutuelle des codébiteurs La jurisprudence Marie ne tire pas toutes les conséquences de la représentation mutuelle. On a vu que ce principe était majoritairement considéré comme structurant la solidarité. Mais aussi qu'il était limité, particulièrement lorsqu'il nuit aux débiteurs. Cette formule est toutefois imprécise, en ce sens où nuire peut revêtir plusieurs sens. Lato sensu, nuire peut signifier placer le débiteur dans une situation moins favorable que celle dans laquelle il serait si l'on écartait la représentation mutuelle.
52 CE 17 févr. 1988, n° 60842, préc. ; CE 8 mars 2004, n° 248132, préc. 53 CE 10 oct. 1997, n° 117640 préc. 54 CE 8 mars 2004, n° 231199, préc. 55 Ce qui contraste avec la solution en matière d'arbitrage, dans le sens de davantage de représentation. 56 CE 16 oct. 2013, n° 345478, RJF 1/2014, n° 62 ; BDCF 1/2014, n° 12, concl. E. Crépey.
13
Stricto sensu, nuire renvoie à l'augmentation de la dette, par opposition à sa simple conservation. Or, lato sensu, l'application de la représentation mutuelle nuit au débiteur à qui les actes de la procédure ne sont pas signifiés dans la mesure où il se trouve moins informé, moins susceptible donc d'exercer des voies de recours ou de se préparer matériellement à faire face au recours récursoire du solvens. Stricto sensu en revanche, l'absence de notification des actes de la procédure n'a pas pour effet d'augmenter le quantum de la dette, ni même de maintenir l'obligation quand elle devrait s'éteindre, de sorte qu'elle n'aboutit en aucun cas à ce que le débiteur soit plus sévèrement tenu qu'à l'origine. C'est la raison pour laquelle, dans la jurisprudence « [M] », l'éviction de la représentation mutuelle, sans être absurde, n'est pas nécessaire. 2.1.2. - Sur la comptabilité générale de la solution avec les principes de la solidarité passive Cependant, comme le fait remarquer Mme l'avocat général Batut, approuvée par la doctrine57, dans son avis sur l'arrêt du 26 février 2013, la solution qui consiste à permettre au codébiteur solidaire à qui l'ensemble des actes n'ont pas été notifiés d'invoquer le défaut de notification à l'égard de ses coobligés « trouve un fondement incontestable dans la solidarité passive », au regard de la théorie des exceptions. L'unité de la dette, qui ne concerne que son indivisibilité, n'y fait pas directement obstacle. Cette invocation est possible, qu'on considère que l'exception est inhérente à la dette ou bien même simplement personnelle. La seule manière de contester cette solution, sans sortir de l'analyse classique et consacrée par le législateur de la solidarité, est de soutenir que cette exception, le défaut de notification, est strictement personnelle. Il s'agirait alors de mettre en exergue la spécificité du droit fiscal pour faire valoir qu'il justifierait cette dernière solution. Cependant, il n'est pas certain que le « particularisme » de la matière fiscale soit de nature à justifier des différences de régime. Sur l'éventuelle différenciation des effets de représentation mutuelle, en droit fiscal et en droit civil, M. Durand estime qu'il s'agirait d'« une solution pleinement concevable, ces deux contentieux répondant à des exigences procédurales différentes. Pour autant, ce résultat ne serait pas lui non plus pleinement satisfaisant, au regard de la jurisprudence traditionnellement retenue par le Conseil d'État en matière de représentation mutuelle des coobligés, qui est très fortement influencée par les solutions retenues en droit civil. Le renvoi, dans ce domaine, aux décisions de la Cour 57 Au commentaire de l'arrêt « Tchenio », MM. Desbuquois et Neau-Leduc écrivent (RDF 2012, n 45,
comm. 510) : « C'est dans l'analyse du régime juridique de la solidarité passive que la Cour de cassation puise son analyse. En effet, étant solidaire au paiement de la dette, le contribuable dispose du droit d'opposer à l'Administration non seulement les exceptions qui lui sont personnelles mais également toutes celles qui résultent de la nature de l'obligation ainsi que celles qui sont communes à tous les codébiteurs »
14
de cassation est omniprésent dans les conclusions des Rapporteurs publics, dont certains considèrent, qu'en matière de représentation mutuelle « il n'est guère souhaitable de se démarquer [de la jurisprudence judiciaire] sur une question de cette nature, fortement marquée par l'influence des règles civilistes » »58. Une telle distinction ne figure pas véritablement en doctrine. Cela étant, l'originalité principale de la matière fiscale pourrait résider dans la dimension d'intérêt général attachée à la lutte contre la fraude fiscale, objectif à valeur constitutionnelle découlant de l'article 13 de la DDHC59. Mais l'on mal comment celui-ci pourrait renverser le respect des droits procéduraux avec lesquelles il serait mis en balance, l'article 16 de la DDHC garantissant par ailleurs le droit au procès équitable et l'exigence de contradictoire qui s'en déduit60. Au contraire, les commentateurs des arrêts de la chambre commerciale s'interrogent parfois sur le maintien de la représentation mutuelle concernant la proposition de rectification, premier acte de la procédure dont on conçoit mal ce qui le distingue des actes subséquents. Sur ce point, de nouveau, la doctrine ne dit mot. En revanche, si tant est qu'on admette le caractère invocable de l'exception, se pose néanmoins la question des conséquences de cette invocation, qui dépendent du point de savoir si l'exception est simplement personnelle ou inhérente à la dette. 2.2. - Sur le caractère d'exception inhérente à la dette ou simplement personnelle On a vu sur ce point que la jurisprudence est incertaine. Pour militer en faveur du caractère simplement personnel de l'exception, on partira de la contestation d'une solution qui considérerait que le défaut de notification à l'un seul des codébiteurs solidaires prive l'administration fiscale de la possibilité de recouvrer l'impôt à l'égard de tous. Or c'est une chose d'admettre la nécessité de notifier à tous, c'est autre chose d'autoriser le destinataire de la notification à se prévaloir du défaut de notification à l'égard de son coobligé pour se soustraire entièrement au recouvrement. Ce caractère inhérent à la dette du défaut de notification pourrait être contesté, tant au regard de sa nature que sa finalité. Au regard de sa nature, la notification ne concerne ni le principe, ni le quantum de la dette, ni même ses modalités (exigibilité, liquidité…). Au contraire, elle est à destination d'une personne, un débiteur, pour l'informer. Elle se rapporte donc essentiellement à sa personne. Au regard de sa finalité, il apparaît que la jurisprudence Marie et ses suites aspirent à permettre au codébiteur solidaire non appelé au stade de l'obligation à la dette par le 58 F. DURAND « La représentation mutuelle des codébiteurs solidaires au paiement de la dette fiscale »,
RTD com. 2014., citant F. Séners, concl. sur CE, 8 mars 2004, n° 231199 59 Cons. Const., 24 juin 2016, n° 2016-545 QPC, cons. 17 60 Cons. const., déc. 13 mai 2011, n° 2011-126 QPC
15
créancier d'anticiper le recours récursoire de son coobligé solvens. C'est donc seulement en vue de le protéger au stade de la contribution qu'à la dette que cette jurisprudence a pris racine : sans notification, le coobligé ne peut correctement se préparer à payer sa part au solvens. Mais le solvens, lui, à qui la notification a été adressée, devrait en tout état de cause s'acquitter de sa part contributive finale au créancier, dans la mesure où, vis-à-vis de ses droits, la procédure est régulière. En conséquence, le défaut de notification devrait être considéré comme une exception personnelle, ayant pour effet de « libérer le débiteur de sa part dans la dette pour une cause qui lui est personnelle, les codébiteurs profitant de cette libération à concurrence de cette part »61. Autrement dit, le débiteur notifié à qui le créancier s'adresse pourrait toujours se prévaloir du défaut de notification excipé du rapport entre le créancier et son coobligé, mais ne serait déchargé que du montant correspondant à la part contributive de ce dernier. Cette décharge partielle constitue un effet intermédiaire entre celui d'une exception inhérente à la dette et celui d'une exception purement personnelle, à l'image d'une remise de dette ou d'une confusion. Cette sanction plus équilibrée s'impose au regard de la structure de l'exception en question comme du but dans lequel elle a été consacrée par la jurisprudence. Je conclus donc à la cassation de l'arrêt sur le moyen de pur droit soulevé d'office, après avertissement délivré aux parties (ou simplement suggéré par l'avocat général) selon lequel : Le défaut de notification à l'égard de l'un des redevables codébiteurs de la dette fiscale constitue une exception personnelle, ayant pour effet, non pas d'entraîner la décharge totale de l'imposition à l'égard de tous, mais seulement de libérer le codébiteur solidaire, qui n'a pas reçu notification, de sa part dans la dette, les autres codébiteurs solidaires profitant de cette libération à concurrence de cette part ». Cette solution m'apparaît bien plus équilibrée que la décharge totale de la dette fiscale à l'égard de tous les codébiteurs solidaires au motif que l'un d'entre eux seulement n'aurait pas reçu une notification valable de l'Administration. Les principes de loyauté des débats et de contradiction ne s'en trouveraient pas affectés et la situation des redevables solidaires de la dette fiscale ne serait pas aggravée par l'irrégularité commise par l'administration fiscale.
61 J. GHESTIN, Le régime des créances et des dettes, préc., n° 269
16