Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 29-11-2023, n° 22-10.494

Cass. soc., Conclusions, 29-11-2023, n° 22-10.494

A85112RN

Référence

Cass. soc., Conclusions, 29-11-2023, n° 22-10.494. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105409084-cass-soc-conclusions-29112023-n-2210494
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AVIS DE M. HALEM, AVOCAT GÉNÉRAL RÉFÉRENDAIRE

Arrêt n° 2127 du 29 novembre 2023 (B) – Chambre sociale Pourvoi n° 22-10.494 Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles du 18 novembre 2021 Mme [F] [L] [R] C/ Mme [V] [P] divorcée [B] _________________

Engagée en qualité de secrétaire réceptionniste par un médecin ophtalmologiste sans formalisation d'un contrat écrit, Mme [P] (ci-après “la salariée”) a conclu un contrat de travail à durée déterminée (ci-après “CDD”) de remplacement à temps partiel pour la période du 6 janvier au 9 juin 2015. Le 10 juin 2015, les parties ont signé un avenant de renouvellement ayant pour terme la fermeture du cabinet à sa cessation d'activité, prévue entre décembre 2015 et juillet 2016. Mme [L] [R] (ci-après “l'employeur”) a repris l'activité du même cabinet avec les deux salariés en poste à compter du 1er juillet 2016. La salariée a été licenciée le 25 septembre 2017. Le 6 mars 2018, elle a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en requalification de ses CDD en contrat de travail à durée indéterminée (ci-après “CDI”), en contestation de la rupture du contrat de travail et en paiement de diverses sommes.

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Par jugement du 29 octobre 2019, le conseil de prud'hommes de BoulogneBillancourt l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes. Par arrêt du 18 novembre 2021, la cour d'appel de Versailles a déclaré la salariée irrecevable en sa demande en requalification et condamné l'employeur à lui verser notamment 18 712,10 euros bruts à titre de rappel de rémunération pour la période du 6 janvier 2015 au terme du préavis, outre 1 871,21 euros au titre des congés payés afférents. Le 14 janvier 2022, l'employeur a formé un pourvoi en cassation et la salariée un pourvoi incident le 25 juillet 2022.

DISCUSSION * Le pourvoi principal de l'employeur se fonde sur un unique moyen de cassation, articulé en trois branches. Selon la deuxième branche de ce moyen, la salariée était rémunérée toute l'année, y compris durant les périodes où elle était en congés et ne se plaignait pas d'une atteinte à son droit au repos, demandant au contraire à la cour d'appel de constater que l'employeur lui impose de prendre douze semaines de congés payés au lieu des cinq semaines de congés payés légaux. Or la cour d'appel a jugé que la clause prévoyant l'inclusion de l'indemnité compensatrice de congés payés au taux horaire sans détermination du taux horaire hors congés payés ne répondait pas aux exigences requises et devait être déclarée inopposable, bien qu'elle n'ait jamais empêché la salariée de prendre ses congés, que les congés payés effectivement pris aient été supérieurs aux congés payés légaux, que le salaire mensuel de 1800 euros bruts aboutissait à une rémunération supérieure aux minima exigés par la loi et la convention collective applicable, sans laisser à la salariée le moindre doute possible sur la part correspondant à ses congés payés, de sorte que cette clause était transparente et compréhensible (violation des articles L. 3141-22 et L. 3141-26 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, interprétés à la lumière de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003). Cette branche du moyen pose la question suivante : une clause du contrat de travail incluant l'indemnité de congés payés au taux horaire dans la rémunération, sans préciser ce taux hors congés payés mais ayant permis au salarié de prendre des congés payés supérieurs aux minima légaux, doit-elle être considérée comme transparente et compréhensible, et dès lors opposable à l'intéressé ?

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Le pourvoi incident de la salariée est articulé en deux moyens de cassation. Selon le premier moyen de ce pourvoi, le délai de prescription d'une action en requalification d'un CDD en CDI fondée sur le motif du recours au CDD énoncé au contrat a pour point de départ le terme du contrat ou, en cas de succession de CDD, le terme du dernier contrat. La salariée sollicitait en l'espèce la requalification de la relation de travail en CDI parce que le motif de recours au CDD n'existait plus à la date du renouvellement. Or pour juger prescrite la demande de requalification présentée lors de la saisine du conseil de prud'hommes le 6 mars 2018, la cour d'appel a fixé le point de départ de la prescription au jour de la conclusion de l'avenant de renouvellement le 10 juin 2015 et non au terme de ce contrat survenu le 30 juin 2016 (violation des articles L. 1471-1, L. 1245-1 et L. 1242-1 du code du travail). Portant sur la qualification du fondement de l'action en requalification et le point de départ du délai de prescription qui en découle, ce moyen ne soulève pas de question de principe particulière au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation. En outre, il conviendra de prononcer, pour les raisons exposées au rapport, un rejet non spécialement motivé des première et troisième branches de l'unique moyen du pourvoi principal ainsi que du second moyen du pourvoi incident, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation. Les moyens relatifs à l'inclusion de l'indemnité de congés payés dans la rémunération contractuelle (pourvoi principal - moyen unique, branche 2) et au point de départ de la prescription en matière de requalification de CDD en CDI (pourvoi incident - moyen 1) seront donc successivement étudiés. Sur l'inclusion de l'indemnité de congés payés dans la rémunération contractuelle (pourvoi principal - moyen unique, branche 2) Le droit aux congés payés est un principe fondamental du droit social, qui n'admet leur inclusion dans la rémunération qu'au moyen d'une clause transparente et compréhensible (1), comme l'a exactement jugé la cour d'appel au sujet de la clause litigieuse en l'espèce (2). 1. Principe du droit social interne (1.1 et 1.4) et européen (1.2 et 1.3) essentiel à la protection de la santé du salarié, le droit aux congés payés ne peut donner lieu à l'inclusion de son indemnité compensatrice dans la rémunération que sous réserve d'une stipulation transparente et compréhensible, quels que soit les congés effectivement pris sur la période concernée (1.5). 1.1. Aux termes de l'article L. 3141-3 du code du travail1, “Le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur”, étant précisé que “La durée totale du congé exigible ne peut excéder trente jours ouvrables”.

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Dans sa version issue de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 applicable au litige.

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L'article L. 3141-22 du même code2 précise que ce congé annuel “(...) ouvre droit à une indemnité égale au dixième de la rémunération brute totale perçue par le salarié au cours de la période de référence”, laquelle “(...) ne peut être inférieure au montant de la rémunération qui aurait été perçue pendant la période de congé si le salarié avait continué à travailler”. L'article L. 3141-26 de ce code3 ajoute que “Lorsque le contrat de travail est rompu avant que le salarié ait pu bénéficier de la totalité du congé auquel il avait droit, il reçoit, pour la fraction de congé dont il n'a pas bénéficié, une indemnité compensatrice de congé déterminée d'après les dispositions des articles L. 3141-22 à L. 3141-25”, “(...) que cette rupture résulte du fait du salarié ou du fait de l'employeur”. Par ailleurs, le droit aux congés payés perdure nonobstant la fermeture de l'établissement puisque selon l'article L. 3141-29 dudit code4, “Lorsqu'un établissement ferme pendant un nombre de jours dépassant la durée des congés légaux annuels, l'employeur verse aux salariés, pour chacun des jours ouvrables de fermeture excédant cette durée, une indemnité qui ne peut être inférieure à l'indemnité journalière de congés”, laquelle “(...) ne se confond pas avec l'indemnité de congés”. 1.2. Afin de garantir la protection de la sécurité, de l'hygiène et de la santé des travailleurs5, qui doivent à cette fin disposer de périodes de repos suffisantes6, l'article 7 de la directive 2003/88 du 4 novembre 2003, qui reprend dans les mêmes termes l'article 7 de la directive 93/104 du 23 novembre 1993, impose la prise d'un congé annuel minimum, qui ne peut en principe être remplacé par une indemnité : “1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail”.

Dans un arrêt de principe BECTU du 26 juin 2001, la Cour de justice des communautés européennes (ci-après “CJCE”) a fait du droit aux congés annuel un principe social fondamental intangible :

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Dans sa version issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 applicable au litige.

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Dans sa version antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

Dans sa version antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, laquelle a transféré ce texte à l'article L. 3141-31 du code du travail. 4

Voir considérant (4) de la directive 2003/88 : “L'amélioration de la sécurité, de l'hygiène et de la santé des travailleurs au travail représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations de caractère purement économique”. 5

Voir considérant (5) de la directive 2003/88 : “Tous les travailleurs doivent disposer de périodes de repos suffisantes. La notion de repos doit être exprimée en unités de temps, c'est-à-dire en jours, heures et/ou fractions de jour ou d'heure. Les travailleurs de la Communauté doivent bénéficier de périodes minimales de repos — journalier, hebdomadaire et annuel — et de périodes de pause adéquates. Il convient, dans ce contexte, de prévoir également un plafond pour la durée de la semaine de travail”. 6

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“(...) le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un principe du droit social communautaire revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé et dont la mise en oeuvre par les autorités nationales compétentes ne peut être effectuée que dans les limites expressément énoncées par la directive 93/104 ellemême” (CJCE, 26 juin 2001, BECTU, C-173/99, point 43).

Le même arrêt précise que l'article 7 de cette dernière directive “(...) impose aux États membres une obligation de résultat claire et précise” (point 34), “sans (...) pouvoir subordonner à quelque condition que ce soit la constitution même de ce droit qui résulte directement de la directive 93/104” (point 53). Considérant dans sa jurisprudence ultérieure le droit au congé payé annuel comme un “principe essentiel du droit social de l'Union, [revêtant] un caractère impératif” (point 83), la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après “CJUE”) a admis que l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union7 relatif au droit de tout travailleur à une période de congé payé annuel était d'effet direct, étant dès lors invocable en tant que tel devant les juridictions nationales et supérieur à toute réglementation nationale contraire : “Le droit à une période de congés annuels payés, consacré dans le chef de tout travailleur par l'article 31, paragraphe 2, de la Charte, revêt ainsi, quant à son existence même, un caractère tout à la fois impératif et inconditionnel, cette dernière ne demandant en effet pas à être concrétisée par des dispositions du droit de l'Union ou de droit national, lesquelles sont seulement appelées à préciser la durée exacte du congé annuel et, le cas échéant, certaines conditions d'exercice de ce droit. Il s'ensuit que ladite disposition se suffit à ellemême pour conférer aux travailleurs un droit invocable en tant que tel dans un litige qui les oppose à leur employeur dans une situation couverte par le droit de l'Union et relevant, par conséquent, du champ d'application de la Charte (voir, par analogie, arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C-414/16, EU:C:2018:257, point 76). (...) Dans l'hypothèse où la juridiction de renvoi serait dans l'impossibilité d'interpréter la réglementation nationale en cause au principal de manière à en assurer la conformité avec l'article 31, paragraphe 2, de la Charte, il lui incombera dès lors, dans une situation telle que celle qui caractérise l'affaire C-570/16, d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de ladite disposition et de garantir le plein effet de celle-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale (voir, par analogie, arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C-414/16, EU:C:2018:257, point 79)” (CJUE, 6 novembre 2018,

Bauer, C-569/16 et C-570/16, points 85 et 91). Les développements de la jurisprudence BECTU ont incité la CJUE à souligner la nécessité pour le salarié, compte tenu de l'importance particulière de ce droit dans l'ordre social communautaire pour préserver la santé et la sécurité des travailleurs, de pouvoir exercer effectivement son droit à congé (CJCE, 18 mars 2004, Merino Gómez, C-342/01, point 30 ; CJUE, 20 janvier 2009, Schultz-Hoff e.a., affaires jointes C-350/06 et C-520/06, point 23 ; CJUE, 22 novembre 2011, KHS, C214/10, points 33 et 35).

Article 31, § 2, de la charte des droits fondamentaux de l'Union : “Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés”. 7

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1.3. Il en résulte que dans un arrêt Robinson-Steele du 16 mars 2006, la CJCE a soumis la pratique des clauses d'inclusion de l'indemnité de congés payés dans la rémunération mensuelle à des conditions strictes : - “(...) l'article 7 de la directive s'oppose à ce que le paiement du congé annuel minimal au sens de cette disposition fasse l'objet de versements partiels étalés sur la période annuelle de travail correspondante et payés ensemble avec la rémunération au titre du travail effectué, et non d'un versement au titre d'une période déterminée au cours de laquelle le travailleur prend effectivement congé” ; mais cependant

- “(...) l'article 7 de la directive ne s'oppose pas, en principe, à ce que des sommes s'ajoutant au salaire versé au titre du travail effectué qui ont été payées, de manière transparente et compréhensible, au titre du paiement du congé soient imputées sur le paiement d'un congé déterminé. (...) En tout état de cause, à la lumière du caractère impératif du droit au congé annuel et afin d'assurer l'effet utile de l'article 7 de la directive, une telle imputation est exclue en cas de manque de transparence ou de compréhensibilité. La charge de la preuve à cet égard incombe à l'employeur. Il convient dès lors de répondre (...) que l'article 7 de la directive ne s'oppose pas, en principe, à ce que des sommes qui ont été payées, de manière transparente et compréhensible, au titre du congé annuel minimal au sens de cette disposition sous la forme de versements partiels étalés sur la période annuelle de travail correspondante et payés ensemble avec la rémunération au titre du travail effectué soient imputées sur le paiement d'un congé déterminé qui est effectivement pris par le travailleur” (CJCE, 16 mars 2006,

Robinson-Steele, C-131/04 et C-257/04, points 66 à 69). 1.4. S'appuyant sur la jurisprudence européenne, la Cour de cassation a accru l'exigence de transparence et de clarté pesant sur l'employeur dans le recours aux clauses d'inclusion des congés payés8. La Cour de cassation a admis de longue date la possibilité d'une rémunération mensuelle forfaitaire incluant les indemnités dues en sus du salaire de base, mais sous réserve d'une convention expresse entre les parties (Soc, 21 septembre 2016, n° 15-11.033 ; Soc, 6 mai 2009, n° 07-43.559 ; Soc, 12 mars 2002, n° 99-42.993; Soc, 23 novembre 1994, n° 91-41.467 ; Soc, 14 décembre 1993, n° 92-40.488), dont l'employeur doit prouver l'existence (Soc, 16 décembre 1992, n° 89-40.827) et de ne pas aboutir à un résultat moins favorable que la situation résultant de l'application des dispositions légales (Soc, 4 décembre 2019, n° 1731.252 ; Soc, 23 janvier 2019, n° 17-23.310 ; Soc, 2 juillet 2014, n° 12-25.752 ; Soc, 25 mars 2009, n° 08-41.229 ; Soc, 30 mai 2000, n° 97-45.946 ; Soc, 2 avril 1997, n° 95-42.320 à 95-42.329 ; Soc, 11 mai 1988, n° 86-40.460). Dans un arrêt de principe du 14 novembre 2013, la chambre sociale de la Cour de cassation a explicitement repris le régime posé par l'arrêt Robinson-Steele précité en soumettant la validité d'une clause contractuelle de rémunération intégrant les congés payés à la condition qu'elle soit transparente et compréhensible. Pour condamner l'employeur au paiement d'une indemnité compensatrice, elle a noté que “le contrat de travail se bornait à stipuler que la rémunération globale du salarié incluait les congés payés”, ce dont il résultait que cette clause du contrat n'était ni transparente ni compréhensible (Soc, 14 novembre 2013, n° 12-14.070). 8

Clauses dites de “Rolled-up holiday pay”.

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Dans son commentaire de cette décision au rapport annuel 2013, la Cour de cassation a souligné l'exigence d'effectivité du droit à congés poursuivie par la solution : “Ce qui justifie cette solution réside précisément dans l'exigence d'effectivité du congé, puisque l'arrêt du 16 mars 2006 précité (points 58 et s.) après avoir retenu que le salarié doit se trouver dans une situation de rémunération comparable aux périodes de travail lorsqu'il prend son congé, énonce que le paiement d'une somme en même temps que le salaire sans autre précision risque de conduire à des situations décourageant la prise effective de congé aboutissant à voir ce congé remplacé par une indemnité financière” (p. 618).

Dans sa jurisprudence ultérieure, la même Cour a renforcé et élargi l'exigence de transparence et de compréhensibilité attendues dans la rédaction de ces clauses, en précisant que “s'il est possible d'inclure l'indemnité de congés payés dans la rémunération forfaitaire lorsque des conditions particulières le justifient, cette inclusion doit résulter d'une clause contractuelle transparente et compréhensible, ce qui suppose que soit clairement distinguée la part de rémunération qui correspond au travail, de celle qui correspond aux congés, et que soit précisée l'imputation de ces sommes sur un congé déterminé, devant être effectivement pris”, ce qui conduit à devoir censurer celles qui se bornent à stipuler que la rémunération globale du salarié incluait les congés payés (Soc, 22 mai 2019, n° 17-31.517). Cette grille d'analyse a conduit à infliger à l'employeur le paiement d'une indemnité compensatrice en raison de pratiques similaires ne précisant pas la répartition des sommes, telles que l'inclusion des congés payés des commissions sur objectifs dans la seule rémunération variable (Soc, 13 octobre 2021, n° 19-19.407), dans une clause de non-concurrence indemnisée au moyen d'une somme forfaitaire globale (Soc, 15 décembre 2021, n° 20-17.406), en raison d'une stipulation indiquant que le montant des émoluments “tient compte” de la rémunération du salarié pendant la durée de ses congés (Soc, 6 juillet 2022, n° 20-15.656) ou intégrant l'indemnité de congés payés dans le taux des commissions d'un voyageur représentant placier sans mention d'une majoration distincte de ce taux (Soc, 20 janvier 2021, n° 1920.072). 1.5. En conclusion, en droit européen comme en droit national, le droit aux congés payés ne se conçoit pas comme un simple avantage salarial mais comme un droit essentiel à la protection de la santé et de la sécurité du travailleur. S'il se traduit par le versement d'une indemnité calculée sur la rémunération brute perçue, celle-ci n'a vocation qu'à en permettre la jouissance concrète ou son indemnisation lorsque les circonstances empêchent sa prise effective, non de le réduire à une valeur purement économique. Cette indemnisation, même lorsque son montant contractuel est supérieur au minimum légal, ne peut en effet suppléer le repos effectif du salarié, sauf à exposer celui-ci ou autrui à des risques notamment dans des secteurs aussi sensibles que le bâtiment et travaux publics, les transports ou le domaine médical.

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La monétisation du congé annuel peut selon le contexte économique en diminuer le bénéfice pour le salarié, en particulier en situation d'évolution des prix des biens et services plus rapide que celle des salaires. L'augmentation du revenu disponible mensuel qui en résulte, si elle est affectée aux charges courantes par un salarié insuffisamment vigilant, peut conduire sinon à une spirale de travail ininterrompu, à tout le moins à une désincitation à la prise des repos nécessaires à la santé du salarié et à la bonne marche de l'entreprise dans le long terme. Dans les situations les plus critiques, à la consommation d'une part importante des indemnités de congés payés au moment où le salarié serait confronté, pour des raisons de santé ou personnelles, au besoin d'une coupure urgente ou prolongée. Contrairement à la comptabilisation transparente des droits à congés dans un compte épargne-temps, qui offre la même faculté de conversion monétaire, la complexité de la composition des salaires rend difficilement compréhensible pour le salarié, dans le cadre d'une clause d'inclusion, le contenu exact de ses droits. Tel sera en particulier le cas en situation de temps partiel, de modulation du temps de travail ou de suspension de son contrat de travail, si sa fiche de paie n'est pas dressée en distinguant précisément ses droits à congés de son salaire de base. C'est pourquoi la CJUE a imposé une obligation de transparence et de compréhensibilité aux clauses, dérogatoires en leur principe, d'inclusion de l'indemnité de congés payés dans la rémunération, comme étant seule à même de garantir la connaissance exacte par le salarié de l'étendue de ses droits à congés et de lui permettre d'apprécier l'opportunité de les consommer. La Cour de cassation l'a étendue à d'autres formes de fusions congés-salaire, en renforçant la clarté attendue de l'employeur dans la ventilation de la rémunération mentionnée sur la fiche de paie. Il en résulte que le caractère plus favorable de l'indemnité versée à un moment donné au salarié, partie faible au contrat de travail, ne saurait dispenser l'employeur de remplir son devoir de clarté tel que défini par la jurisprudence, en ce qu'à défaut un tel système ferait dépendre l'effectivité de son droit à congés payés du seul bon vouloir l'employeur, sans en assurer la protection dans la durée ni pour l'ensemble du salariat. Dans ces conditions, une clause ne répondant pas à cette exigence ne peut, quelle que soit la quotité de congés payés accordée en fait par l'employeur sur la période contestée, être reconnue comme opposable au salarié. 2. En l'espèce, la cour d'appel a exactement jugé que la clause litigieuse d'inclusion de l'indemnité compensatrice de congés payés dans la rémunération sans détermination du taux horaire est inopposable au salarié. La juridiction a en effet commencé par rappeler le régime juridique de ces clauses tenant à la distinction obligatoire des différentes composantes de la rémunération, tel que résultant de la jurisprudence ci-dessus analysée, selon laquelle :

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“Il résulte des articles L. 3141-22 et L. 3141-26 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, interprétés à la lumière de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, que s'il est possible d'inclure l'indemnité de congés payés dans la rémunération forfaitaire lorsque des conditions particulières le justifient, cette inclusion doit résulter d'une clause contractuelle transparente et compréhensible, ce qui suppose que soit clairement distinguée la part de rémunération qui correspond au travail, de celle qui correspond aux congés, et que soit précisée l'imputation de ces sommes sur un congé déterminé, devant être effectivement pris” (arrêt attaqué, p. 9).

Elle a ensuite souverainement considéré que la clause litigieuse, qui se bornait à inclure l'indemnité compensatrice de congés payés dans la rémunération, sans détermination du taux horaire sur lequel elle se fonde, ne répondait pas à ces critères: “Or, alors que les congés payés ne sont pas de cinq semaines mais de douze semaines, la clause ci-avant reproduite prévoyant simplement l'inclusion de l'indemnité compensatrice de congés payés au taux horaire, sans détermination du taux horaire hors congés payés, ne répond pas aux exigences requises et sera déclarée inopposable à [la salariée]” (arrêt

attaqué, p. 9). Le fait que la salariée ait pu en fait bénéficier de congés payés dans des conditions plus favorables que le minimum légal ne dispensant pas l'employeur de libeller une clause contractuelle d'inclusion dans des conditions de transparence et de compréhensibilité suffisantes, en distinguant clairement la partie liée à l'indemnisation des congés payés du reste de la rémunération, une violation des articles L. 3141-22 et L. 3141-26 du code du travail dans leur rédaction applicable, lus à la lumière de l'article 7 de la directive 2003/88, ne saurait être reprochée à la cour d'appel. La deuxième branche du moyen du pourvoi principal devra donc, sans qu'il soit besoin d'interroger la CJUE sur le sens clair de sa jurisprudence, être rejetée. Sur le point de départ de la prescription en matière de requalification de CDD en CDI (pourvoi incident - moyen 1) L'application à l'action en requalification du CDD en CDI du délai biennal du premier alinéa de l'article L. 1471-1 du code du travail qui court, s'agissant d'un motif de fond, au terme du dernier contrat (1), conduira en l'espèce à constater que la cour d'appel a à tort retenu comme point de départ la date de conclusion du contrat, alors que l'action se fondait sur le motif de recours au CDD, exposant son arrêt à la cassation sur ce point (2). 1. L'article L. 1471-1, alinéa 1er, du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, depuis lors inchangée, dispose que “Toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit”.

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La chambre sociale de la Cour de cassation a en effet tranché, s'agissant de l'action en requalification d'un CDD irrégulier en CDI, entre le délai triennal applicable aux créances salariales (article L. 3245-1 du code du travail), le délai d'un an applicable à la rupture du contrat de travail (article L. 1471-1, alinéa 2, du même code) et la prescription quinquennale de droit commun (article 2224 du code civil), en faveur du délai biennal de l'article L. 1471-1, alinéa 1er, précité (Soc, 31 janvier 2018, n° 16-23.602 ; Soc, 3 mai 2018, n° 16-26.437), en ce qu'elle constitue une “action portant sur l'exécution du contrat de travail” au sens de ce texte (Soc, 29 janvier 2020, n° 18-15.359). La même chambre distingue deux points de départ différents de ce délai en fonction du fondement de l'action. D'une part, lorsque l'action en requalification est fondée sur l'existence d'un vice de pure forme, telle que l'absence d'une mention au contrat, la prescription court à compter du jour de la conclusion du contrat affecté par celle-ci (Soc, 23 novembre 2022, n° 21-13.059 ; Soc, 3 mai 2018, n° 16-26.437). D'autre part, lorsque la même action se fonde sur le motif de recours au CDD énoncé au contrat, le délai court à compter du terme du contrat affecté (Soc, 4 novembre 2021, n° 19-24.378 ; Soc, 8 juillet 2020, n° 18-19.727 ; Soc, 29 janvier 2020, n° 18-15.359) ou au terme du dernier contrat affecté en cas de succession de CDD dont la régularité est contestée (Soc, 12 janvier 2022, n° 1921.945 ; Soc, 19 juin 2019, n° 18-16.363 ; Soc, 8 novembre 2017, n° 16-17.499). Pour déterminer le motif de l'action, le juge doit notamment vérifier si le salarié n'élève pas de contestation sur le motif de recours au CDD (Soc, 15 mars 2023, n° 20-21.774). 2. En l'espèce, la salariée sollicitait la requalification en CDI de son avenant de renouvellement de son CDD, signé le 10 juin 2015 et ayant pris fin le 30 juin 2016, un nouvel employeur ayant repris l'activité en cause le 1er juillet 2016, pour motif de fond lié au recours illégal au CDD pour remplacer une salariée en congé maternité dont le contrat avait été définitivement rompu et non suspendu. Elle en concluait que “Le motif de recours au contrat à durée déterminée initial n'existait donc plus”9. La cour d'appel elle-même a retenu ce fondement, relevant que l'action était fondée notamment sur “(...) l'illégalité du motif de recours visé au contrat, la salariée plaidant à juste titre qu'un contrat de travail à durée déterminée ne pouvait être conclu pour remplacer une salariée en arrêt de maternité, ayant en réalité quitté l'entreprise et [...] l'imprécision du terme mentionné dans le contrat” (arrêt attaqué, p. 7).

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Voir conclusions d'appel de la salariée, p. 16.

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Or, celle-ci a cependant fixé le point de départ du délai biennal de prescription de l'action en requalification à la conclusion du CDD irrégulier, soit “à compter : (...) du 10 juin 2015”, pour en conclure de manière erronée qu'“En ayant saisi le conseil de prud'hommes que le 6 mars 2018 plus de deux ans après le point de départ le plus ancien du délai de prescription, [la salariée] est irrecevable en sa demande de requalification” (arrêt attaqué, p. 7). En statuant ainsi, alors que le délai de prescription courrait, s'agissant d'une action en requalification fondée sur l'illégalité du motif du recours au CDD, à compter du terme du contrat, soit du 30 juin 2016, de sorte que l'action intentée devant la juridiction prud'homale le 6 mars 2018 était recevable, la cour d'appel a violé, comme le soutient le premier moyen du pourvoi incident, l'article L. 1471-1 du code du travail10. Il conviendra donc de prononcer la cassation de l'arrêt attaqué sur ce point.

PROPOSITION - Cassation sur le premier moyen du pourvoi incident ; - rejet pour le surplus.

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Les articles L. 1245-1 et L. 1242-1 du code du travail également visés au moyen ne paraissent pas nécessaires au prononcé de la cassation.

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