Jurisprudence : Cass. com., Conclusions, 30-11-2022, n° 20-18.884

Cass. com., Conclusions, 30-11-2022, n° 20-18.884

A84672RZ

Référence

Cass. com., Conclusions, 30-11-2022, n° 20-18.884. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105409040-cass-com-conclusions-30112022-n-2018884
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AVIS DE M. LECAROZ, AVOCAT GÉNÉRAL

Arrêt n° 732 du 30 novembre 2022 – Chambre commerciale, financière et économique Pourvoi n° 20-18.884 Décision attaquée : 29 juin 2020 - Cour d'appel de Paris Société [F] participations C/ Le Directeur régional des Finances publiques d'Ile de France

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Avis de cassation sans renvoi 1. Rappel succinct des faits et de la procédure Par acte des 7, 15 et 20 mars 2012, les associés de la SCI NSG ont cédé l'usufruit des parts sociales de la SCI à la société [F] participation. Cet acte comporte un article 9 intitulé « Enregistrement » qui expose la position que les parties à cet acte, spécialement la société [F] participation redevable des droits d'enregistrement, ont soutenu devant les juridictions et développent dans leur moyen : « Les Parties déclarent expressément considérer que la présente cession n'entre pas dans le champ d'application de l'article 726, I, 2° du Code général des impôts et corrélativement de l'article 727 du Code général des impôts afférents aux cessions de parts sociales. En effet, l'article 635-2-7 du Code général des impôts ne trouve pas à s'appliquer au cas présent. Par ailleurs, les articles 635-1-3 et 635-2-5° du Code général des impôts 1

ne visent respectivement que la cession de l'usufruit d'immeuble et de fonds de commerce, à l'exclusion de la cession de l'usufruit de parts sociales. En conséquence, à défaut de tarification particulière, la cession de l'usufruit temporaire de parts ne peut donner lieu qu'à la seule perception du droit fixe des actes innomés de 125 euros prévu à l'article 680 du Code général des impôts ». Le 23 janvier 2015, l'administration fiscale a notifié à la société [F] participation une proposition de rectification portant rappel des droits d'enregistrement. Selon l'Administration, l'acte de cession d'usufruit temporaire n'était pas soumis au droit fixe d'un montant de 125 euros en application de l'article 680 du code général des impôts, mais au droit d'enregistrement proportionnel de 5 % prévu par l'article 726, I, 2° du même code, applicable aux cessions de participations dans des personnes morales à prépondérance immobilière.

2. Exposé du problème de droit Le code général prévoit expressément que l'obligation de l'enregistrement et, par conséquence, la perception de droits, s'appliquent tant à la cession de parts sociales ou de participations dans une société, dont je ne donne pas un sens différent, qu'à celle de l'usufruit des immeubles et des fonds de commerce. Sur le premier point, c'est l'article 635, 2, 7° qui prévoit la formalité de l'enregistrement pour la cession de droits sociaux, sauf exceptions.1 En effet, l'article 635, 2, 7° bis, dans sa rédaction applicable au litige, énonce que « Doivent être enregistrés dans le délai d'un mois à compter de leur date : [...] Les actes portant cessions de participations dans des personnes morales à prépondérance immobilière... », le 7° prévoyant également cette obligation d'enregistrement pour les actes portant cession d'actions. Cet enregistrement donne lieu à la perception d'un droit de mutation prévu par l'article 726 du code général des impôts. Cet article fixe, dans son paragraphe I, le montant de ce droit à 0,1 %, 3 % ou 5 % de la valeur des parts en fonction de la nature des parts ou des sociétés, le taux de 5 % étant applicable aux cessions de participations dans les personnes morales à prépondérance immobilière, comme en l'espèce. On voit donc que ces dispositions ne prévoient pas expressément le cas de l'enregistrement de la cession de l'usufruit d'une part sociale d'une société, y compris d'une société à prépondérance immobilière. Pour trouver des dispositions fiscales relatives au droit d'enregistrement, il faut se référer aux droits relatifs à la cession de l'usufruit des immeubles et des fonds de commerce et plus précisément à l'article 635 précité :

Parmi ces exceptions, les cessions d'actions, de parts de fondateurs ou de parts bénéficiaires négociés sur un marché réglementé d'instruments financiers ou sur un système multilatéral de négociation qui ne sont pas constatées par un acte 1

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- 1, 3° qui édicte l'obligation d'enregistrement des « actes portant transmission de propriété ou d'usufruit de biens immeubles », - 2, 5° pour « Les actes portant transmission de propriété ou d'usufruit de fonds de commerce, de clientèle ou d'offices, ou cession de droit à un bail ou du bénéfice d'une promesse de bail portant sur tout ou partie d'un immeuble ». Enfin, l'article 680, alinéa 1er du même code énonce que « tous les actes qui ne se trouvent ni exonérés, ni tarifés par aucun autre article du présent code et qui ne peuvent donner lieu à une imposition proportionnelle ou progressive sont soumis à une imposition fixe de 125 € ». Ce texte n'a vocation à s'appliquer qu'aux actes innommés qui ne sont soumis à aucune autre disposition du code général des impôts.

3. Réponses doctrinales et juridictionnelles au problème de droit On le voit, le code général des impôts ne prévoit aucune exonération, tarification ou imposition proportionnelle qui viserait spécifiquement ou nommément la cession de l'usufruit d'une participation dans une société, serait-elle à prépondérance immobilière. On trouve finalement peu d'informations concernant le problème de droit. Il se trouve certes quelques auteurs qui estiment que la cession de l'usufruit de participations dans une société devrait donner lieu à enregistrement et au paiement du droit proportionnel en utilisant, pour estimer la valeur de l'usufruit, le barème prévu par l'article 669 du code général des impôts. Ce barème détermine la part de la valeur attachée à l'usufruit et à la nue propriété en fonction de l'âge de l'usufruitier. Si ce barème devait être appliqué en l'espèce, l'acte de cession de l'usufruit des parts sociales étant conclu pour une durée déterminée, il conviendrait d'appliquer les dispositions de l'article 669, II du code général des impôts selon lequel « L'usufruit constitué pour une durée fixe est estimé à 23 % de la valeur de la propriété entière pour chaque période de dix de la durée de l'usufruit, sans fraction et sans égard à l'âge de l'usufruitier ». Ainsi, selon M. Laval et Mme Paerels 2 : « 104. – Usufruit et nue-propriété – L'article 19 de la loi de finances pour 2004 (L. n° 2003-1311, 30 déc. 2003 : Dr. fisc. 2004, n° 1-2, comm. 77) a étendu aux mutations à titre onéreux les modes d'évaluation forfaitaire de l'usufruit et de la nue-propriété prévus pour les mutations à titre gratuit (V. JCl. Notarial Formulaire, V° Donations, Fasc. 20). L'article 669 du CGI a été modifié en conséquence. Cette disposition est applicable aux cessions de droits sociaux ».

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Guy Laval, ancien conservateur des hypothèques, actualisé par Hélène Paerels, avocate et ancienne consultante du Cridon, « Sociétés - Droits d'enregistrement perçus au cours de la société - Cessions de droits sociaux », Jurisclasseur Enregistrement Traité, Fasc. 80 ; 3

Pour les sociétés qui ne sont pas à prépondérance immobilière, l'article 726, I, 1° bis prévoit un abattement du droit de mutation à hauteur de 23 000 euros, qui bénéficie aussi aux cessions démembrées de droits sociaux selon les mêmes auteurs et l'ouvrage « Gestion fiscale » publié aux éditions Françis Lefebvre.3 Ces affirmations semblent reprises du Bulletin Officiel des Finances Publiques du 28 avril 2017 (BOI-ENR-DMTOM-40-10-20 n° 100).4 De même, les juridictions du fond se sont prononcées en faveur de l'application du droit proportionnel à la cession de l'usufruit de parts sociales5 (arrêt attaqué ; CA Colmar, 7 novembre 2019, n° 18/02005 ; 8 arrêt de la CA Colmar, 27 mai 2021, n° 20/00955 à 20/00 245/2021).

4. Appréciation des arguments en présence Je ne trouve pas ces réponses parfaitement convaincantes. Tout d'abord, conformément à l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, la doctrine administrative issue du Bulletin Officiel ne saurait servir à justifier un nouveau cas de droit d'enregistrement, qui ne serait pas prévu par le code général des impôts. En vertu du principe d'asymétrie de l'opposabilité de la doctrine administrative, l'administration ne peut jamais se prévaloir à l'encontre du redevable de sa propre doctrine. Je crois que vous ne pouvez que constater l'absence de désignation dans le code général des impôts de toute référence à la cession de l'usufruit de parts sociales ou de participations dans la société. Si vous deviez reprendre l'argument développé dans l'arrêt attaqué qui considère que l'usufruit est un « élément de la participation » dans une société, une nouvelle difficulté émergera. On ne contestera pas que l'usufruit de parts sociales permet la perception des dividendes et la participation aux votes de l'assemblée (générale). Mais il résulte de votre avis officiel du 1er décembre 2021 que « L'usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d'associé » (Com., 1er déc. 2021, n° 20-15.164 ; solution rappelée par 3e Civ., 16 fév. 2022, n° 20-15.164). Pour reprendre la terminologie de l'arrêt attaqué, « l'élément de participation » qui a cédé ne peut pas être considéré comme une participation dans la société, de sorte que la société [F] participation, en sa qualité de cessionnaire de l'usufruit des parts de la société NSG, n'en est pas associée.

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Fasc. Précité, n° 131 ; « Gestion fiscale », n° 12 125, Editions Françis Lefebvre

Pour l'exemple d'une liquidation du droit d'enregistrement portant sur une cession de la nuepropriété de parts sociales, voir n° 120 Exemple 4

Cf. Arrêt attaqué, Cour d'appel de Colmar par 8 arrêts rendus le 27/05/21 n° RG 20/00955 à 20/00962 ayant tous fait l'objet d'un désistement des pourvois, 5

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Je ne vois pas comment cet élément de participation pourrait vous permettre de considérer qu'il constitue une participation pleine et entière, la question qui vous est posée ne portant pas sur la cession de la nue propriété, laquelle est susceptible de conférer la qualité d'associé au cessionnaire. La position que je vous propose n'est pas inédite. Comme il est dit au rapport et dans les observations du demandeur au pourvoi, la Cour de Justice de l'Union Européenne a déjà eu l'occasion de rappeler que « la notion de participation dans le capital d'une société d'un autre Etat membre au sens de l'article 3 de la directive n° 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents, ne comprend pas la détention de parts en usufruit » (CJCE, 4e ch., 22 déc. 2008, aff. C48/07 , Les Vergers du Vieux Tauves SA), solution reprise par le Conseil d'Etat (CE 23 mars 2012, n° 335860), D'autres considérations, notamment économiques, ont pu conduire les juridictions du fond à soumettre les cessions d'usufruit de participations ou de parts sociales au droit proportionnel d'enregistrement. Aussi censées soient-elles, il ne me semble pas qu'elles puissent justifier la création d'un nouveau cas d'enregistrement non prévu par le code général des impôts, a fortiori lorsque la cession de l'usufruit ne confère pas la qualité d'associé. Je note que ce silence conservé par le code général des impôts en matière d'enregistrement des cessions d'usufruit de parts sociales ne peut que surprendre. Le démembrement et la transmission de l'usufruit ou de la nue-propriété est une pratique largement répandue. Dans nombre de ses aspects fiscaux (IR, IS et impôt sur la fortune), ses solutions sont bien connues du législateur et des praticiens. 6 J'en conclus donc, comme l'ont fait les parties à l'acte de cession des 7, 15 et 20 mars 2012 que la cession de l'usufruit des parts sociales de la société NSG ne pouvait pas donner lieu à la perception du droit proportionnel d'enregistrement mais seulement au droit fixe de 125 euros. Je propose que l'arrêt attaqué, qui a jugé le contraire, doit donc être cassé. Comme le propose Mme le rapporteur, cette cassation pourra intervenir sans renvoi, puisqu'il vous suffit, une fois la règle de droit affirmée, de prononcer la décharge totale des droits d'enregistrement auxquels la société [F] participations a été soumise sur le fondement de l'article 726 précité. Avis de cassation sans renvoi et, au vu des articles 627 du code de procédure civile et L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire, pour une bonne administration de la justice, qu'il soit statuer sur le fond, que la société [F] participation soit déchargée des droits d'enregistrement de l'article 726 du code général des impôts pour un montant de 510 000 euros, et de mettre les dépens à la charge de l'Etat..

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Un fascicule du Jurisclasseur Ingénierie du patrimoine y est entièrement consacré : « Usufruit de droits sociaux - Aspect fiscaux » Fasc. 932, M. Henri Hovasse, Professeur à la faculté de droit de Rennes 5

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