Cass. crim., Conclusions, 14-06-2022, n° 21-84.537
A84492RD
Référence
AVIS DE MR AUBERT, AVOCAT GÉNÉRAL
Arrêt n° 727 du 14 juin 2022 – Chambre criminelle Pourvoi n° 21-84.537 Décision attaquée : Cour d'appel de Paris du 3 juin 2021 _________________ M. [T] [I] et la société [2] c/ M. [Y] [G]
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE Il est fait référence à cet égard au rapport de Mme le conseiller. Les soulignements et caractères gras ci-après sont ajoutés.
ANALYSE SUCCINCTE DES MOYENS Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir jugé que M. [G] n'avait pas commis de faute civile, alors que : 1°) en se bornant, pour exclure tout caractère public du courriel incriminé, à relever que les destinataires de ce courriel « exercent tous, à divers titres (…), une activité dans le domaine de la biologie médicale », en se fondant ainsi sur la seule profession de ces
destinataires, sans se prononcer concrètement sur l'existence d'intérêts communs partagés par ces derniers de nature à justifier la confidentialité d'un message dénonçant des faits susceptibles de poursuites disciplinaires et pénales, la cour d'appel n'aurait pas légalement justifié sa décision au regard des articles 23 et 29 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale ; 2°) en se bornant à relever que les propos incriminés visaient le président d'une association de professionnels du domaine de la santé et de l'informatique et que les destinataires qui exerçaient une activité professionnelle dans ce domaine « [étaient] donc tous concernés par l'objet de cette association et les propos litigieux [étaient] directement liés au fonctionnement de cette association puisqu'ils [étaient] relatifs à la probité et à la légitimé d'[T] [I] en qualité de président à la tête de cette association », pour en déduire que ces derniers étaient liés par une communauté d'intérêts, sans constater que ces destinataires étaient membres ou adhérents de cette association, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des mêmes articles.
DISCUSSION 1. Sur les deux branches réunies. A titre préliminaire, on sait qu'il appartient à la Cour de cassation de contrôler si la publicité, qui est un des éléments constitutifs de certaines des infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881, se trouve établie1. La chambre criminelle affirme ainsi que : « si les circonstances qui sont de nature à caractériser la publicité ou son absence sont souverainement constatées par les juges du fond, la publicité est une question de droit qui doit être résolue en caractérisant les moyens et les faits énoncés à l'article 23 de la loi de 1881 ; qu'il en résulte que l‘appréciation faite par les juges du fond sur la publicité ou son absence est soumise au contrôle de la Cour de cassation2 ».
Les motifs de l'arrêt attaqué relatifs à la publicité des propos incriminés sont les suivants : En l'espèce, comme l'ont justement relevé les premiers juges, il ressort du constat d'huissier joint à la plainte (D3/15) que le courriel litigieux a été adressé à neuf personnes […] Il ressort des pièces produites que ces derniers exercent tous, à divers titres, médecins, pharmaciens ou directeur d'entreprise informatique spécialisée dans les logiciels de laboratoire de biologie médicale, une activité dans le domaine de la biologie médicale. La société [1] dont le président est [T] [I] et le vice-président [V] [W], est, quant à elle, une association à but non lucratif, réunissant des membres qui représentent soit des 1
Crim., 21 février 1984, pourvoi n° 83-91.539
2
Crim., 2 octobre 1985, pourvoi n° 84-95.553
laboratoires, soit des fournisseurs de matériel informatique et a pour objet de mettre en lien des partenaires institutionnels et d'œuvrer pour la protection des normes, textes réglementaires, ainsi que pratiques professionnelles dans le domaine de l'informatisation des laboratoires d'analyses médicales et des échanges de données entre acteurs du système de soin. Les destinataires sont donc tous concernés par l'objet de cette association et les propos litigieux sont directement liés au fonctionnement de cette association puisqu'ils sont relatifs à la probité et à la légitimité d'[T] [I] en qualité de président à la tête de cette association. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont considéré que les destinataires de ce courriel sont liés par une communauté d'intérêts exclusive de la notion de public inconnu et imprévisible et que les propos poursuivis ne revêtent pas un caractère public. »
Préalablement, le tribunal correctionnel s'était borné, s'agissant de la publicité, à énoncer que : « En l'espèce, il ressort du constat d'huissier joint à la plainte (D3/15) que le courriel litigieux a été adressé à neuf personnes : […]. Ces derniers exercent tous, à divers titres, dans le domaine de la biologie médicale. Dès lors, l'ensemble de ces destinataires, sélectionnés par affinité sociale, forment une communauté d'intérêts exclusive de la notion de public inconnu et imprévisible. Il convient dès lors de constater que les propos poursuivis ne revêtent pas un caractère public. »
Dans la jurisprudence de la Cour de cassation, il apparaît que le critère ancien du groupement lié par une communauté d'intérêts, exclusif du caractère public de la diffusion d'un propos, s'est imposé systématiquement depuis les années 19903. S'agissant des contours de cette notion, il nous semble que l'auteur Christophe Bigot en propose une analyse synthétique pertinente4 : « Il faut effectivement scruter la jurisprudence pour y déceler des indices qui semblent bien fragiles, et conduisent à avancer de manière empirique. Ainsi, quand la Cour de cassation considère que la communauté des conseillers municipaux n'est pas un «groupement de personnes liées par une communauté d'intérêts», elle n'en explique pas les raisons5, pas plus que lorsqu'elle estime que les parents d'élèves d'une classe de l'école publique ne forment pas une telle communauté6. Il est en revanche clair que la notion ne s'étend pas à une simple communauté unie par une convergence de pensée politique ou idéologique7, ou l'exercice
3
Crim., 24 janv. 1995, n° 93-84.01 ; 29 janv. 1998, n° 95-82.091 ; Civ. 2e, 23 sept. 1999, n° 9718.784 4
Chistophe Bigot, Pratique du droit de la presse, Dalloz, 3e édition.
5
Crim., 16 mars 2010, n° 09-84.160
6
2e Civ., 3 juillet 2003, n°00-15.468
7
Crim., 28 avril 2009, n°08-85.249
d'une même profession8. Il semble donc que l'existence d'une communauté d'intérêts suppose d'une manière ou d'une autre la démonstration d'un ciment juridique ou contractuel, soit que les membres sont liés contractuellement entre eux, soit qu'ils sont membres d'un groupement institué par un texte légal ou réglementaire, ou par un instrument juridique s'apparentant à un contrat9. Cette analyse peut être confortée par un arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 5 octobre 1999, cassant un arrêt ayant reconnu l'existence d'une communauté d'intérêts entre les différents locataires d'un office HLM, sans rechercher si les intéressés « s'étaient réunis en groupement ou en association de défense de leurs intérêts communs10 ». Ainsi, distinction subtile, « le groupement de personnes liées par une communauté d'intérêts », n'est pas une communauté de personnes partageant des intérêts communs. Toutefois, certaines espèces laissent perplexes car on ne voit pas très bien quel critère y est employé pour caractériser le groupement lié par une communauté d'intérêts. Ainsi en est-il d'arrêts retenant l'existence d'un tel groupement entre un chef d'établissement scolaire sous contrat d'association avec l'Etat, et un inspecteur d'académie11, ou entre les différents partenaires fournisseurs de données à une société commerciale12. Mais à l'inverse, il peut y avoir une composante juridique sans pour autant y avoir de communauté d'intérêts ! Ainsi, les abonnés à un journal, qui ont tous contracté avec la société éditrice ne forment évidemment pas entre eux une communauté d'intérêts en l'absence d'une condition particulière les unissant13 »
On indique ici ne pas partager la perplexité de l'auteur relativement à l'arrêt de la chambre criminelle du 22 janvier 2019, également cité au présent mémoire en défense, dès lors que l'arrêt semble bien mettre en évidence un « ciment juridique » autour d'intérêts communs à un chef d'établissement scolaire sous contrat soumis à inspection, et aux services de l'inspection académique, ces entités, distinctes mais en relations institutionnelles, ayant le devoir de veiller à la protection de l'enfance et à la mise en oeuvre de procédures disciplinaires respectueuses des droits des élèves. Pour autres exemples, il ressort de la jurisprudence abondante de la chambre criminelle, comme le rappelle également le mémoire en défense, que la communauté d'intérêts est caractérisée pour : - les membres d'une fédération d'associations pour adultes et jeunes handicapés14 ; 8
Paris, pôle 1, ch.2, 7 nov. 2019, RG n°19/09116
9
Crim., 12 avril 2016, n° 14-86.176 ; 8 janv. 2019, n°17-85.789
10
Crim., 5 oct. 1999, n°97-85.701
11
Crim. 22 janv. 2019, n° 18-82.612
12
Paris, pôle 2, ch.7, RG n°17/12045
13
Crim., 5 sept. 2006, n°05-86.567
14
Crim., 18 oct. 2016, n° 15-80682
- les adhérents d'un parti politique15 ; - les vendeurs du réseau d'une concession automobile16. Au contraire, on relève les arrêts suivants qui, dans des circonstances s'approchant du présent cas d'espèce, ne reconnaissent pas de communauté d'intérêts, à défaut de « ciment juridique ou contractuel » : - pour une lettre de dénonciation des agissements d'une société, adressée en recommandé au préfet avec copie à une société tierce, à la mairie, au secrétaire général de préfecture, aux pompiers et à la Cour des comptes17 ; - s'agissant d'un document distribué sous pli fermé aux locataires d'un office d'HLM, sans rechercher s'ils sont constitués en groupement ou en association de défense de leurs intérêts communs18 ; - pour un message électronique adressé à des membres d'une part d'un syndicat et d'autre part d'un parti politique, les destinataires, pouvant avoir des intérêts communs mais faisant néanmoins partie de groupements qui constituent des entités distinctes ne partageant pas nécessairement les mêmes objectifs et ayant des domaines d'action différents, et n'étant par conséquent « pas liés par la même communauté d'intérêts »19. En l'occurrence, force est de constater que les énonciations précitées de l'arrêt attaqué ne caractérisent aucunement le « ciment juridique ou contractuel » propre à une communauté d'intérêts. Les neuf personnes considérées exercent en effet des activités professionnelles particulièrement diverses (médecin, pharmacien, entrepreneur en informatique), même si elles apparaissent en lien avec le domaine de la biologie médicale - domaine assez large au demeurant. Et si les juges d'appel ajoutent que les destinataires des propos litigieux sont « tous concernés » par l'objet de l'association dont le fonctionnement est visé par les propos incriminés, ils ne caractérisent cependant pas de liens juridiques ou institutionnels concrets entre tous les destinataires et ladite association : il n'est pas établi par exemple que tous les destinataires du courrier sont membres de cette association.
15
Crim., 27 mai 1999, n° 98-82461
16
Crim., 12 nov. 2014, n° 13-85.366
17
Crim., 29 janv. 1998, pourvoi n° 95-82.091
18
Crim., 5 oct. 1999, pourvoi n° 97-85.701, déjà cité.
19
Crim., 28 avril 2009, pourvoi n° 08-85.249
2. Sur l'ordre d'examen de la confidentialité du message et de la communauté d'intérêts liant ses destinataires. Cette problématique, développée au rapport en marge du moyen unique examiné cidessus, appelle les observations suivantes. Tout d'abord, on remarque que la question de l'ordre d'examen des éventuelles confidentialité et communautés d'intérêts ne se pose utilement qu'à l'occasion de l'envoi d'une lettre missive, à laquelle est assimilé le courrier électronique 20, plus rarement à l'occasion d'une conversation orale21. L'envoi d'une telle correspondance à un destinataire déterminé excluant la plupart du temps toute publicité, la jurisprudence relative à la confidentialité du propos s'est donc essentiellement développée sur le fondement de poursuites du chef de diffamation ou injure non publique, ainsi que retracé au rapport : les raisonnements adoptés par la Cour de cassation à ces occasions n'intègrent donc que rarement la question de la communauté d'intérêts d'un quelconque groupement. Cependant, lorsque les deux notions sont en cause, leur ordre d'examen apparaît quelque peu incertain en jurisprudence. 2.1 Dans un arrêt de 1984, la chambre criminelle, par un motif apparemment de principe, ne semble pas explicitement préconiser un ordre d'examen des deux notions : « Attendu que des imputations diffamatoires contenues dans des lettres missives et concernant une personne autre que les destinataires ne sont susceptibles de recevoir une qualification pénale, en l'occurrence celle d'injures non publiques, que s'il est établi que lesdites lettres ont été adressées aux tiers dans des conditions exclusives de tout caractère confidentiel ; Qu'en revanche, pour qualifier de tels faits de diffamation publique, les juges doivent énoncer qu'ils ont été commis par l'un des procédés susceptibles de caractériser la publicité22 ».
20
Crim., 14 mai 2013, n° 12-84.042
21
Crim., 12 juin 2007, n° 06-82.861 ; 22 fév.n° 99-82.874
22
Crim., 18 déc. 1984 n° 84-90.875
2.2. On relève ensuite que plusieurs arrêts, plutôt implicitement, semblent inviter à l'examen de la confidentialité avant la question de la communauté d'intérêts : - par un raisonnement en deux temps de la chambre criminelle en 1998 : « Attendu que, pour admettre l'absence de diffamation publique, l'arrêt énonce que la lettre, adressée sous pli fermé aux autorités ayant un pouvoir de décision en la matière, revêt le caractère d'une dénonciation, et que ses auteurs ne l'ayant ni publiée, ni imprimée, vendue, distribuée, elle présente les caractères d'une correspondance privée ; Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte de ces constatations que la diffusion de la lettre en copie à plusieurs destinataires excluait son caractère confidentiel, et que ceux-ci ne formaient pas entre eux un groupement de personnes liées par un communauté d'intérêts, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision23 » ;
- de même en 2002 pour la deuxième chambre civile : « en statuant ainsi, alors que la dénonciation adressée à l'employeur commun de Mme S. et de M. S. n'était pas confidentielle, et alors que la diffusion de la lettre à plusieurs destinataires qui ne formaient pas entre eux un groupement de personnes liées par une communauté d'intérêts caractérisait la publicité, le Tribunal a violé les textes susvisés.24 » ;
- en 2007, la chambre criminelle semble faire le reproche de l'absence d'examen de la confidentialité avant celui de la communauté d'intérêts : « Attendu que, pour infirmer le jugement sur les appels de la partie civile et du ministère public, l'arrêt relève, notamment, que J.E. indique avoir adressé l'écrit incriminé à chacun des dix-sept patients de l'établissement à qui il avait été amené à prodiguer des soins, et qu'ainsi, l'élément de publicité requis par la loi est caractérisé ; Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si l'écrit litigieux avait été adressé dans des conditions exclusives de toute confidentialité, la cour d'appel a méconnu les textes et principes susvisés25 » ;
23
Crim., 29 janv. 1998, pourvoi n° 95-82.091
24
Civ., 2e , 24 janv. 2002 n°00-16.985
25
Crim., 15 mai 2007, n° 05-86.298
- peu après, elle relève d'abord l'absence de caractère personnel et privé du message, avant l'absence de communauté d'intérêts : « Attendu que, pour infirmer le jugement entrepris sur les appels du prévenu, du ministère public et de la partie civile, et dire établi le délit de diffamation publique , l'arrêt retient, notamment, que ces messages, dont le contenu ne revêt nullement le caractère d'une correspondance personnelle et privée, ont été adressés à des proches de l'intéressé, à son avocat, au Premier ministre et à diverses autorités, ainsi qu'aux journaux Marianne et Le Canard Enchaîné ; que les juges en déduisent que la multiplicité des destinataires et l'absence de communauté d'intérêts entre eux ont assuré la publicité de ces écrits au sens de l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881, et que l'expédition de ces courriers à certains organes de presse montre la volonté de leur auteur d'en assurer la diffusion auprès d'un public très large ; Attendu qu'en statuant ainsi, les juges ont justifié leur décision au regard de l'article 23 de la loi du 29 juillet 188126 » ;
- enfin en 2009, l'arrêt cité au rapport laisse en effet entendre qu'à l'occasion de l'envoi d'une lettre identique à plusieurs parlementaires, la question de la confidentialité du courrier est autonome, par rapport à celle de la communauté d'intérêts : « Attendu que, pour faire droit aux conclusions du prévenu excipant de l'absence de caractère public des lettres litigieuses, l'arrêt énonce notamment que celles-ci ont été adressées à plusieurs parlementaires, deux seulement au vu des communications, qu'aucune mention ne permet de démontrer la volonté de l'expéditeur d'en divulguer le contenu auprès de tiers et que la confidentialité de la missive ressort de son envoi sous pli fermé à un très petit nombre de destinataires, soumis à une obligation de discrétion ; « Attendu qu'en se déterminant ainsi, et abstraction faite du motif erroné, mais surabondant, relatif à l'existence d'une communauté d'intérêt entre l'expéditeur et les destinataires des courriers, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen ; qu'en effet, les imputations diffamatoires visant une personne autre que le destinataire de la lettre missive qui les contient ne sont punissables que si ladite lettre a été adressée dans des conditions exclusives de tout caractère confidentiel27 ».
26
Crim., 26 février 2008, pourvoi n° 07-84.846
27
Crim., 27 octobre 2009, pourvoi n° 09-80.722
2.3. Par ailleurs, on croit constater aussi que la Cour de cassation peut parfois mêler les deux notions : - la chambre criminelle juge en 1999 : « Attendu que, pour déclarer G P coupable de diffamation publique envers un particulier, l'arrêt attaqué retient tout d'abord que la lettre a un contenu diffamatoire, puisque J P L est visé et qu'il est traité de voleur ; qu'elle ajoute que des attestations régulières de trois témoins démontrent que cette lettre a été diffusée et qu'il y a de la part de G P l'intention de nuire, puisqu'il a pris soin d'envoyer la copie de cette lettre à diverses personnes qui sont étrangères à l'affaire qui les oppose ; Attendu qu'en l'état de ces énonciations caractérisant tous les éléments constitutifs du délit de diffamation, la cour d'appel, qui a déduit de l'ensemble des circonstances de la cause contradictoirement débattues, que la diffusion de la lettre à des tiers était imputable au prévenu, n'encourt pas les griefs allégués28 » ;
- en 2006, la première chambre civile semble lier la confidentialité à la communauté d'intérêts des destinataires du courrier : « la cour d'appel a constaté, d'une part, que les imputations diffamatoires contenues dans la lettre rédigée par Mlle V constituaient la motivation de sa demande de changement d'emploi du temps et, d'autre part, que cette correspondance avait été remise en main propre à sa supérieure hiérarchique et transmise en copie à la directrice des ressources humaines ; qu'elle en a exactement déduit que ces destinataires, formant un groupement de personnes liées entre elles par une communauté d'intérêts, le caractère confidentiel de l'écrit était établi, en sorte que M. N ne pouvait imputer à son auteur de l'avoir diffamé29 ».
2.4. Plus récemment enfin, l'examen de la communauté d'intérêts peut apparaître prioritaire : - à l'occasion de l'envoi d'un courrier électronique à plusieurs personnes, la chambre criminelle, nonobstant un moyen fondé sur la confidentialité du propos, approuve une cour d'appel d'avoir « établi la publicité des propos diffamatoires, en l'absence de communauté d'intérêts liant les différents destinataires du courrier électronique litigieux », sans explicitement évoquer l'absence de confidentialité des propos30 ;
28
Crim., 16 fév. 1999, n° 97-86.344
29
Civ. 1ère, 7 fév. 2006, n° 05-10.237
30
Crim., 6 janvier 2015, pourvoi n° 13-87.885
- plus nettement, dans l'arrêt de 2018 cité au rapport, est posé le principe de l'examen en premier lieu de la notion de communauté d'intérêts : « ayant relevé que la diffusion de la lettre missive du 28 janvier 2016 avait été adressée par M. M à l'administrateur judiciaire désigné au titre de la société G, objet d'un contentieux entre le prévenu et la partie civile, et en copie à treize autre personnes, il lui appartenait de rechercher si ces personnes, à les supposer identifiées, étaient, soit étrangères à l'affaire opposant le prévenu à la partie civile, soit liées aux parties par une communauté d'intérêt, et dans cette hypothèse, si la diffusion en cause ne lui conférait pas un caractère, soit confidentiel susceptible de la soustraire à toute incrimination pénale, soit, le cas échéant, non public, au sens de l'article R. 621-1 du code pénal31 ».
2.5. On constate ainsi que cette dernière décision, pourtant non publiée, infléchit sensiblement une jurisprudence antérieure, plutôt implicite voire ambivalente. Cette récente décision peut avoir le mérite de proposer un seul raisonnement intégrant les correspondances classiques ou électroniques, dans lequel l'envoi confidentiel relève d'une sous-catégorie de diffusion non-publique. Cependant, en considération des différentes alternatives logiques en fonction de l'ordre d'examen des notions en présence, cette dernière architecture comporte le risque d'une pénalisation, en raison de l'absence de communauté d'intérêt entre les destinataires, de propos qui seraient pourtant adressés à titre confidentiel. Cependant, on peine à imaginer, en pratique, une diffusion volontaire, hors d'un groupement lié par une communauté d'intérêts, de propos qui demeureraient néanmoins confidentiels. En effet, on trouve en jurisprudence la reconnaissance du caractère confidentiel d'un propos, le plus souvent, lorsque le message est transmis à un seul destinataire, ce qui exclut donc l'interférence avec la communauté d'intérêt d'un groupement. Néanmoins, le caractère confidentiel peut être préservé, plus rarement, en cas de transmission à plusieurs destinataires, ainsi : - un courrier électronique adressé à un destinataire mais aussi aux deux soeurs de ce dernier, à propos d'un conflit familial32 ; - des courriers électroniques adressés par un copropriétaire au président du syndicat de copropriétaires et à certains copropriétaires, mettant en cause le syndic, outre l'établissement d'une communauté d'intérêts33 ; 31
Crim., 13 nov. 2018, n° 17-83.985
32
Crim., 3 nov. 2015, n° 14-83.128
33
Crim.12 avril 2016 n°14-86.176
- l'envoi d'un même courrier, sous pli fermé, à deux députés soumis à une obligation de discrétion34. On retient donc, en définitive, l'intérêt de préserver, si ce n'est une priorité, au moins une autonomie de l'examen du caractère confidentiel de la transmission, dans les cas d'envois confidentiels à un nombre restreint de destinataires imparfaitement liés par une communauté d'intérêts : ici deux députés, ou dans une affaire précédemment citée les patients d'un établissement de santé35. Cette autonomie de l'examen de la confidentialité de l'envoi de la lettre missive ou du courrier électronique permet sans doute une appréciation plus fine et équilibrée des éléments de faits, et une approche plus pragmatique mais non moins juridique, permettant la résolution des tensions pouvant survenir exceptionnellement entre communauté d'intérêts des destinataires et confidentialité du propos. 2.6. En tout état de cause, au présent cas d'espèce, l'examen prioritaire contrairement au raisonnement de la cour d'appel - de l'éventuel caractère confidentiel de l'envoi incriminé ne saurait avoir d'incidence sur notre précédente analyse de la publicité de la transmission. Sur le caractère confidentiel, l'arrêt attaqué énonce : « Par ailleurs, le message ne comporte en soi aucun élément de nature à établir que son auteur souhaitait qu'il soit porté à la connaissance d'autres personnes que les destinataires du message, l'envoi n'a donc pas été fait dans des conditions exclusives de la confidentialité. C'est donc également à bon droit que les premiers juges ont retenu qu'en l'espèce, le courriel litigieux revêtait le caractère d'une correspondance personnelle et privée, et n'a perdu son caractère confidentiel que par le fait d'un de ses destinataires, puisqu'il ressort des termes mêmes de la plainte avec constitution de partie civile que c'est [V] [W], qui a informé [T] [I]de l'existence de cette correspondance. »
Cependant, il résulte des constatations des juges du fond et des éléments de la procédure que les propos poursuivis sont issus d'un message électronique destiné précisément à M. [W], et comme tel débutant pas les termes « Bonjour Monsieur »36. Ce message, en lui-même personnel et privé à ce stade de l'analyse, est cependant adressé en même temps par son expéditeur, en copie, à pas moins de huit autres personnes, apparemment étrangères pour la plupart aux propos incriminés. 34
Crim., 27 oct. 2009, n° 09-80.722
35
Crim., 15 mai 2007, n° 05-86.298, déjà cité
36
cf. notamment la plainte avec constitution de partie civile et les conclusions de relaxe
Ces circonstances sont bien exclusives de tout caractère confidentiel, lequel ne semble d'ailleurs jamais avoir été allégué en défense. On ajoute que l'envoi est d'autant moins confidentiel que ces personnes destinataires en copie ne sont pas liées, comme on l'a vu, par une quelconque communauté d'intérêts au sens de la jurisprudence. Semble donc bien établie la volonté de l'expéditeur à la fois de s'extraire de toute confidentialité, et de rendre public son propos. Ainsi, la cour d'appel ne semble pas avoir légalement justifié sa décision, et le moyen de cassation pourra par conséquent être accueilli.
PROPOSITION Avis de cassation avec renvoi.