Cass. civ. 1, Conclusions, 15-06-2022, n° 21-17.654
A84352RT
Référence
AVIS DE M. CHAUMONT, AVOCAT GÉNÉRAL
Arrêt n° 492 (FS-B )du 15 juin 2022 – Première chambre civile Pourvoi n° 21-17.654 Décision attaquée : 6 avril 2021 de la cour d'appel de Paris Mme [P] [I] veuve [C] C/ l'établissement Assistance publique - Hôpitaux de Paris _________________
AVIS DE REJET
1. Faits et procédure [X] [C], fils de [Y] et [P] [C], a déposé ses gamètes au Centre d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humains (CECOS) de l'hôpital [3]. Il est décédé le 13 janvier 2017, à l'âge de 23 ans. Mme [P] [C], née [I], a demandé à l'Assistance publique des hôpitaux de Paris (l'APHP) la restitution des gamètes de son fils, ce qui lui a été implicitement refusé. Le 22 janvier 2020, elle a assigné l'APHP devant le tribunal judiciaire de Paris en restitution de ces cellules. Par arrêt du 6 avril 2021, la cour d'appel de Paris a confirmé l'ordonnance du juge de la mise en état par laquelle celui-ci a déclaré incompétente la juridiction de l'ordre judiciaire, en l'absence de voie de fait. 1
2. Le pourvoi Mme [C] s'est pourvue et propose, par l'intermédiaire de la SCP GadiouChevallier, un moyen en trois branches. La SCP Hélène Didier et François Pinet a déposé un mémoire en défense dans l'intérêt de l'APHP.
3. Analyse du pourvoi Les conditions de la voie de fait sont bien connues. Elles sont au nombre de deux, et sont cumulatives. L'action de l'administration doit : - avoir porté atteinte au droit de propriété ou à une liberté fondamentale ; - être gravement illégale au point d'être manifestement insusceptible de se rattacher à un de ses pouvoirs. C'est ce qu'a jugé à nouveau, en le précisant, le Tribunal des Conflits dans sa décision du 17 juin 2013 (N° C391) : « Considérant qu'il n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative (...) ». 3.1 Sur la première branche du moyen Celle-ci est relative à la seconde condition de la voie de fait. Plus précisément, elle reproche à la cour d'appel de s'être fondée sur l'article R. 2141-18 du code de la santé publique pour juger que le refus de restitution de gamètes se rattache aux prérogatives de l'administration alors que ce texte, «contraire au premier protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme», « ne saurait prévaloir sur les principes régissant la protection de la propriété prévus par cette Convention ». 2
C'est donc sous l'angle de la conventionnalité de l'article R. 2141-18 que l'arrêt est attaqué.
A - Sur la recevabilité La recevabilité de cette branche est contestée en défense, en raison de sa nouveauté. Mais il peut être considéré qu'elle est de pur droit et, en toute hypothèse, née de la décision déférée. Je vous propose donc de la déclarer recevable.
B- Sur le bien fondé L'article R. 2141-18 du code de la santé publique dispose, dans sa rédaction issue du décret n°2016-723 du 4 mars 2016 applicable à la cause, que : « III.-Il est mis fin à la conservation des gamètes ou des tissus germinaux en cas de décès de la personne. (...) ». Aux termes de l'article 1er du protocole additionnel à la Conv. EDH « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ». Selon le mémoire ampliatif, «M. [X] [C] était indéniablement propriétaire de ses gamètes, il en a transmis la propriété à sa mère en tant qu'il est prédécédé à celle-ci » (p.20). Si l'on suit le raisonnement de la demanderesse au pourvoi, l'article R.2141-18 n'est pas contraire à l'article 1er du protocole additionnel à la Conv..EDH en ce qu'il a pour effet de priver la personne décédée de la propriété de ses gamètes et, au reste, comment le pourrait-il puisque le décès a pour effet l'extinction de la personnalité juridique et donc de l'aptitude à être titulaire du droit de propriété, mais en ce qu'il prive un proche de cette personne, ici la mère, de la propriété de ces gamètes qui lui a été transmise. Mais le moyen se heurte à deux objections. 1) La notion de bien Il peut être affirmé que les gamètes, produits du corps humain, ne sont pas des biens au sens de l'article 1er du protocole additionnel. Il convient en effet de se référer à ce qu'a jugé la Cour EDH dans son arrêt du 27 août 2015, Parrillo c. Italie (req. n° 46470/11) à propos d'embryons humains. 3
Après avoir relevé que ceux-ci « renferment le patrimoine génétique de la personne en question et représentent à ce titre une partie constitutive de celle-ci et de son identité biologique » (point 148), elle a décidé qu' « eu égard à la portée économique et patrimoniale qui s'attache à (l'article 1 er du protocole additionnel) les embryons humains ne sauraient être réduits à des « biens » au sens de cette disposition » (point 215). La même définition, négative, doit être réservée aux gamètes, qui recèlent eux aussi le patrimoine génétique de leur titulaire, et représentent également une partie qui lui est consubstantielle. Dès lors que les gamètes ne peuvent être assimilés à des biens au sens de l'article 1er du protocole additionnel, l'article R. 2141-18 qui prévoit leur destruction à la suite du décès de la personne dont ils sont issus, ne méconnaît pas cette disposition conventionnelle. 2) La transmission du droit Dans sa décision du 12 novembre 20191, la Cour EDH, a statué sur une requête de Mme [C] qui se plaignait de l'impossibilité de disposer des gamètes de son fils décédé en vue de procéder, dans le respect des dernières volontés de celui-ci, à une procréation médicalement assistée par l'intermédiaire d'un don à un couple stérile ou d'une gestation pour autrui. La Cour européenne, a rejeté le moyen pris de la violation de l'article 8 de la Convention, en jugeant que « les droits revendiqués par la requérante concernent les droits de son fils défunt. Le sort des gamètes déposés par un individu et la question du respect de sa volonté qu'elles soient mises en œuvre après sa mort concernent le droit d'un individu de décider de quelle manière et à quel moment il souhaite devenir parent qui relève de la catégorie des droits non transférables ». Cette décision me semble parfaitement transposable au cas présent car elle porte sur le droit que possède un individu de décider du sort des gamètes qu'il a déposés, autrement dit, d'en disposer, ce qui recouvre le droit de les donner. Or ce droit n'est pas transférable, autrement dit, non transmissible, contrairement à ce qu'affirme le moyen, pas plus à la mère de cette personne qu'à quiconque. Il s'agit d'un attribut de la personnalité qui s'éteint au décès de son titulaire, et qui n'est pas cessible à un tiers. La destruction des gamètes ne peut donc méconnaître le droit de propriété de ce tiers, puisqu'il ne l'a pas acquis. A cet égard également, l'article R. 2141-18 du code de la santé publique n'apparaît pas contraire à l'article 1er du protocole additionnel à la Conv..EDH. 1
D.C/ c. France, requête n°23038/19. 4
Le moyen reproche donc, à tort, à la cour d'appel de s'être fondée sur cet article réglementaire pour juger que l'administration avait agi dans les limites de ses prérogatives. Je vous invite, en conséquence, à écarter la première branche.
3.2 Sur la deuxième branche Celle-ci est relative à la première condition de la voie de fait, c'est à dire l'atteinte à la propriété. Mais elle repose, comme la première, sur l'inconventionnalité de l'article R.214118. Les développements consacrés à la première branche peuvent être repris ici. C'est pourquoi je conclus également au rejet de cette branche.
3.3 Sur la troisième branche Le moyen fait grief à la cour d'appel de ne pas avoir recherché, comme elle y était invitée, si la destruction des gamètes par le CECOS ne portait pas atteinte à la liberté individuelle de pouvoir procréer exprimée de son vivant par [X] [C] et poursuivie, selon le souhait de celui-ci, par sa mère. Mais il résulte de la lecture des conclusions d'appel de Mme [C], que, contrairement à ce qu'elle affirme, les juges du second degré n'ont pas été invités à faire cette recherche à laquelle ils n'étaient pas tenus de procéder d'office. C'est pourquoi je suis aussi d'avis d'écarter cette branche.
Au regard de ce qui précède, je conclus au rejet du pourvoi.
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