Cass. civ. 1, Conclusions, 17-05-2023, n° 21-25.670
A83852RY
Référence
AVIS DE Mme CAZAUX-CHARLES, AVOCATE GÉNÉRALE
Arrêt n° 323 (B) du 17 mai 2023 – Première chambre civile Pourvoi n° 21-25.670 Décision attaquée : 30 septembre 2021 de la cour d'appel de Nîmes la société Media systeme C/ M. [N] [Z] (décédé), et autres _________________
Avis de rejet
1. Rappel des faits et de la procédure Le 21 septembre 2017, [N] [Z] a conclu hors établissement avec la société Media Système un contrat de fourniture et d'installation de douze panneaux photovoltaïques et d'un chauffe-eau thermodynamique au prix de 19 900 euros lequel a été financé par un crédit souscrit le 2 octobre 2017, avec Mme [Z], auprès de la société BNP Paribas Personal Finance (la banque). Le 2 novembre 2017, [N] [Z] a établi une attestation de fin de travaux et de conformité et le 15 décembre 2017 la banque a débloqué les fonds entre les mains de la société Media Système. Par courriers recommandés avec demande d'avis de réception du 25 janvier 2018, [N] [Z] et Mme [Z] ont informé celle-ci et la banque de l'exercice de leur droit de rétractation.
1
Les 30 et 31 mai 2018, ils les ont assignés en constat de la caducité du contrat consécutive à l'exercice de leur droit de rétractation, subsidiairement en nullité et, à défaut, en résolution des contrats. Par jugement du 27 mai 2019, le tribunal d'instance d'Uzès a : - rejeté la fin de non-recevoir tenant au défaut de qualité à agir de Mme [Z] non mentionnée par le bon de commande ; - constaté l'exercice par [N] [Z] et Mme [Z] de leur droit de rétractation dans le délai légal prorogé de 12 mois sur le fondement de l'article L. 221-20 du code de la consommation ; - constaté en conséquence l'anéantissement du contrat liant [N] [Z] et Mme [Z] à la société Media Système ; - prononcé la résiliation subséquente du crédit affecté ; - condamné la société Media Système à venir récupérer à ses frais le kit des 12 panneaux photovoltaïques, le ballon thermodynamique et tous les éléments afférents à l'installation de ces biens au domicile de [N] [Z] et de Mme [Z] ; - condamné la société Media Système à assumer tous les frais de dépose et de remise en état initial ; - condamné la banque à restituer à [N] [Z] et Mme [Z] la somme de 1 948,78 euros au titre des règlements effectués par ces derniers en exécution du crédit affecté, et de manière générale toutes sommes versées au titre de l'exécution de ce crédit affecté ; - débouté la banque de ses demandes à l'encontre de [N] [Z] et de Mme [Z] en retenant une faute dans l'analyse du bon de commande et lors du déblocage des fonds; - condamné la société Media Système à restituer à banque la somme de 19 900 euros; - condamné in solidum la société Media Système et la banque à verser à [N] [Z] et à Mme [Z] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; - condamné in solidum la société Media Système et la banque aux dépens ; - dit n'y avoir lieu à exécution provisoire. Par arrêt du 30 septembre 2021, la cour d'appel de Nîmes a : - Confirmé le jugement sauf en ce qu'il avait débouté la banque de sa demande de remboursement du capital prêté par [N] [Z] et condamné la société Media Système à restituer le prix de vente à la banque ; - Statuant de nouveau des chefs infirmés, - Condamné la société Media Système à restituer à [N] [Z] et à Mme [Z] la somme de 19 900 euros ; - Condamné [N] [Z] à rembourser à la banque la somme de 19 900 euros sous déduction du montant des échéances payées ; - Condamné in solidum la société Media Système et la banque à verser à [N] [Z] et à Mme [Z] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. - Condamné in solidum la société Media Système et la banque Finance aux dépens de la procédure d'appel. C'est l'arrêt attaqué par la société Media système, signifié le 26 octobre 2021 “à la banque à la demande de M.[N] [Z] et de Mme.[O] [Z]” sans mention du décès de M.[N] [Z], lequel serait survenu le 30 novembre 2020.
2
2. Présentation succincte du moyen unique La société Media systeme fait grief à l'arrêt de constater l'exercice par [N] [Z] et Mme [Z] de leur droit de rétractation dans le délai légal prorogé de 12 mois sur le fondement de l'article L. 221-20 du code de la consommation, de constater en conséquence l'anéantissement du contrat le liant avec [N] [Z] et Mme [Z], de la condamner à venir récupérer à ses frais le kit des 12 panneaux photovoltaïques, le ballon thermodynamique et tous les éléments afférents à l'installation de ces biens au domicile de M. [N] [Z] et Mme [O] [Z], de la condamner à assumer tous les frais de dépose et de remise en état initial et de la condamner à restituer à [N] [Z] et à Mme [Z] la somme de 19 900 euros, alors : « que la fourniture et la pose d'un dispositif destiné à produire de l'énergie relève du contrat de prestation de services, au sens de l'article 2 de la directive 2011/83/UE, de sorte que le point de départ du délai de rétractation du consommateur doit être fixé au jour de la conclusion du contrat ; qu'en retenant néanmoins, pour fixer au jour de la livraison le point de départ du délai de rétractation de M. et Mme [Z], que le contrat avait pour objet la livraison de biens et la fourniture d'une prestation de services destinée à leur installation et mise en service, accessoire de la fourniture du matériel, ce qui devait conduire à l'assimiler à un contrat de vente, la cour d'appel a violé les articles L. 221-1 et L. 221-18 du code de la consommation et l'article 2 de la directive 2011/83/UE. »
3. Analyse Préalablement à l'examen de la question posée par le pourvoi, et comme discuté par le rapport, doit être abordé l'examen des conditions nécessaires à la poursuite de l'instance en raison du décès du défendeur. Il y a lieu de considérer que ces conditions sont réunies dès lors d'une part que le demandeur au pourvoi était dans l'ignorance du décès du défendeur jusqu'au moment de la signification dudit pourvoi, que d'autre part, aucune pièce justificative du décès du défendeur n'a été produite avant l'ouverture des débats, de sorte qu'à défaut d'un tel document adressé à l'auteur du pourvoi ou versé en procédure, l'instance n'a pas été interrompue. Revenant au fond, la question soumise à la Cour de cassation est celle de savoir si un contrat de fourniture et d'installation d'un équipement produisant de l'énergie à partir d'une technologie photovoltaïque ou thermodynamique relève de la qualification de contrat de vente ou de contrat service au sens de l'article 2 de la directive 211/83/UE et des articles L.221-1 et L.221-18 du code de la consommation. La décision prise est importante en ce qu'elle va déterminer, aux termes des articles 9 de la directive et L.221-18 du code civil, le point de départ du délai de rétractation de quatorze jours offert au consommateur, soit, s'il s'agit d'un contrat de vente, la livraison des biens achetés, soit, s'il s'agit d'un contrat de service, la conclusion du contrat. surcroît, les modalités d'exercice de ce droit de rétractation doivent être mentionnées au contrat à peine, sinon, de porter le délai au terme duquel il expire à douze mois à compter de la fin du délai de rétractation initial (Article 10 de la directive et L.221-20 du code de la consommation). Pour qualifier le contrat de vente, la cour d'appel a retenu qu'il avait pour objet à la fois la livraison de biens (d'un prix de 18 500 euros sur un total de 19 900 euros) et la 3
fourniture d'une prestation de services destinée à leur installation et à leur mise en service, laquelle était accessoire à la fourniture du matériel. Elle en a déduit qu'en application de l'article L. 221-1, II, du code de la consommation, et 2.5 de la directive 2011/83/UE, le contrat devait être assimilé à un contrat de vente et non à un contrat de prestation de services. Le mémoire ampliatif considère que la cour d'appel, en assimilant la convention litigieuse à un contrat de vente, a violé les articles L. 221-1 et L. 221-18 du code de la consommation et l'article 2 de la directive 2011/83/UE. Selon les arguments développés au soutien de ce moyen, la Cour d'appel, appliquant les principes d'interprétation posés par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), ne pouvait déduire de la seule mixité de l'objet du contrat et du caractère accessoire de la fourniture de la prestation de mise en service , la qualification de contrat de vente alors que l'objet principal de la convention litigieuse était, toujours selon le pourvoi, de procurer une autonomie dans la production énergétique et le chauffage de l'eau sanitaire, soit de fournir un service (p13 du MA), peu important alors la valeur vénale des équipements livrés, totalement inutilisables s'ils ne sont pas installés par des personnes disposant de compétences particulières pour les adapter à des contraintes spécifiques et les intégrer à un habitat singulier (P14 du MA). Selon l'article 2 de la directive, constitue: « 5) un « contrat de vente », tout contrat en vertu duquel le professionnel transfère ou s'engage à transférer la propriété des biens au consommateur et le consommateur paie ou s'engage à payer le prix de ceux-ci, y compris les contrats ayant à la fois pour objet des biens et des services ; 6) un « contrat de service », tout contrat autre qu'un contrat de vente en vertu duquel le professionnel fournit ou s'engage à fournir un service au consommateur et le consommateur paie ou s'engage à payer le prix de celui-ci ; » L'article L. 221-1 du code de la consommation, dont la rédaction applicable à l'espèce est issue d'une loi de transposition de cette directive, dispose : « II - Les dispositions du présent titre s'appliquent aux contrats portant sur la vente d'un ou plusieurs biens, au sens de l'article 528 du code civil, et au contrat en vertu duquel le professionnel fournit ou s'engage à fournir un service au consommateur en contrepartie duquel le consommateur en paie ou s'engage à en payer le prix. Le contrat ayant pour objet à la fois la fourniture de prestation de services et la livraison de biens est assimilé à un contrat de vente. » Nous pourrions alors considérer qu'en présence d'un contrat mixte prévoyant la fourniture d'un matériel et la fourniture d'une prestation d'installation et de mise en service, la convention litigieuse est constitutive d'un contrat de vente. Nous ne distinguerions pas là où la loi ne distingue pas et serions cohérents avec l'interprétation faites par d'autres textes européens antérieurs ou postérieurs à la directive qui assimilent le contrat “mixte” à un contrat de vente (cf sur ce point, l'article du professeur Bernheim-Desvaux, longuement cité au rapport, p18 - Contrats, concurrence et consommation, n°5 du 1er mai 2021, Démarchage, contrat mixte et point de départ du délai de rétractation). Toutefois, il semble qu'une distinction doive malgré tout être opérée pour tenir compte de la diversité des situations contractuelles et de la jurisprudence, en France, qui a eu à distinguer au sein de contrats spéciaux entre le contrat de vente et le contrat de prestation de service (selon le critère de l'accessoire et du principal, ou le critère de la 4
spécificité du travail accompli). Dès lors, saisi d'une difficulté d'interprétation d'une disposition nationale d'origine européenne, le juge doit se référer au texte originaire et aux principes d'interprétation dégagés par la CJUE pour en clarifier le sens. Ainsi, dans diverses affaires, la CJUE a pu rappeler que (voir notamment CJUE décision C-96/21 du 31 Mars 2022 et C-529/19 du 21 octobre 2020) : “Il importe de préciser que, selon une jurisprudence constante, dans la mesure où une disposition du droit de l'Union ne renvoie pas au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée, celle-ci doit trouver, dans toute l'Union européenne, une interprétation autonome et uniforme, qui doit être recherchée en tenant compte non seulement des termes de celle-ci, mais également du contexte de cette disposition et de l'objectif poursuivi par la réglementation en cause (voir, en ce sens, arrêt du 21 octobre 2020, Möbel Kraft, C-529/19, EU:C:2020:846, point 21 et jurisprudence citée)”(point 28). Et d'ajouter que: “Il ressort de la jurisprudence de la Cour que cette notion [la notion de « contrat de service », définie à l'article 2, point 6, de cette directive] est définie de manière large, comme visant tout contrat, autre qu'un contrat de vente, au sens de l'article 2, point 5, de la directive 2011/83, en vertu duquel le professionnel fournit ou s'engage à fournir un service au consommateur et le consommateur paie ou s'engage à payer le prix de celui-ci [voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, NK (Projet de maison individuelle), C208/19, EU:C:2020:382, point 62 et jurisprudence citée]”(point 31). “Conformément à l'article 2, point 5, de la directive 2011/83, la notion de « contrat de vente » est définie comme tout contrat en vertu duquel le professionnel transfère ou s'engage à transférer la propriété des biens au consommateur et le consommateur paie ou s'engage à payer le prix de ceux-ci, y compris les contrats ayant à la fois pour objet des biens et des services. Par ailleurs, la notion de « bien » est définie à l'article 2, point 3, de cette directive comme visant, en principe, tout objet mobilier corporel, sauf les objets vendus sur saisie ou de quelque autre manière par autorité de justice” (point 32). Enfin, s'appuyant sur une jurisprudence constante de la CJUE, la commission européenne a émis plusieurs recommandations relatives à l'application de la directive 2011/83 qui doivent nous guider dans l'interprétation de ces textes (Cité au rapport p.25 - Communication n°2021/C 525/01 de la commission). Elle invite ainsi à distinguer en fonction de l'objet du contrat, considérant que “si un contrat a pour principal objet le transfert de la propriété de certains biens, il devrait être qualifié de contrat de vente, même s'il couvre également des services connexes proposés par le vendeur, tels que l'installation, l'entretien ou tout autre type de traitement, indépendamment de la valeur relative des biens et des services” (§1.4). La CJUE en déduit qu'un contrat mixte doit être considéré comme un contrat de vente s'il est avéré que son objet réel est le transfert de propriété de biens, “par exemple, si la vente du manuel de formation occupait une place particulièrement importante dans l'offre du professionnel et dans la communication entre les parties, et si ce manuel avait une valeur relative importante par rapport au prix global de la formation (nous soulignons), le contrat pourrait être qualifié de contrat de vente aux fins de la directive, plutôt que de contrat de service”. Par ailleurs, même lorsqu' “un contrat mixte débouche sur la production d'un bien sous forme tangible, il devrait être considéré comme un contrat de service pourvu que l'objet 5
du contrat soit une prestation intellectuelle ou spécialisée et que la fourniture ultérieure n'ait qu'une fonction accessoire” (par exemple le contrat conclu avec un architecte pour concevoir une maison ou avec un avocat pour préparer et intenter un procès) (§1.4 de la même Communication n°2021/C 525/01 ). En l'espèce, la convention litigieuse a bien un objet mixte puisqu'elle organise à la fois un transfert de propriété d'équipements producteurs d'énergie contre paiement d‘un prix (contrat de vente), accompagné d'une fourniture de prestations d'installation et de mise en service moyennant aussi paiement d'un prix (contrat de services). Aux termes de l'article 2 de la directive et de l'article L.221-8 du code civil, on peut considérer, sans conclure à l'existence de facto d‘un contrat de vente, qu'il y a au moins, en raison de la mixité de l'objet, une forte présomption de contrat de vente qui nécessite la caractérisation d'un objet clairement et principalement différent pour conclure à l'existence d'un contrat de service. Dans cette perspective, il faut relever tout d'abord l'importance du prix de vente du matériel par rapport au prix global prévu au contrat tout comme la prédominance, dans la teneur de l'objet de ce contrat, de la vente de l'équipement dans la mesure où ce sont la qualité du matériel acheté et la performance de la technologie utilisée qui conditionnent l'acceptation de l'offre et non les modalités d'installation et de mise en service qui en sont l'accessoire obligés. Il faut d'ailleurs souligner que ne sont alléguées, pour établir une éventuelle prédominance du service dans l'objet du contrat, ni la nécessité de compétences autres que celles habituellement exigées pour l'installation de ce type d'équipement, ni la nécessité d'adaptations spécifiques que requerraient des contraintes particulières et complexes propres au site occupé par les époux [Z], Enfin, considérer qu'un tel contrat relèverait de la catégorie du contrat de service au motif que cet équipement fournit de l'énergie reviendrait à considérer que tout contrat à objet mixte au sens de la directive 2011/83 et portant sur des équipements utilisant une technologie propre à produire des biens (par exemple l'imprimante 3D) ou à remplir des tâches (on pense notamment à tous les équipements ménagers qui cuisent, nettoient, lavent de façon programmable et autonome) serait par construction un contrat de service. On pense encore, comme le souligne le professeur Bernheim-Desvaux, au développement de “nombre de biens comportant des éléments numériques, tels les objets connectés, dont la partie matérielle permet la fourniture d'un service” (article précité, p.17 du rapport) et, plus généralement, aux conséquences d'un tel raisonnement sur le marché des objets intégrant une technologie algorithmique. Ainsi, sans qu'il soit nécessaire de poser une question préjudicielle à la CJUE compte tenu des règles et critères d'interprétation suffisamment clairs et précis dont nous disposons, je conclus au rejet du pourvoi.
Avis: rejet du pourvoi.
6