Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 29-11-2023, n° 22-15.794

Cass. soc., Conclusions, 29-11-2023, n° 22-15.794

A83672RC

Référence

Cass. soc., Conclusions, 29-11-2023, n° 22-15.794. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105408940-cass-soc-conclusions-29112023-n-2215794
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AVIS DE Mme WURTZ, AVOCATE GÉNÉRALE

Arrêt n° 2099 du 29 novembre 2023 (B) – Chambre sociale Pourvoi n° 22-15.794 Décision attaquée : 3 mars 2022 de la cour d'appel de Paris Mme [Y] [X] C/ la société Comparadise groupe ________________

1. FAITS ET PROCÉDURE Engagée à compter du 7 octobre 2013 par la société Compassu, absorbée par la société Comparadise, le contrat de travail de Mme [X] a été suspendu dans le cadre d'un congé de maternité à compter du 8 septembre 2017 jusqu'au 25 janvier 2018. Par lettre du 6 janvier 2018, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à un licenciement pour motif économique, lié à un projet de réorganisation de l'entreprise. Licenciée le 10 mai 2018, la salariée a saisi la juridiction prud'homale aux fins de voir déclaré son licenciement nul et obtenir sa réintégration dans l'entreprise. Par jugement en date du 3 décembre 2019, le conseil de prud'hommes a débouté la salariée de l'ensemble de ses demandes.

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Par arrêt du 3 mars 2022, la cour d'appel a confirmé le jugement sauf en ce qu'il a débouté l'intéressée de sa demande de rappel de rémunération variable. C'est l'arrêt attaqué par le pourvoi formé par la salariée fondée sur deux moyens de cassation. Le premier moyen reproche à l'arrêt de débouter la salariée de sa demande de nullité du licenciement en violation de l'article L.1225-4, ensemble l'article 10 de la directive 92/85 du 19 octobre 1992 et l'article 15 de la directive 2006/54 du Conseil du 5 juillet 2006, pour avoir retenu que l'employeur n'avait accompli aucun acte préparatoire au licenciement pendant la période de protection de la salariée. Le second moyen, subsidiaire, fait grief à l'arrêt de dire le licenciement pour motif économique fondé sur une cause réelle et sérieuse, en violation de l'article L.1233-3 du code du travail et avec manque de base légale au regard de l'article L.1233-4 du code du travail.

2 DISCUSSION 2-1 Sur le premier moyen : Ce moyen du pourvoi tend à faire préciser par la chambre ce qu'elle entend par acte préparatoire au licenciement, interdit pendant la période de protection absolue de la salariée en situation de grossesse et de maternité. La convocation à un entretien préalable et une consultation des délégués du personnel sur un projet de licenciement économique constituent-t-elles de tels actes ? Au titre de la protection de la grossesse et de la maternité, le législateur a pris des dispositions tendant à limiter le pouvoir de direction de l'employeur comme suit : « L'employeur ne doit pas prendre en considération l'état de grossesse d'une femme pour refuser de l'embaucher, pour rompre son contrat de travail au cours d'une période d'essai ou, sous réserve d'une affectation temporaire réalisée dans le cadre des dispositions des articles L. 1225-7, L. 1225-9 et L. 1225-12, pour prononcer une mutation d'emploi. Il lui est en conséquence interdit de rechercher ou de faire rechercher toutes informations concernant l'état de grossesse de l'intéressée. »1

« Aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d'une salariée lorsqu'elle est en état de grossesse médicalement constaté, pendant l'intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu'elle use ou non de ce droit, et au titre des congés payés pris immédiatement après le congé de maternité ainsi que pendant les dix semaines suivant l'expiration de ces périodes. Toutefois, l'employeur peut rompre le contrat s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou

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Article L.1225-1 du code du travail

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être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa. »2.

Le premier alinéa du texte pose donc un principe de « protection absolue » de la salariée contre toute rupture du contrat, quel que soit son motif, pendant une période temporellement encadrée couvrant le congé de maternité et les congés payés pris immédiatement. Le second alinéa autorise l'employeur à rompre le contrat au cours des dix semaines suivant l'expiration de la suspension du contrat, mais dans les cas limitativement fixés. Cette période est usuellement qualifiée de période de « protection relative ». Au-delà de cette période des dix semaines, le droit commun du licenciement reprend ses effets. Si la notion d'actes préparatoires à la rupture n'est pas expressément visée par notre droit interne, la jurisprudence de la chambre a étendu la protection de la salariée en amont de la notification de la rupture du contrat, à la lumière de la directive 92/85 du 19 octobre 1992, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union. L'article 10 de la directive européenne dispose en effet : « En vue de garantir aux travailleuses [enceintes, accouchées ou allaitantes] au sens de l'article 2, l'exercice des droits de protection de leur sécurité et de leur santé reconnus dans le présent article, il est prévu que : 1) les États membres prennent les mesures nécessaires pour interdire le licenciement des travailleuses, au sens de l'article 2, pendant la période allant du début de leur grossesse jusqu'au terme du congé de maternité visé à l'article 8 paragraphe 1, sauf dans les cas d'exception non liés à leur état, admis par les législations et/ou pratiques nationales et, le cas échéant, pour autant que l'autorité compétente ait donné son accord ; 2) lorsqu'une travailleuse, au sens de l'article 2, est licenciée pendant la période visée au point 1, l'employeur doit donner des motifs justifiés de licenciement par écrit ; 3) les États membres prennent les mesures nécessaires pour protéger les travailleuses, au sens de l'article 2, contre les conséquences d'un licenciement qui serait illégal en vertu du point 1 ».

A ce titre, la Cour de justice de l'Union a jugé qu'« il (était) interdit non seulement de notifier une décision de licenciement en raison de la grossesse et/ou de la naissance d'un enfant pendant la période de protection visée au paragraphe 1 de cet article, mais également de prendre des mesures préparatoires à une telle décision, telles que la recherche et la prévision d'un remplacement définitif de l'employée concernée, avant l'échéance de cette période » 3. C'est dans ces conditions que différentes décisions de la chambre sont intervenues en conformité de ce principe, apportant, au fil des décisions, des précisions sur les contours de ce qui est considéré comme des « actes préparatoires ».

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Article L.1225-4 dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1088 du 8 aout 2016

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CJCE, 11 octobre 2007, aff. 460/06, Paquay

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Il en est ainsi s'agissant du remplacement définitif d'une salariée pendant son congé de maternité 4 ou le fait de convoquer la salariée pendant son congé de maternité pour aborder les modalités de son prochain licenciement pour motif économique 5. A l'inverse, les contacts pris avec une salariée afin de préparer son reclassement en raison de la suppression de son poste dans le cadre d'un PSE ne sont pas qualifiés de mesures préparatoires 6 ; ni le rassemblement d'attestations à propos de la salariée, pendant son absence, susceptibles d'établir son insuffisance professionnelle7. De ces décisions, il résulte que les actes qualifiés de « préparatoires » doivent révéler une intention manifeste de rompre le contrat. Commentant votre arrêt du 15 septembre 2010 8, madame la professeure FavennecHery écrivait dans la Revue droit social 2010 « Reste à déterminer ce qu'est une «mesure préparatoire » au licenciement de la salariée. Un projet verbal de licenciement, oui ; une offre de rupture amiable sans doute (...) ; » Si la chambre sociale laisse au pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond la qualification d'actes préparatoires 9, ceux-ci doivent nécessairement intervenir pendant la période de protection absolue 10 et caractériser en outre une intention claire et non équivoque de licencier la salariée, même si à ce stade, elle n'est pas irrévocable. Tel est le cas, à mon sens, de la convocation à un entretien préalable à licenciement qui est un véritable acte ayant des conséquences juridiques, dès lors qu'il ouvre la procédure de licenciement, quel que soit son motif 11, peu important que celle-ci trouve éventuellement une autre issue.

4 Soc.15 septembre 2010, n° 08-43.299, Bull.V n°182 5 Soc.1er février 2017, n°15-26.250 6 Soc.14 septembre 2016, n°15-15.943 , Bull.n°163 7 Soc. 6 novembre 2019, n°18-20.909 8 Soc.15 septembre 2010, précité 9 Soc.6 novembre 2019, précité ; Soc. 23 mai 2017, n° 16-13.621; Soc.26 avril 2017, n° 1610.254 Laquelle est exclusivement celle du congé de maternité, auquel s'ajoutent, le cas échéant, le congé pathologique légal et les congés payés pris immédiatement après le congé de maternité 10

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Articles L.1232-2 pour le licenciement pour motif personnel ; L.1233-11 pour le licenciement pour motif économique

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L'entretien préalable est en effet indispensable à la procédure de licenciement et ne peut être remplacé par des entretiens informels ou par une convocation téléphonique12. Ainsi, la lettre de convocation doit contenir l'indication non équivoque qu'un licenciement est envisagé et l'absence d'une telle mention est par ailleurs sanctionnée par des dommages et intérêts 13. La jurisprudence de la chambre précise en outre que c'est bien à la date de la convocation à cet entretien et non à la date effective de réalisation de celui-ci, qu'est fixée l'intention de rompre le contrat par l'employeur et c'est d'ailleurs à cette date qu'il convient de se placer pour savoir si le salarié a le statut de salarié protégé, requérant une demande d'autorisation administrative de licenciement14. Vous avez certes été amenés à juger que si le licenciement ne peut être signifié pendant la période de suspension, l'employeur peut néanmoins convoquer la salariée à un entretien préalable, dès lors que l'article L.1225-4 du code du travail ne porte aucune interdiction à ce titre 15. Mais cette jurisprudence est ancienne et depuis vous interprétez l'article L.1225-4 à la lumière de la directive du 19 octobre 1992 pour lui donner tout son effet utile et mettre votre jurisprudence en conformité avec la jurisprudence européenne issue de l'arrêt Paquay du 11 octobre 2007 précité. C'est d'ailleurs ce qu'ont jugé plusieurs cours d'appel récemment16 . Vous avez cependant rappelé, en formation plénière, que les actes préparatoires et la notification du licenciement pouvaient avoir régulièrement lieu pendant la période de protection relative de dix semaines suivant le congé de maternité et donc censuré une cour d'appel ayant annulé le licenciement notamment en raison de la convocation de la salariée à un entretien préalable pendant cette période 17. S'agissant de la consultation des délégués du personnel dans le cadre d'un projet de licenciement collectif, l'hésitation est permise. Contrairement à ce que prétend le mémoire en défense, votre arrêt du 14 septembre 201618 ne donne pas la réponse à cette question dès lors que vous avez rejeté l'existence de tout acte préparatoire au licenciement, dans l'hypothèse d'une salariée qui était informée par son employeur de l'existence d'un projet de 12

Soc. 21 mai 1992, n° 91-40.989, Bull.V n°334 ; Soc. 14 novembre 1991, n° 90-44.195

13 Soc. 20 février 1991, n° 88-42.574, Bull.V n° 84 14 Soc.23 octobre 2019, n° 18-16.057 15 Soc.28 juin 1995, n°92-40.136 16 CA Angers, 23 septembre 2021, n°19/00208 ; CA Metz, 8 mars 2022, n°19/02639 17 Soc. 1er décembre 2021, n°20-13.339 18

Soc.14 septembre 2016, précité

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licenciement économique collectif emportant suppression de plusieurs postes dont le sien et qu'un plan de sauvegarde de l'emploi avait été soumis au comité d'entreprise, mais ce, après la période de protection absolue. Or comme rappelé cidessus, vous jugez que la protection contre les actes préparatoires n'intervient que pendant la période de protection absolue19. Je suis par ailleurs d'avis de ne pas qualifier une telle consultation de la délégation du personnel, d'acte préparatoire susceptible d'emporter la nullité de la rupture, comme concernant les seuls rapports entre l'employeur et les institutions représentatives du personnel et non les rapports entre l'employeur et la salariée protégée. En l'espèce, la cour d'appel a écarté la nullité du licenciement en retenant que la salariée « ne pouvait valablement se prévaloir de sa convocation à un entretien préalable notifiée pendant sa période de protection ni de la réunion des délégués du personnel le 12 janvier 2018 pour soutenir que la décision de la licencier était prise, en l'absence de tout élément objectif venant caractériser cette volonté de l'employeur alors que la réunion des délégués du personnel s'inscrivait dans le cadre d'un licenciement collectif pour motif économique, que les recherches de reclassement se sont poursuivies ainsi que cela ressort de la note d'information, qu'il n'est produit aucun élément d'information sur la teneur précise de la communication téléphonique du 3 janvier 2018 par laquelle l'employeur a verbalement informé la salariée de la réorganisation de l'entreprise entraînant la suppression de son poste et qu'il ne peut non plus être tiré argument de l'absence d'organisation de visite médicale de reprise dans les huit jours suivants la fin du congé maternité qui ressort du nonrespect de l'obligation de sécurité et non de la volonté d'évincer la salariée. »

Ce faisant, après avoir constaté que la période de protection absolue s'était déroulée du 8 septembre 2017 au 24 janvier 2018 et que la convocation à l'entretien préalable à licenciement a eu lieu par lettre avec accusé de réception adressée le 16 janvier 2018, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations.

AVIS DE CASSATION sans avoir à se prononcer sur le second moyen.

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Soc.1er décembre 2021, précité

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