Cass. crim., Conclusions, 15-12-2021, n° 21-85.670
A83582RY
Référence
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AVIS DE Mr BOUGY, AVOCAT GÉNÉRAL
Arrêt n° 1602 du 15 décembre 2021 – Chambre criminelle Pourvoi n° 21-85.670 Décision attaquée : Arrêt en date du 23 septembre 2021 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence Procureur général près la cour d'appel d'Aix en-Provence C/ M. [T] [C]
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE Le 6 septembre 2021, M. [T] [C] a été mis en examen par un juge d'instruction de Marseille des chefs d'assassinats, destruction du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes, recel, en bande organisée, association de malfaiteurs, infraction à la législation sur les armes. Au cours de son interrogatoire de première comparution, il a choisi pour l'assister deux avocats, Me Chiche et Me Bidnic. Devant le juge des libertés et de la détention saisi d'une demande de placement en détention provisoire, il a sollicité un débat pour préparer sa défense. L'affaire a été renvoyée au 9 septembre et son incarcération provisoire a été ordonnée.
Lors du débat contradictoire du 9 septembre, aucun des deux avocats choisis ne s'est présenté. Chacun a fait connaître par messagerie électronique quelques minutes avant le débat qu'il sollicitait un renvoi. Le juge des libertés et de la détention a rejeté cette demande de renvoi, au motif que le délai arrivait à expiration, et a ordonné le placement en détention provisoire de M. [C]. Par arrêt en date du 23 septembre 2021, la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a annulé l'ordonnance de placement en détention provisoire pour atteinte aux droits de la défense et ordonné la remise en liberté immédiate de M. [T] [C]. C'est l'arrêt attaqué par Mme la procureure générale près la cour d'appel d'Aix-enProvence.
ANALYSE SUCCINCTE DU MOYEN Mme la procureure générale relève un moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 115 et R57-6-5 du code de procédure pénale, et des dispositions de l'article 8 du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat. Ce moyen fait grief à l'arrêt d'avoir annulé l'ordonnance de placement en détention provisoire pour atteinte aux droits de la défense alors que les avocats choisis avaient reçu l'un et l'autre un avis de libre communication et que s'ils s'étaient vu refuser des permis complémentaires pour leurs associés et collaborateurs, aucune disposition légale n'impose de leur en délivrer. Un mémoire en défense a été déposé par M. [T] [C].
DISCUSSION Sur les termes du débat : Le juge d'instruction avait délivré en temps utile des permis de communiquer ( ou avis de libre communication) aux deux avocats choisis par la personne mis en examen. Ceux-ci ont alors demandé qu'il en soit également délivré à leurs associés et à leurs ou collaborateurs. Le juge d'instruction a refusé en visant l'article 115 du code de procédure pénale qui laisse à la personne mise en examen le libre choix de son avocat.
3 Ce refus constitue t'il, comme l'a décidé la chambre de l'instruction, une atteinte aux droits de la défense justifiant l'annulation de l'ordonnance de placement en détention provisoire ? Si la question semble nouvelle, elle donne à votre chambre l'occasion de compléter sa jurisprudence relative au principe de libre communication de l'avocat avec son client détenu au moment du débat contradictoire. Ce principe résulte de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et des jurisprudences de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de cassation. Il en résulte notamment que l'avocat choisi par la personne mise en examen doit pouvoir effectivement rencontrer son client avant que n'intervienne le débat sur la détention provisoire afin de permettre l'exercice des droits de la défense. Votre chambre a jugé que l'impossibilité pour un détenu de communiquer avec son avocat lui fait nécessairement grief 1, sauf s'il existe une circonstance insurmontable2. C'est sur la base de ce même article 6 qu'en l'espèce, la chambre de l'instruction annule la procédure, considérant que ce permis doit être délivré non seulement aux avocats désignés, mais aussi à ceux de leurs associés ou collaborateurs qu'ils auront désignés au juge. Il est vrai qu'en pratique, il est fréquent que les juges d'instruction délivrent des permis de communiquer aux collaborateurs ou associés des avocats désignés, lorsqu'une telle demande leur est présentée, dans le but de faciliter le travail de la défense. Cet usage ne parait pas irrégulier, dès lors que le collaborateur (ou l'associé) intervient en lieu et place de l'avocat désigné et sur instruction de celui-ci et qu'il est soumis au secret professionnel et aux obligations déontologiques rappelés dans le mémoire en défense. Mais en l'espèce, le juge d'instruction a fait une interprétation stricte du texte de l'article 115 en rappelant que seule la partie intéressée a qualité pour désigner son avocat ou ses avocats. Dans son mémoire, Mme la procureure générale souligne qu'on ne peut imposer d'autres obligations que celles fixées par les textes et relève que les deux avocats choisis n'ont à aucun moment indiqué au juge d'instruction qu'ils ne seraient pas disponibles à la date du débat et qu'ils souhaitaient être substitués par l'un de leurs collaborateurs. Ce n'est qu'un quart d'heure avant le débat pour l'un, et deux minutes pour l'autre, qu'ils ont annoncé leur absence. Elle ajoute que les termes de l'article 115 n'autorisent ni l'avocat, ni le juge à désigner d'autres avocats que ceux désignés par la personne mise en examen. 1
Crim., 10 novembre 2020, pourvoi n° 20-84.641
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Crim., 12 décembre 2017, pourvoi n° 17-85.757, Bull. crim n° 283, cité dans le rapport
A cela le mémoire en défense réplique que lorsqu'un avocat collaborateur ou un associé intervient en lieu et place de l'avocat choisi, ce n'est pas parce qu'il a été désigné comme avocat, mais parce que l'organisation même des cabinets d'avocats l'autorise, en conformité avec le règlement intérieur national de la profession d'avocat.
Sur la jurisprudence de la chambre criminelle : Votre chambre a déjà rendu plusieurs décisions relatives à la délivrance des permis de communiquer avant le débat contradictoire. Elle a veillé à la fois à garantir un exercice effectif des droits de la défense et à refuser de tenir compte des contraintes d'organisation interne des cabinets d'avocats. Veiller à garantir l'exercice effectif des droits de la défense : Les décisions de la chambre criminelle ont fait preuve de rigueur en annulant des ordonnances de placement en détention dans des situations où le permis de communiquer n'avait été délivré qu'à un seul des avocats désignés 3, ou en considérant que l'assistance au débat par l'avocat de permanence ne suffisait à suppléer l'absence de l'avocat choisi qui n'avait pas obtenu le permis de communiquer4, ou en sanctionnant une délivrance tardive du permis après le débat contradictoire. 5 Tout au plus a-t-elle admis que le grief n'était pas fondé lorsqu'un report du débat avait pu permettre à la défense (ou aurait pu permettre si elle l'avait sollicité) de remédier à cette absence de libre communication.6 Refuser de tenir compte des contraintes d'organisation des cabinets d'avocats : En revanche, votre chambre n'a jamais voulu prendre en considération les contraintes d'organisation interne des cabinets d'avocats. Elle a refusé d'annuler des ordonnances prises à l'issue d'ordonnances de placement en détention lorsque le fait que l'avocat n'ait pas rencontré son client avant le débat n'était pas la conséquence d'une défaillance d'un service de justice, mais simplement des contraintes liées à l'organisation du cabinet.
3
Crim., 12 décembre 2017, pourvoi n° 17-85.757, Bull. crim n° 283, déjà cité en note 2
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Crim., 10 mars 2021, pourvoi n° 20-86.919, cité dans le rapport
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Crim. 7 janvier 2020, pourvoi n° 19-86.465
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Crim., 29 avril 2020, pourvoi n° 20-87.897
5 Elle en a jugé ainsi dans le cas d'un avocat qui n'était pas venu retirer le permis de communiquer au cabinet d'instruction 7 : 12. En l'état de ces énonciations, et dès lors que le permis de communiquer, sollicité le 20 novembre 2019, à 21heures 05, a été délivré par le juge d'instruction dès le 21 novembre 2019, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen. 13. En effet, il appartenait au conseil du prévenu, s'il estimait n'être pas en mesure d'effectuer les démarches nécessaires pour retirer le permis de communiquer et s'entretenir, en temps utile, avec son client avant la tenue du débat contradictoire différé, de solliciter un report de celui-ci, qui pouvait intervenir jusqu'au 25 novembre 2019. 14. Le moyen ne peut dès lors être accueilli.
Elle en a également jugé ainsi dans le cas d'un avocat qui, faute de temps pour se déplacer à l'établissement pénitentiaire, se plaignait de n'avoir pu en temps utile s'entretenir téléphoniquement avec le détenu8 : 12. Si la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2019 consacre le droit des détenus à téléphoner aux membres de leur famille ou pour préparer leur réinsertion et rappelle par ailleurs le principe de la libre communication entre le détenu et son avocat, ni ce texte ni aucune autre disposition du code de procédure pénale n'organise en l'état la communication téléphonique pour les besoins de la défense entre le détenu et l'avocat. 13. Il s'ensuit que la personne mise en examen dont l'avocat ne s'est pas présenté au débat contradictoire différé devant le juge des libertés et de la détention au motif qu'il n'avait pu contacter son client téléphoniquement, en raison d'une carence de l'administration pénitentiaire, ne saurait invoquer une violation des droits de la défense dès lors que le juge d'instruction a délivré en temps utile un permis de communiquer à cet avocat, propre à assurer un exercice effectif de ces droits, sauf pour ce dernier à établir l'existence de circonstances insurmontables ayant fait obstacle à son déplacement au parloir de l'établissement pénitentiaire. »
La situation relevant du cas d'espèce doit être jugée selon la même logique. Le choix de l'avocat d'organiser son cabinet en recourant à des collaborateurs est bien-sûr légitime, mais le juge n'a pas à entrer dans les détails d'une organisation qui ne le concerne pas. Il doit convoquer l'avocat choisi par le mis en examen dans les conditions prévues par la loi, mais il n'existe aucune raison de lui imposer des contraintes supplémentaires. Le respect des dispositions de l'article 115 du code de procédure pénale suffit au respect du principe de libre communication du détenu avec son avocat, étant rappelé que si la Cour européenne des droits de l'homme considère que ce droit doit être effectif et concret, la Convention ne précise pas les conditions d'exercice de ce droit et laisse aux Etats le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de le garantir. Rien n'interdit au juge d'instruction, s'il le souhaite et s'il en a le temps, d'accorder dans un esprit de bonne entente avec les avocats des permis de communiquer aux collaborateurs ou aux associés de ceux-ci, comme rien ne lui interdit d'adresser par 7
Crim. 10 mars 2020, pourvoi n° 19-87.757
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Crim., 13 avril 2021, pourvoi n° 21-80.989
voie postale le permis de communiquer ou d'autoriser rapidement la communication téléphonique avec l'avocat. Mais il ne s'agit là que de « facilitations » librement consenties en fonction de la disponibilité du moment et non pas d'obligations qui s'imposeraient à lui. C'est donc par une appréciation erronée de la loi que la chambre de l'instruction a considéré que M. [C] n'avait pu effectivement exercer les droits de la défense alors que ses avocats avaient été régulièrement convoqués et disposaient de permis de communiquer. L'absence d'entretien entre lui-même et ses avocats n'est due en aucun cas à un dysfonctionnement des services de la justice, mais au choix opéré par ses avocats effectué pour des raisons qu'il ne nous appartient pas de connaître. Elle ne peut en aucun cas constituer une cause d'annulation de la procédure et de levée du titre de détention, sauf à permettre aux parties de se constituer pour ellesmêmes des causes d'annulation de procédure. Je conclus donc à la cassation.
PROPOSITION Avis de cassation (sans renvoi)