ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION
Chambre Sociale
09 Mars 1999
Pourvoi N° 96-44.643
M. Pierre ...
contre
EURL Farines
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Sur les pourvois n° G 96-44643 et E 97-43862 formés par M. Pierre ..., demeurant Thuir, en cassation d'un même arrêt rendu le 29 mai 1996 par la cour d'appel de Montpellier (Chambre sociale), au profit de l'EURL Farines, dont le siège est Thuir, défenderesse à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 19 janvier 1999, où étaient présents M. Waquet, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Soury, conseiller référendaire rapporteur, MM ..., ..., ..., ..., Mme Lemoine ..., conseillers, M. ..., Mmes ..., ..., M. ..., Mme ..., conseillers référendaires, M. Terrail, avocat général, Mme Marcadeux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Soury, conseiller référendaire, les observations de Me ..., avocat de M. ..., les conclusions de M. Terrail, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu leur connexité, joint les pourvois n° G 96-44643 et E 97-43862 ;
Attendu que M. ... a été engagé par l'entreprise Farines le 1er janvier 1987 en qualité de conducteur d'engins de travaux publics ;
qu'il a été licencié pour faute par lettre du 19 juillet 1993, son employeur lui reprochant d'avoir percuté le 8 juillet précédant un fourgon de l'entreprise en ramenant son engin de chantier, et ce après avoir fait l'objet de 6 avertissements pour divers manquements professionels ; que contestant cette mesure, M. ... a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que d'un rappel d'heures supplémentaires ;
Sur le premier moyen Attendu que M. ... fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen, que, d'une part, lorsque des faits reprochés à un salarié ont donné lieu à un avertissement écrit, ces mêmes faits ne peuvent être invoqués à l'appui d'une décision de licenciement ; qu'en l'espèce, pour débouter M. ... de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt invoque la succession des avertissements concernant des comportements négligents dans l'exécution du travail ; qu'en statuant ainsi, alors que les faits invoqués à l'appui de la décision de licenciement étaient ceux-là même qui avaient donné lieu à des avertissements écrits, la cour d'appel a violé l'article L 122-14-3 du Code du travail ; que, d'autre part, viole ce même texte la cour d'appel qui prétend fonder sur une cause réelle et sérieuse le licenciement d'un salarié ayant 6 ans d'ancienneté pour une simple négligence commise en fin de journée ;
que, enfin, il incombait à la cour d'appel de rechercher, au-delà des énonciations de la lettre de licenciement, la véritable cause de cette mesure ; qu'en l'espèce, M. ... avait souligné dans ses conclusions d'appel laissées sans réponse que son licenciement était intervenu juste après la période d'arrêt de travail consécutive à une rechute d'accident de travail ; qu'en réalité, le licenciement de M. ... avait été prononcé à la suite de la démission de son fils, laquelle avait été mal acceptée par l'employeur ; qu'il s'ensuit que la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procécure civile ;
Mais attendu que, contrairement aux allégations de la première branche du moyen, la cour d'appel a constaté l'existence d'un fait nouveau constitué par la détérioration d'un véhicule de l'entreprise par l'engin de travaux que conduisait M. ..., et décidé à bon droit que ce manquement autorisait l'employeur à retenir des griefs antérieurs même déjà sanctionnés par des avertissements ;
Et attendu qu'exerçant le pouvoir d'appréciation qu'elle tient de l'article L 122-14-3 du Code du travail, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a décidé que le licenciement procédait d'une cause réelle et sérieuse ; que le moyen ne peut être accueilli ; Mais sur le second moyen
Vu l'article L 212-4 du Code du travail ;
Attendu qu'il résulte de ce texte qu'à l'exclusion du temps nécessaire à l'habillage et au casse-croûte ainsi que des périodes d'inaction dans les industries et commerces déterminés par décret, le temps de travail s'entend du travail effectif, c'est-à-dire du temps pendant lequel le salarié se tient en permanence à la disposition de son employeur pour participer à l'activité de l'entreprise ;
Attendu que, pour débouter M. ... de sa demande en paiement d'heures supplémentaires, l'arrêt énonce qu'il est admis que le salarié devait être présent dans l'entreprise environ une demi-heure avant le début du travail sur les chantiers ; qu'il apparaît que ce temps avait pour but essentiel, après chargement éventuel de quelques outils, d'être conduit par le véhicule de l'employeur sur les lieux du chantier ; que le salarié n'établit pas que ce temps soit autrement consacré à l'exécution d'un travail effectif à la disposition de l'employeur au sens de la définition de la durée du travail de l'article L 212-4 du Code du travail ; qu'il n'invoque pas de convention ou accord collectif prévoyant une rémunération particulière de ce temps ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le salarié, tenu d'être présent dans l'entreprise une demi-heure avant l'heure d'embauche afin de procéder au chargement d'outils et d'être ensuite transporté sur le lieu du chantier, se tient à la disposition de son employeur pour participer à l'activité de l'entreprise et qu'il s'ensuit que cette période de temps devait être rémunérée comme temps de travail effectif, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS CASSE ET ANNULE, mais seulement en sa disposition déboutant M. ... de sa demande en paiement d'heures supplémentaires, l'arrêt rendu le 29 mai 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mars mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.