N° RG 22/00683 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JANT
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 09 FEVRIER 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
20/1101
Jugement du POLE SOCIAL DU TJ DE ROUEN du 31 Janvier 2022
APPELANTE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ARDENNES
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 1]
dispensée de comparaître
INTIMEE :
SAS [5]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Gabriel RIGAL de la SELARL ONELAW, avocat au barreau de LYON, dispensé de comparaître
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'
article 945-1 du Code de procédure civile🏛, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 13 Décembre 2023 sans opposition des parties devant Madame ROGER-MINNE, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame ROGER-MINNE, Conseillère
Madame DE BRIER, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. GUYOT, Greffier
DEBATS :
A l'audience publique du 13 décembre 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 09 février 2024
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 09 Février 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'
article 450 du Code de procédure civile🏛,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
* * *
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Par décision du 19 mars 2020, la caisse primaire d'assurance-maladie des Ardennes (la caisse) a pris en charge un accident du travail dont aurait été victime M. [N] [C], salarié de la société [5] (la société), le 16 décembre 2019, le certificat médical initial joint à la déclaration d'accident du travail faisant mention d'une douleur au niveau thoracique supérieur et pectorale droite lors d'un effort de traction.
La société a saisi la commission de recours amiable de la caisse d'une contestation de cette décision puis a poursuivi sa contestation devant le pôle social du tribunal judiciaire de Rouen, la commission ayant rejeté son recours le 10 décembre 2020.
Par jugement du 31 janvier 2022, le tribunal a :
- déclaré la décision de prise en charge inopposable à la société ainsi que toutes les conséquences financières s'y rapportant,
- débouté la société du surplus de ses demandes,
- débouté la caisse de l'ensemble de ses demandes,
- condamné celle-ci aux dépens.
La caisse a relevé appel de cette décision le 21 février 2022 .
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions remises le 6 novembre 2023, la caisse, qui a été dispensée de comparution à l'audience, demande à la cour de :
- infirmer le jugement,
- dire que la décision de prise en charge de l'accident du travail de M. [C] est opposable à la société,
- condamner celle-ci aux dépens de l'instance.
Elle fait valoir que l'accident s'est déroulé sur le lieu de travail habituel, aux horaires de travail du salarié, soit à 8h50 et que l'employeur a été averti à 14 heures le jour même ; que le salarié s'est rendu au service médical de son employeur, qui le confirme, et a consulté son médecin le jour même. Elle en déduit que la présomption d'imputabilité de l'accident au travail doit s'appliquer. Elle précise que le témoin mentionné sur la déclaration d'accident du travail n'a pas souhaité remplir le questionnaire qui lui a été adressé et considère qu'exiger la présence d'un témoin visuel ou auditif des faits accidentels reviendrait à dénaturer l'
article L. 411-1 du code de la sécurité sociale🏛. Elle ajoute que la société ne démontre pas que la lésion dont est atteint le salarié a une cause totalement étrangère au travail.
Par conclusions remises le 8 décembre 2023, la société, qui a été dispensée de comparution à l'audience, demande à la cour de :
- juger que la décision de prise en charge de l'accident déclaré par le salarié lui est inopposable ainsi que toutes les conséquences financières y afférentes,
- juger que la décision de prise en charge de la nouvelle lésion déclarée par le salarié le 9 septembre 2020, comme se rattachant au sinistre déclaré le 16 décembre 2019, lui est inopposable ainsi que toutes les conséquences financières y afférentes.
Elle expose avoir fait des réserves lors de la déclaration de l'accident du travail, mettant en doute l'existence d'un fait accidentel survenu au temps et au lieu de travail. Elle considère que la caisse devait approfondir son instruction, en présence de contradictions ne permettant pas de déterminer de matière certaine la matérialité de l'accident ou son imputabilité au travail, en diligentant par exemple une enquête sur site ou en interrogeant les témoins cités. Elle fait observer que le salarié a indiqué s'être blessé un lundi matin à la première heure, juste après sa prise de poste et au retour de son week-end ; qu'il n'existe pas de véritable fait accidentel dès lors que le salarié a indiqué avoir fait un faux mouvement en ouvrant une porte, ce qui est un geste anodin ne nécessitant aucun effort particulier ; que la gravité des lésions constatées médicalement est incompatible avec le simple fait d'ouvrir une porte, M. [C] présentant une tendinopathie de l'épaule et des douleurs scapulaires et thoraciques ; qu'il a attendu 14 heures pour l'informer des faits. Elle indique que la confirmation que le salarié s'est présenté à l'infirmerie de l'entreprise est inopérante puisqu'elle ne conteste pas la réalité de la lésion.
Elle soutient par ailleurs que la prise en charge d'une nouvelle lésion, apparue pour la première fois neuf mois après les faits ayant justifié la prise en charge par accident du travail, permet à nouveau de s'interroger sur le fait que le salarié se soit blessé dans le cadre de sa vie privée ou qu'il présente une maladie d'apparition lente et progressive.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l'exposé détaillé de leurs moyens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1. Sur la matérialité d'un accident du travail
Il résulte de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale que constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle ou psychologique, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.
Il appartient à la caisse d'établir, autrement que par les seules allégations de l'assuré, la matérialité d'un accident survenu au temps et au lieu de travail.
Il appartient à l'employeur qui entend faire écarter l'application de cette présomption de rapporter la preuve que la cause de l'accident est totalement étrangère au travail ou que la lésion a une cause totalement étrangère au travail.
Il ressort de la déclaration d'accident du travail que le fait litigieux a eu lieu à 8h50, le salarié ayant pris son poste à 8h. Il est mentionné qu'il s'est fait mal à l'épaule droite en ouvrant une porte. Dans son questionnaire adressé à la caisse, M. [C] a expliqué que, pour accéder au magasin d'outillage, il avait dû ouvrir une porte coupe-feu en forçant, alors qu'habituellement elle s'ouvrait normalement ; qu'il avait senti une douleur au niveau des côtes et de l'épaule droite ; qu'il a dû continuer à travailler jusqu'à midi ; qu'à froid, il a ressenti davantage la douleur et s'est rendu à l'infirmerie de son travail où un courrier à destination de son médecin traitant lui a été remis. L'infirmière du site a confirmé ce passage. La caisse justifie avoir adressé un questionnaire au témoin des faits, qui ne lui a pas été retourné.
Effectuer une traction pour ouvrir une porte coupe-feu s'ouvrant difficilement constitue un fait soudain. Par ailleurs, les lésions constatées par le médecin le jour même sont concordantes avec les faits et la localisation des douleurs décrites par le salarié à son employeur. La circonstance que le fait accidentel ait été mentionné comme survenu 50 minutes après la prise de poste ne suffit pas à considérer qu'il s'est produit en réalité en dehors du travail.
Ainsi, la caisse peut se prévaloir de la présomption d'imputabilité de l'accident au travail en présence d'un fait soudain qui est survenu au temps et au lieu du travail et dont il est résulté une lésion.
La société est en conséquence déboutée de sa demande d'inopposabilité de la prise en charge de l'accident du travail ainsi que de sa demande d'inopposabilité de la prise en charge de la lésion nouvelle, qui est présentée comme étant une conséquence de sa première demande.
Le jugement est infirmé.
2. Sur les frais du procès
La société qui perd le procès est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort :
Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Rouen du 31 janvier 2022 ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Déclare opposable à la société la décision du 19 mars 2020 de prise en charge de l'accident du travail de M. [Aa] [C] du 16 décembre 2019 ;
Déboute la société [5] de ses demandes ;
La condamne aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE