N° X 23-80.497 FS-B
N° 00027
SL2
13 FÉVRIER 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 FÉVRIER 2024
M. [T] [Aa] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 18 janvier 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment, en récidive, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 12 juin 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Chaline-Bellamy, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [T] [Aa], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 décembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chaline-Bellamy, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, MM. Maziau, Seys, Dary, Mme Thomas, M. Hill, conseillers de la chambre, M. Violeau, Mme Merloz, M. Michon, conseillers référendaires, M. Quintard, avocat général, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [T] [Aa] a été mis en examen le 10 décembre 2021 et supplétivement le 6 septembre 2022 des chefs susvisés.
3. Le 1er juin 2022, l'avocat de M. [Aa] a déposé une requête en nullité.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche
4. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'
article 567-1-1 du code de procédure pénale🏛.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure jusqu'à la cote D 2294 incluse, et en particulier rejeté la demande d'annulation des procès-verbaux d'obtention et d'exploitation des images de vidéoprotection de la ville de Drancy et de la procédure subséquente, alors « qu'il résulte de la combinaison des
articles L. 252-1, L. 252-3 et L. 252-5 du Code de la sécurité intérieure🏛🏛🏛 que les images captées par un dispositif de vidéosurveillance ne peuvent être légalement transmises aux enquêteurs et versées en procédure lorsque si ceux-ci ont requis cette transmission après l'expiration du délai au terme duquel ces enregistrements doivent être détruits, lequel ne peut excéder un mois, peu important que ces images aient antérieurement fait l'objet d'une réquisition de transmission dans le cadre d'une autre procédure qu'au cas d'espèce, Monsieur [Aa] faisait valoir que les enquêteurs n'avaient pu avoir accès, sur la base d'une réquisition du 8 novembre 2021, à des images de vidéosurveillance enregistrées les 28 et 29 septembre 2021, soit plus d'un mois avant qu'en retenant, pour écarter ce moyen, que la « réquisition [du 13 septembre 2021], effectuée dans une affaire distincte, interrompt le délai d'un mois à compter duquel les images issues de la vidéosurveillance doivent être détruites » et que « court désormais, à compter du 13 septembre 2021, un nouveau délai qui est celui de la prescription de l'action publique en matière d'infractions à la législation sur les stupéfiants », la chambre de l'instruction a violé les
articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme🏛, L. 252-3 et L. 252 5 du code de la sécurité intérieure, préliminaire, 77-1-1, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
6. Pour dire n'y avoir lieu à annulation des procès-verbaux d'obtention et d'exploitation des images de vidéoprotection de la police municipale des 28 et 29 septembre 2021, l'arrêt attaqué énonce que la réquisition remise à cette dernière le 13 septembre 2021 par un autre service de police dans une affaire distincte a interrompu le délai d'un mois à compter duquel les images issues de la vidéoprotection doivent être détruites.
7. Les juges en concluent que les enquêteurs ont obtenu régulièrement le 8 novembre 2021, sur leur réquisition, les images enregistrées dans la soirée du 28 septembre 2021.
8. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.
9. En premier lieu, il résulte de l'
article 77-1-1 du code de procédure pénale🏛, dans sa rédaction en vigueur au moment des actes contestés, que les enquêteurs, agissant en enquête préliminaire, peuvent requérir, à titre d'informations intéressant l'enquête, la transmission d'images issues d'une vidéoprotection sur la voie publique, détenues par une administration publique.
10. En second lieu, il ressort de l'article L. 252-5 du code de la sécurité intérieure que les enregistrements sont détruits dans un délai maximum d'un mois, hormis le cas d'enquête flagrante ou préliminaire ou d'une information judiciaire.
11. Il s'ensuit que sont conformes aux dispositions de l'article L. 252-5 précité tant la conservation des images enregistrées les 28 et 29 septembre 2021 que l'accès postérieur aux images ainsi conservées, dans le cadre d'une autre enquête judiciaire, le texte ne restreignant pas l'accès aux enregistrements qui n'ont pas été détruits à la seule enquête ou information pour laquelle ils ont été conservés.
12. En conséquence, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure jusqu'à la cote D 2294 incluse, et en particulier rejeté la demande d'annulation de la réquisition du 9 novembre 2021 aux fins d'obtention des images de vidéoprotection pour « toute la durée de la procédure en cours » et des procès-verbaux d'exploitation ultérieure, alors :
« 1°/ d'une part que toute mesure consistant en la mise en oeuvre d'un dispositif ayant pour objet la surveillance systématique et l'enregistrement de l'image d'une personne dans un lieu public doit faire l'objet d'une autorisation du juge d'instruction ou du Procureur de la République selon que les investigations sont menées en enquête préliminaire ou en information judiciaire, précisant la durée et le périmètre pour lesquels cette autorisation est délivrée qu'au cas d'espèce, la chambre de l'instruction a elle même constaté que les enquêteurs avaient, par réquisition du 8 novembre 2021, sollicité la police municipale de [Localité 1] aux fins de « fournir un accès aux enregistrements des caméras de vidéoprotection, pendant toute le durée de la procédure en cours », sans limitation de durée et de périmètre qu'en affirmant néanmoins pour dire n'y avoir lieu à annulation de cette réquisition et des actes subséquents, que cette mesure constituait la simple « exploitation d'une vidéosurveillance administrative autorisée par le Préfet », quand l'exploitation d'images issues d'un dispositif de surveillance systématique d'un lieu public, fût-il mis en place dans un cadre de police administrative, constitue une opération de police judiciaire qui ne pouvait intervenir que sur la base d'une réquisition limitée dans le temps et l'espace, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations en violation des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, L. 252-1 du code de la sécurité intérieure, préliminaire, 77-1-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ d'autre part que toute mesure consistant en la mise en oeuvre d'un dispositif ayant pour objet la surveillance systématique et l'enregistrement de l'image d'une personne dans un lieu public doit faire l'objet d'une autorisation du juge d'instruction ou du Procureur de la République, selon que les investigations sont menées en enquête préliminaire ou en information judiciaire, précisant la durée et le périmètre pour lesquels cette autorisation est délivrée qu'au cas d'espèce, la chambre de l'instruction a elle-même constaté que les enquêteurs avaient, par réquisition du 8 novembre 2021, sollicité la police municipale de [Localité 1] aux fins de « fournir un accès aux enregistrements des caméras de vidéoprotection, pendant toute le durée de la procédure en cours », sans limitation de durée et de périmètre qu'en affirmant, pour dire n'y avoir lieu à annulation de cette réquisition et des actes subséquents, que les mesures litigieuses ne constituaient pas des mesures de captation de l'image des personnes « dans la sphère privée » ou « dans un lieu privé », sans répondre au moyen tiré de ce que la captation systématique de l'image des personnes, y compris dans un lieu public, était susceptible de porter atteinte à la vie privée et devait donc être autorisé et contrôlé par l'autorité judiciaire, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, L. 252-1 du code de la sécurité intérieure, préliminaire, 77-1-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ enfin que toute mesure consistant en la mise en oeuvre d'un dispositif ayant pour objet la surveillance systématique et l'enregistrement de l'image d'une personne dans un lieu public doit faire l'objet d'une autorisation du juge d'instruction ou du Procureur de la République, selon que les investigations sont menées en enquête préliminaire ou en information judiciaire, précisant la durée et le périmètre pour lesquels cette autorisation est délivrée qu'au cas d'espèce, la chambre de l'instruction a elle-même constaté que les enquêteurs avaient, par réquisition du 8 novembre 2021, sollicité la police municipale de [Localité 1] aux fins de « fournir un accès aux enregistrements des caméras de vidéoprotection, pendant toute le durée de la procédure en cours », sans limitation de durée et de périmètre qu'en affirmant, pour dire n'y avoir lieu à annulation de cette réquisition et des actes subséquents, que la réquisition visait « l'autorisation de Mme Le Breton, substitut du procureur de la République de Nanterre » et qu'en conséquence elle avait fait l'objet d'un « contrôle judiciaire suffisant », motif insuffisant à établir la régularité de la réquisition litigieuse en l'absence de précisions quant aux modalités de la mesure autorisée, et notamment quant à son périmètre et à sa durée, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, L. 252-1 du code de la sécurité intérieure, préliminaire, 77-1-1, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
14. Pour écarter le moyen de nullité tiré des termes de la réquisition adressée par les enquêteurs aux services de police municipale tendant à obtenir « un accès aux enregistrements des caméras de vidéoprotection pendant toute la durée de la procédure en cours », l'arrêt attaqué retient que, si cette réquisition a permis l'exploitation de douze séquences vidéos qui lui sont postérieures, il ne s'agit que de l'exploitation d'une vidéo-surveillance administrative, régie par l'article L. 252-1 du code de la sécurité intérieure, autorisée par le préfet et qui pré-existait à l'enquête.
15. Les juges ajoutent que cette réquisition ne peut être assimilée à une captation d'images, technique spéciale d'enquête qui vise de façon proactive à recueillir des preuves visuelles dans la sphère privée, postérieurement à son installation, et qui doit être judiciairement et préalablement autorisée dans le cadre d'une enquête pré-existante.
16. Ils indiquent encore que l'autorisation préalable du procureur de la République suffit à assurer le contrôle de la proportionnalité de la mesure à l'atteinte à l'intimité de la vie privée.
17. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
18. En premier lieu, les enquêteurs n'ont pas mis en oeuvre un dispositif de captation d'images sur la voie publique mais se sont bornés à requérir la délivrance par les services compétents de la municipalité des enregistrements du système de vidéoprotection installé par celle-ci.
19. En deuxième lieu, l'article 77-1-1 du même code n'interdit pas à l'officier de police judiciaire de requérir la police municipale en vue d'obtenir des images, issues de ce dispositif, qui n'ont pas encore été enregistrées.
20. En troisième lieu, la chambre de l'instruction a constaté que, les enquêteurs n'ayant exploité que douze séquences vidéos du 18 novembre au 4 décembre 2021, l'atteinte ainsi portée à la vie privée des personnes concernées était prévue par l'article 77-1-1 précité, justifiée par la recherche des infractions pénales, et proportionnée à la gravité de celles-ci.
21. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Sur le troisième moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure jusqu'à la cote D 2294 incluse, et a en particulier rejeté la demande d'annulation de la garde à vue de M. [Aa], alors :
« 1°/ qu'il appartient à l'officier de police judiciaire, ou, sous son contrôle, à un agent de police judiciaire ou à un assistant d'enquête de prendre contact directement et personnellement avec l'avocat désigné par la personne gardée à vue que les enquêteurs ne peuvent prendre contact avec une permanence organisée par un Barreau que si la personne gardée à vue sollicite l'assistance d'un avocat de permanence qu'au cas d'espèce, la chambre de l'instruction a elle même constaté que Monsieur [Aa] avait sollicité l'assistance de Me Noblinski, avocat désigné et choisi ; qu'en estimant que l'avis adressé par les enquêteurs à la permanence du barreau de Paris valait avis à avocat, y compris pour un avocat choisi, la convention conclue entre le Bâtonnier de Paris, le Président du Tribunal judiciaire de Paris et le Procureur de la République du Tribunal judiciaire de Paris stipulant que « si la demande concerne un avocat choisi, le standard s'efforce de le contacter », quand cette stipulation contractuelle ne pouvait dispenser les enquêteurs de l'obligation légale qui leur était faite par l'
article 63-3-1 du code de procédure pénale🏛 de prendre directement et personnellement contact avec l'avocat désigné par Monsieur [Aa] la chambre de l'instruction a violé ce texte, ensemble les
articles 591 et 593 du Code de procédure pénale🏛🏛 ;
2°/ d'autre part et en tout état de cause qu'il appartient à l'officier de police judiciaire, ou, sous son contrôle, à un agent de police judiciaire ou à un assistant d'enquête de prendre contact directement et personnellement avec l'avocat désigné par la personne gardée à vue que les enquêteurs ne peuvent prendre contact avec une permanence organisée par un Barreau que si la personne gardée à vue sollicite l'assistance d'un avocat de permanence qu'au cas d'espèce, la chambre de l'instruction a elle-même constaté que Monsieur [Aa] avait sollicité l'assistance de Me Noblinski, avocat désigné et choisi ; qu'en se fondant, pour dire que l'avis adressé par les enquêteurs à la permanence du barreau de Paris valait avis à avocat, sur la convention conclue entre le Bâtonnier de Paris, le Président du Tribunal judiciaire de Paris et le Procureur de la République du Tribunal judiciaire de Paris, quand cette convention n'était pas applicable dans le cadre d'une enquête menée sous l'autorité du Procureur de la République du Tribunal judiciaire de Nanterre, la chambre de l'instruction a violé les articles 63-3-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la cour
23. Pour dire que les enquêteurs ont informé l'avocat choisi par M. [Aa] de sa désignation, l'arrêt attaqué énonce que, suite au placement en garde à vue de l'intéressé à 6 heures 05 et à la notification de ses droits cinq minutes plus tard, les enquêteurs ont contacté le service de permanence du barreau de Paris à 6 heures 40, en précisant que celui-ci souhaitait être assisté de Mme Ab Ac.
24. Les juges précisent que M.[Aa] s'est entretenu avec cette avocate à 10 heures 53 et qu'elle l'a assisté durant sa garde à vue.
25. Ils ajoutent qu'une convention locale en date du 17 juillet 2020, passée entre le bâtonnier de Paris, les président et procureur de la République du tribunal judiciaire de Paris, dont le but est d'assurer une défense de qualité, crée notamment un standard téléphonique centralisé permanent, chargé de réceptionner les demandes d'avocats émanant de services d'enquête pour assister des personnes placées en garde à vue puis de contacter les avocats concernés.
26. Ils indiquent encore que cette convention ne concerne pas les seuls avocats commis d'office mais tous les avocats, qu'ils soient commis d'office ou choisis, comme indiqué au paragraphe 64-1 de ladite convention qui stipule que, « si la demande concerne un avocat choisi, le standard s'efforce de le contacter par tous moyens ».
27. Ils relèvent enfin pour retenir l'application de cette convention que, si l'enquête était diligentée sous le contrôle du procureur de la République de Nanterre, et non de Paris, la mesure de garde à vue s'est déroulée à [Localité 2], où se situe le cabinet de l'avocate choisie par M. [Aa].
28. En se déterminant ainsi, et dès lors que l'article 63-1-1 du code de procédure pénale ne fixe pas les modalités de l'information de l'avocat choisi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
29. En effet, l'avocate de M. [Aa] a été jointe par l'intermédiaire de la permanence de son barreau, selon les dispositions d'une convention conclue avec ledit barreau.
30. Ainsi, le moyen doit être écarté.
31. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du treize février deux mille vingt-quatre.