ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION
Chambre Commerciale
23 Mai 1995
Pourvoi N° 93-12.270
Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Dordogne
contre
M. ... et autres
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Dordogne, dont le siège est à Bergerac (Dordogne), en cassation d'un arrêt rendu le 7 janvier 1993 par la cour d'appel de Bordeaux (2e chambre), au profit
1 / de M. ..., demeurant à Périgueux (Dordogne), pris en sa qualité au redressement judiciaire de la société Soperval, 2 / de M. Louis ..., demeurant à Libourne (Gironde), pris en sa qualité de représentant des créanciers au redressement judiciaire de la société Soperval, 3 / de la société anonyme Soperval, dont le siège est à Thiviers (Dordogne), 4 / de M. Robert ..., demeurant à Senaillac (Lot), défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 21 mars 1995, où étaient présents M. Bézard, président, M. Rémery, conseiller référendaire rapporteur, Mme ..., MM ..., ..., ..., Mme ..., MM ..., ..., ... ..., conseillers, M. Le Dauphin, conseiller référendaire, M. Raynaud, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M le conseiller référendaire Rémery, les observations de Me ..., avocat de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Dordogne, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Soperval ayant été mise en redressement judiciaire par un jugement du 31 août 1988, le Tribunal, se saisissant d'office par ordonnance du 16 mars 1989 rendue par son président, a reporté la date de cessation des paiements au 31 décembre 1987 ;
que la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Dordogne (la banque), qui prêtait son concours financier à la société débitrice, a formé tierce opposition au jugement de report ;
qu'elle en a été déboutée, après que ce recours eut été déclaré recevable par un arrêt irrévocable du 16 juillet 1989 ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche
Attendu que la banque reproche à l'arrêt d'avoir admis que le Tribunal avait pu prononcer d'office le report de la date de cessation des paiements alors, selon le pourvoi, qu'il résulte de l'article 9 de la loi du 25 janvier 1985 que le Tribunal ne peut prononcer d'office le report de la date de cessation des paiements que s'il se saisit avant l'expiration du délai de 15 jours qui suit le dépôt du rapport prévu à l'article 18 de la loi précitée ou du projet de plan prévu à l'article 145 ou du dépôt de l'état des créances prévu à l'article 103 si la liquidation est prononcée ;
qu'en l'espèce, les juges du fond qui se saisissent d'office pour reporter la date de cessation des paiements sans constater l'un des événements - dépôt du rapport prévu à l'article 18 de la loi précitée ou du projet de plan prévu à l'article 145 ou du dépôt de l'état des créances prévu à l'article 103 si la liquidation est prononcée - faisant courir le délai de 15 jours permettant ledit report, ont privé leur décision de base légale au regard de l'article 9, alinéa 2, de la loi précitée ;
Mais attendu qu'il ne résulte ni de ses conclusions, ni de l'arrêt, que la banque ait soulevé devant les juges du fond une contestation tirée du caractère tardif de la saisine d'office, par l'ordonnance du 16 mars 1989 ;
que le moyen est donc nouveau et, mélangé de fait et de droit, irrecevable ;
Mais sur le moyen unique, pris en sa seconde branche
Vu l'article 3, alinéa 1er, de la loi du 25 janvier 1985 ;
Attendu que pour rejeter la tierce opposition de la banque, l'arrêt, après avoir exactement énoncé que la cessation des paiements est caractérisée lorsqu'il est impossible de faire face au passif exigible avec l'actif disponible, retient que "l'argumentation du Crédit agricole, fondée sur le caractère normal du soutien financier qu'il a apporté à la société Soperval, est inopérante dans la présente instance qui n'a pas pour objet d'apprécier si, en consentant ces concours, cet établissement bancaire a commis une faute" ;
Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs généraux écartant toute influence, sur l'appréciation au 31 décembre 1987 de l'état de cessation des paiements de la société Soperval, des concours financiers accordés par la banque, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée par celle-ci, si de tels concours n'avaient pas permis à la société débitrice de faire face au passif exigible, ni constater que le financement de la trésorerie ainsi assuré par la banque avait, par son caractère anormal, masqué la réalité de l'insuffisance d'actif disponible, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la tierce opposition formée par la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Dordogne, l'arrêt rendu le 7 janvier 1993, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;
Condamne les défendeurs, envers la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Dordogne, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Bordeaux, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M le président en son audience publique du vingt-trois mai mil neuf cent quatre-vingt-quinze.