AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Roland X..., demeurant ... (Val-d'Oise), en cassation d'un arrêt rendu le 11 janvier 1989 par la cour d'appel de Paris (21e chambre, section A), au profit :
1 / de la société SEDEC, société anonyme dont le siège est ... (3e),
2 / de la société Rhin-Rhône route (RRR), société anonyme dont le siège est ... (3e) , défenderesses à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 8 décembre 1993, où étaient présents : M. Kuhnmunch, président, Mlle Sant, conseiller référendaire rapporteur, MM. Guermann, Saintoyant, Waquet, Ferrieu, Mme Ridé, MM. Merlin, Desjardins, conseillers, M. Aragon-Brunet, Mme Blohorn-Brenneur, M. Frouin, conseillers référendaires, M. Kessous, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mlle le conseiller référendaire Sant, les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de M. X..., les conclusions de M. Kessous, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que M. X... a été embauché le 1er juillet 1985 par la société SEDEC en qualité de chef d'agence avec une période d'essai de trois mois ; que, le 12 septembre 1985, l'employeur lui a notifié la prolongation de sa période d'essai pour une nouvelle durée de trois mois et a procédé à son licenciement le 18 décembre 1985 avec effet au 31 décembre 1985 ; que simultanément, l'intéressé était embauché à compter du 1er janvier 1986 par la société Rhin-Rhône route (RRR) en qualité de chargé de mission avec une période d'essai de trois mois et que le nouvel employeur a mis fin aux relations contractuelles le 26 février 1986 ;
Sur le premier moyen et la quatrième branche du second moyen, réunis :
Vu l'article 8 de la convention collective des transports routiers, ensemble l'article L. 122-17 du Code du travail ;
Attendu que, pour débouter le salarié de ses demandes en paiement d'indemnités de préavis, pour inobservation de la procédure de licenciement et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a retenu que l'intéressé n'avait émis aucune observation sur le bien fondé de la prolongation de l'essai prévu par le contrat de travail conclu avec la société SEDEC, ni sur la formulation employée par la société qui énonçait que la prolongation intervenait "comme convenue" et qu'après la rupture du 18 décembre 1985, non seulement il n'a élevé aucune protestation, mais encore, il a jugé bon de ne pas dénoncer les deux reçus pour solde de tout compte réguliers en la forme qu'il a délivrés à la société SEDEC les 4 et 30 janvier 1986 et dont les premiers juges ont, avec raison, retenu qu'ils ont un caractère libératoire ;
Attendu, cependant, en premier lieu, que l'accord du salarié à la prolongation de l'essai, qui doit être clair et non équivoque, ne peut résulter de la poursuite du travail sans protestation par l'intéressé ; en second lieu, que n'a pas de valeur libératoire le reçu pour solde de tout compte signé par le salarié qui est sous la dépendance de l'employeur ;
Qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui n'a pas constaté une manifestation claire et non équivoque du salarié d'accepter la prolongation de l'essai, et, ayant relevé que le salarié avait continué à fournir son activité au sein de la société SEDEC après le 31 décembre 1985, n'a pas recherché la date à laquelle l'intéressé avait cessé de travailler dans cette société, n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et sur les deuxième et troisième branches du second moyen :
Vu les articles L. 122-1 et L. 122-4 du Code du travail, ensemble l'article 1134 du Code civil ;
Attendu que, pour statuer comme elle l'a fait, la cour d'appel a énoncé que le premier contrat, qui s'est entièrement déroulé en période probatoire, apparaît comme ayant reçu une exécution sans incident, puis une rupture régulière ; que, dans le second contrat, par lequel M. X... était chargé de mission, tandis que dans le précédent il était chef d'agence, la société RRR a pu, sans abus démontré, stipuler une période d'essai, puis rompre dans le délai ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé l'existence d'une confusion des directions des sociétés SEDEC et RRR qui expliquait qu'après la signature du contrat conclu avec la société RRR, le salarié avait, pendant un temps, continué à fournir son activité au sein de la société SEDEC, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, ainsi qu'elle y était invitée par les conclusions du salarié, si la succession des deux contrats de travail ne visait pas à détourner la période d'essai de son objet, n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du second moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 janvier 1989, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Condamne la société SEDEC et la société RRR, envers M. X..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Paris, en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du deux février mil neuf cent quatre-vingt-quatorze.