ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION
Chambre Sociale
10 Juin 1993
Pourvoi N° 91-10.884
CRAF
contre
Mandereau
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant Sur le pourvoi formé par la Caisse de retraite du personnel au sol de la Compagnie Air France (CRAF), dont le siège est à Paris (14ème), 10, rue Vercingétorix, en cassation d'un arrêt rendu le 11 décembre 1990 par la cour d'appel de Paris (1e chambre, section A), au profit de M. Pierre ..., demeurant à Villeneuve-le-Roi (Val-de-Marne), défendeur à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 29 avril 1993, où étaient présents
M. Kuhnmunch, président, M. Lesire, conseiller rapporteur, MM ..., ..., ..., ..., ..., ..., conseillers, Mmes ..., ..., M. Choppin Haudry ... ..., conseillers référendaires, M de Caigny, avocat général, M. Richard, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M le conseiller Lesire, les observations de Me ..., avocat de la Caisse de retraite du personnel au sol de la Compagnie Air France (CRAF), de Me ..., avocat de M. ..., les conclusions de M de Caigny, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique
Attendu, selon les juges du fond, que la caisse de retraite du personnel au sol de la compagnie Air-France, qui servait depuis le 1er novembre 1978 à M. ... une pension de réforme, en a révisé le calcul et réduit le montant à partir du 1er juillet 1988, premier jour du mois suivant le 60ème anniversaire de l'agent réformé, sur le fondement de l'article 14 nouveau du règlement du régime de retraite ;
Attendu que la caisse fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 11 décembre 1990) d'avoir dit qu'elle avait notifié à tort à l'intéressé en 1988 une révision de sa pension de réforme et de l'avoir condamnée au paiement des arrérages sur les bases définies en 1978, alors, selon le moyen, d'une part, que, nul n'ayant jamais aucun droit acquis au maintien des dispositions d'un acte administratif réglementaire, le règlement qui se substitue à un règlement précédent régit seul et immédiatement les effets des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, telles que celles nées de décisions individuelles pécuniaires qui, prises sur le fondement du règlement antérieur et ayant un caractère recognitif et non attributif, ne sont pas créatrices de droits ;
que le règlement de retraite du personnel au sol de la compagnie nationale Air France, qui précise en son préambule qu'il fait partie intégrante du statut du personnel au sol de cette entreprise publique, constitue comme lui un acte administratif réglementaire ; que l'article 14 de ce règlement de retraite dans sa version approuvée par arrêté du 30 décembre 1986 prévoit, en son paragraphe 1, que, de l'admission de l'agent à la réforme et jusqu'au premier jour suivant son 60ème anniversaire, la pension de réforme est calculée comme il est dit à l'article 6, paragraphe 1, 2 et 3, et sans faire application des dispositions du paragraphe 4, c'est-à-dire comme la pension de retraite, mais sans abattement, et en son paragraphe 3, qu'à compter du premier jour suivant son 60ème anniversaire, elle est calculée comme il est dit à l'article 6, paragraphes 1, 2, 3 et 4, c'est-à-dire exactement comme la pension de retraite avec le même abattement qu'elle ;
qu'entrées en vigueur le 1er janvier 1987 et se substituant aux règlements antérieurs, ces dispositions nouvelles ont immédiatement régi les effets des situations juridiques ayant pris naissance antérieurement et non définitivement réalisées ;
qu'elles étaient donc applicables lorsque M. ..., admis à la réforme le 1er novembre 1978, a atteint son 60ème anniversaire le 2 juin 1988 ;
que, dès lors, la caisse était fondée à lui faire application à compter du 1er juillet 1988 de l'abattement résultant de la combinaison des articles 14, paragraphe 3, et 6, paragraphe 4, susindiqués et à lui verser à compter de cette date une pension calculée exactement comme la pension de retraite, peu important la dénomination donnée à cette pension et peu important, quant au droit de mettre en oeuvre l'abattement prévu par l'article 6, paragraphe 4, une éventuelle erreur sur le taux de pension prévu par le paragraphe 3 de cet article ;
qu'en déniant ce droit à la caisse, la cour d'appel a violé par refus d'application les dispositions de l'article 14, paragraphe 3, du règlement de retraite du personnel au sol de la compagnie nationale Air France approuvé par arrêté du 30 décembre 1986, ensemble celles de l'article 6, paragraphe 4, du même règlement ;
alors, d'autre part, et subsidiairement, que l'expression "et sans limite d'âge" figurant à l'article 14 du règlement de retraite dans sa version applicable en 1978 ne peut avoir d'autre portée que de préciser que le droit à l'attribution d'une pension de réforme n'est soumis à aucune autre condition que celle de justifier de trois ans au moins de services validables, "quel que soit l'âge de l'agent", à une époque où la législation de la sécurité sociale rendait possible son cumul avec une pension de vieillesse du régime général ;
qu'interpréter cette expression comme fixant "la durée d'attribution" de la pension de réforme, ainsi que l'ont fait les juges du fond, revient à créer une inégalité au-delà de l'âge de 60 ans entre les agents qui ont été réformés et ceux qui ont travaillé jusqu'à l'âge de la retraite, les premiers se voyant verser pendant leur retraite une pension sans abattement nettement supérieure à celle avec abattement perçue par les seconds ; que, dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a également violé par fausse interprétation l'article 14 du règlement de retraite du personnel au sol de la compagnie nationale Air France approuvé par arrêté du 17 juillet 1970 ;
et qu'en déduisant de cette interprétation erronée que M. ... avait un droit acquis au maintien de la pension qui lui avait été définitivement attribuée en 1978, la cour d'appel a violé par fausse application ce même article 14 ;
alors, enfin, que la caisse faisait valoir dans ses conclusions qu'elle ne prenait en charge que les pensions de retraite et qu'au regard des dispositions des articles L 731-1 et L 731-13 du Code de la sécurité sociale, elle ne pouvait légalement prendre en charge les pensions de prévoyance ;
que d'ailleurs la compagnie Air France lui remboursait les pensions de réforme servies jusqu'à l'âge de 60 ans, et pas au-delà ;
que, dès lors, la cour d'appel ne pouvait condamner la caisse à servir à M. ... au-delà de son 60ème anniversaire la pension de réforme qui lui avait été attribuée en 1978, sans répondre à ce moyen péremptoire ;
qu'en s'en abstenant, elle a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile et que, de ce fait, en condamnant la caisse à verser à M. ... au-delà de son 60ème anniversaire la pension de réforme qui lui avait été attribuée en 1978, sans s'expliquer sur l'impossibilité légale pour cette caisse de prendre en charge une pension de prévoyance, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles L 731-1, L 731-13 et R 731-2 du Code de la sécurité sociale ;
Mais attendu qu'après avoir rappelé qu'en vertu de l'article 14 du règlement du régime de retraite du personnel au sol, dans sa rédaction en vigueur lors de la liquidation de la pension de réforme de M. ... en 1978, l'agent concerné avait droit, depuis son admission à la réforme et sans limite d'âge, à une pension calculée comme il est dit à l'article 11, paragraphe 1, les juges du fond, qui ont relevé que la caisse s'était bornée à notifier à l'intéressé une révision de sa pension de réforme, ont exactement retenu qu'il résultait dudit article 14 que cette pension avait été accordée sans limitation de durée et n'avait pas changé de nature au moment où son bénéficiaire avait atteint l'âge de soixante ans, en sorte qu'elle n'avait pu faire l'objet à cette occasion d'une nouvelle liquidation ;
que les dispositions de l'article 14 nouveau sur la pension de réforme devant être combinées avec celles de l'article 6 prévoyant pour les pensions des modalités de liquidation différentes de celles de l'article 11 ancien sur la base desquelles avait été calculée, conformément à l'article 14 ancien, la pension litigieuse, la cour d'appel a décidé, à bon droit, sans avoir à s'expliquer sur une argumentation inopérante, que l'abattement institué par les dispositions nouvelles du règlement était inapplicable à une pension de réforme liquidée sous l'empire des textes anciens ;
que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;