Jurisprudence : Cass. soc., 16-05-1990, n° 87-40.904, Rejet



ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION
Chambre Sociale
16 Mai 1990
Pourvoi N° 87-40.904
société anonyme Groupe service transports
contre
M. Roger ... et autres
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par la société anonyme Groupe service transports, dont le siège est 43 bis, avenue Thiers, BP 23, Melun (Seine-et-Marne, agissant en la personne de son président-directeur général, domicilié en cette qualité audit siège, en cassation d'un arrêt rendu le 19 décembre 1986 par la cour d'appel de Toulouse (4e Chambre sociale), au profit
1°) de M. Roger ..., demeurant à Toulouse (Haute-Garonne), 2°) des ASSEDIC Toulouse Midi-Pyrénées, dont le siège est à Toulouse (Haute-Garonne), défendeurs à la cassation ;

LA COUR, en l'audience publique du 20 mars 1990, où étaient présents
M. Cochard, président, M. Benhamou, conseiller rapporteur, MM ..., ..., ..., ..., ..., conseillers, M. ..., Mme ..., M. ..., Mme ..., M. ..., Mme ..., conseillers référendaires, M. Gauthier, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M le conseiller Benhamou, les observations de la SCP Boré et Xavier, avocat de la société Groupe service transports, de Me ..., avocat de M. ..., de Me ..., avocat des ASSEDIC Toulouse Midi-Pyrénées, les conclusions de M. Gauthier, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
! Sur le premier moyen
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Toulouse, 19 décembre 1986) que M. ... a créé en 1970 à Toulouse la société Sécurité route Midi-Pyrénées dont il était le gérant salarié et qui avait pour objet la protection des entreprises de transports publics et privés ;
que cette société a fusionné le 4 septembre 1980 avec la société Groupe service transports (GST) dont le siège social est à Melun ;
que M. ... est alors devenu administrateur salarié et directeur régional du bureau de Toulouse de la société GST ;
que, le 1er juin 1982, la société GST a été absorbée par le groupe Mutuelles du Mans ;
qu'un nouveau contrat de travail prenant effet le 1er juin 1982 a alors été signé entre M. ... et la GST ;
que ce contrat, conclu pour une durée indéterminée, stipulait notamment que M. ... serait lié, en cas de rupture, par une clause de non-concurrence de trois ans, l'employeur s'engageant, en compensation, à ne pas rompre le contrat pendant une durée de cinq années, sauf en cas de faute grave ou de force majeure ;
que, par lettre du 19 février 1985, M. ... a été convoqué à un entretien préalable à son licenciement, avec mise à pied conservatoire immédiate ;
qu'il a été congédié pour faute lourde par lettre du 5 mars 1985 ; qu'à sa demande d'énonciation des motifs de son licenciement, l'employeur lui a répondu par une lettre du 14 mars dans laquelle étaient invoqués les motifs suivants
"refus de participer à la réunion du conseil d'administration qui s'était tenue le 18 février à 15 h 30 au siège de la GST à Melun ; menaces faites au président-directeur général de porter plainte ;
- non-respect de la décision de mise à pied ;
- rétention de documents comptables" ;
Attendu que la société GST fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à payer à M. ... diverses sommes à titre d'indemnité de préavis, d'indemnité de licenciement, d'indemnité de congés payés, de salaire afférent à la période de mise à pied et de dommages-intérêts pour rupture abusive, alors, selon le pourvoi, que, d'une part, la faute grave est celle qui justifie le licenciement immédiat du salarié ;
qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que M. ... avait été convoqué dès le 7 février 1985, jour de la faute qu'il avait commise, à une réunion du conseil d'administration pour le 18 février 1985 et que, comme il ne s'y était pas rendu, une lettre le convoquant à un entretien préalable lui fut envoyée le 19 février 1985 ;
qu'en déclarant que l'employeur avait attendu presque un mois pour sanctionner la faute grave, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et, ce faisant, a violé l'article L 122-6 du Code du travail ;
alors que, d'autre part, la méconnaissance des termes clairs et précis d'un écrit constitue une dénaturation ;
qu'en l'espèce, l'attestation de M. ... précisait qu'aussitôt après l'entretien du 7 février 1985, M. ... lui avait confié que M. ... l'avait menacé de ce que s'il maintenait sa décision de supprimer le bureau de Toulouse, celui-ci entendait entamer une procédure à son encontre "pour abus de biens sociaux" ;
qu'en énonçant que cette attestation ne rapportait que des "impressions" de l'attestant, alors que ladite attestation constituait un témoignage indirect rapportant, non de simples impressions de l'attestant mais les propos qu'un tiers, M. ..., lui avait communiqués, la cour d'appel a dénaturé ledit témoignage, et, ce faisant, a violé l'article 1134 du Code civil ;
et alors, enfin, que le témoignage indirect qui relate ce que le témoin a appris d'une personne déterminée est juridiquement recevable, sauf pour les juges à en apprécier souverainement la valeur ;
qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré comme irrecevable l'attestation de M. ... au prétexte qu'elle ne provenait pas d'une personne ayant assisté à l'entretien tenu entre M. ... et M. ... ;
qu'en statuant ainsi, alors que cette attestation, qui relatait les dires de M. ... à M. ... relativement à cet entretien, constituait un témoignage indirect qui était juridiquement recevable, la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses propres pouvoirs au regard de l'article 199 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, que, sous le couvert de griefs non fondés de dénaturation et de violation de la loi, le moyen, en ses deuxième et troisième branches, ne tend en réalité qu'à discuter la valeur et la portée des éléments de preuve souverainement appréciés par les juges d'appel ;
Attendu, d'autre part, que le motif critiqué dans la première branche du moyen est surabondant dès lors que la cour d'appel a retenu qu'aucun des motifs de licenciement invoqués par l'employeur n'était établi ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Et sur le second moyen
Attendu qu'il est en outre reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société GST à payer à M. ... une certaine somme à titre de dommages-intérêts correspondant à la clause de non-concurrence et de garantie d'emploi, alors, selon le moyen, que, d'une part, l'employeur ne peut renoncer par avance au droit d'ordre public qui lui appartient en cas de faute du salarié de rompre unilatéralement le contrat de travail ;
qu'il s'ensuivait en l'espèce que la clause qui limitait le droit de rupture de l'employeur aux seules hypothèses de faute grave du salarié ou de force majeure était nulle ;
qu'en la reconnaissant valable, la cour d'appel a violé les articles L 122-4 et L 122-14-7 du Code du travail ;
et alors que, d'autre part, en l'absence de mention dans le contrat de travail d'un délai imparti pour l'exercice du droit de renonciation de l'employeur à une clause de non-concurrence, les juges du fond doivent rechercher quelle est à ce sujet la commune intention des parties ;
qu'en énonçant en l'espèce que, à défaut de précision du contrat, la renonciation de l'employeur aurait dû intervenir au plus tard avant la date de cessation du contrat, sans justifier que ce délai était celui qui résultait de la commune intention des parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a exactement décidé que la clause du contrat garantissant au salarié la stabilité de son emploi pendant une période de cinq années, sauf en cas de faute grave ou de force majeure, était valable et devait recevoir application dès lors qu'aucune faute n'avait été commise par M. ... ;
Attendu, d'autre part, que, lorsque les modalités de la renonciation de l'employeur au bénéfice de la clause de non-concurrence ne sont fixées ni par une convention collective, non invoquée en l'espèce, ni par le contrat de travail, cette renonciation doit intervenir, en cas de licenciement sans préavis, au moment du licenciement du salarié afin de permettre, le cas échéant, à celui-ci d'entrer immédiatement au service d'une entreprise concurrente ;
que c'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a retenu que la renonciation de la société GST à la clause de non-concurrence, intervenue le 11 février 1986 seulement, était tardive ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS REJETTE le pourvoi ;

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