Jurisprudence : CEDH, 30-10-1991, Req. 39/1990/230/296, Borgers c. Belgique

CEDH, 30-10-1991, Req. 39/1990/230/296, Borgers c. Belgique

A6419AWN

Référence

CEDH, 30-10-1991, Req. 39/1990/230/296, Borgers c. Belgique. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1027977-cedh-30101991-req-391990230296-borgers-c-belgique
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Cour européenne des droits de l'homme

30 octobre 1991

Requête n°39/1990/230/296

Borgers c. Belgique



En l'affaire Borgers c. Belgique*,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, statuant en séance plénière par application de l'article 51 du règlement** et composée des juges dont le nom suit:

MM. J. Cremona, président,
Thór Vilhjálmsson, Mme D. Bindschedler-Robert, MM. F. Gölcüklü,
F. Matscher,
J. Pinheiro Farinha,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh, Sir Vincent Evans, MM. R. Macdonald,
C. Russo,
R. Bernhardt,
A. Spielmann,
N. Valticos,
S.K. Martens, Mme E. Palm, MM. I. Foighel,
R. Pekkanen,
A.N. Loizou,
J.M. Morenilla,
F. Bigi,
M. Storme, juge ad hoc,

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 22 mars et 25 septembre 1991,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:


Notes du greffier

* L'affaire porte le n° 39/1990/230/296. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

** Les amendements au règlement entrés en vigueur le 1er avril 1989 s'appliquent en l'espèce.

PROCEDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") puis par le gouvernement belge ("le Gouvernement"), les 11 juillet et 26 septembre 1990, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention"). A son origine se trouve une requête (n° 12005/86) dirigée contre la Belgique et dont un ressortissant de cet Etat, M. André Borgers, avait saisi la Commission le 5 décembre 1985 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration belge reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46), la requête du Gouvernement à l'article 48 (art. 48). Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 (art. 6) de la Convention.

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 30).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. J. De Meyer, juge élu de nationalité belge (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 27 août 1990, celui-ci en a désigné par tirage au sort les sept autres membres, à savoir MM. J. Cremona, F. Matscher, B. Walsh, C. Russo, N. Valticos, A.N. Loizou et J.M. Morenilla, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).

Le 18 juillet 1990, M. De Meyer avait déclaré se récuser en application de l'article 24 par. 2 du règlement, car l'espèce soulève les mêmes questions que jadis l'affaire Delcourt, dans laquelle il avait comparu comme agent et conseil du Gouvernement (arrêt du 17 janvier 1970, série A n° 11, p. 5, par. 7). Le 21 septembre, le Représentant permanent de la Belgique auprès du Conseil de l'Europe a notifié au greffier la nomination de M. le professeur M. Storme en qualité de juge ad hoc (articles 43 de la Convention et 23 du règlement) (art. 43).

4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier l'agent du Gouvernement, le délégué de la Commission et le représentant du requérant au sujet de la nécessité d'une procédure écrite (article 37 par. 1). Conformément aux ordonnances ainsi rendues, le greffier a reçu le 17 décembre 1990 le mémoire du Gouvernement et le 13 janvier 1991 celui du requérant.

Par une lettre du 14 janvier, le secrétaire de la Commission lui a indiqué que le délégué s'exprimerait oralement.

5. Le 23 janvier 1991, la chambre a résolu de se dessaisir avec effet immédiat au profit de la Cour plénière (article 51 du règlement).

6. Le 12 octobre 1990, le président avait fixé au 19 mars 1991 la date de l'audience après avoir recueilli l'opinion des comparants par les soins du greffier (article 38 du règlement).

7. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

M. J. Lathouwers, secrétaire d'administration-juriste, ministère de la Justice,
agent, Mes P. Van Ommeslaghe, avocat, P. Gérard, avocat,
conseils;

- pour la Commission

M. S. Trechsel,
délégué;

- pour le requérant

Me J. Gillardin, avocat,
conseil.

La Cour a entendu MM. Van Ommeslaghe, Trechsel et Gillardin en leurs déclarations ainsi qu'en leurs réponses à ses questions.

8. Les délibérations finales ont eu lieu sous la présidence de M. Cremona, vice-président de la Cour, qui a remplacé M. Ryssdal, empêché (article 9).

EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

9. Ressortissant belge domicilié à Lummen (Belgique), M. André Borgers est actuellement avocat au barreau de Hasselt.

10. Elu conseiller provincial le 8 novembre 1981, il demanda à être démis des fonctions de juge de paix suppléant qu'il exerçait depuis le 12 avril 1976 mais que le code judiciaire rendait incompatibles avec son nouveau mandat.

11. Le 16 juin 1981 il avait été traduit, du chef de faux et d'usage de faux en écritures, devant la cour d'appel d'Anvers, compétente en vertu du privilège de juridiction dont il jouissait en sa qualité de magistrat. Elle lui infligea le 19 mai 1982 six mois d'emprisonnement avec sursis et une amende de 40 000 francs belges.

12. Le requérant se pourvut en cassation. Selon lui, l'arrêt le condamnant n'était pas légalement motivé, méconnaissait la foi due aux procès-verbaux d'interrogatoire et avait été rendu à la suite d'une violation des droits de la défense. Conformément à l'usage, le parquet général près la cour d'appel d'Anvers ne présenta pas de mémoire en réponse.

13. Le 20 mars 1984, la Cour de cassation accueillit le pourvoi et censura la décision querellée, pour défaut de motivation. Auparavant, elle avait entendu à l'audience le rapport du conseiller d'Haenens et les conclusions conformes de l'avocat général Tillekaerts, qui avait assisté aussi au délibéré en vertu de l'article 1109 du code judiciaire (paragraphe 17 ci-dessous).

14. La cour d'appel de Gand, juridiction de renvoi, l'ayant condamné le 14 novembre 1984 à des peines identiques aux précédentes (paragraphe 11 ci-dessus), l'intéressé saisit à nouveau la Cour de cassation; il se plaignait notamment d'un défaut de motivation de ce dernier arrêt et d'une interprétation erronée des dispositions pénales relatives au faux en écritures et à la prescription.

15. La Cour le débouta le 18 juin 1985, après une audience où elle entendit le rapport du conseiller d'Haenens et les conclusions conformes de l'avocat général Tillekaerts, lequel avait participé aussi aux délibérations (paragraphe 17 ci-dessous).

II. Droit et pratique internes pertinents

A. Le ministère public près la Cour de cassation de Belgique

16. Aux termes de l'article 141 du code judiciaire,

"Le procureur général près la Cour de cassation n'exerce pas l'action publique, sauf lorsqu'il intente une action dont le jugement est attribué à la Cour de cassation."

Ce texte remplace l'article 37 de l'arrêté du Prince souverain, du 15 mars 1815, en cause dans l'affaire Delcourt (précitée, paragraphe 3 ci-dessus) et ainsi libellé:

"Même en matière criminelle, le procureur général près la cour ne peut être considéré comme partie; il ne donne que des conclusions, à moins qu'il n'ait demandé lui-même la cassation. Dans ce cas, il présente son réquisitoire, qui, déposé au greffe, est remis sans autre formalité au rapporteur désigné par le premier président et distribué ensuite avec le rapport entre les membres du parquet."

Sans doute le ministère public assume-t-il le rôle de partie lorsque la Cour statue au fond, mais il s'agit là de cas plutôt rares. Parmi eux figurent le jugement des ministres (article 90 de la Constitution), la prise à partie (articles 613, 2°, et 1140 à 1147 du code judiciaire) et les poursuites disciplinaires contre certains magistrats (articles 409, 410 et 615 du même code).

En dehors de ces hypothèses exceptionnelles, le parquet de cassation exerce, en toute indépendance, les fonctions de conseiller de la Cour. A ce titre, il lui arrive fréquemment de conclure au rejet du pourvoi formé par le ministère public près une juridiction du fond, ou à l'admission de celui d'un prévenu, voire de soulever d'office un moyen contre une sentence de condamnation.

17. Au sujet de la procédure, tant civile que pénale, devant la Cour de cassation, le code judiciaire dispose:

Article 1107

"Après le rapport, les avocats présents à l'audience sont entendus. Leurs plaidoiries ne peuvent porter que sur les questions de droit proposées dans les moyens de cassation ou sur les fins de non-recevoir opposées au pourvoi.

Le ministère public donne ensuite ses conclusions, après quoi aucune note ne sera reçue."

Article 1109

"Le ministère public a le droit d'assister à la délibération à moins qu'il se soit lui-même pourvu en cassation; il n'a pas voix délibérative."

Un pourvoi émane du parquet général quand celui-ci l'introduit dans l'intérêt de la loi (articles 1089 et 1090 du code judiciaire et 442 du code d'instruction criminelle), ou sur la dénonciation du ministre de la Justice (articles 1088 du code judiciaire et 441 du code d'instruction criminelle).

La règle qui, en pareil cas, exige l'absence du ministère public au délibéré de la Cour s'appliquait déjà sous l'empire de l'arrêté du Prince souverain, du 15 mars 1815 (paragraphe 16 ci-dessus), mais il ne la formulait pas expressément (compte rendu des audiences du 30 septembre 1969 dans l'affaire Delcourt, série B n° 9, p. 215). Il se bornait à disposer, en son article 39:

"En matière de cassation, le ministère public a le droit d'assister à la délibération lorsqu'elle n'a pas lieu à l'instant et dans la même salle d'audience, mais il n'a pas voix délibérative."

B. La discipline judiciaire

1. Les magistrats du ministère public

18. L'article 400 du code judiciaire établit ainsi la hiérarchie disciplinaire du parquet:

"Le Ministre de la justice exerce sa surveillance sur tous les officiers du ministère public, le procureur général près la Cour de cassation sur les procureurs généraux près les cours d'appel et ces derniers sur les membres du parquet général et de l'auditorat général, sur les procureurs du Roi, les auditeurs du travail et leurs substituts."

Il a succédé à l'article 154 de la loi d'organisation judiciaire de 1869, mentionné dans l'arrêt Delcourt (précité, série A n° 11, p. 16, par. 30).

L'article 414 du code judiciaire précise:

"Le procureur général près la cour d'appel peut appliquer aux magistrats du ministère public qui lui sont subordonnés les peines de l'avertissement, de la censure simple et de la censure avec réprimande.

Le procureur général près la Cour de cassation exerce les mêmes pouvoirs à l'égard des avocats généraux près cette Cour et des procureurs généraux près les cours d'appel.

Le Ministre de la justice peut de même avertir et censurer tous les officiers du ministère public ou proposer au Roi leur suspension ou leur révocation."

2. Les magistrats du siège

19. Au sujet des poursuites disciplinaires contre les juges et du rôle y revenant au procureur général près la Cour de cassation, il y a lieu de citer les dispositions suivantes du même code:

Article 409

"La Cour de cassation seule connaît des poursuites disciplinaires en destitution."

Article 413

"Les magistrats suppléants" - tel M. Borgers de 1976 à 1981 (paragraphe 10 ci-dessus) - "relèvent, en cette qualité, des mêmes autorités disciplinaires que les magistrats effectifs."

Article 418

"L'action disciplinaire est exercée d'office par l'autorité compétente en ce qui concerne les juges; si elle a pour objet l'avertissement, elle est exercée par l'autorité compétente pour prononcer cette mesure; dans les autres cas, elle est exercée par le premier président de la cour compétente. Elle peut toujours être exercée sur réquisition du ministère public."

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

20. Dans sa requête du 5 décembre 1985 à la Commission (n° 12005/86), M. Borgers invoquait notamment l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Il critiquait la participation d'un avocat général près la Cour de cassation au délibéré: selon lui, elle avait porté atteinte à son droit à un procès équitable et au principe de l'égalité des armes. Par la suite, il s'est plaint en outre de n'avoir pu ni répondre aux conclusions de ce magistrat ni avoir la parole en dernier à l'audience du 18 juin 1985 (paragraphe 15 ci-dessus).

21. Le 12 avril 1989, la Commission a retenu ces griefs et déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 17 mai 1990 (article 31 de la Convention) (art. 31), elle conclut, par quatorze voix contre une, à la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l'opinion séparée dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*.

* Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 214-A de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION DE L'ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1)

22. M. Borgers allègue une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1), aux termes duquel

"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)"

Il se plaint d'abord de n'avoir pu, à l'audience du 18 juin 1985 devant la Cour de cassation (paragraphe 15 ci-dessus), répondre aux conclusions de l'avocat général ni prendre la parole en dernier; en second lieu, il s'élève contre la participation de celui-ci au délibéré qui suivit aussitôt après. En effet, l'unité organique et disciplinaire du ministère public, consacrée par les articles 400 et 414 du code judiciaire (paragraphe 18 ci-dessus), serait telle que ledit magistrat pouvait bel et bien passer pour l'adversaire du requérant. Sa présence en chambre du conseil n'aurait fait qu'aggraver la rupture de l'égalité des armes, déjà consommée au stade des débats.

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