Jurisprudence : CA Angers, 30-11-2023, n° 22/00045

CA Angers, 30-11-2023, n° 22/00045

A898217S

Référence

CA Angers, 30-11-2023, n° 22/00045. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/102315657-ca-angers-30112023-n-2200045
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COUR D'APPEL

d'ANGERS

Chambre Sociale


ARRÊT N°


Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/00045 - N° Portalis DBVP-V-B7G-E6GY.


Jugement Au fond, origine Pole social du TJ de LAVAL, décision attaquée en date du 15 Décembre 2021, enregistrée sous le n° 21/00029


ARRÊT DU 30 Novembre 2023



APPELANTE :


S.A. [4]

'[Adresse 3]'

[Localité 2]


représentée par Me Suzanne HUMBAIRE, avocat au barreau de PARIS


INTIMEE :


Organisme CAISSE PRIMAIRE D ASSURANCE MALADIE DE LA MAYENNE

[Adresse 1]

[Localité 2]


représentée par Monsieur [Aa], muni d'un pouvoir



COMPOSITION DE LA COUR :


En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile🏛, l'affaire a été débattue le 12 Octobre 2023 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Estelle GENET, chargé d'instruire l'affaire.


Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :


Président : Madame Clarisse PORTMANN

Conseiller : Madame Estelle GENET

Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS


Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN


ARRÊT :

prononcé le 30 Novembre 2023, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛.


Signé par Madame Clarisse PORTMANN, président, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


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FAITS ET PROCÉDURE :


La caisse primaire d'assurance maladie de la Mayenne a reçu une déclaration d'accident du travail datée du 20 mai 2020 concernant M. [E] [V] salarié de la société [4] dans les circonstances ainsi rapportées : « Se dirigeant vers le bureau d'exploitation. En marchant sur le parking sa cheville s'est fléchie entraînant une chute », accompagnée d'un certificat médical initial en date du 19 mai 2020 mentionnant une « entorse cheville G».


L'employeur a assorti sa déclaration d'un courrier de réserves.


Après instruction, la caisse a notifié le 30 septembre 2020 à l'employeur une décision de prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle.


La société [4] a contesté cette décision devant la commission de recours amiable. Puis, elle a saisi, par lettre recommandée avec accusé de réception expédiée le 8 février 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Laval d'une contestation de l'opposabilité à son égard de la décision de prise en charge, sur décision implicite de rejet de son recours par la commission de recours amiable.



Par jugement en date du 15 décembre 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Laval a rejeté le recours de la société [4], lui a déclaré opposable la prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident dont a été victime M. [V] le 19 mai 2020 et l'a condamnée aux dépens.



Par lettre recommandée avec accusé de réception postée le 6 janvier 2022, la société [4] a régulièrement interjeté appel en toutes ses dispositions de cette décision qui lui a été notifiée le 17 décembre 2021.


Ce dossier a été plaidé à l'audience du conseiller rapporteur du 12 octobre 2023.


MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES


Par conclusions n°2 reçues au greffe le 13 septembre 2023, régulièrement soutenues à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, la SAS [4] demande à la cour de :


' infirmer le jugement en ce qu'il a retenu que la décision de prise en charge de l'accident du travail de M. [V] lui était opposable ;


statuant à nouveau :


' déclarer son action recevable et bien fondée ;


' juger que le dossier mis à la disposition par la caisse au stade de l'instruction doit comprendre les certificats médicaux de prolongation ;


' juger que la caisse n'a pas donné accès à l'employeur aux certificats médicaux prescrits au salarié entre le 24 mai 2020 et le 7 septembre 2020 ;


' juger que la caisse a violé le principe du contradictoire ;


' débouter la caisse de l'ensemble de ses demandes ;


en conséquence :


' lui déclarer inopposable la prise en charge de l'accident du travail du 19 mai 2020 dAb M. [V].


Au soutien de ses intérêts, la société [4] invoque l'application des dispositions des articles R. 441 ' 8 et R. 441 ' 14 du code de la sécurité sociale dans leur version applicable depuis le 1er janvier 2020. Elle souligne qu'elle a consulté par 2 fois les éléments mis à sa disposition par la caisse et qu'il manquait les certificats médicaux de prolongation des arrêts de travail postérieurs au 24 mai 2020. Elle conteste que l'absence de mise à disposition de ces certificats ne lui fasse pas grief. Elle ajoute qu'il n'est pas prouvé, comme elle le prétend, que la caisse n'ait pas consulté ces certificats pour prendre sa décision. Elle remarque que si ces certificats médicaux de prolongation sont désormais intitulés « avis d'arrêt de travail », ils comportent toujours les mêmes informations que contenaient les certificats médicaux de prolongation. Elle soutient que les certificats médicaux de prolongation sont bien souvent plus éclairants que le premier certificat pour lequel le diagnostic peut être imprécis.


**


Par conclusions reçues au greffe le 9 août 2023, régulièrement soutenues à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, la caisse primaire d'assurance maladie de la Mayenne conclut à la confirmation du jugement, à l'opposabilité à la société [4] de sa décision de prise en charge de l'accident dont a été victime M. [V] le 19 mai 2020 et au rejet de l'ensemble des demandes de l'employeur.


Au soutien de ses intérêts, la caisse primaire d'assurance maladie de la Mayenne considère que la finalité des certificats de prolongation d'arrêt de travail est de justifier du droit à la victime au bénéfice des indemnités journalières et qu'il n'impacte pas la décision de reconnaissance du sinistre dès lors qu'ils ne sont pas contributifs. Elle ajoute que seul le certificat médical initial permet d'informer l'employeur de la pathologie en cause. Elle précise que depuis le décret n° 2019 ' 854 du 20 août 2019 portant diverses mesures de simplification dans les domaines de la santé et des affaires sociales, elle n'est plus en possession des certificats médicaux de prolongation, mais d'avis d'interruption de travail. Elle soutient que seuls les certificats médicaux initiaux, de nouvelles lésions, de rechute et de final seront en possession des services administratifs de la caisse.



MOTIFS DE LA DECISION


Aux termes des dispositions de l'article R. 441 ' 18 du code de la sécurité sociale dans sa version issue du décret n° 2019 ' 356 du 23 avril 2019, la caisse primaire d'assurance maladie, à l'issue de ses investigations sur l'accident du travail, met à la disposition de l'employeur pour consultation le dossier qu'elle a constitué, au plus tard 70 jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d'accident du travail et du certificat médical initial. L'employeur a alors un délai de 10 jours francs pour consulter le dossier et faire connaître ses observations qui sont annexées au dossier. La caisse informe également l'employeur des dates d'ouverture et de clôture de la période au cours de laquelle il peut consulter le dossier ainsi que de celle au cours de laquelle il peut formuler des observations, « par tout moyen conférant date certaine à la réception de cette information et au plus tard 10 jours francs avant le début de la période de consultation ».


Selon l'article R. 441 ' 14 du même code, le dossier constitué par la caisse comprend :


« 1°) la déclaration d'accident du travail ou de maladie professionnelle ;


2°) les divers certificats médicaux détenus par la caisse ;


3°) les constats faits par la caisse primaire ;


4°) les informations communiquées à la caisse par la victime ou ses représentants ainsi que par l'employeur ;


5°) les éléments communiqués par la caisse régionale ou, le cas échéant, tout autre organisme.


Il peut, à leur demande, être communiqué à l'assuré, ses ayants droit et à l'employeur. »


En l'espèce, selon l'application de ces nouvelles dispositions, la société [4] a consulté le dossier constitué par la caisse à 2 reprises le 26 août 2020 et le 17 septembre 2020 selon l'historique de consultation.


Ainsi, la caisse a adressé à l'employeur le 2 juillet 2020 un courrier l'informant qu'il aura la possibilité de consulter les pièces du dossier et de formuler ses observations du 25 août 2020 au 7 septembre 2020, directement en ligne, sur le site Internet. L'employeur a été également informé qu'au-delà de cette date, le dossier restera consultable jusqu'à la décision devant intervenir au plus tard le 14 septembre 2020.


Par un second courrier en date du 10 septembre 2020, la caisse a indiqué à l'employeur que compte tenu de la période de crise sanitaire, il lui a été offert de nouvelles possibilités de consultation du dossier entre le 11 septembre 2020 et le 21 septembre 2020 inclus par voie sécurisée avec une décision devant intervenir au plus tard le 30 septembre 2020. L'employeur est également informé de la possibilité de recevoir le dossier par voie sécurisée en contactant la caisse au 3646.


Selon l'historique de consultation, la société [4] a effectivement consulté le dossier le 26 août 2020 et le 17 septembre 2020. Dans cet historique, il est également indiqué les pièces constitutives du dossier soit :

- le questionnaire employeur ;

- la déclaration d'accident de travail ;

- la « réserve employeur » ;

- le certificat médical initial.


La décision de prise en charge est intervenue le 30 septembre 2020.


À la lecture de ces différents éléments, il est parfaitement établi que seul le certificat médical initial a été mis à disposition de l'employeur pour consultation.


Néanmoins, il convient de souligner que, sur ce point, les dispositions de l'article R. 441 ' 14 du code de la sécurité sociale dans leur version issue du décret n° 2019 ' 356 du 23 avril 2019 sont strictement identiques aux dispositions de l'article R. 441 ' 13 du code de la sécurité sociale dans sa version en vigueur du 10 juin 2016 au 1er décembre 2019.


Ainsi, depuis le 10 juin 2016 et toujours dans le cadre du présent litige avec l'application des nouvelles dispositions, le dossier mis à disposition de l'employeur pour consultation doit comprendre « les divers certificats médicaux détenus par la caisse ».


Pour justifier la mise à disposition du seul certificat médical initial, la caisse invoque l'article 3 du décret n° 2019 ' 854 du 20 août 2019 qui a modifié l'article R. 441 ' 7 du code de la sécurité sociale lequel prévoit notamment que : « La formule arrêtée pour ces certificats est utilisée par le praticien pour établir le certificat médical attestant la nécessité d'interrompre le travail. Lorsque le praticien, au cours du traitement, établit la nécessité de prolonger l'interruption de travail, il adresse à la caisse primaire d'assurance maladie l'avis d'interruption de travail mentionné à l'article L. 321-2. Ce certificat ou cet avis justifie du droit de la victime au bénéfice des indemnités journalières, sous réserve des dispositions de l'article R. 433-17. »


L'article L. 321 ' 2 du code de la sécurité sociale prévoit que « l'assuré doit envoyer à la caisse primaire d'assurance maladie, dans un délai déterminé, et, sous les sanctions prévues par décret, une lettre d'avis d'interruption de travail dont le modèle est fixé par arrêté ministériel et qui doit comporter la signature du médecin. »


Selon le formulaire Cerfa d'avis d'arrêt de travail n° 50069/07, il doit toujours être indiqué par le praticien si l'arrêt de travail est en rapport avec un accident du travail ou une maladie professionnelle reconnue ou non ainsi que la date présumée de la maladie ou de l'accident. Il doit également être indiqué les « éléments d'ordre médical justifiant l'arrêt de travail ».


Il résulte de l'ensemble de ces éléments que contrairement à ce qu'elle soutient, la caisse primaire d'assurance maladie est bien destinataire de la lettre d'avis d'interruption de travail. Les nouvelles dispositions de l'article L. 321 ' 2 et R. 441 ' 7 du code de la sécurité sociale le prévoient expressément, nonobstant toute organisation purement interne à la caisse entre service médical et service administratif qui n'a pas à impacter les relations caisse/employeur.


Ensuite, il importe peu que les certificats médicaux d'arrêt de travail aient changé de dénomination pour s'appeler désormais « avis d'arrêt de travail ». À cet égard, l'article R. 441 ' 7 évoque également le terme de certificat pour désigner cet avis. En tout état de cause, il s'agit des mêmes documents comportant les mêmes informations qui étaient déjà désignés à l'article R. 441 ' 13 du code de la sécurité sociale dans sa version en vigueur avant le 1er décembre 2019.


Ce sont donc toujours les mêmes certificats qui font grief à l'employeur, dans la mesure où ils permettent d'établir la chronologie de la maladie professionnelle ou l'évolution de la lésion constatée à la suite d'un accident de travail. Ils sont toujours aussi fondamentaux dans le litige d'imputabilité des arrêts de travail et des soins à la maladie professionnelle ou à l'accident du travail. La caisse ne peut pas opposer à l'employeur au stade de la consultation du dossier qu'elle n'en serait pas détentrice. Outre le fait que cette situation ne correspond pas aux textes législatifs et réglementaires applicables, elle ne peut pas justifier cette rétention des certificats d'arrêt de travail au stade de la consultation du dossier, alors qu'elle serait de toute façon obligée de les verser aux débats dans le cadre d'un litige sauf à priver le juge judiciaire de tout élément d'appréciation.


Enfin, ces avis ou certificats d'arrêt de travail présentent un intérêt bien plus large que la seule justification du versement d'indemnités journalières à la victime. Ils contiennent des informations qui font nécessairement griefs à l'employeur dans l'exercice des droits qu'il peut faire valoir, dans la procédure d'instruction de prise en charge au titre de la législation professionnelle d'un accident ou d'une maladie déclarée, ainsi que, après décision de prise en charge, dans le litige relatif à l'imputabilité des arrêts de travail et des soins à la maladie professionnelle ou à l'accident du travail.


Ce faisant, la caisse a méconnu les dispositions des articles R. 441-14 du code de la sécurité sociale🏛, ainsi que le principe de la contradiction, dont la violation au stade de la procédure instruite par la caisse ne saurait être couverte ultérieurement, en cas de recours, par la contradiction qui est apportée par la procédure judiciaire.


La sanction de cette méconnaissance est l'inopposabilité à la société de la décision de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, concernée, laquelle inopposabilité sera en conséquence déclarée après que le jugement entrepris aura été infirmé.


Perdant le procès, la caisse primaire d'assurance maladie de la Mayenne sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.



PAR CES MOTIFS :


La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,


INFIRME en toutes ses dispositions le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Laval du 15 décembre 2021 ;


STATUANT A NOUVEAU DES CHEFS INFIRMES ET Y AJOUTANT ;


DECLARE inopposable à la SAS [4] la prise en charge de l'accident du travail du 19 mai 2020 de M. [E] [V] ;


CONDAMNE la caisse primaire d'assurance maladie de la Mayenne au paiement des dépens de première instance et d'appel.


LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Viviane BODIN Clarisse PORTMANN

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