Jurisprudence : CJCE, 11-07-1996, aff. C-39/94, Syndicat français de l'Express international (SFEI) et autres c/ La Poste et autres

CJCE, 11-07-1996, aff. C-39/94, Syndicat français de l'Express international (SFEI) et autres c/ La Poste et autres

A4973AW4

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Cour de justice des Communautés européennes

11 juillet 1996

Affaire n°C-39/94

Syndicat français de l'Express international (SFEI) et autres
c/
La Poste et autres



61994J0039

Arrêt de la Cour
du 11 juillet 1996.

Syndicat français de l'Express international (SFEI) et autres contre La Poste et autres.

Demande de décision préjudicielle: Tribunal de commerce de Paris - France.

Aides d'Etat - Compétence des juridictions nationales en cas de saisine parallèle de la Commission - Notion d'aide d'Etat - Conséquences de la violation de l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité CE.

Affaire C-39/94.

Recueil de Jurisprudence 1996 page I-3547

1. Questions préjudicielles ° Saisine de la Cour ° Conformité de la décision de renvoi aux règles d'organisation et de procédure judiciaires du droit national ° Vérification n'incombant pas à la Cour

(Traité CE, art. 177)

2. Aides accordées par les États ° Projets d'aides ° Octroi d'une aide en violation de l'interdiction édictée par l'article 93, paragraphe 3, du traité ° Obligations des juridictions nationales en cas de saisine parallèle de la Commission ° Sauvegarde intégrale des droits des justiciables ° Possibilité de consulter la Commission ou de saisir la Cour par renvoi préjudiciel

(Traité CE, art. 5, 92, 93, § 2 et 3, et 177)

3. Aides accordées par les États ° Notion ° Assistance logistique et commerciale fournie par une entreprise publique à ses filiales de droit privé exerçant une activité ouverte à la libre concurrence ° Inclusion ° Condition ° Rémunération inférieure à celle réclamée dans des conditions normales de marché

(Traité CE, art. 92)

4. Aides accordées par les États ° Projets d'aides ° Octroi d'une aide en violation de l'interdiction édictée par l'article 93, paragraphe 3, du traité ° Obligations des juridictions nationales saisies d'une demande de restitution

(Traité CE, art. 93, § 3)

5. Aides accordées par les États ° Projets d'aides ° Octroi d'une aide en violation de l'interdiction édictée par l'article 93, paragraphe 3, du traité ° Responsabilité du bénéficiaire ° Absence de fondement en droit communautaire ° Application éventuelle du droit national

(Traité CE, art. 93, § 3)

1. Dans le cadre de la procédure prévue à l'article 177 du traité, il n'appartient pas à la Cour de vérifier si la décision de renvoi a été prise conformément aux règles nationales d'organisation et de procédure judiciaires. La Cour doit s'en tenir à la décision de renvoi émanant d'une juridiction d'un État membre, tant qu'elle n'a pas été rapportée dans le cadre des voies de recours prévues éventuellement par le droit national.

2. Une juridiction nationale, lorsqu'elle est saisie d'une demande visant à ce qu'elle tire les conséquences de la violation de l'interdiction de mise à exécution des projets d'aide édictée par l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité, alors que la Commission est parallèlement saisie et n'a pas encore statué sur la question de savoir si les mesures étatiques en cause constituent des aides d'État, n'est tenue ni de se déclarer incompétente ni de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Commission prenne position sur la qualification des mesures en cause.

En effet, l'ouverture par la Commission d'une procédure d'examen préliminaire au titre de l'article 93, paragraphe 3, ou de la procédure d'examen contradictoire prévue à l'article 93, paragraphe 2, ne saurait décharger les juridictions nationales de leur obligation de sauvegarder les droits des justiciables en cas de violation de l'obligation de notification préalable. Toute autre interprétation conduirait à favoriser l'inobservation par les États membres de l'interdiction en cause, étant donné que la Commission ne peut ordonner que la suspension de versements supplémentaires tant qu'elle n'a pas adopté sa décision définitive sur le fond, et l'effet utile de l'article 93, paragraphe 3, serait amoindri si la saisine de la Commission devait empêcher les juridictions nationales de tirer toutes les conséquences de la violation de cette disposition.

Dans ce contexte, afin d'être à même de déterminer si une mesure étatique instaurée sans tenir compte de la procédure d'examen préliminaire établie par l'article 93, paragraphe 3, devait ou non y être soumise, la juridiction nationale peut être amenée à interpréter et à appliquer la notion d'aide. En cas de doute, elle peut demander à la Commission des éclaircissements, celle-ci devant, en vertu de l'obligation de coopération loyale découlant de l'article 5 du traité, répondre dans les meilleurs délais. En outre, la juridiction nationale peut ou doit, conformément à l'article 177, deuxième et troisième alinéas, du traité, poser une question préjudicielle à la Cour sur l'interprétation de l'article 92. En cas de consultation de la Commission ou de renvoi préjudiciel à la Cour, elle doit apprécier la nécessité d'ordonner des mesures provisoires afin de sauvegarder les intérêts des parties jusqu'à ce qu'elle statue définitivement.

3. La notion d'aide au sens de l'article 92 du traité recouvre non seulement des prestations positives telles que des subventions, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui grèvent normalement le budget d'une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques.

Il s'ensuit que la fourniture d'une assistance logistique et commerciale par une entreprise publique à ses filiales de droit privé exerçant une activité ouverte à la libre concurrence est susceptible de constituer une aide d'État si la rémunération perçue en contrepartie est inférieure à celle qui aurait été réclamée dans des conditions normales de marché. S'agissant de cette dernière condition, il appartient à la juridiction nationale de déterminer la rémunération normale pour les prestations en cause, une telle appréciation supposant une analyse économique qui tienne compte de tous les facteurs qu'une entreprise, agissant dans des conditions normales du marché, aurait dû prendre en considération lors de la fixation de la rémunération pour les services fournis.

4. Eu égard à l'importance pour le bon fonctionnement du marché commun que revêt le respect de la procédure de contrôle préalable des projets d'aides d'État prévue à l'article 93, paragraphe 3, du traité, une juridiction nationale à laquelle il est demandé d'ordonner la restitution d'aides doit faire droit à cette demande si elle constate que les aides n'ont pas été notifiées à la Commission, à moins que, en raison de circonstances exceptionnelles, la restitution ne soit inappropriée. Toute autre interprétation conduirait à favoriser l'inobservation par les États membres de l'interdiction de mise à exécution des projets d'aide, car, dans l'hypothèse où les juridictions nationales ne pourraient ordonner que la suspension de tout nouveau versement, les aides déjà octroyées subsisteraient jusqu'à la décision finale de la Commission constatant l'incompatibilité de l'aide avec le marché commun et ordonnant sa restitution.

5. Le bénéficiaire d'une aide qui ne vérifie pas si celle-ci a été notifiée à la Commission conformément à l'article 93, paragraphe 3, du traité n'est pas susceptible d'engager sa responsabilité sur la seule base du droit communautaire. En effet, le mécanisme de contrôle et d'examen des aides d'État organisé par l'article 93 n'impose pas d'obligation spécifique au bénéficiaire de l'aide.

Toutefois, si, d'après le droit national de la responsabilité extracontractuelle, l'acceptation par un opérateur économique d'un soutien illicite de nature à occasionner un préjudice à d'autres opérateurs économiques est susceptible, dans certaines circonstances, d'engager sa responsabilité, le principe de non-discrimination peut conduire le juge national à retenir la responsabilité du bénéficiaire d'une aide d'État versée en violation de la disposition communautaire précitée.

Dans l'affaire C-39/94,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le tribunal de commerce de Paris et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Syndicat français de l'Express international (SFEI) e.a.

La Poste e.a.,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 92 et 93 du traité CE,

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, C. N. Kakouris, J.-P. Puissochet et G. Hirsch, présidents de chambre, G. F. Mancini, C. Gulmann (rapporteur), J. L. Murray, P. Jann et H. Ragnemalm, juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,

greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

° pour le Syndicat français de l'Express international e.a., par Me Eric Morgan de Rivery, avocat au barreau de Paris,

° pour TAT SA, par Mes Valérie Bouaziz Torron et Dominique Berlin, avocats au barreau de Paris,

° pour le gouvernement français, par M. Jean-Marc Belorgey, chef de mission à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et Mme Catherine de Salins, sous-directeur à la même direction, en qualité d'agents,

° pour le gouvernement allemand, par MM. Ernst Roeder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, et Bernd Kloke, Regierungsrat au même ministère, en qualité d'agents,

° pour le gouvernement espagnol, par M. Alberto José Navarro González, directeur général de la coordination juridique et institutionnelle communautaire, et Mme Gloria Calvo Díaz, abogado del Estado, du service juridique de l'État, en qualité d'agents,

° pour la Commission des Communautés européennes, par MM. Michel Nolin et Ben Smulders, membres du service juridique, en qualité d'agents,

ayant entendu les observations orales du Syndicat français de l'Express international e.a., représenté par Mes Eric Morgan de Rivery et Jacques Derenne, avocat au barreau de Paris, de la Société française de messagerie internationale, représentée par Me Manuel Bosque, avocat au barreau de la Seine-Saint-Denis, du gouvernement français, représenté par Mme Catherine de Salins, du gouvernement allemand, représenté par MM. Ernst Roeder et Bernd Kloke, du gouvernement espagnol, représenté par Mme Gloria Calvo Díaz, et de la Commission, représentée par MM. Michel Nolin et Ben Smulders, à l'audience du 24 octobre 1995,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 14 décembre 1995,

rend le présent

Arrêt

1 Par jugement du 5 janvier 1994, parvenu à la Cour le 31 janvier suivant, le tribunal de commerce de Paris a posé, en application de l'article 177 du traité CE, plusieurs questions relatives à l'interprétation des articles 92 et 93 du même traité.

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige qui oppose le Syndicat français de l'Express international (ci-après le "SFEI") et cinq entreprises en faisant partie, DHL International, Service Crie-LFAL, May Courier International, Federal Express et Express Transports Communications, d'une part, à la Société française de messagerie internationale (ci-après la "SFMI"), Chronopost, la Poste, Holding des filiales de la Poste, Sofipost (ci-après "Sofipost"), la Société de transport aérien transrégional (ci-après "TAT") et TAT Express, d'autre part. Ce litige porte sur l'assistance logistique et commerciale fournie par la Poste à la SFMI et à Chronopost dans leur activité de courrier express.

3 Le courrier express est un service personnalisé d'acheminement de documents et de colis à bref délai. Il répond aux besoins d'une clientèle d'affaires pour laquelle la remise au destinataire dans un délai garanti est essentielle. En France, ce secteur est ouvert à la libre concurrence, à la différence du courrier ordinaire qui fait l'objet d'un monopole de la Poste.

4 Afin d'améliorer sa position sur le marché du courrier express, l'administration postale française a modernisé son service en la matière, Postadex, qu'elle a rebaptisé EMS Chronopost. Fin 1985, elle en a confié la gestion et le développement à une société de droit privé créée à cet effet, la SFMI. Le capital de celle-ci était alors détenu à concurrence de 66 % par Sofipost, elle-même filiale à 100 % de la Poste. Les 34 % restants du capital avaient été souscrits par TAT.

5 Pendant les premiers mois de l'année 1986, la Poste a invité les clients du service Postadex à adhérer au service EMS Chronopost. Ensuite, une instruction du ministère des Postes et Télécommunications du 19 août 1986 (Bulletin officiel des PTT 1986, p. 311 et suivantes) a précisé les modalités d'exploitation et de commercialisation du service EMS Chronopost. Celui-ci serait exploité par la SFMI principalement grâce aux moyens de la Poste, complétés par ceux de TAT Express, une société de transport express, filiale de TAT. La Poste fournirait à la SFMI une assistance consistant, d'une part, dans la mise à disposition de ses bureaux de poste et d'une partie de son personnel pour la collecte, le tri, le transport et la distribution des envois aux clients (ci-après l'"assistance logistique") et, d'autre part, dans la promotion, la prospection et le conseil auprès de la clientèle (ci-après l'"assistance commerciale").

6 Le démarrage et la croissance de la SFMI ont été rapides. De 200 millions de FF lors de son premier exercice en 1986, son chiffre d'affaires est passé à 720 millions de FF en 1988, à 1,03 milliard de FF en 1989 et à 1,34 milliard de FF en 1991.

7 Le 1er janvier 1991, la Poste, jusqu'alors intégrée à l'administration de l'État, est devenue une personne de droit public autonome. La loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, l'a expressément autorisée à développer, à côté de ses missions de service public, des activités dans des domaines ouverts à l'initiative privée.

8 En 1992, la structure de l'activité dans le domaine du courrier express a été modifiée à la suite de la constitution par la Poste française, et les postes allemande, néerlandaise, canadienne et suédoise, d'une part, et la messagerie d'origine australienne TNT, d'autre part, d'un opérateur commun en matière de courrier express international, GNEW (concentration autorisée par la Commission le 2 décembre 1991, JO C 322, p. 19). L'activité nationale a été confiée à une nouvelle société, Chronopost, détenue à 66 % par Sofipost et à 34 % par TAT. Le volet international, quant à lui, a été laissé à la SFMI, qui est passée sous le contrôle de GNEW France, la filiale française de l'opérateur commun. Dans cette nouvelle structure, Chronopost collecte et distribue pour le compte de la SFMI les envois internationaux confiés à GNEW. Jusqu'au 1er janvier 1995, la Poste a garanti l'exclusivité de l'accès à son réseau à GNEW-SFMI et Chronopost n'a pu faire concurrence à la SFMI.

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