Jurisprudence : CJCE, 28-02-1991, aff. C-131/88, Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne

CJCE, 28-02-1991, aff. C-131/88, Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne

A4511AWY

Référence

CJCE, 28-02-1991, aff. C-131/88, Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1010690-cjce-28021991-aff-c13188-commission-des-communautes-europeennes-c-republique-federale-dallemagne
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Cour de justice des Communautés européennes

28 février 1991

Affaire n°C-131/88

Commission des Communautés européennes
c/
République fédérale d'Allemagne


Recueil de Jurisprudence 1991 page I-0825

1. Actes des institutions - Directives - Exécution par les États membres - Transposition d'une directive sans action législative - Conditions - Existence d'un contexte juridique général assurant la pleine application de la directive - Insuffisance de simples pratiques administratives

(Traité CEE, art. 189, alinéa 3)

2. Rapprochement des législations - Protection des eaux souterraines - Directive 80/68 - Nécessité d'une transposition précise par les États membres

(Directive du Conseil 80/68)

3. Actes des institutions - Directives - Exécution par les États membres - Recours à des mesures relevant des autorités régionales ou locales - Admissibilité - Limites

(Traité CEE, art. 189, alinéa 3)

1. La transposition en droit interne d'une directive n'exige pas nécessairement une reprise formelle et textuelle de ses dispositions dans une disposition légale expresse et spécifique, et peut, en fonction de son contenu, se satisfaire d'un contexte juridique général, dès lors que celui-ci assure effectivement la pleine application de la directive d'une façon suffisamment claire et précise afin que, au cas où la directive vise à créer des droits pour les particuliers, les bénéficiaires soient mis en mesure de connaître la plénitude de leurs droits et de s'en prévaloir, le cas échéant, devant les juridictions nationales.

De simples pratiques administratives, par nature modifiables au gré de l'administration et dépourvues d'une publicité adéquate, ne sauraient être considérées comme constituant une exécution valable de l'obligation qui incombe aux États membres, destinataires d'une directive, en vertu de l'article 189 du traité.

2. La directive 80/68 tend à assurer la protection complète et efficace des eaux souterraines de la Communauté en obligeant les États membres, par des dispositions précises et détaillées, à prévoir un ensemble d'interdictions, de régimes d'autorisation et de procédures de contrôle faisant naître des droits et des obligations dans le chef des particuliers, afin d'empêcher ou de limiter les rejets de certaines substances dangereuses. Sa transposition doit de ce fait obéir à des exigences de précision et de clarté particulières.

3. Chaque État membre est libre de répartir, comme il le juge opportun, les compétences sur le plan interne et de mettre en oeuvre une directive au moyen de mesures prises par les autorités régionales ou locales. Cette répartition de compétences ne saurait cependant le dispenser de l'obligation d'assurer que les dispositions de la directive soient traduites fidèlement en droit interne.

Dans l'affaire C-131/88,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Ingolf Pernice, membre de son service juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile auprès de M. Guido Berardis, membre de son service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie requérante,

contre

République fédérale d'Allemagne, représentée par M. Martin Seidel, Ministerialrat au ministère fédéral des Affaires économiques, en qualité d'agent, assisté de Me Jochim Sedemund et, lors de la procédure orale, de Me Frank Montag, avocats au barreau de Cologne, ayant élu domicile au siège de l'ambassade de la République fédérale d'Allemagne, 20-22, avenue Émile-Reuter,

partie défenderesse,

ayant pour objet de faire reconnaître que la République fédérale d'Allemagne, en n'adoptant pas toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer aux dispositions de la directive 80/68/CEE du Conseil, du 17 décembre 1979, concernant la protection des eaux souterraines contre la pollution causée par certaines substances dangereuses (JO 1980, L 20, p. 43), a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE,

LA COUR,

composée de MM. O.Due, président, G. F. Mancini, T. F. O'Higgins, J. C. Moitinho de Almeida, M. Díez de Velasco, présidents de chambre, C. N. Kakouris, F. Grévisse, M. Zuleeg, et P. J. G. Kapteyn, juges,

avocat général : M. W. Van Gerven

greffier : M. H. A. Ruehl, administrateur principal

vu le rapport d'audience et à la suite de la procédure orale du 19 juin 1990,

ayant entendu les conclusions de l'avocat général présentées à l'audience du 25 septembre 1990,

rend le présent

Arrêt

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 6 mai 1988, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours ayant pour objet de faire constater qu'en n'adoptant pas toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer aux dispositions de la directive 80/68/CEE du Conseil, du 17 décembre 1979, concernant la protection des eaux souterraines contre la pollution causée par certaines substances dangereuses (JO 1980, L 20, p. 43, ci-après "directive "), la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE.

2 Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire, des dispositions communautaires et nationales en cause, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

A - Sur l'argumentation générale

3 La République fédérale d'Allemagne fait valoir que la directive a été dûment transposée dans son ordre juridique national par la loi sur le régime des eaux (Wasserhaushaltsgesetz de 1976, ci-après "WHG "), telle que modifiée le 23 septembre 1986 (BGBl. 1986, I, p. 1529 et 1654), par la loi relative à la réduction et à l'évacuation des déchets (Gesetz ueber die Vermeidung und Entsorgung von Abfaellen, Abfallgesetz, du 27 août 1986, ci-après "AbfG", BGBl. I, p. 1410, 1501), par la loi fédérale sur la procédure administrative (Verwaltungsverfahrensgesetz, ci-après "VwVfG ") ainsi que par plusieurs autres lois, décrets et instructions administratives adoptés au niveau des Laender.

4 La République fédérale d'Allemagne soutient que ces textes, bien qu'ils n'aient pas été adoptés spécifiquement en vue de la transposition de la directive, sont interprétés et appliqués de telle manière qu'ils réalisent sa mise en oeuvre. Or, selon la République fédérale d'Allemagne, une directive doit être considérée comme transposée dès lors que le droit national assure effectivement, de manière claire et précise, sa mise en oeuvre. Les griefs de la Commission seraient plutôt théoriques puisque aucun cas contraire à la directive ne s'est présenté dans la pratique.

5 La Commission soutient que les dispositions invoquées par la République fédérale d'Allemagne ne font pas ressortir clairement que la directive a été transposée, dans la mesure où elles ne répondent pas à des critères de transposition stricts et rigoureux.

6 Il convient tout d'abord de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, arrêt du 9 avril 1987, Commission/Italie, 363/85, Rec. p. 1733), la transposition en droit interne d'une directive n'exige pas nécessairement une reprise formelle et textuelle de ses dispositions dans une disposition légale expresse et spécifique et peut, en fonction de son contenu, se satisfaire d'un contexte juridique général, dès lors que celui-ci assure effectivement la pleine application de la directive d'une façon suffisamment claire et précise, afin que, au cas où la directive vise à créer des droits pour les particuliers, les bénéficiaires soient mis en mesure de connaître la plénitude de leurs droits et de s'en prévaloir, le cas échéant, devant les juridictions nationales.

7 La directive visée en l'espèce tend à assurer une protection efficace des eaux souterraines de la Communauté en obligeant les États membres, par des dispositions précises et détaillées, à prévoir un ensemble d'interdictions, de régimes d'autorisation et de procédures de contrôle afin d'empêcher ou de limiter les rejets d'un certain nombre de substances. Ces dispositions de la directive ont donc pour objet de faire naître des droits et des obligations à l'égard des particuliers.

8 Il y a lieu de rappeler que la conformité d'une pratique avec les impératifs de protection d'une directive ne saurait constituer une raison de ne pas transposer cette directive dans l'ordre juridique interne par des dispositions susceptibles de créer une situation suffisamment précise, claire et transparente pour permettre aux particuliers de connaître leurs droits et de s'en prévaloir. Ainsi que la Cour l'a jugé dans l'arrêt du 15 mars 1990, Commission/Pays-Bas, point 25 (C-339/87, Rec. p. I-851), afin de garantir la pleine application des directives, en droit et non seulement en fait, les États membres doivent prévoir un cadre légal précis dans le domaine concerné.

9 Il résulte de ce qui précède que l'argument de la République fédérale d'Allemagne, selon lequel aucun cas contraire à la directive n'a été signalé dans la pratique, ne saurait être retenu.

10 Il convient donc d'examiner si les dispositions invoquées par la République fédérale d'Allemagne assurent une mise en oeuvre correcte de la directive.

B - Sur les rejets de substances relevant de la liste I

1. Quant à l'interdiction de rejets directs

11 La Commission reproche en premier lieu à la République fédérale d'Allemagne de ne pas avoir transposé l'article 4, paragraphe 1, premier tiret, de la directive, qui, en liaison avec l'article 3, sous a), interdit tout rejet direct de substances relevant de la liste I.

12 A cet égard, la République fédérale d'Allemagne fait valoir que cette interdiction ne présente pas un caractère absolu, mais relatif, et doit être appliquée en tenant compte de l'article 2, sous b), de la directive, qui instaurerait des exceptions à l'interdiction, lorsque l'autorité compétente de l'État membre concerné constate que les rejets contiennent des substances relevant de la liste I en quantité et en concentration suffisamment petites pour exclure tout risque présent ou futur de dégradation de la qualité des eaux souterraines réceptrices. Cette disposition laisserait ainsi aux États membres une marge d'appréciation dans l'application de la directive.

13 La République fédérale d'Allemagne soutient que les articles 1 a, paragraphe 1, 2, paragraphe 1, 3, paragraphe 1, point 5, du WHG et notamment son article 34, paragraphe 1, assurent pleinement la transposition de l'interdiction en cause dans son ordre juridique interne. Ce dernier article dispose que l'autorisation d'introduire des substances dans les eaux souterraines ne peut être octroyée que s'il n'y a pas lieu de craindre une pollution nuisible des eaux souterraines ou une altération quelconque de leurs propriétés. La République fédérale d'Allemagne soutient que ces textes impliquent que tout rejet de substances est interdit, à moins que ne soient réunies les conditions de l'article 34, paragraphe 1, du WHG.

14 Il y a lieu de relever à cet égard que l'interdiction de l'article 4, paragraphe 1, premier tiret, de la directive est générale et absolue et concerne les rejets de substances relevant de la liste I, sans opérer une distinction entre substances qui sont en l'état ou en solution. Cet article ne donne pas le pouvoir aux autorités compétentes des États membres d'apprécier, au cas par cas et en tenant compte des circonstances, si les rejets sont ou non nuisibles. Cette interprétation découle d'ailleurs de la comparaison du libellé de cet article avec celui de l'article 5 de la directive, qui, lui, introduit effectivement un régime d'autorisations pour les rejets de substances relevant de la liste II. Elle résulte également du neuvième considérant de la directive selon lequel, à l'exception des rejets directs de substances relevant de la liste I, qui sont interdits a priori, tout rejet doit être soumis à un régime d'autorisation.

15 Quant à la disposition de l'article 2, sous b), de la directive, il y a lieu d'observer d'abord que son interprétation doit tenir compte du fait qu'elle figure dans un article qui définit les cas où la directive ne s'applique pas.

16 Il y a lieu de relever ensuite que l'article 2, sous b), de la directive ne se réfère pas aux rejets de substances relevant de la liste I ou II, en l'état ou en solution, mais aux rejets d'autres substances, qui contiennent des substances prévues par ces deux listes.

17 Il y a lieu enfin de constater que les substances relevant de la liste I ou II, contenues dans de tels rejets doivent être en quantités suffisamment petites pour que soit exclu à première vue, et sans même qu'il soit nécessaire de porter une appréciation sur ce point, tout risque de pollution des eaux souterraines. C'est pour cette raison que l'article 2, sous b), de la directive ne prévoit pas une appréciation de la part de l'autorité compétente d'un État membre, mais une constatation pure et simple.

18 Le sens de cette disposition est donc que, dès lors que la quantité de substances de la liste I (ou II) contenue dans les rejets d'autres substances est telle qu'un risque de pollution ne peut être exclu a priori, la directive s'applique, et, dans ce cas, l'article 2, sous b), ne saurait, contrairement à ce que la République fédérale d'Allemagne soutient, être combiné avec les autres dispositions de ce texte en vue de leur interprétation. Par conséquent, il ne peut être fait référence à l'article 2, sous b), de la directive pour remettre en cause l'interprétation donnée ci-dessus selon laquelle l'interdiction posée par l'article 4, paragraphe 1, premier tiret, a un caractère absolu.

19 Il convient de relever ensuite que, afin d'assurer la protection complète et efficace des eaux souterraines, il est indispensable que les interdictions posées par la directive soient expressément prévues dans les législations nationales (voir arrêt du 27 avril 1988, Commission/France, point 19, 252/85, Rec. p. 2243). Or, l'article 34, paragraphe 1, du WHG, invoqué par la République fédérale d'Allemagne, ne contient pas d'interdiction générale, mais permet à l'autorité compétente d'octroyer, dans certaines conditions, une autorisation d'introduire des substances dans les eaux souterraines, et ce sur la base de critères assez vagues, tels que ceux de "pollution nuisible" et d' "altération défavorable des propriétés" des eaux.

20 Par conséquent, le grief de la Commission relatif à la non-transposition par la République fédérale d'Allemagne de l'article 4, paragraphe 1, premier tiret, de la directive doit être retenu.

2. Quant aux rejets indirects de substances relevant de la liste I (article 4, paragraphe 1, deuxième tiret)

21 La Commission soutient que la République fédérale d'Allemagne n'a pas transposé l'article 4, paragraphe 1, deuxième tiret, de la directive, qui soumet à une enquête préalable, afin de les interdire ou de les autoriser, les actions d'élimination, ou de dépôt en vue d'élimination, susceptibles de conduire à un rejet indirect des substances relevant de la liste I.

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