Cour de justice des Communautés européennes17 juin 1999
Affaire n°C-75/97
Royaume de Belgique
c/
Commission des Communautés européennes
61997J0075
Arrêt de la Cour (sixième chambre)
du 17 juin 1999.
Royaume de Belgique contre Commission des Communautés européennes.
Aides d'Etat - Notion - Réduction majorée des cotisations de sécurité sociale dans certains secteurs industriels - Opération Maribel bis/ter.
Affaire C-75/97.
Recueil de Jurisprudence 1999 page I-3671
Dans l'affaire C-75/97,
Royaume de Belgique, représenté par Mes Gerwin van Gerven et Koen Coppenholle, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Freddy Brausch, 11, rue Goethe,
partie requérante,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Gérard Rozet, conseiller juridique, et Wouter Wils, membre du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du même service, Centre Wagner, Kirchberg,
partie défenderesse,
ayant pour objet un recours en annulation de la décision 97/239/CE de la Commission, du 4 décembre 1996, concernant les aides prévues par la Belgique dans le cadre de l'opération Maribel bis/ter (JO 1997, L 95, p. 25),
LA COUR
(sixième chambre),
composée de MM. P. J. G. Kapteyn, président de chambre, G. Hirsch (rapporteur), G. F. Mancini, H. Ragnemalm et R. Schintgen, juges,
avocat général: M. A. La Pergola,
greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 17 septembre 1998,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 12 novembre 1998,
rend le présent
Arrêt
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 19 février 1997, le royaume de Belgique a, en vertu de l'article 173, premier alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 230, premier alinéa, CE), demandé l'annulation de la décision 97/239/CE de la Commission, du 4 décembre 1996, concernant les aides prévues par la Belgique dans le cadre de l'opération Maribel bis/ter (JO 1997, L 95, p. 25, ci-après la "décision attaquée").
Les mesures prises dans le cadre de l'opération Maribel bis/ter
2 En Belgique, la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés (Moniteur belge du 2 juillet 1981, p. 8575) a instauré l'opération dite "Maribel". Selon l'article 35 de cette loi, les employeurs occupant des travailleurs manuels bénéficient, pour chacun de ceux-ci, d'une réduction des cotisations de sécurité sociale.
3 Selon l'arrêté royal du 12 février 1993 (Moniteur belge du 9 mars 1993, p. 4995), les employeurs ont bénéficié, à partir du 1er janvier 1993, pour les travailleurs manuels, sous certaines conditions, d'une réduction des cotisations, par trimestre et par travailleur, de 2 825 BFR pour cinq travailleurs manuels au maximum et de 1 875 BFR pour les autres travailleurs manuels, si l'employeur occupe moins de vingt travailleurs, et de 1 875 BFR par travailleur manuel, si l'employeur occupe vingt travailleurs au moins.
4 L'arrêté royal du 14 juin 1993 (Moniteur belge du 7 juillet 1993, p. 16069), qui a introduit l'opération dite "Maribel bis", a apporté une nouvelle modification à partir du 1er juillet 1993. La réduction, par trimestre et par travailleur, a été portée à 3 000 BFR pour cinq travailleurs manuels au maximum dans les entreprises occupant moins de vingt travailleurs. Dans les autres cas de figure, la réduction de 1 875 BFR par trimestre et par travailleur a été maintenue.
5 Lorsque l'employeur exerce principalement son activité dans l'un des secteurs les plus exposés à la concurrence internationale, l'arrêté royal du 14 juin 1993 a porté la réduction des cotisations, par trimestre et par travailleur, respectivement, de 3 000 BFR à 7 200 BFR et de 1 875 BFR à 6 250 BFR (ci-après les "réductions majorées").
6 Le législateur belge a défini les secteurs économiques concernés par référence aux divisions 13 à 22 et 24 à 36 de la nomenclature statistique résultant du règlement (CEE) n° 3037/90 du Conseil, du 9 octobre 1990, relatif à la nomenclature statistique des activités économiques dans la Communauté européenne (JO L 293, p. 1). Partant, bénéficient des réductions majorées les entreprises exerçant leur activité dans des secteurs tels que l'extraction de produits non énergétiques, l'industrie chimique, la métallurgie et le travail des métaux, la fabrication d'instruments de précision et d'optique et d'autres industries de transformation.
7 L'arrêté royal du 22 février 1994 (Moniteur belge du 18 mars 1994, p. 6724), introduisant l'opération dite "Maribel ter", a porté, à compter du 1er janvier 1994, pour les entreprises exerçant leur activité dans l'un des secteurs les plus exposés à la concurrence internationale, le montant des réductions majorées par trimestre et par travailleur à, respectivement, 9 300 BFR pour cinq travailleurs manuels au maximum et 8 437 BFR pour les autres travailleurs manuels, dans les entreprises occupant moins de vingt salariés, et à 8 437 BFR pour les travailleurs manuels, dans les entreprises occupant vingt travailleurs au moins.
8 Ce dernier arrêté royal a également étendu l'opération Maribel ter au secteur du transport international relevant de la subdivision 60.242 de la nomenclature nationale qui dérive de la nomenclature statistique relevant du règlement n° 3037/90, à compter du 1er janvier 1994, et à certains autres secteurs des transports aériens et maritimes ainsi qu'aux activités annexes des transports appartenant aux subdivisions 61.100, 61.200, 62.100, 62.200, 63.111 et 63.220 de la même nomenclature, à compter du 1er avril 1994.
9 Le champ d'application de l'opération Maribel ter a encore été étendu, à partir du 1er juillet 1994, par l'arrêté royal du 21 juin 1994 (Moniteur belge du 28 juin 1994, p. 17355), à l'horticulture, la sylviculture et l'exploitation forestière.
10 Toutefois, les réductions majorées accordées dans le cadre de l'opération Maribel bis/ter ne s'appliquent qu'aux travailleurs manuels qui travaillent au moins 51 % du nombre maximal d'heures de travail ou de journées de travail prévues dans la convention collective du travail dont ils relèvent.
La décision attaquée
11 Par lettre du 17 août 1993, la Commission a demandé au gouvernement belge de lui communiquer des informations sur l'opération Maribel bis. Cette demande a été suivie d'un échange de correspondances aux termes duquel la Commission a, le 9 juillet 1996, informé le royaume de Belgique de sa décision d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE) (JO C 227, p. 8, ci-après "la décision du 9 juillet 1996"). A l'issue de cette procédure, la Commission a adopté la décision attaquée.
12 Aux termes de l'article 1er de cette décision, "La réduction plus importante des cotisations de sécurité sociale afférentes aux travailleurs manuels accordée dans le cadre de l'opération Maribel bis/ter aux employeurs exerçant principalement leurs activités dans un des secteurs les plus exposés à la concurrence internationale constitue une aide d'État illégale étant donné qu'elle n'a pas été notifiée préalablement à la Commission conformément aux dispositions de l'article 93 paragraphe 3 du traité CE. Elle est en outre incompatible avec le marché commun conformément aux dispositions de l'article 92 paragraphe 1 du traité CE et ne peut bénéficier d'aucune des dérogations à cette interdiction telles que prévues aux paragraphes 2 et 3 dudit article 92."
13 Son article 2 constate que "La Belgique est tenue de prendre les mesures appropriées pour mettre fin, sans délai, à l'octroi des réductions majorées des cotisations sociales, visées à l'article 1er, et doit récupérer auprès des entreprises bénéficiaires les aides illégalement versées. Le remboursement doit s'effectuer conformément aux procédures et aux dispositions de la loi belge...".
14 S'agissant de la réduction trimestrielle du montant des cotisations par travailleur, la Commission indique, au point I des motifs de sa décision, que l'aide octroyée aux entreprises exerçant principalement leur activité dans l'un des secteurs les plus exposés à la concurrence internationale, qui est constituée par la différence entre la réduction de base et la réduction majorée, s'élève à 26 248 BFR par an et par travailleur. En revanche, concernant celles de ces entreprises qui occupent moins de vingt travailleurs, l'avantage trimestriel afférent à chacun de leurs cinq premiers travailleurs est considéré par la Commission comme relevant de la catégorie des aides de minimis ne tombant dès lors pas sous l'application de l'article 92 du traité (devenu, après modification, article 87 CE).
Les moyens avancés par le royaume de Belgique
15 Le gouvernement belge avance cinq moyens à l'appui de sa demande en annulation. Par les trois premiers, il conteste le bien-fondé de la décision attaquée au motif que, en premier lieu, l'opération Maribel bis/ter est une mesure générale de politique économique, et non une aide, en deuxième lieu, elle n'a pas d'incidence sur le commerce intracommunautaire et, en troisième lieu, dans l'hypothèse où elle serait considérée comme aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, elle doit bénéficier de la dérogation prévue à l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité et être déclarée compatible avec le marché commun. Par ses deux derniers moyens, le gouvernement belge conteste l'obligation de procéder à la récupération des montants des cotisations sociales économisées au titre d'aides dans le cadre de l'opération Maribel bis/ter au motif qu'une récupération serait disproportionnée et qu'elle serait de surcroît impossible à effectuer.
Sur la nature de l'opération Maribel bis/ter
16 Par son premier moyen, le gouvernement belge conteste le bien-fondé de la décision attaquée au motif que les réductions majorées accordées dans le cadre de l'opération Maribel bis/ter constituent des mesures générales de politique économique exclues du champ d'application de l'article 92, paragraphe 1, du traité, et non des aides au sens de cette disposition. Dans le cadre de ce moyen, le gouvernement belge examine notamment les critères généraux permettant de distinguer les mesures d'aides d'État des mesures générales de politique économique, la justification éventuelle de l'opération en cause et, en dernier lieu, les contraintes budgétaires qui restreignent à présent son champ d'application.
17 Se fondant essentiellement sur les prises de position publiques de la Commission, en particulier son XXIVe Rapport sur la politique de la concurrence de 1994 et sa communication 97/C 1/05 relative au contrôle des aides d'État et à la réduction du coût du travail (JO 1997, C 1, p. 10, ci-après la "communication de 1997"), le gouvernement belge soutient que, bien que des indications claires permettant de faire la distinction entre les deux notions fassent défaut dans la jurisprudence de la Cour, l'article 92 du traité ne s'applique pas aux mesures générales applicables à toutes les entreprises d'un État membre, lorsque ces mesures répondent à des exigences objectives, non discriminatoires et non discrétionnaires. Par "toutes les entreprises", il convient d'entendre, selon le gouvernement belge, celles qui se trouvent dans une position objectivement similaire. Il ajoute que, conformément à la communication de 1997, des mesures en faveur de certaines catégories de travailleurs ne constituent pas, en tant que telles, des aides d'État lorsqu'elles s'appliquent de manière automatique et sans discrimination.
18 Selon la Commission, il convient, en partant du régime normal de droit commun qui s'applique à l'ensemble des entreprises, d'examiner si les exceptions à ce régime qui favorisent un groupe plus ou moins important d'entreprises s'inscrivent dans la logique interne du système général. En l'espèce, la justification des mesures d'allégement des charges sociales adoptées dans le cadre de l'opération Maribel bis/ter devrait être recherchée dans la logique interne du système général de prévoyance sociale belge et non dans l'objectif spécifique de ladite opération.
19 En l'occurrence, le gouvernement belge soutient que l'opération Maribel bis/ter est une mesure générale qui exprime un choix de politique économique, consistant à favoriser la création d'emplois dans les secteurs industriels qui occupent la plupart des ouvriers manuels à bas salaires dus à leur basse qualification. Cet objectif expliquerait la limitation du bénéfice des réductions majorées aux entreprises appartenant à l'industrie de transformation et à certains secteurs du transport international, s'agissant des domaines d'activité économique les plus touchés par des licenciements et des restructurations. Le gouvernement belge relève que, même dans ces domaines, seuls ouvrent droit aux réductions majorées les travailleurs manuels travaillant au moins 51 % du nombre maximal d'heures ou de journées de travail autorisées.
20 Le gouvernement belge reconnaît que la référence aux entreprises les plus exposées à la concurrence internationale, utilisée pour définir le champ d'application de l'opération Maribel bis/ter, est malheureuse, mais souligne que ceci ne ferait pas partie des éléments pertinents pris en considération pour restreindre l'opération à certains secteurs.
21 Quant aux secteurs exclus du bénéfice de l'opération Maribel bis/ter, le gouvernement belge relève que sont concernés le secteur tertiaire et celui de la construction et que leur exclusion est fondée sur des considérations objectives, à savoir que le travail manuel se développe fortement dans le secteur tertiaire et que les travailleurs manuels du secteur de la construction sont soumis à des régimes de sécurité sociale et fiscaux particuliers.
22 Le gouvernement belge allègue enfin que l'opération Maribel s'inscrit dans une politique de réduction généralisée des charges sociales. Il explique que les contraintes budgétaires qui s'imposent à lui l'ont obligé à agir de manière progressive, en sorte que l'opération Maribel bis/ter, qui correspond aux premières étapes, n'a pas encore pu être étendue à tous les secteurs d'activité économique. Une telle restriction provisoire et liée à des considérations budgétaires ne ferait pas perdre à celle-ci son caractère de mesure générale de politique économique, lorsqu'elle présente déjà un caractère suffisamment général. En l'occurrence, les réductions majorées accordées dans le cadre de l'opération Maribel bis/ter bénéficieraient à un nombre d'entreprises si important qu'elles devraient être considérées comme suffisamment générales pour échapper à la qualification d'aides d'État et, partant, à l'application de l'article 92, paragraphe 1, du traité.