Cour de justice des Communautés européennes7 décembre 2000
Affaire n°C-324/98
Telaustria Verlags GmbH et Telefonadress GmbH
c/
Telekom Austria AG, en présence de Herold Business Data AG
61998J0324
Arrêt de la Cour (sixième chambre)
du 7 décembre 2000.
Telaustria Verlags GmbH et Telefonadress GmbH contre Telekom Austria AG, en présence de Herold Business Data AG.
Demande de décision préjudicielle: Bundesvergabeamt - Autriche.
Marchés publics des services - Directive 92/50/CEE - Marchés publics de services dans le secteur des télécommunications - Directive 93/38/CEE - Concession de service public.
Affaire C-324/98.
Recueil de jurisprudence 2000 page 0000
Rapprochement des législations - Procédures de passation des marchés publics dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications - Directive 93/38 - Champ d'application - Contrat à titre onéreux conclu par écrit entre un pouvoir adjudicateur et une entreprise privée pour la fourniture de services publics de télécommunications - Inclusion - Contre-prestation consistant en un droit d'exploitation - Exclusion - Obligations des entités adjudicatrices
(Directive du Conseil 93/38)
$$Est visé par la directive 93/38, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications, un contrat à titre onéreux, conclu par écrit entre, d'une part, une entreprise qui est spécifiquement chargée par la législation d'un État membre d'exploiter un service de télécommunications et dont le capital est entièrement détenu par les pouvoirs publics de cet État membre et, d'autre part, une entreprise privée, lorsque par ce contrat la première entreprise confie à la seconde la fabrication et la publication en vue de la diffusion au public de répertoires des abonnés au téléphone imprimés et susceptibles d'utilisation électronique (annuaires téléphoniques).
Toutefois, bien qu'il soit visé par la directive 93/38, un tel contrat est exclu, au stade actuel du droit communautaire, du champ d'application de cette dernière, en raison du fait notamment que la contre-prestation fournie par la première entreprise à la seconde consiste en ce que cette dernière obtient le droit d'exploiter, en vue de sa rétribution, sa propre prestation.
Nonobstant le fait que de tels contrats sont, au stade actuel du droit communautaire, exclus du champ d'application de la directive 93/38, les entités adjudicatrices les concluant sont, néanmoins, tenues de respecter les règles fondamentales du traité en général et le principe de non-discrimination en raison de la nationalité en particulier, ce principe impliquant, notamment, une obligation de transparence qui permet au pouvoir adjudicateur de s'assurer que ledit principe est respecté.
Cette obligation de transparence qui incombe au pouvoir adjudicateur consiste à garantir, en faveur de tout soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat permettant une ouverture du marché des services à la concurrence ainsi que le contrôle de l'impartialité des procédures d'adjudication.
Il appartient au juge national de statuer sur le point de savoir si cette obligation a été respectée dans l'affaire au principal et d'apprécier en outre la pertinence des éléments de preuve produits à cet effet.
(voir points 58, 60-63, disp. 1-4)
Dans l'affaire C-324/98,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le Bundesvergabeamt (Autriche) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Telaustria Verlags GmbH,
Telefonadress GmbH
Telekom Austria AG, anciennement Post & Telekom Austria AG,
en présence de:
Herold Business Data AG,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des directives 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1), et 93/38/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (JO L 199, p. 84),
LA COUR
(sixième chambre),
composée de MM. V. Skouris (rapporteur), président de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la sixième chambre, J.-P. Puissochet et Mme F. Macken, juges,
avocat général: M. N. Fennelly,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,
considérant les observations écrites présentées:
- pour Telaustria Verlags GmbH, par Me F. J. Heidinger, avocat à Vienne,
- pour Telekom Austria AG, par Mes C. Kerres et G. Diwok, avocats à Vienne,
- pour le gouvernement autrichien, par M. W. Okresek, Sektionschef à la Chancellerie, en qualité d'agent,
- pour le gouvernement danois, par M. J. Molde, chef de division au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
- pour le gouvernement français, par Mmes K. Rispal-Bellanger, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et A. Bréville-Viéville, chargé de mission à la même direction, en qualité d'agents,
- pour le gouvernement néerlandais, par M. M. A. Fierstra, conseiller juridique adjoint au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. M. Nolin et J. Schieferer, membres du service juridique, en qualité d'agents, assistés de Me R. Roniger, avocat au barreau de Bruxelles,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de Telaustria Verlags GmbH, représentée par Me F. J. Heidinger, de Telekom Austria AG, représentée par Me C. Kerres, M. P. Asenbauer et Mme M. Gregory, Director of Commercial Law au bureau du service juridique de Telekom Austria AG, en qualité d'agent, de Herold Business Data AG, représentée par Me T. Schirmer, avocat à Vienne, du gouvernement autrichien, représenté par M. M. Fruhmann, de la Chancellerie, en qualité d'agent, du gouvernement français, représenté par M. S. Pailler, chargé de mission à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par M. M. Nolin, assisté de Me R. Roniger, à l'audience du 23 mars 2000,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 18 mai 2000,
rend le présent
Arrêt
1 Par ordonnance du 23 avril 1998, parvenue à la Cour le 26 août suivant, le Bundesvergabeamt (Office fédéral des adjudications) a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), sept questions préjudicielles sur l'interprétation des directives 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1), et 93/38/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (JO L 199, p. 84).
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Telaustria Verlags GmbH (ci-après "Telaustria") et Telefonadress GmbH (ci-après "Telefonadress") à Telekom Austria AG (ci-après "Telekom Austria"), au sujet de la conclusion par cette dernière d'un contrat de concession avec Herold Business Data AG (ci-après "Herold") portant sur la fabrication et la publication de répertoires des abonnés au téléphone imprimés et susceptibles d'utilisation électronique (annuaires téléphoniques).
Le cadre normatif
La réglementation communautaire
La directive 92/50
3 L'article 1er de la directive 92/50 dispose:
"Aux fins de la présente directive:
a) les 'marchés publics de services' sont des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un prestataire de services et un pouvoir adjudicateur, à l'exclusion:
[...]"
4 Le huitième considérant de la directive 92/50 précise:
"[...] la prestation de services n'est couverte par la présente directive que dans la mesure où elle est fondée sur des marchés; [...] la prestation de services sur d'autres bases, telles que des dispositions législatives ou réglementaires ou des contrats d'emploi, n'est pas couverte".
5 En outre, le dix-septième considérant de la directive 92/50 indique:
"[...] les règles relatives aux marchés de services, telles qu'elles figurent dans la directive 90/531/CEE du Conseil, du 17 septembre 1990, relative aux procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (JO L 297, p. 1), ne doivent pas être affectées par la présente directive".
La directive 93/38
6 Conformément à l'article 45, paragraphe 3, de la directive 93/38, la directive 90/531 ne produit plus d'effets à partir de la date de mise en application de la directive 93/38. Ladite disposition précise en outre, à son paragraphe 4, que les références faites à la directive 90/531 s'entendent comme faites à la directive 93/38.
7 Aux termes du vingt-quatrième considérant de la directive 93/38 :
"[...] la fourniture de services n'est couverte par la présente directive que dans la mesure où elle est fondée sur des marchés; [...] la fourniture de services sur d'autres bases, telles que des dispositions législatives, réglementaires ou administratives ou des contrats d'emploi, n'est pas couverte".
8 L'article 1er, point 2, de la directive 93/38 définit l'"entreprise publique" comme "toute entreprise sur laquelle les pouvoirs publics peuvent exercer directement ou indirectement une influence dominante du fait de la propriété, de la participation financière ou des règles qui la régissent. L'influence dominante est présumée lorsque les pouvoirs publics, directement ou indirectement, à l'égard de l'entreprise:
- détiennent la majorité du capital souscrit de l'entreprise
[...]"
9 L'article 1er, point 4, de la directive 93/38 définit les "marchés de fournitures, de travaux et de services" comme "des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre l'une des entités adjudicatrices définies à l'article 2 et un fournisseur, entrepreneur ou prestataire de services et ayant pour objet:
a) dans le cas des marchés de fournitures [...]
b) dans le cas des marchés de travaux [...]
c) dans le cas des marchés de services, tout autre objet que ceux visés aux points a) et b) et à l'exclusion:
[...]"
10 Le dernier alinéa de la même disposition précise:
"Les marchés qui incluent des services et des fournitures sont considérés comme des marchés de fournitures lorsque la valeur totale des fournitures est supérieure à la valeur des services couverts par le marché".
11 En outre, l'article 1er, point 15, de la directive 93/38 définit les "services publics de télécommunications" et les "services de télécommunications" comme suit:
"'services publics de télécommunications': les services de télécommunications dont les États membres ont spécifiquement confié l'offre, notamment à une ou plusieurs entités de télécommunications;
'services de télécommunications': les services qui consistent, en tout ou en partie, en la transmission et l'acheminement de signaux sur le réseau public de télécommunications par des procédés de télécommunications, à l'exception de la radiodiffusion et de la télévision".
12 L'article 2, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/38 dispose:
"1. La présente directive s'applique aux entités adjudicatrices:
a) qui sont des pouvoirs publics ou des entreprises publiques et qui exercent une des activités visées au paragraphe 2;
[...]
2. Les activités relevant du champ d'application de la présente directive sont les suivantes:
[...]
d) la mise à disposition ou l'exploitation de réseaux publics de télécommunications ou la fourniture d'un ou de plusieurs services publics de télécommunications."
La réglementation nationale
13 Le Telekommunikationsgesetz (loi sur les télécommunications, BGBl. I, 1997, n° 100), qui est entré en vigueur le 1er août 1997, fixe, notamment, les obligations des prestataires, des concessionnaires ou des exploitants d'un service de téléphonie vocale.
14 Conformément à l'article 19 du Telekommunikationsgesetz, tout prestataire d'un service public de téléphonie vocale est dans l'obligation de tenir un annuaire téléphonique sur une base actualisée, d'assurer un service de renseignements sur les numéros d'abonnés, de mettre à la disposition la prise en compte gratuite des services d'appels d'urgence et de mettre les annuaires téléphoniques à la disposition de l'autorité réglementaire, gratuitement sur sa demande et, en ce qui concerne les autres prestataires, moyennant une rémunération raisonnable au moins de façon hebdomadaire sous une forme lisible électroniquement, aux fins de la communication de renseignements ou de la publication d'annuaires.
15 En vertu de l'article 26, paragraphe 1, du Telekommunikationsgesetz, l'autorité réglementaire doit garantir qu'un annuaire global unique regroupant tous les abonnés aux services publics de téléphonie vocale est disponible. Les concessionnaires qui offrent un service public de téléphonie vocale sur un réseau fixe ou mobile sont tenus de communiquer, contre rémunération, les données relatives à leurs abonnés à l'autorité réglementaire afin qu'elle s'acquitte de cette tâche.
16 En outre, selon l'article 96, paragraphe 1, de la même loi, l'exploitant d'un service public de télécommunications doit établir un annuaire téléphonique. Ce dernier peut prendre la forme d'un document imprimé ou bien d'un service de renseignements téléphoniques, d'un "Bildschirmtext" (système de vidéotex), d'un support électronique ou toute autre forme technique de communication. Ladite disposition régit également les exigences minimales relatives aux données, aux structures de ces annuaires ainsi que la condition de communication des données relatives aux abonnés à l'autorité réglementaire ou à un tiers.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
17 Telekom Austria, créée par le Telekommunikationsgesetz, est une société anonyme dont l'ensemble des actions est détenu par la république d'Autriche. Elle a succédé à l'ancienne Post & Telegraphenverwaltung (administration des Postes et des Télégraphes) et a pris en charge les anciennes fonctions de cette dernière, parmi lesquelles l'obligation de garantir qu'un annuaire regroupant tous les abonnés aux services publics de téléphonie vocale est disponible.
18 Alors que, avant 1992, la Post & Telegraphenverwaltung assurait par ses propres moyens son obligation de publication, notamment d'un annuaire officiel, connu sous la dénomination de "pages blanches", elle a décidé, à partir de 1992, en raison du coût élevé de l'impression et de la distribution de cet annuaire, de chercher un partenaire et a conclu un contrat avec une entreprise privée en vue de la publication dudit annuaire.