Jurisprudence : CJCE, 18-06-1998, aff. C-35/96, Commission des Communautés européennes c/ République italienne

CJCE, 18-06-1998, aff. C-35/96, Commission des Communautés européennes c/ République italienne

A1741AWE

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Cour de justice des Communautés européennes

18 juin 1998

Affaire n°C-35/96

Commission des Communautés européennes
c/
République italienne



61996J0035

Arrêt de la Cour (cinquième chambre)
du 18 juin 1998.

Commission des Communautés européennes contre République italienne.

Recours en manquement - Entente - Fixation de tarifs professionnels - Expéditeurs en douane - Législation renforçant les effets de l'entente.

Affaire C-35/96.

Recueil de jurisprudence 1998 page I-3851

1 Recours en manquement - Engagement par la Commission de deux procédures distinctes ayant pour objet les mêmes faits mais fondées sur des dispositions de droit communautaire différentes - Violation des droits de la défense - Absence

(Traité CE, art. 155 et 169)

2 Concurrence - Règles communautaires - Entreprise - Notion - Expéditeur en douane - Inclusion

(Traité CE, art. 85 et 86)

3 Concurrence - Ententes - Accords entre entreprises ou associations d'entreprises - Organisation professionnelle nationale ayant fixé un tarif uniforme et obligatoire pour les expéditeurs en douane

(Traité CE, art. 85)

4 Concurrence - Ententes - Atteinte à la concurrence - Affectation du commerce entre États membres - Fixation, par une organisation professionnelle nationale, d'un tarif uniforme et obligatoire pour tous les expéditeurs en douane

(Traité CE, art. 85)

5 Concurrence - Règles communautaires - Obligations des États membres - Réglementation visant à renforcer les effets d'ententes préexistantes - Notion - Législation imposant à une organisation professionnelle l'adoption d'une décision d'association d'entreprises, consistant à fixer un tarif obligatoire pour tous les expéditeurs en douane

(Traité CE, art. 5 et 85)

1 Compte tenu de l'économie générale des règles relatives au recours en manquement, le fait qu'un État membre doive se défendre dans deux causes distinctes ayant pour objet les mêmes faits mais fondées sur des dispositions de droit communautaire différentes ne saurait en soi constituer une violation des droits de la défense.

2 L'activité d'expéditeur en douane relève de la notion d'entreprise aux fins de l'application des règles communautaires de concurrence, étant donné que, dans le contexte du droit de la concurrence, cette notion comprend, indépendamment de son statut juridique et de son mode de financement, toute entité exerçant une activité économique, notamment celle consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné.

La circonstance que l'activité d'expéditeur en douane serait intellectuelle, nécessiterait une autorisation et pourrait être poursuivie sans la réunion d'éléments matériels, immatériels et humains n'est pas de nature à l'exclure du champ d'application des articles 85 et 86 du traité, dès lors que cette activité présente un caractère économique. En effet, l'expéditeur en douane offre, contre rémunération, des services consistant à effectuer des formalités douanières, concernant surtout l'importation, l'exportation et le transit de marchandises, ainsi que d'autres services complémentaires, comme des services relevant des domaines monétaire, commercial et fiscal, assume les risques financiers afférents à l'exercice de cette activité et, en cas de déséquilibre entre dépenses et recettes, est appelé à supporter lui-même les déficits.

3 Lorsqu'elle fixe un tarif obligatoire pour tous les expéditeurs en douane, l'organisation professionnelle regroupant les représentants de la profession se comporte comme une association d'entreprises, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, dès lors que, en vertu du droit national, ces représentants ne sauraient être qualifiés d'experts indépendants et qu'ils ne sont pas tenus par la loi de fixer les tarifs en prenant en considération non pas seulement les intérêts des entreprises ou des associations d'entreprises du secteur qui les a désignés, mais aussi l'intérêt général et les intérêts des entreprises des autres secteurs ou des usagers des services en question.

A cet égard, le fait que l'organisation professionnelle en cause ait un statut de droit public ne fait pas obstacle à l'application de l'article 85 du traité, qui, selon ses propres termes, s'applique à des accords entre entreprises et à des décisions d'associations d'entreprises. Le cadre juridique dans lequel s'effectue la conclusion de tels accords et sont prises de telles décisions ainsi que la qualification juridique donnée à ce cadre par les différents ordres juridiques nationaux sont sans incidence sur l'applicabilité des règles communautaires de la concurrence, et notamment de l'article 85 du traité.

4 Les décisions par lesquelles un organisme professionnel fixe un tarif uniforme et obligatoire pour tous les expéditeurs en douane restreignent la concurrence au sens de l'article 85 du traité dès lors que le tarif fixe directement les prix des services des opérateurs économiques, prévoit, pour chaque type distinct d'opérations, les prix maximaux et minimaux susceptibles d'être réclamés aux clients, détermine différents échelons en fonction de la valeur ou du poids de la marchandise à dédouaner ou du type spécifique de marchandise, voire du type de prestation professionnelle, et, est impératif de sorte qu'un opérateur économique ne peut s'en écarter de sa propre initiative.

Ces décisions sont susceptibles d'affecter les échanges intracommunautaires dès lors que le tarif, en s'étendant à l'ensemble du territoire d'un État membre, a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration économique voulue par le traité. Cette incidence est d'autant plus sensible que divers types d'opérations d'importation ou d'exportation de marchandises à l'intérieur de la Communauté ainsi que d'opérations effectuées entre opérateurs communautaires exigent l'accomplissement de formalités douanières et peuvent, par conséquent, rendre nécessaire l'intervention d'un expéditeur en douane indépendant inscrit au registre.

5 S'il est vrai que, par lui-même, l'article 85 du traité concerne uniquement le comportement des entreprises et ne vise pas des mesures législatives ou réglementaires émanant des États membres, il n'en reste pas moins que cet article, lu en combinaison avec l'article 5 du traité, impose aux États membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles d'éliminer l'effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises. Tel serait notamment le cas si un État membre imposait ou favorisait la conclusion d'ententes contraires à l'article 85 ou en renforçait les effets ou s'il retirait à sa propre réglementation son caractère étatique en déléguant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d'intervention en matière économique.

Un État membre manque ainsi aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 5 et 85 du traité, en adoptant et en maintenant en vigueur une loi qui impose à une organisation professionnelle, par l'attribution d'un pouvoir de décision correspondant, l'adoption d'une décision d'association d'entreprises contraire à l'article 85 du traité, consistant à fixer un tarif obligatoire pour tous les expéditeurs en douane.

Dans l'affaire C-35/96,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Enrico Traversa, membre du service juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du même service, Centre Wagner, Kirchberg,

partie requérante,

contre

République italienne, représentée par M. le professeur Umberto Leanza, chef du service du contentieux diplomatique du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, assisté de M. Pier Giorgio Ferri, avvocato dello Stato, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade d'Italie, 5, rue Marie-Adélaïde,

partie défenderesse,

ayant pour objet de faire constater par la Cour que, en adoptant et en maintenant en vigueur une loi qui impose au Consiglio nazionale degli spedizionieri doganali (Conseil national des expéditeurs en douane), par l'attribution du pouvoir de décision correspondant, l'adoption d'une décision d'association d'entreprises contraire à l'article 85 du traité CE en ce qu'elle fixe un tarif obligatoire pour tous les expéditeurs en douane, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 5 et 85 de ce même traité,

LA COUR

(cinquième chambre),

composée de MM. C. Gulmann, président de chambre, M. Wathelet (rapporteur), J. C. Moitinho de Almeida, P. Jann et L. Sevón, juges,

avocat général: M. G. Cosmas,

greffier: M. R. Grass,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 4 décembre 1997,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 12 février 1998,

rend le présent

Arrêt

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 9 février 1996, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE, un recours visant à faire constater que, en adoptant et en maintenant en vigueur une loi qui impose au Consiglio nazionale degli spedizionieri doganali (Conseil national des expéditeurs en douane, ci-après le "CNSD"), par l'attribution du pouvoir de décision correspondant, l'adoption d'une décision d'association d'entreprises contraire à l'article 85 du traité CE en ce qu'elle fixe un tarif obligatoire pour tous les expéditeurs en douane, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 5 et 85 de ce même traité.

2 En Italie, l'activité des expéditeurs en douane indépendants est réglementée par la loi n° 1612, du 22 décembre 1960, relative à la reconnaissance juridique de la profession d'expéditeur en douane et à l'institution des registres et du fonds de prévoyance en faveur des expéditeurs en douane (GURI n° 4 du 5 janvier 1961, ci-après la "loi n° 1612/1960"), et par des dispositions d'exécution, notamment par des décrets présidentiels et ministériels.

3 Cette activité implique la prestation de services dans le cadre de la procédure de dédouanement (article 1er de la loi n° 1612/1960). Son exercice est subordonné à la possession d'un agrément (patente) et à une inscription au registre national des expéditeurs en douane. Celui-ci se compose de l'ensemble des registres départementaux tenus par les Consigli compartimentali (conseils départementaux des expéditeurs en douane), institués dans chaque département douanier (articles 2 et 4 à 12 de la loi n° 1612/1960).

4 La surveillance de l'activité des expéditeurs en douane est exercée par les conseils départementaux des expéditeurs en douane. Les membres de ceux-ci sont élus à bulletin secret par les expéditeurs en douane inscrits au registre des différentes directions départementales pour un mandat de deux ans, renouvelable; la présidence est assumée par un membre élu par ses pairs (article 10 de la loi n° 1612/1960).

5 Les conseils départementaux des expéditeurs en douane sont chapeautés par le CNSD, un organisme de droit public, composé de neuf membres désignés à bulletin secret par les membres des conseils départementaux des expéditeurs en douane et présidé par un membre élu parmi ses pairs (article 12 de la loi n° 1612/1960). Jusqu'en 1992, le directeur général des douanes et impôts indirects en était membre de droit et occupait la fonction de président. Cette règle a cependant été supprimée par l'article 32 du décret-loi n° 331 du 30 août 1992 (ci-après le "décret-loi n° 331/1992"). Les membres du CNSD sont nommés pour trois ans et peuvent être réélus (article 13, paragraphe 2, de la loi n° 1612/1960).

6 Ne peuvent être élus comme membres des conseils départementaux ou du CNSD que des expéditeurs en douane inscrits sur les registres (articles 8, deuxième alinéa, et 22, deuxième alinéa, du décret du ministre des Finances du 10 mars 1964).

7 Le CNSD est notamment chargé d'établir le tarif des prestations professionnelles des expéditeurs en douane sur la base des propositions des conseils départementaux [article 14, sous d), de la loi n° 1612/1960]. Le tarif est obligatoire (article 11, deuxième alinéa, de la loi n° 1612/1960). Les contrevenants s'exposent à des sanctions disciplinaires allant du blâme à la suspension temporaire du registre en cas de récidive, voire à la radiation du registre en cas de suspension prononcée deux fois en cinq ans par le conseil départemental (articles 38 à 40 du décret du ministre des Finances, du 10 mars 1964, portant règles d'application de la loi n° 1612/1960, GURI, supplemento ordinario, n° 102, du 24 avril 1964).

8 Lors de la séance du 21 mars 1988, le CNSD a adopté le tarif des prestations professionnelles des expéditeurs en douane (ci-après le "tarif") dans les termes suivants:

"Le présent tarif prévoit les montants minimaux et maximaux à payer pour les opérations en douane et les prestations fournies dans les domaines monétaire, commercial et fiscal, y compris en matière de contentieux fiscal. Pour déterminer concrètement le prix à payer compris entre le montant minimal et le montant maximal, il convient de prendre en considération les caractéristiques, la nature et l'importance de la prestation" (article 1er).

"En relation avec les dispositions de l'article 1er ci-dessus, le présent tarif est toujours obligatoire à l'égard du mandant et annule toute autre convention contraire..." (article 5).

"Le Conseil national des expéditeurs en douane est habilité à prononcer des dérogations particulières et/ou temporaires aux montants minimaux prévus par le présent tarif" (article 6).

"Le Conseil national des expéditeurs en douane procède à la mise à jour du présent tarif, selon les indices fournis par l'Istat (Institut central de statistiques) - secteur industriel - à compter de la date de la décision y relative" (article 7).

9 Ce tarif a été approuvé par le ministre des Finances italien par décret du 6 juillet 1988 (GURI n° 168, du 19 juillet 1988, p. 19).

10 En application de l'article 7 du tarif, le CNSD a décidé, lors de sa séance du 15 décembre 1989, de majorer de 8 % les prix fixés par le tarif à compter du 1er janvier 1990 (communiqué du ministère des Finances, publié au GURI n° 299, du 23 décembre 1989).

11 La Commission a initié trois procédures distinctes contre la législation italienne.

12 Le 24 mars 1992, elle a introduit une requête devant la Cour visant à faire constater que la République italienne avait violé les articles 9 et 12 du traité CE en approuvant le tarif. Ce recours a été rejeté par l'arrêt du 9 février 1994, Commission/Italie (C-119/92, Rec. p. I-393), faute d'obligation pour l'importateur d'avoir recours en toute hypothèse aux services d'un expéditeur professionnel (point 46).

13 Le 30 juin 1993, la Commission a arrêté la décision 93/438/CEE relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/33.407 - CNSD, JO L 203, p. 27), dans laquelle elle a constaté que le tarif constituait une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Le CNSD a introduit un recours en annulation à l'encontre de cette décision, qui est actuellement pendant devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes (affaire T-513/93) et dont celui-ci a décidé de reporter l'examen jusqu'au prononcé de l'arrêt de la Cour dans la présente affaire (ordonnance du Tribunal de première instance, du 6 mai 1996, non publiée au Recueil).

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