Jurisprudence : CJCE, 02-07-1996, aff. C-473/93, Commission des Communautés européennes c/ Grand-Duché de Luxembourg

CJCE, 02-07-1996, aff. C-473/93, Commission des Communautés européennes c/ Grand-Duché de Luxembourg

A1714AWE

Référence

CJCE, 02-07-1996, aff. C-473/93, Commission des Communautés européennes c/ Grand-Duché de Luxembourg. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1008073-cjce-02071996-aff-c47393-commission-des-communautes-europeennes-c-grandduche-de-luxembourg
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Cour de justice des Communautés européennes

2 juillet 1996

Affaire n°C-473/93

Commission des Communautés européennes
c/
Grand-Duché de Luxembourg



61993J0473

Arrêt de la Cour
du 2 juillet 1996.

Commission des Communautés européennes contre Grand-Duché de Luxembourg.

Manquement d'Etat - Libre circulation des personnes - Emplois dans l'administration publique.

Affaire C-473/93.

Recueil de Jurisprudence 1996 page I-3207

1. Recours en manquement ° Procédure précontentieuse ° Objet ° Délais impartis à l'État membre ° Exigence de délais raisonnables ° Critères d'appréciation

(Traité CEE, art. 169)

2. Libre circulation des personnes ° Dérogations ° Emplois dans l'administration publique ° Secteurs publics de la recherche, de l'enseignement, de la santé, des transports terrestres, des postes et télécommunications et services de distribution d'eau, de gaz et d'électricité ° Condition de nationalité pour l'accès aux emplois ne comportant pas une participation à l'exercice de la puissance publique et à la sauvegarde des intérêts généraux de l'État ° Inadmissibilité ° Justification ° Sauvegarde de l'identité nationale ° Inadmissibilité

(Traité CEE, art. 48; traité sur l'Union européenne, art. F, § 1; règlement du Conseil n° 1612/68, art. 1er)

1. Dans le cadre du recours en manquement, la procédure précontentieuse a pour but de donner à l'État membre concerné l'occasion, d'une part, de se conformer à ses obligations découlant du droit communautaire et, d'autre part, de faire utilement valoir ses moyens de défense à l'encontre des griefs formulés par la Commission. Ce double objectif impose à la Commission de laisser un délai raisonnable à l'État membre pour répondre à la lettre de mise en demeure et pour se conformer à un avis motivé ou, le cas échéant, pour préparer sa défense. Pour l'appréciation du caractère raisonnable du délai fixé, il y a lieu de tenir compte de l'ensemble des circonstances qui caractérisent la situation d'espèce.

C'est ainsi que ne saurait être qualifié de déraisonnable le délai de quatre mois accordé à un État membre pour se conformer à l'avis motivé de la Commission lorsque cet État membre a été informé de la position de la Commission près de trois ans avant de recevoir la lettre de mise en demeure et que, en outre, ce délai correspond au double de celui qui est habituellement accordé.

2. Manque aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 48 du traité et de l'article 1er du règlement n° 1612/68, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté, l'État membre qui, dans les secteurs publics de la recherche, de l'enseignement, de la santé, des transports terrestres, des postes et télécommunications et dans les services de distribution d'eau, de gaz et d'électricité, ne limite pas l'exigence tenant à la possession de sa nationalité à l'accès aux seuls emplois de fonctionnaire et d'employé public comportant une participation, directe ou indirecte, à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'État ou des autres collectivités publiques. En effet, dès lors que la généralité des emplois dans lesdits secteurs sont éloignés des activités spécifiques de l'administration publique, la circonstance que certains emplois dans ces secteurs puissent, le cas échéant, relever de l'article 48, paragraphe 4, du traité ne saurait justifier qu'un État membre soumette, de façon générale, la totalité de ces emplois à une condition de nationalité.

Dans un secteur comme celui de l'enseignement, l'exclusion des ressortissants des autres États membres de l'ensemble des emplois de ce secteur ne saurait être justifiée par des considérations relatives à la sauvegarde de l'identité nationale, puisque cet intérêt, dont la sauvegarde est légitime, ainsi que le reconnaît l'article F, paragraphe 1, du traité sur l'Union européenne, peut être utilement préservé par des moyens autres que l'exclusion générale et que les ressortissants des autres États membres doivent en tout cas, comme les ressortissants nationaux, remplir toutes les conditions exigées pour le recrutement, notamment celles tenant à la formation, à l'expérience et aux connaissances linguistiques.

Dans l'affaire C-473/93,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Dimitrios Gouloussis, conseiller juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie requérante,

contre

Grand-duché de Luxembourg, représenté par Me Alain Lorang, avocat au barreau de Luxembourg, 12-14, avenue Emile Reuter,

partie défenderesse,

ayant pour objet de faire constater que, en maintenant l'exigence d'une condition de nationalité à l'encontre des travailleurs ressortissants des autres États membres pour l'accès aux emplois de fonctionnaire ou d'employé public relevant des secteurs publics de la recherche, de l'enseignement, de la santé, des transports terrestres, des postes et télécommunications, ainsi que des services de distribution d'eau, de gaz et d'électricité, le grand-duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 48 du traité CEE et des articles 1er et 7 du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2),

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, C. N. Kakouris, D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet et G. Hirsch, présidents de chambre, G. F. Mancini, F. A. Schockweiler, J. C. Moitinho de Almeida, P. J. G. Kapteyn, C. Gulmann, J. L. Murray, P. Jann (rapporteur), H. Ragnemalm, L. Sevón et M. Wathelet, juges,

avocat général: M. P. Léger,

greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 23 janvier 1996,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 5 mars 1996,

rend le présent

Arrêt

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 17 décembre 1993, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE, un recours visant à faire constater que, en maintenant l'exigence d'une condition de nationalité à l'encontre des travailleurs ressortissants des autres États membres pour l'accès aux emplois de fonctionnaire ou d'employé public relevant des secteurs publics de la recherche, de l'enseignement, de la santé, des transports terrestres, des postes et télécommunications, ainsi que des services de distribution d'eau, de gaz et d'électricité, le grand-duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 48 du traité CEE et des articles 1er et 7 du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2).

2 L'article 48, paragraphes 1 à 3, du traité CEE, devenu traité CE, consacre le principe de la libre circulation des travailleurs et l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres. L'article 48, paragraphe 4, du traité prévoit que les dispositions de cet article ne sont pas applicables aux emplois dans l'administration publique. Selon la jurisprudence de la Cour, cette dernière disposition concerne les emplois qui comportent une participation, directe ou indirecte, à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'État ou des autres collectivités publiques, et supposent ainsi, de la part de leurs titulaires, l'existence d'un rapport particulier de solidarité à l'égard de l'État ainsi que la réciprocité des droits et devoirs qui sont le fondement du lien de nationalité. En revanche, l'exception prévue à l'article 48, paragraphe 4, ne s'applique pas à des emplois qui, tout en relevant de l'État ou d'autres organismes de droit public, n'impliquent cependant aucun concours à des tâches relevant de l'administration publique proprement dite (arrêt du 17 décembre 1980, Commission/Belgique, 149/79, Rec. p. 3881, points 10 et 11).

3 Quant aux articles 1er et 7 du règlement n° 1612/68, ils énoncent la règle de l'égalité de traitement dans l'accès à l'emploi, d'une part, et dans son exercice, d'autre part.

4 Ayant constaté que, dans certains États membres, un grand nombre d'emplois considérés comme appartenant à la fonction publique n'avaient pas de rapport avec l'exercice de la puissance publique et la sauvegarde des intérêts généraux de l'État, la Commission a entrepris, en 1988, une "action systématique" sur la base de la communication 88/C 72/02, Libre circulation des travailleurs et accès aux emplois dans l'administration publique des États membres ° Action de la Commission en matière d'application de l'article 48, paragraphe 4, du traité CEE (JO 1988, C 72, p. 2). Dans cette communication, la Commission a invité les États membres à ouvrir aux ressortissants des autres États membres l'accès aux emplois dans les organismes chargés de gérer un service commercial, tel que les transports publics, la distribution d'électricité ou de gaz, la navigation aérienne ou maritime, les postes et télécommunications, ainsi que dans les organismes de radio-télédiffusion, dans les services opérationnels de santé publique, dans l'enseignement public et dans la recherche effectuée à des fins civiles dans des établissements publics. La Commission estimait que les tâches et responsabilités caractérisant les emplois relevant de ces secteurs ne pouvaient que très exceptionnellement relever de la dérogation prévue à l'article 48, paragraphe 4, du traité.

5 Dans le cadre de cette action, la Commission a, par une lettre du 5 janvier 1988, invité le grand-duché de Luxembourg à prendre les mesures nécessaires afin d'éliminer la condition de nationalité à laquelle cet État subordonne l'accès à l'emploi dans les secteurs énumérés ci-dessus. Dans une lettre du 30 octobre 1990, le grand-duché de Luxembourg a répondu qu'il n'envisageait pas de prendre des mesures particulières dans le sens souhaité.

6 Le 12 mars 1991, la Commission a adressé au gouvernement luxembourgeois six lettres de mise en demeure concernant respectivement les secteurs de la recherche, de l'enseignement, de la santé, des transports terrestres, des postes et télécommunications, ainsi que de la distribution d'eau, de gaz et d'électricité. Dans ces lettres, la Commission invitait le gouvernement luxembourgeois à présenter ses observations dans un délai de six mois.

7 Le 4 mai 1992, le gouvernement luxembourgeois a répondu qu'il maintenait sa position antérieure, étant donné que, dans les secteurs en cause, le principe de la libre circulation des travailleurs avait déjà reçu une large application.

8 Le 14 juillet 1992, la Commission a émis six avis motivés pour les secteurs concernés, imposant chacun un délai de quatre mois au gouvernement luxembourgeois pour s'y conformer. Ces avis motivés étant restés sans réponse, la Commission a intenté le présent recours.

9 Il ressort du dossier que, au grand-duché de Luxembourg, les secteurs visés dans la requête appartiennent à la fonction publique. Dans tous ces secteurs, la nationalité luxembourgeoise est en principe exigée pour accéder à la totalité des postes, qu'ils soient attribués à des fonctionnaires statutaires, à des agents assimilés ou à des employés dans les liens d'un contrat.

10 Ce principe est inscrit à l'article 11, deuxième alinéa, de la constitution luxembourgeoise qui prévoit que "seuls les Luxembourgeois sont admissibles aux emplois civils et militaires", à l'article 3, sous a), de la loi du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l'État, à l'article 2, paragraphe 1, sous a), de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'État, à l'article 2, paragraphe 1, sous a), de la loi du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, à l'article 3, sous a), du règlement grand-ducal du 26 mai 1975 portant assimilation du régime des employés communaux à celui des employés de l'État, à l'article 2, point 1, du statut du personnel des chemins de fer luxembourgeois, qui prévoit toutefois des dérogations dans les cas prévus par les conventions internationales et lorsque des candidats luxembourgeois font défaut, moyennant alors l'autorisation du gouvernement.

11 La même condition est en outre exigée par l'article 24 de la loi du 10 août 1992 relative à la transformation de l'administration des postes et télécommunications en "Entreprise des Postes et Télécommunications", qui prévoit l'application à ses agents des dispositions du statut général des fonctionnaires et employés de l'État, ainsi que par l'article 2, sous b), du règlement grand-ducal du 11 août 1974 déterminant les conditions d'admission, de nomination et de promotion du personnel paramédical de l'État.

12 Enfin, il résulte de l'effet combiné des articles 4 et 5 de la loi du 9 mars 1987, relative à l'organisation de la recherche et du développement technologique dans le secteur public, que les ressortissants des autres États membres ne peuvent accéder à une activité de recherche que dans la mesure où, par exception, l'organisme, le service ou l'établissement d'enseignement supérieur ou universitaire public qui les emploie n'exige pas la nationalité luxembourgeoise.

13 Par exception, cette condition n'est pas requise pour le personnel du centre hospitalier de Luxembourg, établissement public géré dans les formes du droit privé, ni pour le personnel enseignant du centre universitaire de Luxembourg.

14 Dans tous les cas où elle s'impose, l'exigence de la nationalité luxembourgeoise est énoncée dans des termes généraux et sans distinction selon la nature des tâches ou la position hiérarchique des emplois en cause.

15 La Commission soutient que, dans tous les secteurs visés par le recours, les tâches et responsabilités qui caractérisent les emplois soumis à la condition de nationalité sont généralement trop éloignées des activités spécifiques de l'administration publique pour bénéficier presque sans exception de la dérogation prévue à l'article 48, paragraphe 4, du traité. Le grand-duché de Luxembourg ne pourrait dès lors exiger la nationalité luxembourgeoise pour la totalité des emplois dans ces secteurs. Quant aux emplois particuliers pour lesquels un tel rapport avec les activités spécifiques de l'administration publique existe, il appartiendrait au gouvernement défendeur de démontrer ce rapport.

16 Le grand-duché de Luxembourg ne conteste pas que, de manière générale sur son territoire, les emplois dans les secteurs en cause sont réservés à ses propres ressortissants. Il s'oppose cependant à ce que la Cour constate le manquement pour diverses raisons.

Sur la recevabilité

17 Le grand-duché de Luxembourg conteste tout d'abord la recevabilité du recours de la Commission au motif que cette dernière ne lui a accordé qu'un délai de quatre mois pour se conformer aux avis motivés. Ce délai aurait été manifestement insuffisant pour lui permettre de procéder à l'importante réforme qui lui était demandée et qui l'obligeait à revoir son système administratif dans ses bases les plus solidement établies.

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