Jurisprudence : CJCE, 19-02-1998, aff. C-212/96, Paul Chevassus-Marche c/ Conseil régional de la Réunion

CJCE, 19-02-1998, aff. C-212/96, Paul Chevassus-Marche c/ Conseil régional de la Réunion

A1691AWK

Référence

CJCE, 19-02-1998, aff. C-212/96, Paul Chevassus-Marche c/ Conseil régional de la Réunion. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1008051-cjce-19021998-aff-c21296-paul-chevassusmarche-c-conseil-regional-de-la-reunion
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Cour de justice des Communautés européennes

19 février 1998

Affaire n°C-212/96

Paul Chevassus-Marche
c/
Conseil régional de la Réunion



61996J0212

Arrêt de la Cour
du 19 février 1998.

Paul Chevassus-Marche contre Conseil régional de la Réunion.

Demande de décision préjudicielle: Tribunal administratif de Saint-Denis de La Réunion - France.

Octroi de mer - Régime fiscal des départements d'outre-mer - Décision 89/688/CEE - Taxes d'effet équivalant à un droit de douane - Impositions intérieures.

Affaire C-212/96.

Recueil de jurisprudence 1998 page I-0743

Association des pays et territoires d'outre-mer - Mise en oeuvre par le Conseil - Développement économique et social des départements français d'outre-mer - Obligations des institutions - Décision du Conseil autorisant temporairement et sous contrôle de la Commission des exonérations à l'octroi de mer appliqué dans les départements français d'outre-mer - Validité - Condition

(Traité CE, art. 9, 12, 13, 95, 226 et 227, § 2; décision du Conseil 89/688)

La décision 89/688 relative au régime de l'octroi de mer dans les départements français d'outre-mer, dans la mesure où elle autorise un système d'exonération, assorti d'une procédure de contrôle par la Commission, de la taxe dénommée "octroi de mer", en faveur des produits des départements français d'outre-mer, à condition que l'octroi d'une telle exonération respecte les conditions strictes qu'elle prévoit, n'est pas incompatible avec les articles 9, 12 et 13 du traité et les dérogations temporaires à l'article 95 qu'elle prévoit sont justifiées conformément à l'article 227, paragraphe 2, lu en combinaison avec l'article 226 du traité.

En effet, il ressort de l'article 227, paragraphe 2, troisième alinéa, du traité que les institutions de la Communauté sont tenues d'utiliser pleinement les procédures prévues par le traité et notamment celles mentionnées à l'article 226 afin de permettre le développement économique et social des départements français d'outre-mer. Ce dernier article précise que les mesures urgentes de sauvegarde ne sauraient être adoptées unilatéralement par les États membres, mais nécessitent l'intervention des institutions communautaires qui ne peuvent autoriser que les dérogations strictement nécessaires et limitées dans le temps, choisissant prioritairement les mesures qui apportent le moins de perturbations au fonctionnement du marché commun.

A cet égard, l'imposition des conditions strictes prévues à l'article 2, paragraphe 3, de la décision 89/688, interprétées à la lumière des limites prévues à l'article 226 du traité pour déroger aux dispositions du traité, est apte à assurer la compatibilité du système des exonérations précisément déterminées avec les dispositions du traité.

Dans l'affaire C-212/96,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion (France) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Paul Chevassus-Marche

Conseil régional de la Réunion,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 9, 12, 13 et 95, deuxième alinéa, du traité CE, ainsi que sur l'interprétation et la validité de la décision 89/688/CEE du Conseil, du 22 décembre 1989, relative au régime de l'octroi de mer dans les départements français d'outre-mer (JO L 399, p. 46),

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, C. Gulmann, H. Ragnemalm et M. Wathelet, présidents de chambre, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida, P. J. G. Kapteyn, J. L. Murray, D. A. O. Edward (rapporteur), J.-P. Puissochet, G. Hirsch, P. Jann et L. Sevón, juges,

avocat général: M. G. Tesauro,

greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

- pour le conseil régional de la Réunion, par Me Pierre Soler-Couteaux, avocat au barreau de Strasbourg,

- pour le gouvernement français, par Mmes Catherine de Salins, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et Anne de Bourgoing, chargé de mission à la même direction, en qualité d'agents,

- pour le Conseil de l'Union européenne, par M. Ramon Torrent, directeur du service juridique, en qualité d'agent,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. Michel Nolin, membre du service juridique, en qualité d'agent,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales du conseil régional de la Réunion, représenté par Me Katia Merten, avocat au barreau de Strasbourg, du gouvernement français, représenté par M. Jean-François Dobelle, directeur adjoint à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, et Mme Anne de Bourgoing, du Conseil, représenté par M. Ramon Torrent, et de la Commission, représentée par M. Michel Nolin, à l'audience du 15 janvier 1997,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 20 mars 1997,

rend le présent

Arrêt

1 Par jugement du 5 juin 1996, parvenu à la Cour le 25 juin suivant, le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion a posé, en application de l'article 177 du traité CE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 9, 12, 13 et 95, deuxième alinéa, de ce traité, ainsi que sur l'interprétation et la validité de la décision 89/688/CEE du Conseil, du 22 décembre 1989, relative au régime de l'octroi de mer dans les départements français d'outre-mer (JO L 399, p. 46).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un recours introduit par M. Chevassus-Marche, agent commercial domicilié en métropole, visant à obtenir l'annulation de la délibération du 11 décembre 1992 du conseil régional de la Réunion adoptant les nouveaux taux d'octroi de mer applicables dans ce département, au motif que les marchandises produites localement peuvent en être exonérées.

3 Selon le requérant au principal, cette délibération est incompatible avec la décision 89/688.

4 La décision 89/688 a été adoptée par le Conseil sur le fondement des articles 227, paragraphe 2, et 235 du traité CEE, tout comme la décision 89/687/CEE du Conseil, du 22 décembre 1989, instituant un programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité des départements français d'outre-mer (Poséidom) (JO L 399, p. 39, ci-après la "décision Poséidom"), décisions qui ont été adoptées le même jour.

5 Il y a lieu de relever que, en vertu d'une loi de 1946, une taxe dénommée "octroi de mer" (ci-après l'"ancien octroi de mer") a été perçue dans les départements d'outre-mer français (ci-après les "DOM"), frappant la totalité des marchandises de toute origine (y compris celles originaires de France métropolitaine et, en principe, également celles provenant des autres DOM) du fait de leur introduction dans le DOM concerné. En revanche, les produits de ce DOM étaient exonérés de l'ancien octroi de mer ou de toute taxe équivalente interne. La recette provenant de l'ancien octroi de mer servait essentiellement à financer, selon les règles de l'autonomie régionale, le budget des collectivités locales.

6 Selon le premier considérant de la décision 89/688, les pouvoirs d'action requis pour permettre le développement économique et social des DOM n'avaient pas été prévus à l'article 227, paragraphe 2, du traité, de sorte qu'"il convient en conséquence de recourir à l'article 235 du traité".

7 Selon le cinquième considérant, le régime de l'ancien octroi de mer comportait des éléments qui rendaient nécessaire sa réforme afin d'intégrer pleinement les DOM dans le processus d'achèvement du marché intérieur, tout en tenant compte de leurs structures économiques fragiles.

8 Il ressort du sixième considérant qu'il convenait d'aménager le régime de l'octroi de mer en un régime fiscal interne applicable à l'ensemble des produits commercialisés dans les DOM.

9 Il résulte du septième considérant que, afin de permettre la création, le maintien et le développement d'activités dans ces départements, il s'avérait opportun d'autoriser les autorités locales à exonérer, totalement ou partiellement, selon les besoins économiques, les activités locales de l'application de ce nouvel octroi de mer pour une période de temps ne dépassant pas, en principe, dix années.

10 Selon le neuvième considérant, au terme de cette période de dix années, le régime fiscal devra être pleinement conforme aux principes de l'article 95 du traité, étant entendu que des mesures de soutien visant les mêmes objectifs pourront toujours être prises dans le cadre des aides régionales et dans le respect des dispositions des articles 92, 93 et 94 du traité CE. La Commission devra soumettre, avant l'expiration du délai de dix ans, un rapport au Conseil sur l'application du régime et son incidence sur le développement des DOM, assorti, le cas échéant, d'une proposition visant à maintenir la possibilité d'exonérations.

11 L'article 1er de la décision 89/688 dispose:

"D'ici au 31 décembre 1992 au plus tard, les autorités françaises prennent les mesures nécessaires pour que le régime de l'octroi de mer actuellement en vigueur dans les départements d'outre-mer soit applicable indistinctement, selon les principes et modalités énoncés aux articles 2 et 3, aux produits introduits et aux produits obtenus dans ces régions."

12 L'article 2 de cette même décision prévoit:

"1. La recette de la taxe est affectée par les autorités compétentes de chaque département d'outre-mer de manière à y favoriser le plus efficacement possible le développement économique et social. La Commission est informée dans les meilleurs délais des dispositions prises par les autorités compétentes en vue de la réalisation de cet objectif.

2. Les autorités compétentes de chaque département d'outre-mer fixent un taux d'imposition de base. Ce taux peut être modulé selon les catégories de produits. Cette modulation ne doit en aucun cas être de nature à maintenir ou à introduire des discriminations à l'encontre des produits en provenance de la Communauté.

3. Compte tenu des contraintes particulières des départements d'outre-mer et aux fins de la réalisation de l'objectif visé à l'article 227, paragraphe 2, du traité, des exonérations de la taxe, partielles ou totales selon les besoins économiques, peuvent être autorisées en faveur des productions locales pour une période ne dépassant pas dix ans à partir de l'introduction du système de taxe en question, dans les conditions prévues à l'article 3. Ces exonérations doivent contribuer à la promotion ou au maintien d'une activité économique dans les départements d'outre-mer et s'insérer dans la stratégie de développement économique et social de chaque département d'outre-mer, compte tenu de son cadre communautaire d'appui, sans être pour autant de nature à altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun.

Les régimes d'exonération retenus par les autorités compétentes de chaque département d'outre-mer sont notifiés à la Commission, qui en informe les États membres et prend position dans un délai de deux mois sur la base des critères indiqués ci-dessus. Si la Commission ne s'est pas prononcée dans ce délai, le régime est réputé approuvé.

La Commission présente au Conseil un rapport sur l'application du régime d'exonération au plus tard cinq ans après l'introduction du système de la taxe en question."

13 L'article 3 de la décision 89/688 dispose:

"Un an au plus tard avant l'expiration du délai prévu à l'article 2, paragraphe 3, la Commission soumet au Conseil un rapport sur l'application du régime visé à l'article 2, afin de vérifier l'incidence des mesures prises sur l'économie des départements d'outre-mer et leur contribution à la promotion ou au maintien des activités économiques locales. Ce rapport doit faire notamment état de l'effet du système de taxe en question sur le rattrapage économique et social des départements d'outre-mer, en prenant notamment comme critères le taux de chômage, la balance commerciale, le produit intérieur brut régional, ainsi que sur la libre circulation des produits à l'intérieur de la Communauté et sur la coopération régionale entre les départements d'outre-mer et leurs voisins.

Compte tenu des conclusions du rapport visé au premier alinéa, la Commission, en prenant en considération l'objectif de développement économique et social des départements d'outre-mer visé à l'article 227, paragraphe 2, du traité, soumet, le cas échéant, simultanément au Conseil une proposition visant à maintenir la possibilité d'exonérations.

Des mesures de soutien visant les mêmes objectifs peuvent être prises dans le cadre des aides régionales."

14 Selon l'article 4 de la décision 89/688, la République française était autorisée à maintenir jusqu'au 31 décembre 1992 au plus tard, et dans l'attente de la mise en application de la réforme prévue à l'article 1er, l'ancien octroi de mer.

15 Enfin, l'article 5 dispose que la République française est destinataire de la décision.

16 La République française a adopté, le 17 juillet 1992, la loi n° 92-676 relative à l'octroi de mer et portant mise en oeuvre de la décision 89/688 (ci-après le "nouvel octroi de mer").

17 La juridiction de renvoi estime que la solution du litige dont elle est saisie implique une appréciation de la conformité de la décision 89/688 avec le traité, pour autant que cette décision permet, en son article 2, paragraphe 3, d'exonérer du nouvel octroi de mer la production locale des entreprises situées dans les DOM. Elle a donc sursis à statuer et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) La décision 89/688/CEE du Conseil, qui autorise le maintien de l'octroi de mer appliqué aux produits importés aussi bien qu'aux marchandises produites par des entreprises situées dans un département d'outre-mer, est-elle conforme au traité et plus précisément à ses articles 9, 12 et 13 en ce qu'elle admet la possibilité d'exonération au bénéfice des entreprises locales, sous la seule réserve que celles-ci contribuent au développement ou au maintien d'une activité économique?

2) Au cas où il serait répondu positivement à la première question: la décision 89/688 peut-elle être regardée, au regard des dispositions de l'article 95, deuxième alinéa, du traité CE, comme permettant une différenciation fiscale poursuivant des objectifs économiques compatibles avec les exigences du traité et du droit dérivé et justifiée par les conditions économiques propres aux départements d'outre-mer?"

18 Par ces deux questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur la validité de la décision 89/688. Ces questions portent en effet sur la conformité de l'article 2, paragraphe 3, de cette décision avec les dispositions des articles 9, 12, 13 et 95 du traité, en ce qu'il autorise l'exonération totale des produits des DOM par rapport à ceux qui sont importés ou, à tout le moins, opère une différenciation entre ces deux catégories de produits en ce qui concerne le taux de la taxe.

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