CE 2/7 ch.-r., 27-09-2023, n° 471646
A29281IB
Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2023:471646.20230927
Référence
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015🏛 ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
1. Par deux lettres reçues le 26 octobre 2022, la fédération internationale des associations de personnes âgées (FIAPA), d'une part, M. A B et Mme D C, d'autre part, ont demandé à la Première ministre d'édicter le décret prévu par l'article 477-1 du code civil🏛, issu de la loi du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement, aux termes duquel " Le mandat de protection future est publié par une inscription sur un registre spécial dont les modalités et l'accès sont réglés par décret en Conseil d'Etat ". Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre, la FIAPA et M. B et Mme C demandent l'annulation pour excès de pouvoir des refus implicites qui leur ont été opposés, résultant du silence gardé pendant plus de deux mois sur leurs demandes.
Sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre de la justice :
2. Selon l'article 1er de ses statuts, la FIAPA a notamment pour objet " d'assurer aux personnes âgées une place de citoyens à part entière " et " de défendre leurs intérêts matériels et moraux ". Compte tenu de son objet statutaire, la fédération requérante justifie d'un intérêt suffisant pour agir contre la décision qu'elle attaque. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la justice doit être écartée.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. En vertu de l'article 21 de la Constitution, le Premier ministre " assure l'exécution des lois " et " exerce le pouvoir réglementaire " sous réserve de la compétence conférée au Président de la République pour les décrets en Conseil des ministres par l'article 13 de la Constitution. L'exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit mais aussi l'obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi, hors le cas où le respect d'engagements internationaux de la France y ferait obstacle.
4. L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus du pouvoir réglementaire de prendre les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative🏛, pour le pouvoir réglementaire, de prendre ces mesures. Il s'ensuit que lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'une autorité administrative d'édicter les mesures nécessaires à l'application d'une disposition législative, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité d'un tel refus au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.
5. A la date de la présente décision, il s'est écoulé plus de sept ans et demi depuis l'entrée en vigueur de la loi du 28 décembre 2015. Si le ministre de la justice fait valoir que le changement de gouvernement intervenu en mai 2017 a remis en cause un projet de décret , qu'a été ensuite envisagé un plan de transformation numérique qui s'est heurté à des difficultés de divers ordres, et enfin qu'une proposition de loi " portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France " est actuellement en cours de discussion au Parlement, ces circonstances ne justifient pas une abstention qui s'est prolongée au-delà d'un délai raisonnable, alors qu'au demeurant il ressort des écritures du ministre que la disposition de la proposition de loi dont il se prévaut a pour objet d'adapter le contenu du mandat de protection future sans remettre en cause explicitement les dispositions de l'article 477-1 du code civil.
6. Il résulte de ce qui précède que la FIAPA et M. B et Mme C sont fondés à demander l'annulation des décisions de la Première ministre refusant de prendre le décret en Conseil d'Etat prévu par l'article 477-1 du code civil.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ". Aux termes de l'article L. 911-3 du même code : " La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite () d'une astreinte () dont elle fixe la date d'effet ".
8. L'annulation des décisions refusant de prendre le décret en Conseil d'Etat prévu par l'article 477-1 du code civil implique nécessairement l'édiction de ce décret. Il y a donc lieu pour le Conseil d'Etat d'enjoindre à la Première ministre de prendre ce décret dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision et, dans les circonstances de l'espèce, de prononcer à l'encontre de l'Etat, à défaut pour la Première ministre de justifier de l'édiction de ce décret dans le délai prescrit, une astreinte de 200 euros par jour de retard jusqu'à la date à laquelle la présente décision aura reçu exécution.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛, le versement, d'une part, à la FIAPA et, d'autre part, à M. B et Mme C de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
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Article 1er : Les décisions implicites par lesquelles la Première ministre a refusé de prendre le décret en Conseil d'Etat prévu par l'article 477-1 du code civil sont annulées.
Article 2 : Il est enjoint à la Première ministre de prendre, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, le décret en Conseil d'Etat prévu par l'article 477-1 du code civil.
Article 3 : Une astreinte de deux cent euros par jour est prononcée à l'encontre de l'Etat s'il n'est pas justifié de l'exécution de la présente décision dans le délai mentionné à l'article 2 ci-dessus. La Première ministre communiquera à la section du rapport et des études du Conseil d'Etat copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter la présente décision.
Article 4 : L'Etat versera d'une part à la fédération internationale des associations de personnes âgées et d'autre part à M. B et Mme C la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la fédération internationale des associations de personnes âgées, à M. A B, premier dénommé de la requête n° 471647, à la Première ministre et au ministre de la justice.
Copie pour information sera envoyée à la section du rapport et des études du Conseil d'Etat.