ARRÊT DU CONSEIL D'ETAT
CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N° 180643
M. ALET
M. Maïa, Rapporteur
M. Bachelier, Commissaire du Gouvernement
Séance du 5 janvier 2000
Lecture du 16 février 2000
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux,
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 7 juin et 4 octobre 1996 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par M. Georges ALET, demeurant 15, rue de Buci à Paris (75006) ; M. ALET demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 11 avril 1996 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation du jugement du 17 mars 1994 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande en décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu ainsi que des pénalités y afférentes auxquelles il a été assujetti au titre des années 1980 à 1984 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi n° 87-502 du 8 juillet 1987 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Maïa, Auditeur,
- les observations de Me Odent, avocat de M. Georges ALET,
- les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'à l'issue d'une vérification approfondie de sa situation fiscale d'ensemble, M. Georges ALET a été assujetti à des rappels d'impôt sur le revenu, assortis de majorations pour défaut de déclaration au titre des années 1980 à 1982 et de pénalités pour manoeuvres frauduleuses au titre des années 1983 et 1984 ; qu'au titre de ces deux dernières années, les redressements notifiés à M. ALET résultaient de l'imposition, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, de sommes versées, sous couvert de facturations fictives, par la société "Publications officielles", dont il était le dirigeant de fait, à la société "SPCP" avant de lui être reversées, par cette dernière, en espèces ; que le pourvoi de M. ALET est dirigé contre l'arrêt du 11 avril 1996 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation du jugement du 17 mars 1994 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande en décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu ainsi que des pénalités y afférentes auxquelles il a été assujetti au titre des années 1980 à 1984 ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales : "Les bases ou les éléments de calcul servant au calcul des impositions d'office sont portés à la connaissance du contribuable, trente jours au moins avant la mise en recouvrement des impositions, au moyen d'une notification qui précise le modalités de leur détermination..." ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les notifications des bases imposées d'office, en date des 8 septembre et 2 octobre 1986, adressées à M. ALET indiquaient les bases d'imposition retenues par le service, les modalités de calcul et la catégorie des impositions mises à la charge du contribuable ; que, pour le surplus, la cour a souverainement apprécié les faits de l'espèce en jugeant que ces notifications étaient suffisamment motivées au regard des dispositions précitées de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales ;
Sur le bien-fondé des impositions :
Considérant que si le service est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, de justifier une imposition par un nouveau fondement juridique, c'est à la condition qu'une telle substitution de base légale ne prive le contribuable d'aucune des garanties de procédure prévues par la loi ; qu'après avoir établi les impositions à l'impôt sur le revenu assignées au titre des années 1983 et 1984 à M. ALET, à raison de revenus qu'il avait perçus en espèces de la part de la société SPCP, sur le fondement de l'article 109-1-1° du code général des impôts, l'administration a admis que ces dispositions n'étaient pas applicables en l'espèce, faute que la société distributrice ait enregistré des résultats bénéficiaires au cours des exercices en cause, et a demandé devant la cour administrative d'appel de Paris que la taxation soit établie sur le fondement de l'article 111-c du même code ; que contrairement à ce que soutient M. ALET, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant, pour faire droit à cette demande du ministre, qu'une telle substitution de base légale ne privait le contribuable d'aucune des garanties de procédure prévues par la loi, dès lors, notamment, que la procédure de notification des bases imposées d'office était la même que l'imposition soit fondée sur l'article 111-c du code général des impôts ou sur l'article 109-1-1° de ce code;
Sur les pénalités auxquelles a été assujetti M. AL ET au titre des années 1983 et 1984 :
Considérant que si l'administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, de justifier d'une pénalité en en modifiant le fondement juridique, c'est à la double condition que la substitution de base légale ainsi opérée ne prive le contribuable d'aucune des garanties de procédure prévues par la loi que l'administration invoque, au soutien de la demande de substitution de base légale, des faits qu'elle avait retenus pour motiver la pénalité initialement appliquée ; qu'en se bornant à relever, pour admettre la substitution aux pénalités pour manoeuvres frauduleuses de 150 % dont le service avait d'abord assorti les droits mis à la charge de M. ALET au titre des années 1983 et 1984 des pénalités de 100 % prévues à l'article 1733-1 alors applicable du code général des impôts en cas de défaut de souscription de la déclaration malgré deux mises en demeure, que les pénalités initialement appliquées avaient été régulièrement motivées par lettre du 17 décembre 1986, sans rechercher si l'administration avait alors invoqué les mêmes faits que ceux dont elle s'est prévalue pour justifier le maintien, sur un nouveau fondement, des pénalités infligées à M. ALET, la cour a commis une erreur de droit ; qu'il suit de là que son arrêt doit, dans cette mesure, être annulé ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987 ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1733 du code général des impôts dans sa rédaction alors applicable : "1. En cas de taxation d'office à défaut de déclaration dans les délais prescrits, les droits mis à la charge du contribuable sont majorés du montant de l'intérêt de retard prévu à l'article 1728 sans que ce montant puisse être inférieur à 10 % des droits dus pour chaque période d'imposition. La majoration est de 25 % si la déclaration n'est pas parvenue à l'administration dans un délai de trente jours à partir de la notification par pli recommandé d'une mise en demeure d'avoir à la produire dans ce délai. Si la déclaration n'est pas parvenue dans un délai de trente jours après une nouvelle mise en demeure notifiée par l'administration dans les mêmes formes, la majoration est de 100 %" ; que le taux de 100 % prévu par le 1 de l'article 1733 du code général des impôts, en vigueur à la date de la mise en recouvrement des majorations contestées, a été réduit à 80 % par l'article 1728 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 2-II de la loi n° 87-502 du 8 juillet 1987 ;
Considérant qu'il résulte des termes mêmes de la lettre de motivation des pénalités du 17 décembre 1986 que, pour assujettir M. ALET à des pénalités pour manoeuvres frauduleuses, l'administration s'est notamment fondée sur ce que l'intéressé s'était abstenu de déclarer ses revenus au titre des deux années en cause ; que cette carence était de nature à justifier légalement l'application de l'article 1733-1 du code général des impôts précité ; qu'il s'ensuit que le ministre est fondé à demander, sur le fondement des dispositions de l'article 1733-1 du code général des impôts, le maintien des sommes correspondant aux pénalités pour manoeuvres frauduleuses infligées initialement au contribuable au titre des années 1983 et 1984, dans la limite résultant du taux de la nouvelle base légale ;
Considérant que les dispositions du 1 de l'article 1733 du code général des impôts n'ont pas pour objet la seule réparation d'un préjudice pécuniaire subi par le Trésor du fait du défaut de déclaration, par un contribuable, de ses revenus mais instituent une sanction tendant à réprimer de tels agissements et à en empêcher la réitération; que, par suite, le principe selon lequel la loi pénale nouvelle doit, lorsqu'elle prononce des peines moins sévères que la loi ancienne, s'appliquer aux infractions commises avant son entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à des condamnations passées en force de chose jugée, s'étend à la pénalité prévue par le 1 de l'article 1733 du code général des impôts ; qu'ainsi que le soutient M. AL ET, la majoration appliquée aux impositions de l'année 1984 par l'administration, par voie de substitution de base légale, au taux de 100 % prévu par le 1 de l'article 1733 du code général des impôts excède, après défalcation d'une somme égale aux intérêts de retard qui auraient été encourus à défaut d'application de la pénalité prévue au 1 de l'article 1733, le taux de 80 % désormais prévu par l'article 1728 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 87-502 du 8 juillet 1987 ; que, dès lors, il y a lieu de réduire le taux de 100 % de la pénalité infligée à M. ALET et de prononcer la décharge des sommes correspondant à la différence entre d'une part le taux de 100 % et d'autre part le taux de 80 % majoré d'un intérêt au taux de 0,75 % par mois de retard ; que M. ALET est fondé à demander, sur ce point, la réformation du jugement du 17 mars 1994 du tribunal administratif de Paris ;
Sur les conclusions de M. ALET tendant à l'application de l'article 7 -I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi susvisée du 10 juillet 1991 et de condamner l'Etat à payer à M. ALET une somme de 10 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : L'arrêt du 11 avril 1996 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. ALET relatives aux pénalités qui lui ont été assignées au titre de l'année 1984.
Article 2 : M. ALET est déchargé des pénalités mises à sa charge au titre de l'année 1984, à concurrence des montants correspondant à la réduction du taux de 100 % de la pénalité au taux de 80 % majoré d'un intérêt au taux de 0,75 % par mois de retard.
Article 3 : Le jugement du 17 mars 1994 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : L'Etat versera à M. ALET une somme de 10 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
Article-5: Le surplus des conclusions des requêtes de M. ALET en cassation et en appel est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Georges ALET et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.