COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 30 août 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 531 F-D
Pourvoi n° W 21-15.743
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 AOÛT 2023
La société Garoupe investissement, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 2] (Luxembourg), a formé le pourvoi n° W 21-15.743 contre l'arrêt rendu le 16 février 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-1), dans le litige l'opposant :
1°/ au directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, domicilié [… …],
2°/ au directeur général des finances publiques, domicilié [… …],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maigret, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Garoupe investissement, de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques et du directeur général des finances publiques, après débats en l'audience publique du 31 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Maigret, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 16 février 2021), la société de droit luxembourgeois Garoupe investissement (la société Garoupe), constituée le 2 mai 1996, avec comme actionnaires la société Muscari Financial Inc., ayant son siège social aux Iles Vierges britanniques, pour 399 actions, et M. [Aa], demeurant … …, pour une action, a acquis, le 2 juillet 1996, une villa située sur la commune d'[Localité 3], au prix de 2 millions de francs.
2. De 1997 à 2013, la société Garoupe a déposé chaque année la déclaration n° 2746, afin de bénéficier de l'exonération de la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles détenus en France par des sociétés étrangères, en mentionnant Mme [K], domiciliée en Israël, comme détentrice de 399 actions de la société.
3. Le 30 juillet 2014, l'administration fiscale a adressé une proposition de rectification à la société Garoupe concernant les années 2008 à 2013 puis, par un avis du 30 novembre 2015, a mis en recouvrement les droits rappelés.
4. Après rejet de sa réclamation contentieuse, la société Garoupe a assigné l'administration fiscale en vue d'obtenir la décharge des impositions mises à sa charge.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
5. En application de l'
article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile🏛, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. La société Garoupe fait grief à l'arrêt confirmatif de rejeter ses demandes, alors :
« 1°/ qu'en vertu de l'
article L. 180 du livre des procédures fiscales🏛, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à l'expiration de la troisième année suivant celle de l'enregistrement d'une déclaration ; que ce délai n'est opposable à l'administration que si l'exigibilité des droits a été suffisamment révélée par le document enregistré, sans qu'il soit nécessaire de procéder à des recherches ultérieures ; qu'en outre, en vertu de l'
article 990 D du code général des impôts🏛, les entités juridiques, telles que les sociétés, qui possèdent un ou plusieurs immeubles situés en France sont redevables d'une taxe annuelle de 3 % de la valeur vénale de ces immeubles ; que, toutefois, le e) du 3° de l'
article 990 E du code général des impôts🏛 exonère de taxe les contribuables qui déclarent chaque année la situation, la consistance et la valeur des immeubles possédés au 1er janvier, l'identité et l'adresse des actionnaires, associés ou autres membres qui détiennent plus de 1 % des actions, parts ou autres droits dont ils ont connaissance à la même date, ainsi que le nombre des actions, parts ou autres droits détenus par chacun d'eux, au prorata du nombre d'actions, parts ou autres droits détenus au 1er janvier par des actionnaires, associés ou autres membres dont l'identité et l'adresse ont été déclarées ; qu'en retenant, pour juger que la société Garoupe n'était pas fondée à se prévaloir du délai de prescription du droit de reprise abrégé de trois ans, que ce délai n'était pas opposable lorsque le nom du bénéficiaire économique mentionné dans les déclarations annuelles est distinct de l'actionnaire principal figurant dans les statuts et documents officiels établis dans l'Etat dans lequel l'entité propriétaire du bien en cause est établie, cependant que, dans le cas où un contribuable a déposé une déclaration comportant l'ensemble des informations mentionnées au e) du 3° de l'article 990 E du code général des impôts, l'administration fiscale dispose de tous les éléments lui permettant de contrôler le bien-fondé de l'exonération de taxe de 3 % sur les immeubles possédés en France par des personnes morales, ce dont il résulte que les conditions d'application du délai abrégé de prescription du droit de reprise de l'administration fiscale prévu par l'article L. 180 du livre des procédures fiscales sont réunies, la cour a violé les dispositions de l'article L. 180 du livre des procédures fiscales, ensemble l'article 990 E du code général des impôts ;
2°/ qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si la société Garoupe n'avait pas souscrit chaque année, de 2008 à 2013, une déclaration annuelle contenant l'ensemble des informations exigées par le e) du 3° de l'article 990 E du code général des impôts subordonnant le bénéfice de l'exonération à la souscription d'une déclaration, et s'il n'en résultait pas que l'administration fiscale disposait de tous les éléments lui permettant de contrôler si le contribuable était fondé à bénéficier de l'exonération de taxe de 3 % sur les immeubles possédés en France par des personnes morales et que les conditions d'application du délai abrégé de prescription du droit de reprise de l'administration fiscale prévu par l'article L. 180 du livre des procédures fiscales étaient réunies, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 180 du livre des procédures fiscales et 990 E du code général des impôts. »
Réponse de la Cour
7. La prescription abrégée de trois ans n'est opposable à l'administration que si l'exigibilité des droits et taxes a été suffisamment révélée par le document enregistré présenté à la formalité. Tel n'est pas le cas lorsque le nom du bénéficiaire économique mentionné dans les déclarations annuelles est distinct de celui de l'actionnaire principal figurant dans les statuts ou les documents officiels établis par l'Etat dans lequel est établie la personne morale propriétaire du bien litigieux.
8. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
9. La société Garoupe fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que pour contester la méthode d'évaluation de la villa possédée par la société Garoupe, celle-ci a, d'une part, fait valoir que les termes de comparaison retenus par l'administration fiscale n'étaient pas décrits avec suffisamment de précision, ce qui ne permettait pas d'apprécier leur pertinence, et, d'autre part, a produit un rapport d'expertise établi par le Crédit foncier de France proposant une évaluation alternative de l'immeuble ; que pour approuver l'évaluation de l'immeuble établie par l'administration fiscale, la cour a notamment énoncé qu'il "ne peut être reproché à l'administration de ne pas fournir une description de l'intérieur des biens auxquels elle n'a pas eu accès" ; qu'en revanche, la cour a jugé que le rapport d'expertise produit par la société Garoupe n'était pas probant au motif qu'il retenait quatre immeubles comme termes de comparaison dont la description n'était pas suffisamment détaillée pour être probante ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, comme elle l'avait admis pour l'administration fiscale, la description des termes de comparaison retenus par l'expert ne pouvait être plus précise faute pour l'expert d'avoir pu avoir accès aux immeubles en cause, et s'il n'en résultait pas que le rapport d'expertise du Crédit foncier de France était doté d'une valeur probante et était de nature à remettre en cause d'évaluation de l'administration fiscale, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article 990 D du code général des impôts, ensemble l'
article L. 17 du livre des procédures fiscales🏛 ;
2°/ que, en outre, lorsque l'administration entend rectifier l'évaluation de biens servant de base à la perception d'une imposition à raison du fait que la valeur déclarée par le contribuable lui paraît inférieure à la valeur vénale réelle des biens désignés dans la déclaration, il lui appartient de faire la preuve de cette sous-évaluation et, donc, de justifier de ses propres évaluations ; qu'en déniant toute valeur probante à l'évaluation de la villa appartenant à la société Garoupe réalisée par le Crédit foncier de France, au motif que la description des quatre transactions retenues comme termes de comparaison par l'expert portait sur des immeubles dont la consistance n'était pas suffisamment détaillée, tout en admettant la valeur probante de l'évaluation réalisée par l'administration fiscale dans la proposition de rectification du 30 juillet 2014, au motif qu'il ne pouvait pas lui être reproché de ne pas fournir une description de l'intérieur des biens retenus comme termes de comparaison, auxquels elle n'avait pas eu accès, la cour a inversé la charge de la preuve en déchargeant l'administration fiscale du devoir de décrire avec suffisamment de précision les immeubles retenus comme terme de comparaison alors qu'elle a maintenu cette exigence probatoire à l'égard de la société Garoupe, violant ainsi l'article 990 D du code général des impôts, ensemble l'article L. 17 du livre des procédures fiscales. »
Réponse de la Cour
10. Après avoir exactement énoncé que la valeur vénale des immeubles, d'une part, doit être déterminée par comparaison avec la cession de biens intrinsèquement similaires, relatifs à des ventes antérieures à la date de la mutation soumise à la formalité, d'autre part, est constituée par le prix qui pourrait être obtenu par son propriétaire dans le cas d'une vente ordinaire réalisée dans des conditions normales de concurrence par un acquéreur quelconque, abstraction faite de toute valeur de convenance, l'arrêt relève que les termes de comparaison retenus par l'administration fiscale sont des ventes immobilières intervenues pour des biens situés, pour certains, dans le même lotissement ou à quelques centaines de mètres, avec mention de la surface habitable et de la surface du terrain, telles que déclarées au centre des impôts fonciers, et retient que ces termes de comparaison pouvant être considérés comme intrinsèquement similaires au bien à évaluer, il ne peut être reproché à l'administration fiscale de ne pas fournir une description de l'intérieur des biens auxquels elle n'a pas eu accès.
11. L'arrêt relève ensuite que le rapport d'expertise établi par le Crédit foncier le 31 décembre 2012 à la demande de la société Garoupe fait état d'équipements de bonne qualité et d'un « aperçu mer » depuis la chambre de maître et mentionne que le bien est libre d'occupation, mais que, concernant des transactions intervenues entre le 4 juillet 2011 et le 18 décembre 2012, il évoque à titre de comparaison quatre immeubles dont la description n'est pas suffisamment détaillée pour être probante, dont la surface est, pour plusieurs d'entre eux, différente des indications détenues par l'administration, et qui est, pour un autre, implanté dans un autre secteur que le bien évalué.
12. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer la recherche visée à la première branche et a procédé à un examen concret des éléments de comparaison tirés de la cession de biens similaires pour chacune des années d'imposition concernées, dont la valeur probante n'était pas remise en cause par le fait que l'administration fiscale n'était pas en mesure de fournir une description de l'intérieur des biens auxquels elle n'avait pas accès, a, sans inverser la charge de la preuve, souverainement estimé que les éléments retenus par le rapport d'expertise amiable n'étaient pas de nature à remettre en cause l'évaluation détaillée établie par les services fiscaux, dont il y avait lieu de retenir les valeurs calculées.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Garoupe investissement aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par la société Garoupe investissement et la condamne à payer au directeur général des finances publiques et au directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente août deux mille vingt-trois.