COMM.
SMSG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 août 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 515 F-D
Pourvoi n° J 22-11.711
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 AOÛT 2023
1°/ Mme [Aa] [Ab], épouse [U], domiciliée [Adresse 1],
2°/ La société Jardin d'Ava, société civile d'exploitation agricole, dont le siège est [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° J 22-11.711 contre l'arrêt rendu le 2 décembre 2021 par la cour d'appel de Versailles (16e chambre), dans le litige les opposant à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Nord-Est, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de Mme [B] et de la société Jardin d'Ava, après débats en l'audience publique du 31 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 2 décembre 2021), par un acte du 15 mars 2013, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Nord Est (la banque) a consenti à la société civile d'exploitation agricole Jardin d'Ava (la SCEA) un prêt garanti par le cautionnement de Mme [Ab], épouse [U].
2. La SCEA ayant cessé d'honorer les échéances du prêt, la banque a prononcé la déchéance du terme et assigné la caution en exécution de son engagement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. Mme [B] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes de nullité de son engagement de caution et, en conséquence, de la condamner, en sa qualité de caution, à payer à la banque, solidairement avec la SCEA, la somme de 175 990,15 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2019, alors « que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; que, dans ses conclusions d'appel, Mme [B] a fait valoir que, eu égard à l'exigence portée à l'acte de prêt par laquelle la caution devait faire précéder sa signature de la mention en chiffres et en lettres du montant de la dette cautionnée, la banque avait ajouté aux conditions légales de validité de son engagement, lequel était ainsi affecté de nullité "faute de respecter la mention contractuellement exigée par la banque elle-même" ; qu'en refusant d'annuler le cautionnement souscrit par Mme [B], après avoir pourtant relevé que "l'examen de la mention manuscrite apposée par la caution sur son engagement du 15 mars 2013 versé aux débats n'indique le montant de la somme cautionnée uniquement en chiffres, alors que la clause dactylographiée figurant dans le contrat comme devant être recopiée par la caution, indique cette somme en chiffres mais également en toutes lettres", la cour d'appel, qui a refusé d'appliquer la loi des parties, a violé l'
article 1134 du code civil🏛, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
4. Mme [Ab] n'ayant pas soutenu, dans ses conclusions d'appel, que les parties avaient entendu faire de l'indication, dans la mention manuscrite apposée par la caution, du montant de la garantie en lettres et en chiffres une condition de validité de l'engagement de cette dernière, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à des considérations inopérantes, n'a pas, en rejetant sa demande d'annulation du cautionnement, violé l'article 1134 du code civil.
5. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
6. Mme [B] fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'aux termes de l'
article L. 341-3 du code de la consommation🏛, dans sa rédaction antérieure à son abrogation par l'ordonnance du 14 mars 2016, lorsque le créancier professionnel demande un cautionnement solidaire, la personne physique qui se porte caution doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante : "En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'
article 2298 du code civil🏛 et en m'obligeant solidairement avec X..., je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement X..." ; que la cour d'appel a elle-même relevé que l'acte de cautionnement litigieux mentionne que "[I] [B] s'oblige solidairement à le le SCEA Jardin d'Ava" (sic), phrase qu'elle a estimée n'être "pas conforme à la mention légale sur la solidarité prévue par les dispositions de l'article L. 341-3 du code de la consommation prévoyant en m'obligeant solidairement avec X..." ; qu'en énonçant cependant que cette mention "n'altère pas pour autant le sens de son engagement dont la solidarité est par ailleurs bien mentionnée par cette dernière qui a auparavant précisé m'obligeant solidairement et dès lors avec la société ayant emprunté et pour ce motif cautionnée par [I] [B] en sa qualité de gérante", quand l'irrégularité qu'elle a relevée figurait dans le corps même de la phrase comportant l'engagement de cautionnement solidaire de Mme [Ab] et ainsi affectait substantiellement le sens et la portée de la mention manuscrite exigée par la loi, la cour d'appel a violé la disposition susvisée. »
Réponse de la Cour
7. Après avoir relevé que la mention manuscrite apposée par Mme [B] dans l'acte de cautionnement comporte le membre de phrase « s'oblige solidairement à le le SCEA Jardin d'Ava », qui n'est pas conforme à la mention légale sur la solidarité prévue à l'article L. 341-3 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que la substitution des termes « à le le » au mot « avec » procède d'une erreur matérielle et, par motifs propres, que, nonobstant cette erreur, la solidarité est mentionnée par la caution, qui a précisé, de sa main, à la fois s'obliger solidairement et s'engager à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement la SCEA.
8. En l'état de ces constatations et appréciations, dont il résulte que le sens et la portée de la mention légale sur la solidarité n'étaient pas modifiés, la cour d'appel a, à juste titre, statué comme elle a fait.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
10. Mme [B] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes visant à être déchargée de son engagement de caution et, en conséquence, de la condamner, en sa qualité de caution, à payer à la banque, solidairement avec la SCEA, la somme de 175 990,15 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2019, alors « qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ; que le juge doit, pour se prononcer sur le caractère manifestement disproportionné de l'engagement de la caution, apprécier sa situation globale d'endettement à la date de souscription de son engagement ; que la cour d'appel a constaté que Mme [Ab] faisait "valoir que la moitié indivise en pleine propriété du logement familial situé [Adresse 1] ne peut être retenue dans la valorisation de son patrimoine car [celle-ci] a fait l'objet d'une déclaration d'insaisissabilité et qu'elle s'est engagée en qualité de caution de la SCI chez [C]", mais a refusé de prendre en compte ces éléments lui permettant de déterminer sa situation globale d'endettement, en ce qu'elle ne les avaient pas mentionnés sur la fiche de renseignement ; qu'en refusant ainsi, pour se prononcer sur le caractère manifestement disproportionné de l'engagement de la caution, d'apprécier sa situation globale d'endettement à la date de souscription de son engagement, la cour d'appel a violé l'
article L. 341-4, devenu L. 332-1, du code de la consommation🏛. »
Réponse de la Cour
11. Il résulte des articles L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016, et 1134, alinéa 3, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, que la caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine, dépourvue d'anomalies apparentes sur les informations déclarées, ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu'elle a déclarée au créancier.
12. Après avoir relevé qu'il appartient à la caution qui s'en prévaut de rapporter la preuve de la disproportion manifeste entre son engagement et ses biens et revenus, l'arrêt retient que Mme [Ab] n'a pas mentionné, sur la fiche de renseignements qu'elle a établie, que la maison d'habitation sise à [Localité 3], dont elle détenait la moitié indivise en pleine propriété, faisait l'objet d'une clause d'inaliénabilité ni qu'elle s'était rendue caution de la société civile immobilière Chez [C].
13. C'est, dès lors, à juste titre que la cour d'appel a écarté toute disproportion manifeste entre l'engagement de caution de Mme [Ab] et ses biens et revenus, en se fondant sur la seule fiche de renseignements signée par cette dernière.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
15. Mme [B] fait le même grief à l'arrêt, alors « que la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou qu'il existe un risque de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur ; que, pour écarter tout manquement de la banque à son devoir de mise en garde, la cour d'appel s'est contentée de relever que l'engagement de caution de Mme [B] "ne constitue pas un endettement excessif de la caution au regard de son patrimoine à la date de cet engagement" et qu'elle avait "été destinataire en sa qualité de gérante de l'emprunteur garanti de toutes les information sur la solvabilité de la société garantie lui permettant d'apprécier le risque de l'opération garantie" ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à établir que Mme [B] était une caution avertie, qualité qui ne pouvait se déduire de ce qu'elle était la gérante de la société débitrice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'
article 1147 du code civil🏛, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
16. Les motifs critiqués par le moyen, par lesquels la cour d'appel a rejeté la demande de Mme [B] en paiement de dommages et intérêts, ne sont pas le soutien du chef de dispositif rejetant, par confirmation du jugement, les demandes de Mme [B] visant à être déchargée de son engagement de caution.
17. Le moyen, inopérant, ne peut donc être accueilli.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [Ab], épouse [U], et la société civile d'exploitation agricole Jardin d'Ava aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par Mme [Ab], épouse [U], et la société civile d'exploitation agricole Jardin d'Ava ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente août deux mille vingt-trois.